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L’essor des technologies numériques et les mutations qu’elles suscitent au sein des pratiques informationnelles sont de plus en plus attestés et commentés, notamment en ce qui concerne les médias socionumériques comme Facebook et Twitter. Ces transformations posent un défi aux professionnels de l’information alors que se multiplient les possibilités d’accès et de participation des contenus d’actualité. En effet, le grand public, traditionnellement en position de réception, participe désormais activement à la production de contenus et à leur discussion en ligne. En ce sens, il convient de s’interroger sur les usages qui sont faits de Twitter et Facebook pour le traitement et la diffusion de l’information de presse dans le cadre de cette transformation du système médiatique. Quelles pratiques ces médias socionumériques ont-ils contribué à faire émerger? Quelles sont les significations accordées au partage et au débat autour des contenus d’actualité sur Twitter et Facebook? L’ouvrage collectif dirigé par Arnaud Mercier et Nathalie Pignard-Cheynel a pour but d’apporter des éléments de réponse en s’appuyant sur un ensemble d’études réalisées dans le cadre du projet Info-RSN.

Mercier et Pignard-Cheynel assurent conjointement la coordination de l’Observatoire du webjournalisme (Obsweb) du Centre de recherche sur les médiations (CREM) de l’Université de Lorraine, duquel est issu le projet Info-RSN. L’objectif au cœur de ce projet est d’étudier les usages de médias socionumériques – Facebook et Twitter au premier plan – pour le commentaire et la diffusion des informations de presse, de même que les mutations que suscitent ces pratiques auprès des médias d’information. En outre, les partenariats développés dans le cadre du projet ont permis la constitution d’une base de données de 17 282 045 tweets publiés par 1 149 747 usagers uniques, pour 876 359 articles d’actualité produits par 31 médias français, de février 2014 à mars 2017.

L’ouvrage propose dix chapitres rédigés par douze auteurs et autrices, collaborant pour la plupart au projet Info-RSN et issus de spécialisations en sociologie, communication, sémiotique, journalisme et informatique, entre autres domaines. Ces chapitres, répartis sous deux thèmes, soit la diffusion et le partage de l’information d’une part, et le commentaire et la discussion d’actualité d’autre part, proposent différentes études de cas des usages de Facebook ou de Twitter pour la communication de l’actualité en se focalisant sur les stratégies d’engagement du grand public auprès des contenus de presse circulant sur ces plateformes.

Mobiliser des stratégies pour partager l’information sur Twitter et Facebook

Comment les usagers de Twitter et Facebook s’y prennent-ils pour partager les contenus d’actualité circulant sur ces plateformes ? Quelles sont les stratégies mobilisées pour partager et commenter ces contenus? Ces questionnements font l’objet de la première section de l’ouvrage qui s’attache à décrire les usages de certaines affordances, telles que la publication automatisée de tweets, les discours d’escorte autour des contenus médiatiques – les éléments discursifs accompagnant les tweets -, les mots-clics sur Twitter, ou les profils d’usagers sur Facebook.

Les quatre premiers chapitres portent spécifiquement sur les usages de Twitter pour le partage des contenus d’actualité, en présentant des typologies sur 1) l’utilisation de la publication automatisée et des newsbots (Compagno et Pignard-Cheynel, p. 29-53); 2) la mobilisation d’accroches et de mentions dans les discours d’escorte (Bigey et Simon, p. 55-86); 3) les mots-clics pour la qualification des tweets d’actualité (Mercier, p. 87-129); et 4) les images et les formes de contenus multimodaux pour renouveler le sens des contenus (Simon et Toullec, p. 131-168). Ces chapitres dressent une cartographie des formes de partage d’information sur Twitter et visent à souligner les significations potentielles de ces pratiques pour le partage d’information en se concentrant sur les formes linguistiques, les agencements textuels, hypertextuels et multimodaux.

Les chapitres 5 et 6 portent sur les stratégies de partage des contenus d’actualité sur Facebook et mettent respectivement en évidence les pratiques déployées par les jeunes en particulier (Mercier, Ouakrat et Pignard-Cheynel, p. 169-197) et les modalités de partage des contenus d’actualité politique à travers les profils personnels des usagers (Le Caroff, p. 199-226). Les Mercier, Ouakrat et Pignard-Cheynel ont privilégié une approche par questionnaire auprès des jeunes, tandis que Le Caroff s’est tourné vers l’ethnographie pour « observer l’agencement des publications et des partages sur les profils d’individus avec lesquels [ils ont] par ailleurs réalisé des entretiens qualitatifs » (p. 203).

Commenter et débattre autour des contenus d’actualité sur Twitter et Facebook

Les quatre chapitres de la deuxième section traitent des pratiques de commentaires et de débats liées à l’actualité sur Twitter. Les chapitres 7 et 8 présentent deux études de cas prenant pour assise contextuelle l’affaire Taubira liée à la réforme du système pénal français de 2014. Ces recherches s’intéressent aux modalités de fabrication des tweets polémiques d’une part (Sebbah, Mercier et Badouard, p. 229-268) et, d’autre part, au rapport entre contenus textuels et graphiques de ces tweets (Jackiewicz, p. 269-293). Dans ces deux cas, l’accent est mis sur les stratégies d’agencement entre les composantes textuelles, hypertextuelles et graphiques permettant la construction des tweets en vue de faire ressortir les modalités d’argumentation des usagers par rapport aux contenus d’actualité dans l’espace Twitter.

L’ouvrage se conclut sur deux analyses autour des procédés linguistiques et sémiologiques associés aux commentaires d’actualité par le grand public sur Twitter. Le chapitre 9 (Longhi, p. 295-314) porte sur les relations entre forme linguistique et information transmise dans les tweets à teneur politique, tandis que le chapitre final met en évidence les rôles de l’usage des émoticônes pour commenter et qualifier l’actualité politique et ajuster le sens donné aux tweets produits par les usagers (Mercier, p. 315-337). Ces deux chapitres soulignent la force des procédés d’expression utilisés par les usagers lorsqu’ils commentent l’actualité sur Twitter, à la fois pour rendre visible leur contribution et faire réagir celles et ceux également engagés dans ces discussions.

Ainsi, l’ouvrage met en évidence la contribution des procédés de partage et de discussion utilisés autour des contenus d’actualité circulant sur Twitter et Facebook. Les différents chapitres dressent un portrait large des pratiques qui se déploient au sein de ces espaces en cartographiant les stratégies d’engagement et d’argumentation employées par les usagers. Ces stratégies contribuent à une appropriation de l’espace médiatique par les usagers, laquelle suscite une transformation des pratiques chez les professionnelles et professionnels de l’information.

Points forts et limites de l’ouvrage

Le principal apport de l’ouvrage est certainement la richesse empirique des études de cas, laquelle assure une documentation détaillée des typologies d’usages de Twitter et de Facebook autour du partage et du commentaire des contenus d’actualité. En effet, l’important travail méthodologique en ce qui a trait à la collecte, au nettoyage et à la sélection des données des autrices et auteurs procure une base rigoureuse aux études de cas envisagées à travers le projet Info-RSN. Ces considérations contribuent à dresser une cartographie précise des stratégies d’usage mobilisées pour partager et discuter les contenus d’actualité en contexte numérique et mettent en évidence la variété des pratiques des usagers de Twitter et Facebook à cet égard.

Du point de vue méthodologique, les différentes études proposées dans l’ouvrage s’appuient majoritairement sur des approches quantitatives ou mixtes. La mobilisation de ces protocoles a le mérite de permettre de récolter et d’analyser un important volume d’informations sur les pratiques de partage et de commentaire de l’actualité sur Facebook et Twitter. Toutefois, une compréhension en profondeur de ces usages et des stratégies d’appropriation par les usagers ne peut se passer d’une méthodologie qualitative basée, par exemple, sur les approches ethnographiques, comme le montrent les chapitres 5 et 6 portant sur Facebook. Néanmoins, les différents chapitres proposés mettent en lumière la nécessité, dans le contexte de la recherche sur les médias numériques, d’enrichir la collecte et l’analyse des données autour des traces laissées par les usagers. Finalement, les différents protocoles de recherche pourraient être documentés davantage afin de mieux relever les considérations et les défis méthodologiques auxquels se sont confrontés les autrices et auteurs dans la réalisation de leurs études spécifiques.

Du fait de l’accent mis sur des protocoles de recherche plutôt quantitatifs, les résultats des différentes études de cas assurent une documentation large des pratiques de partage et de commentaire de l’actualité sur Twitter et Facebook. Toutefois, si ces résultats sont bien détaillés dans l’ensemble, il convient de souligner un manque de théorisation de ces pratiques et de leurs significations au-delà des typologies mises de l’avant, que ce soit du point de vue du journalisme, de la communication médiatique ou de la communication numérique. Ainsi, les analyses proposées dans l’ensemble de l’ouvrage s’inscrivent dans des contextes communicationnels particuliers sur l’actualité, mais ne sont pas intégrées dans une compréhension plus large des transformations de l’écosystème médiatique suscitées par les usages des médias socionumériques.

Finalement, la forme de l’ouvrage assure une bonne cohésion entre les différents chapitres et la place prépondérante du projet Info-RSN dans la réalisation de l’ouvrage fournit la solidité empirique des études de cas. Néanmoins, il nous a semblé que les exemples mis de l’avant gagneraient à être moins nombreux et à être explicité davantage à travers le cadre théorique des chapitres, ce qui permettrait une lecture plus précise et plus fluide de l’ouvrage. En outre, le lien entre certains exemples et leurs explications du point de vue de la problématique initiale peut être difficile à faire, en particulier pour les lecteurs n’ayant pas une expertise en linguistique ou en sémiologie.

En conclusion, la force de cet ouvrage réside dans la cartographie des usages présentée au fil des chapitres qui expose de façon intéressante divers procédés mis en œuvre pour partager et commenter les contenus publiés sur Twitter et Facebook. L’ouvrage présente bien les différentes considérations et défis méthodologiques de la recherche en contexte numérique, particulièrement la recherche quantitative. Ces considérations permettront d’enrichir les futures recherches sur les transformations de l’écosystème médiatique suscitées par les technologies numériques, notamment par des approches qualitatives enrichies.