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Problématique et présentation de la recherche

Dans une société comme le Québec, dont la politique d’immigration vise l’établissement permanent des immigrants, l’évaluation du degré où le système scolaire contribue ultérieurement à l’intégration des jeunes est centrale. En effet, si l’insertion dans le marché du travail représente la priorité des immigrants adultes, le succès même du projet migratoire repose souvent, à plus long terme, sur la qualité de la relation que leurs enfants sont capables d’établir avec le système scolaire et, plus que tout, sur les bénéfices qu’ils en retirent. L’importance de cet enjeu, tant pour les parents que pour les institutions d’accueil, a d’ailleurs été clairement reconnue par le ministère de l’Éducation du Québec qui a fait de l’égalité des chances un des trois axes de la Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle (MEQ, 1998).

Malgré cette prise de position, les travaux relatifs à la réussite scolaire des élèves issus de l’immigration[1] ont été peu nombreux, dans les milieux gouvernementaux et académiques. Ceci contraste avec le nombre important d’études soutenant les deux autres axes de la Politique : l’intégration linguistique et l’éducation interculturelle (Mc Andrew, 2001). Cette tendance s’explique, sans doute, par le constat globalement favorable qui émanait des données provinciales et montréalaises jusqu’au milieu des années 1990, tant en ce qui concerne les résultats aux examens administrés à l’échelle de la province par le ministère que les divers indicateurs relatifs au cheminement de cette clientèle à travers le système scolaire, entre autres, ses taux d’obtention d’un diplôme secondaire et son accès au collégial (Mc Andrew, 2002, Anisef et al., 2004).

Ces données présentaient toutefois des limites. Tout d’abord, en privilégiant la langue comme base de définition du groupe-cible, elles ne permettaient pas de connaître la réalité vécue par la proportion non négligeable des élèves issus de l’immigration qui ont comme langue maternelle le français ou l’anglais. Or, ceux-ci sont souvent issus de groupes que l’on désigne aujourd’hui par l’euphémisme de « minorités visibles », dont la rumeur, tant au sein de la communauté elle-même que dans les milieux scolaires, laisse entendre qu’ils vivraient des problèmes importants (Mc Andrew, 2001). Les études relatives à la performance de sous-groupes spécifiques au sein des élèves issus de l’immigration ont été également peu nombreuses. La dernière concernant des épreuves uniformes et standardisées à l’échelle de la province date, en effet, de 1994 (MEQ, 1994). Quant aux études de cheminement scolaire sur des cohortes de la fin des années 1980, elles ont porté presque exclusivement sur les élèves ayant fréquenté la classe d’accueil (MEQ, 1996) ou, lorsqu’elles s’intéressaient à d’autres élèves issus de l’immigration, ces études ont été limitées aux seuls résultats globaux des allophones en matière d’obtention de diplôme secondaire (MEQ, 1997).

La présente étude n’a pas la prétention de combler toutes les lacunes existantes. Elle répond, dans un premier temps, à une demande explicite de la communauté, par le biais du Conseil des éducateurs noirs du Québec, visant à faire un bilan de la réussite scolaire des jeunes Noirs anglophones qui fréquentent l’école française, et dont la situation leur paraissait particulièrement criante[2]. Lors des démarches que nous avons entreprises auprès du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec, nous avons reçu un soutien très apprécié de la Direction des services aux communautés culturelles et de la Direction de la recherche, des statistiques et des indicateurs[3]. Suite à divers contacts, échanges et discussions, deux choix méthodologiques se sont imposés.

Dans un deuxième temps, pour des raisons d’équité évidentes, nous avons convenu de ne pas limiter la démarche aux seuls élèves noirs de langue anglaise fréquentant l’école française. Le projet a donc touché les deux secteurs linguistiques des écoles publiques et privées ainsi que cinq sous-groupes : les élèves francophones originaires des Antilles[4], les élèves anglophones originaires des Antilles[5], les élèves créolophones originaires des Antilles[6], les élèves francophones originaires d’Afrique[7] et les élèves anglophones originaires d’Afrique[8]. Au sens strict, l’addition de ces cinq sous-groupes ne représente pas la totalité des élèves des communautés noires[9]. Sont exclus, par exemple, les élèves noirs de troisième génération, invisibles au sein des statistiques scolaires ou encore les élèves qui seraient nés, ou dont un des parents serait né, dans d’autres pays que ceux que nous avons sélectionnés, tels les Noirs américains ou des Antilles hispanophones. Nous avons également décidé d’inscrire nos travaux dans le cadre d’un projet plus large, en cours au ministère, qui visait à faire un suivi des cohortes des élèves ayant intégré le secondaire 1 en 1994-1995, en 1995-1996 et en 1996-1997[10], période choisie parce qu’elle permet de suivre ces cohortes jusqu’à la fin du collégial. Ce choix nous donnait, de plus, accès à des données comparatives pour chacun des indicateurs disponibles, d’une part, avec l’ensemble des élèves issus de l’immigration et, d’autre part, avec l’ensemble des élèves du Québec.

Au plan méthodologique, la recherche présentait des défis importants. La constitution de la banque de données relative à notre population cible exigeait un traitement spécifique des informations relatives au pays de naissance de l’élève ou de ses parents, que l’on retrouve sur la déclaration des effectifs scolaires (DCS)[11], lesquelles devaient ensuite être croisées avec les informations relatives à la langue maternelle. Pour mieux comprendre les intrants de l’équation de la réussite scolaire de ces jeunes, nous les avons également comparés avec l’ensemble des élèves issus de l’immigration ou de la population scolaire du Québec, en fonction de diverses caractéristiques telles le sexe, le lieu de naissance, le niveau d’entrée dans le système scolaire ainsi que le milieu socio-économique[12]. L’étude de cheminement scolaire demandait ensuite d’effectuer un suivi de ces élèves en fonction d’indicateurs déjà existants pour l’ensemble des élèves du Québec, soit l’âge d’entrée au secondaire, le retard scolaire accumulé en secondaire 3, la déclaration comme élève handicapé ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA), le secteur de formation et le taux d’obtention d’un diplôme secondaire après cinq, six et sept ans, l’accès et la langue d’enseignement au cégep ainsi que le taux d’obtention d’un diplôme collégial[13]. En ce qui concerne l’étude des performances scolaires, nous avions également à croiser notre banque de données avec la banque SESAME[14] qui collige les résultats aux examens du ministère et où l’on retrouve le code permanent des élèves ayant passé l’épreuve. Dans tous les cas, ces données ont été traitées d’abord pour l’ensemble du Québec. Des analyses spécifiques ont ensuite été effectuées pour la région de Montréal qui représente 77  % de notre effectif et les régions Laval/Montérégie regroupées qui en comptent, elles, 13,2  %[15].

Notre démarche a permis de générer un vaste ensemble de données dont l’analyse se poursuit. Dans le cadre de cet article, nous nous limitons au secteur scolaire français qui regroupe 86,9 % de notre effectif[16] ainsi qu’aux données concernant les caractéristiques et le cheminement des élèves des communautés noires[17] que nous abordons pour l’ensemble du Québec, du moins en ce qui concerne les tableaux présentés. Cependant, lorsque des variations régionales paraissaient pertinentes, nous en avons mentionné les tendances générales. Le cas échéant, les différences existant entre les cinq sous-groupes étudiés sont soulignées. Après avoir vérifié la cohérence interne des données d’une cohorte à l’autre, nous avons également décidé, pour en maximiser la lisibilité, de présenter les résultats globaux des trois cohortes confondues.

L’article comporte trois parties : les caractéristiques de la population à l’étude, les principaux indicateurs de son cheminement scolaire ainsi que certains facteurs de variation influençant l’obtention d’un diplôme secondaire. En guise de conclusion, nous proposerons une synthèse critique des résultats visant, notamment, à identifier les clientèles à risque qui devraient bénéficier d’une attention particulière de la part des autorités scolaires concernées.

Les caractéristiques de la population étudiée

Langue maternelle, région d’origine, sexe et répartition géographique

Les 5 747 élèves de notre base de données proviennent très majoritairement des Antilles (5 087, soit 88,5 %) et se divisent, à l’intérieur de ce groupe, de manière sensiblement équivalente entre les élèves de langue maternelle créole (2 393) et les élèves de langue maternelle française (2 179)[18]. Les Antillais de langue maternelle anglaise ne comptent que 515 élèves, soit 8,9 %. Quant aux élèves de l’Afrique (648, soit 11,3 %), ils sont très largement de langue française (531 élèves versus 117 de langue maternelle anglaise). Dans l’ensemble donc, au plan linguistique, les élèves des communautés noires étudiées sont à 53,3 % francophones, 41,6 % créolophones et 12,4 % anglophones. La répartition de nos cohortes entre garçons et filles est sensiblement équilibrée (49,8 % versus 50,2 %). Cependant, on note une légère sur-représentation des filles chez les élèves de langue maternelle anglaise originaires des Antilles ainsi qu’une sur-représentation légèrement plus marquée des garçons (54,7 %) chez les élèves de langue maternelle anglaise originaires d’Afrique[19]. Ces 5 747 élèves représentent 2,1 % de tous les élèves des trois cohortes du secondaire étudiées alors que la part de l’ensemble des élèves issus de l’immigration (dont font partie les élèves des communautés noires), s’y élève à 14,8 %.

Les élèves des communautés noires fréquentent à plus de 77 % une école de l’île de Montréal alors que le reste de la population est partagé de manière sensiblement équivalente entre Laval (8,5 %), la Montérégie (7,5 %) et le reste du Québec (7 %). Pour l’essentiel, à l’exception des élèves de langue maternelle française originaires des Antilles (27,6 % de la clientèle totale à Laval et en Montérégie), les cinq sous-groupes à l’étude sont donc peu représentés en dehors de Montréal. On pourrait voir là l’effet d’une implantation plus ancienne et du profil socio-économique plus favorable du sous-groupe de langue française originaire des Antilles, tel que discuté plus loin.

Lieu de naissance et niveau d’entrée dans le système scolaire québécois

Comme on peut le voir au tableau 1, les élèves des communautés noires sont nés hors du Québec à 61,2 %, un pourcentage évidemment très supérieur à celui de l’ensemble des élèves (11,7 %) mais légèrement inférieur à celui des élèves issus de l’immigration (65,7 %). Les divers sous-groupes à l’étude présentent toutefois un profil très différent. Ainsi, les élèves de langue maternelle française originaires des Antilles sont massivement nés au Québec (75,4 %) alors qu’au sein des quatre autres sous-groupes, c’est la situation inverse qui prévaut. Pour les élèves originaires d’Afrique, 94,9 % des élèves de langue maternelle anglaise et 85,1 % des élèves de langue maternelle française sont nés hors du Québec. Chez les élèves originaires des Antilles, 83,7 % des élèves de langue maternelle créole et 80,8 % des élèves de langue maternelle anglaise sont également nés hors du Québec.

Tableau 1

Lieu de naissance et niveau d’entrée dans le système scolaire québécois des élèves des communautés noires (cohortes 1994, 1995, 1996), secteur français (ensemble du Québec)

Lieu de naissance et niveau d’entrée dans le système scolaire québécois des élèves des communautés noires (cohortes 1994, 1995, 1996), secteur français (ensemble du Québec)

1 : Élèves promus du primaire.

2 : Élèves arrivés en 1re secondaire.

3 : Élèves arrivés en 2e, 3e, 4e et 5e secondaire.

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Par ailleurs, les élèves qui fréquentent une commission scolaire de Montréal ont beaucoup moins tendance à être nés au Québec (35 %) que ceux des régions de Laval et de la Montérégie (62,6 %). Ces données reflètent les tendances générales de l’établissement des immigrants au Québec. Les banlieues regroupent, en effet, généralement des populations d’origine immigrée d’implantation plus ancienne alors que la grande ville représente souvent la première zone de réception.

Du fait du caractère relativement récent de leur arrivée, les élèves des communautés noires ont également un profil d’entrée dans le système scolaire québécois nettement moins favorable que celui de l’ensemble des élèves ou même des élèves issus de l’immigration. 58,8 % des élèves à l’étude étaient présents au primaire[20], 17,6 % ont intégré le système scolaire québécois en secondaire 1 et 23,6 % l’ont fait en cours de scolarité secondaire. Pour l’ensemble des élèves, ces pourcentages respectifs sont de 90,4 %, 2,9 % et 6,6 % et, pour les élèves issus de l’immigration, de 62,6 %, 17,1 % et 20,3 %.

La situation des divers sous-groupes est toutefois bien différente. Ici encore, les élèves de langue maternelle française originaires des Antilles, dont 83,8 % fréquentaient déjà le primaire, se distinguent radicalement. À l’autre extrême, les élèves originaires d’Afrique de langue maternelle française et anglaise vivent probablement la scolarité la plus chaotique. Ils n’ont respectivement fréquenté le primaire qu’à 39,9 % et 24,8 %. De plus, les Africains francophones ont une forte tendance (44,6 %) à arriver en cours de scolarité au secondaire. Quant aux élèves de langue maternelle anglaise et créole originaires des Antilles, ils ont un profil médian, quoique plus négatif chez les élèves de langue maternelle créole. En effet, 50,9 % des Antillais anglophones fréquentaient déjà le primaire, ce qui n’est le cas que de 43,5 % des créolophones. Ces derniers sont également plus nombreux (29,2 % versus 20,4 %) à arriver en cours de scolarité au secondaire. Toutefois, les deux groupes présentent un pourcentage équivalent d’élèves qui intègrent le système scolaire québécois en secondaire 1 (28,7 % versus 27,3 %).

Par ailleurs, comme on pouvait s’y attendre, les élèves qui fréquentent une commission scolaire de la région de Montréal ont un profil encore moins favorable. 54,9 % des élèves ont fréquenté le primaire, 20,6, % ont intégré le système scolaire québécois en secondaire 1 et 24,5 % l’ont fait en cours de scolarité secondaire. Les élèves qui fréquentent une commission scolaire de Laval et de la Montérégie étaient, quant à eux, déjà présents à l’école primaire à 75,4 %.

Le milieu socio-économique[21]

Comme on peut le voir au tableau 2, les élèves des communautés noires sont fortement sur-représentés par rapport à l’ensemble des élèves et des élèves issus de l’immigration dans les déciles 8, 9 et 10 de l’indice de milieu socio-économique, soit ceux qui justifient généralement le soutien ministériel additionnel aux milieux défavorisés. En effet, 54,7 % d’entre eux sont dans ce cas, alors que ce n’est le cas que de quelque 30 % de l’ensemble des élèves et de 41,8 % des élèves issus de l’immigration. Les élèves de langue maternelle créole originaires des Antilles vivent la situation la plus problématique (70,2 %) suivis par les élèves anglophones originaires d’Afrique (63,2 %) et des Antilles (49,1 %). La situation des francophones des Antilles (42,2 %) ou d’Afrique (39,7 %) se rapproche, quant à elle, de celle de l’ensemble des élèves issus de l’immigration. L’ancienneté d’implantation différente de ces cinq sous-groupes (voir tableau 1) joue sans doute ici. D’autres analyses réalisées dans le cadre du projet ont montré, en effet, que la défavorisation socio-économique touche moins les élèves des communautés noires lorsqu’ils sont nés au Québec (44,8 %) que lorsqu’ils sont nés à l’extérieur (60,9 %).

Tableau 2

Rang de milieu socio-économique des élèves des communautés noires (cohortes 1994, 1995, 1996), secteur français (ensemble du Québec)

Rang de milieu socio-économique des élèves des communautés noires (cohortes 1994, 1995, 1996), secteur français (ensemble du Québec)

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Par ailleurs, la réalité vécue à Montréal au plan de la défavorisation socio-économique est très différente de celle des régions de Laval et de la Montérégie, ce qui reflète les tendances globales de la répartition de la pauvreté à l’échelle du Québec. Au sein de ces dernières, le pourcentage d’élèves des communautés noires dont l’indice de milieu socio-économique s’inscrit dans un rang décile supérieur à 7 n’est que de 23,6 %, soit légèrement supérieur à celui de l’ensemble des élèves issus de l’immigration (21,6 %) et de l’ensemble des élèves (19,7 %). À Montréal, alors que la défavorisation socio-économique est déjà très élevée pour l’ensemble de la population (48,3 %) et des élèves issus de l’immigration (51 %), elle constitue la réalité dominante de 64,2 % des élèves des communautés noires. Ici encore, les élèves de langue maternelle créole originaires des Antilles (74,6 %) et les élèves de langue maternelle anglaise originaires d’Afrique (68,3 %) sont particulièrement touchés.

Cheminement scolaire

Âge à l’arrivée au secondaire

Comme on peut le voir au tableau 3, lorsqu’ils intègrent le secondaire, les élèves des communautés noires sont davantage en retard scolaire (23,9 %) par rapport à l’ensemble des élèves (6 %) ou aux élèves issus de l’immigration (17,7 %)[22]. Cet indicateur ne permet pas de savoir si ce retard est lié à des déficits du bagage prémigratoire de l’élève, notamment chez les nouveaux arrivants, ou à des problèmes vécus au primaire par les élèves qui ont fréquenté ce niveau. Précisons, toutefois, que les élèves des communautés noires nés au Québec sont nettement moins en retard (8,1 %) que ceux qui sont nés à l’extérieur (33,8 %).

Tableau 3

Âge d’arrivée au secondaire des élèves des communautés noires (cohortes 1994, 1995, 1996), secteur scolaire français (ensemble du Québec)

Âge d’arrivée au secondaire des élèves des communautés noires (cohortes 1994, 1995, 1996), secteur scolaire français (ensemble du Québec)

1 : Avoir jusqu’à un an de retard.

2 : Avoir deux ans et plus de retard.

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Quoi qu’il en soit, certains sous-groupes semblent vivre une situation particulièrement problématique à cet égard. C’est le cas, notamment, des élèves anglophones originaires d’Afrique, dont 41 % ont deux ans ou plus de retard à leur arrivée au secondaire et des élèves créolophones originaires des Antilles qui sont à 35,7 % dans ce cas. De plus, étant donné que les élèves anglophones originaires des Antilles ont largement fréquenté le primaire, on peut s’interroger sur le sens à attribuer au fait que 24,5 % d’entre eux sont en situation de retard à leur arrivée au secondaire.

Par ailleurs, de manière prévisible, la situation qui prévaut à Montréal est très différente (26,6 % d’élèves en retard de plus d’un an) de celle de Laval et de la Montérégie (14,1 %).

Retard scolaire accumulé en secondaire 3

Comme on peut le voir au tableau 4, lequel exclut les élèves qui ont intégré l’école secondaire en cours de scolarité, les élèves des communautés noires accumulent ou continuent d’accumuler du retard durant leur scolarité au secondaire. En effet, chez les élèves arrivés à l’âge normal en secondaire 1, 34,2 % sont en retard en secondaire 3, un pourcentage supérieur à celui qui prévaut pour l’ensemble des élèves (19,8 %) et au sein des élèves issus de l’immigration (25,9 %). Le profil des élèves de langue maternelle française (23,8 % chez les Antillais, 21,4 % chez les Africains) s’avère un peu plus positif alors que les anglophones (Antillais comme Africains avec des pourcentages oscillant autour de 43 %) et surtout les élèves créolophones originaires des Antilles (50,2 %) connaissent une situation nettement plus problématique.

Si la tendance à accumuler du retard est importante chez les élèves arrivés à l’âge normal en secondaire 1, elle devient carrément catastrophique parmi ceux qui étaient déjà en retard à leur entrée au secondaire. C’est le cas de 68,9 % des élèves des communautés noires. Les pourcentages au sein des divers sous-groupes oscillent de 92,7 % pour les élèves anglophones originaires d’Afrique à 45,2 % pour les élèves francophones originaires des Antilles dont le profil est, ici encore, légèrement plus favorable. Cependant, dans ce second cas de figure, il faut souligner que la réalité vécue par les communautés noires se rapproche de celle que vivent tous les élèves qui connaissaient un retard à leur arrivée en secondaire 1 (62,8 %) ou à l’intérieur de ce groupe, de celle de l’ensemble des élèves issus de l’immigration (64,4 %).

Tableau 4

Retard scolaire accumulé en secondaire 3 des élèves des communautés noires (cohortes 1994, 1995, 1996), secteur scolaire français (ensemble du Québec)

Retard scolaire accumulé en secondaire 3 des élèves des communautés noires (cohortes 1994, 1995, 1996), secteur scolaire français (ensemble du Québec)

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Identification comme élève handicapé ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA)[23]

Les élèves des communautés noires sont un peu plus souvent déclarés EHDAA (14,7 %) au début de leur cheminement scolaire que l’ensemble des élèves (12,6 %) et plus encore que les élèves issus de l’immigration (9,4 %). Cependant, cette différence apparaît peu marquée et fait contrepoint à la perception, répandue au sein de la communauté, voulant que ces élèves soient très souvent placés « en classe spéciale », notamment si l’on tient compte que chez les deux sous-groupes africains, soit les francophones et les anglophones, le pourcentage d’élèves déclarés EHDAA est nettement inférieur à celui qui prévaut pour l’ensemble des élèves. En effet, dans les deux cas, il oscille autour de 7 %.

Taux d’obtention d’un diplôme secondaire[24] et secteur de formation

Comme on peut le voir au tableau 5, les élèves des communautés noires connaissent des taux d’obtention d’un diplôme secondaire nettement plus faibles que l’ensemble des élèves ou des élèves issus de l’immigration. Ainsi, après sept ans de scolarité secondaire, les pourcentages respectifs de ces trois groupes s’élèvent à 51,8 %, 69 % et 57,4 %. Toutefois, on doit noter que le prolongement de la scolarité semble avoir un effet bénéfique particulier pour les élèves des communautés noires, comme pour l’ensemble des élèves issus de l’immigration. Les écarts en ce qui concerne la proportion de diplômés des élèves des communautés noires par rapport à l’ensemble des élèves diminuent, en effet, systématiquement lorsqu’on passe de cinq à six et finalement à sept ans de scolarisation au niveau du secondaire. Après cinq ans, l’écart est de plus de 20 points; après six ans, il passe à 18,4 et finalement, après sept ans, il n’est plus que de 17,2, ce qui demeure, toutefois, très préoccupant[25].

Tableau 5

Taux d’obtention d’un diplôme secondaire des élèves des communautés noires (cohortes 1994, 1995, 1996), secteur scolaire français (ensemble du Québec)

Taux d’obtention d’un diplôme secondaire des élèves des communautés noires (cohortes 1994, 1995, 1996), secteur scolaire français (ensemble du Québec)

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Parmi les sous-groupes à l’étude, ceux qui ont le français comme langue maternelle, qu’ils soient originaires des Antilles ou d’Afrique, se démarquent nettement avec des pourcentages (respectivement 65,4 % et 62,3 %) qui se rapprochent de la moyenne et dépassent même nettement ceux de l’ensemble des élèves issus de l’immigration. Les créolophones et les anglophones originaires des Antilles vivent la situation la plus problématique, avec seulement respectivement 39,5 % et 41,2 % de diplômés, alors que les Africains de langue anglaise font un peu mieux (47 % de diplômés).

Par ailleurs, dans la foulée des différences de caractéristiques cernées plus haut, le pourcentage de diplômés est plus élevé chez les élèves des communautés noires fréquentant un établissement scolaire de Laval et de la Montérégie (60 %) que chez les élèves de la région de Montréal (49,6 %). Toutefois, pour la région de Montréal, la différence est moins prononcée entre les élèves des communautés noires et l’ensemble des élèves. Ceux-ci y connaissent, en effet, un taux d’obtention d’un diplôme secondaire nettement plus bas que dans l’ensemble du Québec (59,5 %). L’écart est de 13,3 après cinq ans de scolarité, 11 après six ans et 9,9 après sept ans. Cette réalité particulière a aussi comme conséquence qu’à Montréal les élèves noirs de langue française d’origine antillaise ou africaine ont des taux de réussite légèrement supérieurs à ceux de l’ensemble des élèves (soit respectivement 67,1 % et 60,4 %).

Les élèves des communautés noires ont également tendance à obtenir davantage leur diplôme du secondaire dans les classes d’éducation des adultes (11,0 %) par rapport à l’ensemble des élèves issus de l’immigration (8,4 %) et plus encore par rapport à l’ensemble des élèves (6,6 %). Cependant, ils sont moins nombreux à poursuivre une formation professionnelle (1,4 % versus 3,7 %). Ces constats généraux cachent néanmoins d’importantes différences intergroupes. C’est, en effet, le nombre élevé de diplômés dans le secteur de l’éducation des adultes chez les anglophones antillais (38,7 %) et africains (49,1 %) qui conditionne ce résultat[26]. Chez les élèves de langue maternelle française, on obtient massivement son diplôme dans le secteur des jeunes alors que les créolophones ont un peu plus tendance (12,5 %) à l’obtenir dans le secteur des adultes.

Accès et langue d’enseignement au collégial[27]

Comme on peut le voir au tableau 6, les élèves des communautés noires accèdent moins au niveau collégial (47 %) que l’ensemble des élèves issus de l’immigration (52,8 %) ou de l’ensemble des élèves (54,8 %). Cependant, étant donné les importantes différences dans le taux d’obtention d’un diplôme secondaire, la rétention du secondaire au collégial est particulièrement élevée dans ce groupe comme au sein de l’ensemble des élèves issus de l’immigration. L’écart entre la proportion de diplômés du secondaire et la proportion des élèves qui s’inscrit au collégial est, en effet, de 14,2 points pour l’ensemble des élèves, de 4,6 pour les élèves issus de l’immigration et de 4,8 pour les élèves des communautés noires[28].

Les différences intergroupes dans l’accès au collégial sont frappantes. Pour l’essentiel, ce sont les élèves de langue maternelle française d’origine antillaise (61,9 %) ou africaine (60,5 %) qui fréquentent le cégep, alors que les anglophones d’origine antillaise (33,2 %) ou africaine (37,6 %) ainsi que les créolophones (33,8 %) sont très fortement sous-représentés. Ces différences se reflètent également dans la langue d’enseignement choisie à ce niveau. En effet, si globalement les élèves des communautés noires fréquentent moins le secteur scolaire anglais (23,4 %) que l’ensemble des élèves issus de l’immigration (35,2 %), les anglophones le choisissent à 90 %. Les francophones d’origine africaine et les créolophones d’origine antillaise sont particulièrement fidèles au secteur scolaire français (respectivement 85,4 % et 83,3 %) alors que les francophones des Antilles choisissent davantage, bien que de façon non dominante, le secteur anglais (20,8 %).

Tableau 6

Accès et langue d'enseignement au collégial des élèves des communautés noires (cohortes 1994, 1995, 1996), secteur français (ensemble du Québec)

Accès et langue d'enseignement au collégial des élèves des communautés noires (cohortes 1994, 1995, 1996), secteur français (ensemble du Québec)

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Par ailleurs, les différences régionales en matière d’accès au collégial sont intéressantes. À Montréal, les élèves des communautés noires y accèdent nettement moins (44,5 %) alors qu’à Laval et en Montérégie leur taux d’accès (57,5 %) dépasse celui de l’ensemble des élèves (56,6 %), bien qu’il demeure légèrement inférieur à celui de l’ensemble des élèves issus de l’immigration (59,8 %). Tous les sous-groupes d’élèves font des bonds significatifs à cet égard.

Taux d’obtention d’un diplôme collégial et type de formation

Étant donné le fort taux d’abandon observé jusqu’au collégial ainsi que la période de temps allongé que prennent les élèves des communautés noires pour poursuivre leur scolarité, les seules données que nous avons pu considérer pour évaluer le taux d’obtention d’un diplôme collégial et le type de formation choisi, concernent la cohorte de 1994[29].

Comme on peut le voir au tableau 7, seuls 30,3 % des élèves des communautés noires qui ont accédé au collégial au sein de la cohorte de 1994, ont obtenu un diplôme. C’est un pourcentage nettement plus faible que celui qui prévaut pour l’ensemble des élèves (53,2 %) et même des élèves issus de l’immigration (48,2 %). Les seuls sous-groupes qui dépassent la moyenne sont les anglophones d’origine africaine mais, ici, les petits nombres impliqués incitent à la prudence, alors que les créolophones et les anglophones d’origine antillaise connaissent les résultats les plus faibles (21,1 % et 24,5 %). Quant aux francophones des Antilles et de l’Afrique, ils ont de meilleurs résultats que l’ensemble des communautés noires (respectivement 35,3 % et 37 %), mais ceux-ci restent encore inférieurs à la moyenne. À Montréal, le taux d’obtention d’un diplôme au collégial des élèves qui y ont accédé est encore plus faible (26,8 %) et l’ordre de priorité entre les groupes est sensiblement le même. À Laval et en Montérégie, il est supérieur (39,7 %), mais, vu le très petit nombre d’élèves impliqués, il est impossible de faire des comparaisons intergroupes valables.

Tableau 7

Taux d’obtention d’un diplôme collégial et type de formation des élèves des communautés noires (cohorte 1994), secteur scolaire français (ensemble du Québec)

Taux d’obtention d’un diplôme collégial et type de formation des élèves des communautés noires (cohorte 1994), secteur scolaire français (ensemble du Québec)

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En ce qui concerne le type de diplôme obtenu, on choisit moins, au sein des communautés noires, la formation technique (26,1 %) comparativement à l’ensemble des élèves (33 %). Ce choix y est toutefois plus populaire que pour l’ensemble des élèves issus de l’immigration (21,3 %). Mais les différences intergroupes sont importantes. Les anglophones d’origine antillaise et les francophones d’origine africaine la boudent tout particulièrement. Les francophones d’origine antillaise la choisissent un peu plus mais c’est nettement chez les créolophones d’origine antillaise et chez les anglophones d’origine africaine que la formation technique est la plus prisée.

Si l’on s’intéresse plutôt au taux de survie global des élèves de la cohorte 1994 du secondaire 1 jusqu’à l’obtention du diplôme collégial, les résultats sont encore plus défavorables. 14,7 % des élèves de la cohorte initiale ont obtenu un diplôme (comparativement à 29,7 % et à 26,2 % pour l’ensemble des élèves et les élèves issus de l’immigration). Ici encore, ce sont les francophones et les anglophones d’origine africaine qui tirent le mieux leur épingle du jeu, alors que la situation des élèves d’origine antillaise, anglophones et créolophones, est proprement catastrophique (respectivement 8,2 % et 7,9 %). Les résultats montréalais suivent les mêmes tendances, légèrement décalés, toutefois, vers le bas, alors que ceux de Laval et de la Montérégie sont plus positifs (23,8 % de diplômés dans la cohorte initiale).

Facteurs influençant l’obtention d’un diplôme secondaire

Afin de mieux comprendre les facteurs influençant l’expérience scolaire des jeunes des communautés noires, nous avons réalisé des analyses supplémentaires sur les taux d’obtention d’un diplôme secondaire après sept ans de scolarité dont nous avons testé la variation selon diverses caractéristiques des élèves ou de leur cheminement antérieur : le sexe, le lieu de naissance, l’âge d’arrivée au secondaire, le niveau d’entrée dans le système scolaire québécois, le fait d’avoir ou non accumulé du retard supplémentaire en secondaire 3 ainsi que le milieu socio-économique de l’élève. Ces analyses ont été effectuées pour chacun des sous-groupes à l’étude, mais nous nous limiterons ici aux données globales des élèves des communautés noires. Celles-ci sont présentées dans le tableau récapitulatif 8 où les divers facteurs ont été ordonnés selon l’intensité de leur impact apparent.

Il faut rappeler que cette analyse a été réalisée uniquement à des fins heuristiques pour permettre aux décideurs et intervenants scolaires ou communautaires de commencer à réfléchir à des pistes d’actions souhaitables dans le domaine. C’est lors d’une seconde étape, en cours, par le biais d’une analyse de régression multiple, qu’il nous sera possible d’évaluer rigoureusement l’apport de chacun de ces facteurs. L’équation explorée intégrera également d’autres variables discutées plus haut, soit l’impact de la langue maternelle (plus spécifiquement du fait d’être francophone ou non francophone), de la région d’origine (Antilles versus Afrique) ainsi que le fait de fréquenter une école à Montréal ou en région.

Comme on peut le voir au tableau 8, quatre facteurs influencent tout particulièrement les taux d’obtention d’un diplôme secondaire après sept ans de scolarité des élèves des communautés noires : le retard scolaire accumulé en secondaire 3, le lieu de naissance, le niveau d’entrée dans le système scolaire ainsi que l’âge d’arrivée au secondaire.

Tableau 8

Taux d’obtention d’un diplôme secondaire après sept ans de scolarité des élèves des communautés noires, selon diverses variables (cohortes 1994, 1995, 1996), secteur scolaire français (ensemble du Québec)

Tableau a

Retard scolaire accumulé en secondaire 3

Retard scolaire accumulé en secondaire 3

Tableau b

Lieu de naissance

Lieu de naissance

Tableau c

Niveau d’entrée dans le système scolaire québécois

Niveau d’entrée dans le système scolaire québécois

Tableau d

Âge d’arrivée au secondaire

Âge d’arrivée au secondaire

Tableau e

Sexe

Sexe

Tableau f

Milieu socio-économique

Milieu socio-économique

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Dans le premier cas (8a) on voit, par exemple, que les élèves qui n’ont accumulé aucun retard scolaire en secondaire 3 obtiennent un diplôme du secondaire à 79,9 %. Toutefois, ceux qui avaient déjà du retard en secondaire 1 mais n’en ont pas accumulé davantage obtiennent quand même leur diplôme à 45,7 %. À l’inverse, les élèves arrivés ou non à l’âge normal en secondaire 1 mais qui accumulent du retard supplémentaire en secondaire 3, voient leurs chances d’obtenir un diplôme très fortement réduites (respectivement 20,9 % et 18,9 %). Cet indicateur est de loin celui qui présente l’écart le plus grand, soit 60 points. De plus, la différence entre les élèves des communautés noires et l’ensemble des élèves ou des élèves issus de l’immigration est ici fortement réduite et, dans certains cas, se révèle même en faveur des premiers. Toutefois, les élèves des communautés noires arrivés avec du retard en secondaire 1 et qui connaissent ultérieurement une scolarité normale obtiennent moins souvent un diplôme secondaire que l’ensemble des élèves issus de l’immigration dans la même situation (45,7 % versus 62,2 %).

Le fait d’être né au Québec (8b) apparaît également déterminant, même si la différence à cet égard est moins grande. 67,6 % des élèves des communautés noires nés au Québec obtiennent un diplôme du secondaire après sept ans de scolarité comparativement à 41,8 % des élèves qui sont nés hors du Québec (soit un écart de 25,8 points). Toutefois, chez les élèves nés hors du Québec la sous-performance des élèves des communautés noires par rapport aux élèves issus de l’immigration ou de l’ensemble des élèves demeure marquée (respectivement 10,1 points et 7,8 points).

Le niveau d’entrée dans le système scolaire québécois (8c) s’avère aussi crucial, même si les variations de ce point de vue ne suivent pas nécessairement la tendance à laquelle on s’attendrait, selon le « sens commun » qui prévaut généralement dans le milieu scolaire. Ainsi, les élèves des communautés noires qui ont fréquenté le primaire obtiennent un diplôme du secondaire après sept ans de scolarité à 62,2 %, ceux qui sont arrivés en cours de scolarité au secondaire à 43,5 % et ceux qui ont intégré le système scolaire en secondaire 1 à 28,3 %[30]. Notons que pour les élèves des communautés noires promus du primaire ou arrivés en cours de scolarité en secondaire, on constate un écart constant de 10 points comparativement à l’ensemble des élèves qui sont dans la même situation. Dans les autres cas et par rapport aux élèves issus de l’immigration, les variations ne vont pas toujours dans le même sens.

Quant à l’âge d’arrivée au secondaire[31] (8d), il s’avère également un « prédicteur » important de la réussite scolaire pour les élèves des communautés noires, surtout lorsque l’on considère, non pas les valeurs absolues des taux d’obtention d’un diplôme secondaire, mais l’écart entre les élèves arrivés à l’âge normal ou en situation de retard (soit 55,9 % versus 38,7 % de diplômés après sept ans, soit un écart de 17,2 points). Toutefois, le retard scolaire semble moins affecter les élèves des communautés noires que les autres groupes de comparaison. L’écart entre les élèves arrivés à l’âge normal et ceux qui sont en situation de retard au moment de leur entrée au secondaire atteint, en effet, 22,6 points pour l’ensemble des élèves issus de l’immigration et 24,7 pour l’ensemble des élèves.

La différence observée par rapport à l’ensemble des élèves était prévisible. En effet, comme notre définition de l’âge est T + 1, il est probable que les élèves qui ont un an de retard sont plus souvent des élèves en difficulté d’apprentissage au sein de l’ensemble des élèves que dans le sous-groupe des élèves des communautés noires, où ce retard reflèterait essentiellement un séjour en classe d’accueil. Toutefois, les différences constatées entre les élèves des communautés noires et l’ensemble des élèves issus de l’immigration demeurent difficiles à expliquer puisque la logique de cet argument devrait également s’appliquer à ces derniers.

Les deux autres facteurs que nous avons explorés (le sexe et le milieu socio-économique) semblent jouer un certain rôle dans l’obtention d’un diplôme secondaire. Mais l’impact de cette variable est plus limité, tant en valeur absolue qu’en comparaison avec la dynamique qui prévaut pour l’ensemble des élèves ou pour les élèves issus de l’immigration.

Dans le premier cas (8e), on note que les filles des communautés noires connaissent un taux d’obtention du diplôme secondaire après sept ans de scolarité, supérieur à celui des garçons (soit 57,3 % versus 46,3 %). Il s’agit d’un écart de 11 points, inférieur à celui que l’on constate pour l’ensemble des élèves (14,2 points) et il est sensiblement équivalent à celui que l’on rencontre pour l’ensemble des élèves issus de l’immigration. Signalons, toutefois, que l’avantage dont jouissent les filles des communautés noires face aux garçons ne réduit pas leur écart par rapport à l’ensemble de la population scolaire des filles ou des filles issues de l’immigration. La différence demeure sensiblement la même que celle qui prévaut lorsqu’on examine les taux sans les désagréger en fonction du sexe.

Le fait de se situer dans les sept premiers déciles du milieu socio-économique, soit ceux qui correspondent aux milieux scolaires dont les caractéristiques ne génèrent pas un soutien spécifique du ministère de l’Éducation du Québec, a également une influence positive sur le taux d’obtention d’un diplôme secondaire pour les élèves des communautés noires (8f). Celui-ci s’élève, en effet, à 57,2 % alors qu’il n’est que de 47,4 % pour les élèves dont l’indice socio-économique s’inscrit dans un rang décile supérieur à 7. Cependant, l’impact de l’appartenance socio-économique sur la réussite scolaire apparaît nettement moins important chez les élèves des communautés noires par rapport à l’ensemble des élèves ou même aux élèves issus de l’immigration, l’écart chez ces deux groupes étant respectivement de 13,5 et de 11,9 points. De plus, le taux d’obtention d’un diplôme secondaire pour les élèves des communautés noires appartenant à des milieux moyens ou favorisés (57,2 %) est faible face à la situation qui prévaut pour l’ensemble des élèves dans ce même cas de figure (73,2 %)[32].

Conclusion

La démarche que nous avons menée visait à jeter un premier éclairage sur la situation vécue par les jeunes des communautés noires du Québec en matière de cheminement scolaire. Tel que mentionné plus haut, l’étude n’est pas sans limites, tant en ce qui concerne la définition du groupe-cible que les indicateurs choisis pour évaluer sa réussite ou le sens à leur attribuer. Toutefois, face à des perceptions parfois alarmistes ou, à l’inverse, à des dénégations souvent trop optimistes, elle permet de mieux cerner l’ampleur des problèmes vécus, d’identifier les sous-groupes particulièrement touchés et de formuler quelques hypothèses sur les facteurs influençant l’expérience scolaire de ces jeunes.

Dans le secteur scolaire français, les élèves des communautés noires représentent une clientèle particulièrement vulnérable quand on la compare à l’ensemble des élèves ou même des élèves issus de l’immigration, sauf, dans ce dernier cas, en ce qui concerne le pourcentage d’élèves nés à l’extérieur du Québec. Très fortement issus de milieux défavorisés correspondant à des déciles supérieurs de l’indice socio-économique, ils sont, à plus de 60 %, nés à l’extérieur du Québec et connaissent un profil de scolarisation plutôt éclaté. Ainsi, plus de 40 % d’entre eux n’intègrent le système scolaire québécois qu’au secondaire. On peut aussi penser que leur trajectoire migratoire, notamment pour ceux qui ont été acceptés comme réfugiés, a pu être difficile et avoir un impact négatif sur leur scolarité. Parmi les élèves noirs fréquentant le secteur scolaire français, les élèves créolophones ou anglophones originaires des Antilles ont systématiquement le profil le moins favorable alors que les élèves francophones originaires de cette même région présentent des caractéristiques plus positives, bien que souvent inférieures à celles du groupe de comparaison. La situation des élèves originaires d’Afrique, anglophones ou francophones, est, quant à elle, plus variable, selon l’indicateur considéré.

Il n’est donc pas étonnant qu’une telle clientèle rencontre des difficultés à cheminer « normalement » au sein du système scolaire. Ainsi, les élèves des communautés noires, dont près du quart intègre le secondaire avec deux ans de retard ou plus, continuent d’en accumuler en secondaire 3. C’est le cas du tiers des élèves arrivés à l’âge normal et de plus des deux tiers des élèves arrivés en retard. Ils connaissent également, que ce soit après cinq, six ou sept ans de scolarité, des taux d’obtention d’un diplôme secondaire bien inférieurs à ceux de l’ensemble des élèves (écart après sept ans de 17,2 points) ou même de l’ensemble des élèves issus de l’immigration (écart après sept ans de 5,6 points). Les taux d’accès au cégep et d’obtention d’un diplôme collégial d’une clientèle aussi problématique au secondaire sont à l’avenant.

Toutefois, quelques aspects positifs sont à signaler. Tout d’abord, la pratique visant à regrouper les élèves des communautés noires dans des classes spéciales est bien moins répandue que la rumeur ne le laisse entendre au sein de la communauté. De plus, les élèves diplômés du secondaire manifestent une grande motivation à poursuivre leurs études collégiales, même si leurs résultats à ce niveau sont, comme on l’a vu plus haut, moins positifs. Finalement, les variations intergroupes pour chacun des indicateurs de cheminement sont importantes.

Ainsi, la situation des créolophones et des anglophones originaires des Antilles apparaît systématiquement plus négative que celles des autres groupes, au sein desquels les francophones, originaires des Antilles ou de l’Afrique, se distinguent particulièrement. En effet, même si leur situation n’est pas sans problème, ces derniers présentent, à certains indicateurs, des résultats plus favorables que l’ensemble des élèves issus de l’immigration et, dans quelques cas isolés, de l’ensemble des élèves. À l’exception des anglophones originaires d’Afrique, dont la réussite apparaît, somme toute, assez étonnante, ce sont donc essentiellement les non-francophones qui tirent de l’arrière, ce qui reflète la difficulté à poursuivre des études dans une langue d’enseignement qui n’est pas la langue maternelle.

À la lumière de ce premier bilan statistique, la situation scolaire de l’ensemble des élèves des communautés noires dans le secteur scolaire français semble assez préoccupante pour justifier un soutien accru à leur réussite. L’exploration des facteurs de variation, que nous avons effectuée uniquement à titre heuristique, permet d’identifier quelques pistes sur les clientèles à privilégier dans un contexte de ressources limitées. En résumé, l’élève à risque typique au sein des communautés noires est un garçon créolophone ou anglophone d’origine antillaise, né à l’étranger, arrivé en secondaire 1 ou en cours de scolarité au secondaire et fréquentant un établissement de la région de Montréal. S’il accumule du retard supplémentaire avant le secondaire 3, ses chances d’obtenir un diplôme d’études secondaires passent de faibles à extrêmement limitées, alors que le retard qu’il aurait pu avoir accumulé au primaire semble moins opérant. S’il fallait donc « prioriser » un niveau où le soutien scolaire devrait être maximal, ce serait clairement les deux premières années du secondaire dans le secteur de l’éducation des jeunes ou, pour les années subséquentes, dans celui de l’éducation des adultes où se retrouve une part importante de ces élèves.

Dans le secteur français, ce soutien pourrait s’inscrire largement dans les activités déjà menées, d’une part, auprès des nouveaux arrivants et, d’autre part, auprès des élèves des milieux défavorisés, puisque la clientèle noire y est majoritairement à la fois défavorisée et née à l’étranger. Cependant, le fait que même lorsqu’ils proviennent d’un milieu moyen ou favorisé ou sont nés au Québec, comme c’est le cas dans le secteur anglais, ces élèves continuent de réussir de manière nettement moins favorable que les autres élèves, pointe vers une exploration plus large de l’origine des difficultés qu’ils connaissent.

Quoi qu’il en soit, il appartient désormais aux milieux concernés, et non aux seuls chercheurs, d’identifier les moyens les plus appropriés et les plus efficaces pour répondre aux difficultés vécues par les jeunes des communautés noires dans leur processus de scolarisation. Nous espérons donc que cette étude contribuera à nourrir un dialogue accru entre les décideurs et les intervenants scolaires, d’une part, et les parents et les organismes communautaires, d’autre part, afin de favoriser l’atteinte des objectifs que le Québec s’est fixés en matière d’intégration des immigrants et de réussite scolaire de tous les élèves.