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Introduction

Le Québec, comme la plupart des sociétés occidentales, fait face au vieillissement de sa population. Le baby-boom particulièrement important qu’a connu la province suivi de la chute brutale de la fécondité sous le seuil de remplacement laissent envisager une série de bouleversements dont on commence à entrevoir les effets, non seulement au plan démographique, mais aussi au plan économique, politique et social (Légaré, 2005; McDaniel, 2003). Ainsi, les baby-boomers, lorsqu’ils prendront leur retraite, ne seront pas remplacés en nombre équivalent par les générations plus jeunes qui suivront sur le marché de l’emploi, car ils sont beaucoup plus nombreux que leurs enfants. De la même manière, lorsqu’ils mourront, les naissances ne seront vraisemblablement pas suffisantes pour compenser les décès. Bien que l’ampleur et l’importance des conséquences du vieillissement de la population à plus long terme ne fassent pas encore l’unanimité, il demeure pertinent d’envisager diverses alternatives en rapport à ce phénomène.

Le gouvernement du Québec mise depuis plusieurs années sur des politiques familiales pour tenter notamment de hausser le niveau de la fécondité, tel le Régime québécois d’assurance parentale. Cependant, l’efficacité de ces politiques est difficilement mesurable et n’est pas assurée sur le long terme. Une autre solution avancée par les acteurs sociaux et politiques ainsi qu’un certain nombre de chercheurs est de compter sur l’immigration. C’est à cet effet que la migration de remplacement apporte sa contribution. L’objectif de la présente étude est de déterminer les niveaux de migration de remplacement dont le Québec aurait besoin pour faire face au vieillissement de sa population, en fonction de problèmes démographiques à survenir. Il s’agit donc d’un exercice méthodologique et non de prévisions effectives.

Définition de la migration de remplacement

L’intérêt de l’étude de la migration de remplacement est qu’elle permet tout d’abord de vérifier si l’immigration peut-être envisageable comme solution, et ensuite de déterminer les niveaux d’immigration qu’il conviendrait de planifier. Le concept de la migration de remplacement n’a pas de définition standard et universelle. En 2000, l’ONU a publié un rapport sur la migration de remplacement (United Nations, 2000) et a été le précurseur de recherches subséquentes sur le sujet (Bijak et al., 2005; Coleman, 2000; Espenshade, 2001; Mo et Légaré, 2003). La migration de remplacement y est définie comme étant « la migration internationale dont un pays aurait besoin pour éviter le déclin et le vieillissement de la population ». Étant donné que la présente étude porte sur le Québec et qu’il s’agit d’une province au sein d’un pays, deux types de migrations sont à prendre en considération : la migration internationale et la migration interprovinciale. Depuis de nombreuses années, le Québec connaît un solde positif dans le premier cas et négatif dans le second. Le gouvernement n’a de contrôle direct que sur un seul des quatre mouvements possibles, soit choisir le nombre d’immigrants[1], alors que l’émigration et les flux interprovinciaux ne peuvent pas être influencés directement par des quotas.

Dans ce contexte et du point de vue des politiques publiques, il ne serait donc pas très pertinent de considérer le solde migratoire net comme unité de mesure de la migration de remplacement, tel que proposé par l’ONU. En effet, il est inutile de déterminer un solde net si l’on ne sait pas quels paramètres modifier pour y parvenir et à quelle intensité. De plus, un solde migratoire net nul ou négatif n’implique pas nécessairement un niveau d’immigration nul, ce qui poserait un problème méthodologique : il n’y aurait pas de plancher minimum pour une telle migration de remplacement. Dans le cadre de cette étude, la migration de remplacement est définie comme étant « l’immigration nécessaire pour atteindre un objectif démographique précis ». La migration de remplacement aura donc comme unité de mesure un nombre brut d’immigrants et non un solde net. Cela donnera une idée plus juste du nombre d’immigrants que le Québec devrait accueillir pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixés en la matière.

Plusieurs scénarios sont possibles pour atteindre un même objectif. Trois facteurs majeurs entrent en jeu lorsqu’il est question de l’impact démographique de l’immigration : la quantité d’immigrants, la période d’arrivée et la structure par âge et sexe. Dans cette étude, deux types de migration de remplacement ont été retenus. Le premier type de migration de remplacement est plus d’ordre théorique, nous l’avons nommé « migration de remplacement minimale ». Il s’agit du nombre minimum d’immigrants requis chaque année pour atteindre un objectif déterminé. Par exemple, dans le cas de l’objectif visant à éviter le déclin de la population totale, il s’agit du nombre d’immigrants nécessaire chaque année pour que la taille de la population reste stable. La migration de remplacement minimale sera donc de 0 jusqu’à ce que la croissance naturelle, moins le solde net sans immigrants, soit négative. Bien entendu, il serait difficilement concevable que le Québec n’accueille aucun immigrant durant une période de temps. Le but, tel que spécifié ci-dessus, est plus théorique que pratique.

Les projections démographiques standard supposent normalement un nombre constant d’immigrants chaque année. Le second type de migration de remplacement sera beaucoup plus simple et facilement applicable à ces modèles de projection. Nous l’avons appelé « migration de remplacement constante ». Comme son nom l’indique, il s’agit d’établir le nombre constant d’immigrants souhaités chaque année. Ce type de migration de remplacement s’applique plus à la réalité, mais pose la question de la valeur des résultats obtenus dans la mesure où l’idée d’un nombre constant d’immigrants est peu probable sur une longue période de temps, le niveau d’immigration ne pouvant demeurer parfaitement stable au fil des années. Cette question sera examinée dans la section consacrée à la logique des résultats. La comparaison entre ces deux types de migration de remplacement permettra, par ailleurs, de mesurer indirectement l’impact de l’immigration sur la démographie.

Les objectifs liés à la migration de remplacement

Afin que les résultats soient pertinents relativement aux questions spécifiques du Québec et contribuent à améliorer la connaissance sur le sujet, le calcul de la migration de remplacement nécessite de faire un choix avisé parmi les différents objectifs envisageables. Certains objectifs se révèlent, avant même vérification pratique, hors d’atteinte. C’est le cas notamment de ceux visant à maintenir les structures par âge à leur meilleur niveau (United Nations, 2000; Bijak et al., 2005). Ainsi, le maintien du rapport de dépendance ou encore du rapport de support potentiel ne peut être envisagé par le biais de l’immigration : les immigrants vieillissent eux aussi. De ce fait, la migration de remplacement nécessaire impliquerait des flux sans cesse plus nombreux de migrants. En ce qui concerne le Québec, il n’y a donc aucune raison de supposer que la situation pourrait être différente.

Éviter le déclin de la population est un objectif récurrent dans les politiques publiques et dans les études traitant de la migration de remplacement. Dans cette perspective, des travaux ont montré que pour certains pays, principalement ceux présentant une fécondité relativement élevée, cet objectif s’était avéré réalisable (United Nations, 2000; Bijak et al., 2005). Par contre, pour les pays présentant une très faible fécondité, la migration de remplacement étant constamment très élevée ne s’est pas révélée une solution réaliste. La fécondité au Québec se situe à des niveaux intermédiaires. Depuis plusieurs décennies, ce dernier ne figure pas parmi les pays ayant les taux de fécondité les plus élevés du monde occidental, ni parmi les plus bas. Ainsi, en 2006, la fécondité au Québec était de 1,62 enfant par femme (Institut de la statistique du Québec [ISQ], 2007a), soit moins élevée que celle des États-Unis (2,06) ou des Pays-Bas (1,73), mais bien plus que certains autres pays européens, tels l’Italie (1,33) ou la Grèce (1,29) (Institut national d’études démographiques, France, 2006). Il serait donc pertinent, dans le cas du Québec, de choisir comme premier objectif de la migration de remplacement, la prévention du déclin de la population totale. Cependant, le simple fait de maintenir la population totale apparaît nettement insuffisant, car le vieillissement ne sera pas évité. Les personnes âgées seront malgré tout de plus en plus nombreuses et le rapport de dépendance ne sera pas tellement plus favorable.

Un deuxième objectif récurrent dans les études sur la migration de remplacement vise à éviter le déclin de la population en âge de travailler. Là encore, cette mesure ne sera pas suffisante pour échapper à toute perturbation, mais elle est néanmoins d’une importance considérable puisqu’il s’agit de maintenir le bassin de la main-d’oeuvre potentielle. Bien que tous les individus en âge de travailler n’occupent pas nécessairement un emploi (chômage ou inactivité), ils peuvent donner une bonne indication de l’offre sur le marché du travail. Éviter le déclin de cette population limiterait ainsi potentiellement les pénuries pressenties (Van Audenrode, 2002). Si le bassin de main-d’oeuvre ne cesse de se restreindre, la société a beaucoup plus de chance d’être confrontée à une économie déclinante et, par-dessus tout, à de moins grands revenus fiscaux pour le gouvernement, qui devra notamment assurer des dépenses sociales plus élevées causées par le vieillissement de la population (Van Audenrode, 2002). Par ailleurs, pour maintenir les infrastructures actuelles, la main-d’oeuvre ne peut décliner indéfiniment. La production d’une société est directement fonction de la taille de la population qui travaille (Foot, 2007). Sans une progression substantielle de la productivité ou une augmentation du taux d’emploi, une baisse importante du nombre de travailleurs entraînerait nécessairement une baisse de la production. Or, le poids de la dette se mesure fréquemment en fonction du ratio de cette dernière sur le produit intérieur brut (PIB) (ISQ, 2007b), ainsi, même si la dette n’augmentait pas, le fardeau augmenterait advenant une diminution du PIB.

La population en âge de travailler est un concept variable. Dans la plupart des travaux portant sur la migration de remplacement, dont celui de l’ONU (United Nations, 2000), la population en âge de travailler est mesurée par celle âgée de 15 à 64 ans. Toutefois, ces âges sont discutables. En effet, compte tenu de l’augmentation des niveaux de scolarité, très peu de gens sont aujourd’hui réellement sur le marché du travail avant l’âge de vingt ans. Il serait donc plus adéquat de considérer la population comprise entre les groupes d’âge de 20 à 64 ans. Il faut également prendre en compte le fait qu’avec l’augmentation de l’espérance de vie et les besoins futurs en main-d’oeuvre, il ne serait pas impossible que de plus en plus de personnes âgées de 65 ans ou plus soient encore sur le marché du travail ou, du moins, aient encore la possibilité physique de travailler. En contrepoint, les plus récentes données indiquent que la prise de la retraite s’effectue en moyenne vers 60 ans plutôt que vers 65 ans au Québec (ISQ, 2007c); les extrémités des âges de l’activité peuvent donc s’étirer ou se contracter selon la conjoncture. Par conséquent, la population en âge de travailler considérée dans la présente étude sera celle âgée entre 20 et 64 ans.

Il est important d’approfondir la question de la pertinence des précédents objectifs. Le but ultime devrait-il être d’éviter le déclin de la population totale ou celui de la population en âge de travailler ou de viser plutôt un effectif brut de population, sans égard au processus qui mènera ce denier objectif à terme? Autrement dit, est-ce le déclin ou la taille brute de la population qui doit être pris en compte? À cette question, la réponse se doit d’être nuancée. Dans le contexte social et politique du Québec, il est évident que la taille de la population, tout comme celle de la main d’oeuvre potentielle, est très importante : il s’agit d’un indicateur direct du poids relatif que pèse la province comparativement au Canada et au reste de l’Amérique du Nord, et qui constitue un élément essentiel à sa survie. Cependant, le déclin est en lui-même beaucoup plus problématique et ce, non seulement du point de vue de l’imaginaire collectif, mais aussi pour la santé du système économique et social. Même dans le pire scénario envisagé par l’ISQ, la population du Québec ne serait inférieure, au bout de cinquante ans, que de quelques centaines de milliers d’individus comparée à celle du début des années 2000, tout en restant bien supérieure à celle des années 1950 (ISQ, 2003). Soulignons sous ce rapport que certaines nations sont très prospères avec des populations équivalentes ou beaucoup plus petites, comme la Suisse ou le Luxembourg. C’est donc le déclin plus que la taille de la population qui peut poser problème : le système n’étant pas conçu en fonction de la décroissance de cette dernière et de celle de l’économie. Dans ce contexte, une croissance nulle ou faible à long terme peut être préférable à une croissance forte et rapide suivie d’un long déclin, même si en fin de compte, la taille de la population devient inférieure. Ainsi, dans le premier cas, la stabilité n’engendrerait pas de besoins en infrastructures excédentaires, alors que dans l’autre, celles-ci, conçues pour une population plus nombreuse, deviendraient superflues avec comme conséquences le fardeau des coûts et les probables iniquités causées par le déséquilibre intergénérationnel.

Finalement, le troisième objectif visé par la migration de remplacement concerne directement le vieillissement de la population : il s’agit d’éviter que la part de la population âgée de 65 ans et plus ne dépasse 25 % par rapport à la population totale. Le vieillissement peut se mesurer par l’augmentation de la proportion de personnes âgées. Il est déjà généralement admis qu’on ne peut maintenir les structures par âge actuelles par le biais de l’immigration. Toutefois, il est possible de postuler une limite, un seuil à ne pas franchir, pour un groupe d’âge en particulier. Selon les estimations postcensitaires de Statistique Canada (2008), les personnes âgées de 65 ans et plus (65 ans étant le seuil arbitraire de la vieillesse) comptaient, en 2007, pour 14,4 % de la population totale du Québec. Le scénario de référence des projections de 2003 de l’ISQ indique que cette proportion aura plus que doublé d’ici cinquante ans, atteignant près de 30 % en 2051 (ISQ, 2003). Il serait donc tout à fait irréaliste de vouloir éviter son augmentation. Le pays où la proportion de personnes âgées de 65 ans et plus est la plus grande était, en 2006, le Japon, qui comptait 20 % de sa population dans ce groupe d’âge (United Nations, 2006). L’immigration n’ayant qu’un effet modeste sur la structure par âge, maintenir la part de ce groupe d’âge à 25 % ou moins peut sembler un peu plus envisageable : cette proportion est légèrement moins élevée que celle projetée pour 2051, mais tout de même supérieure à celle la plus élevée observée dans un pays en 2006. Selon le scénario de référence de l’ISQ, ce chiffre ne sera atteint que dans une vingtaine d’années, soit entre 2026 et 2031.

Méthodologie

Principes fondamentaux du modèle de projection et paramètres de base

Le type de projection utilisé est une adaptation du modèle « à composante par cohorte » (cohort component), c’est-à-dire qu’on applique au fil du temps une série d’événements démographiques (mortalité, fécondité, migrations) à chaque cohorte d’une population initiale. Chaque nouvelle génération est soumise à tous les événements. Dans le modèle le plus simple, une migration nette, positive ou négative, est ajoutée à chaque période à la cohorte, venant modifier l’effectif. Ce cycle peut dès lors se répéter indéfiniment.

Dans notre modèle, le solde net se calcule à l’aide d’une probabilité de sortie interprovinciale, laquelle détermine la structure par âge et sexe des émigrants, des Canadiens de retour et des entrants interprovinciaux. Chacun de ces trois derniers paramètres a un effectif prédéterminé. À ce calcul s’ajoute le nombre d’immigrants dont les effectifs, de même que la structure par âge et sexe, sont prédéfinis. Un taux de départ instantané est appliqué à ces immigrants dans le but d’insérer dans la projection une estimation de leur taux de rétention, élément essentiel pour une projection plus fiable. La somme de ces composantes correspond à la migration nette qui sera ajoutée à chaque cohorte.

Les projections sont annuelles et par année d’âge avec comme année de départ, l’année 2006, soit la dernière date, à ce jour, à laquelle les estimations de population par âge et sexe n’ont pas été faites de façon provisoire. La population initiale est donc celle correspondant aux estimations de Statistique Canada, détaillées par sexe et pour chaque âge entre 0 à 119 ans, en date du premier juillet 2006 (Statistique Canada, 2006).

L’horizon temporel de la projection est de cent ans afin de s’assurer que les impacts causés par des événements antérieurs (par exemple, le baby-boom) soient pratiquement tous pris en compte. Si cet horizon était limité à un nombre d’années plus restreint comme c’est habituellement le cas, il serait fort possible que certains de nos objectifs soient plus facilement atteignables, sans que cela soit nécessairement le cas à long terme. La projection doit donc être assez étendue pour se rapprocher d’une population stable. Rappelons qu’il s’agit avant tout d’un exercice statistique et non d’une prévision effective; ainsi, le but de la projection n’est pas de définir une population future qui se rapprocherait le plus possible de la réalité.

Le calcul de la migration de remplacement

Le principe du calcul de la migration de remplacement minimale est simple. Il s’agit d’incorporer à la projection le nombre minimum d’immigrants nécessaire chaque année dans l’atteinte de l’objectif sélectionné. Du fait que trois objectifs ont été retenus, il s’ensuit qu’il y a trois calculs différents de la migration de remplacement minimale. Nous verrons aussi à la suite de la présentation de ces formules, le principe de calcul de la migration de remplacement constante valable pour les trois objectifs.

Calcul de la migration de remplacement minimale visant à éviter le déclin de la population totale

La formule pour calculer la migration de remplacement minimale visant à éviter le déclin de la population totale (R(t)') est la suivante :

equation: 038132are001n.png

A(t) = taux de rétention des immigrants arrivés l’année t, défini par (1 ‒ taux de départ instantané du modèle)

∆P(t,t+1) = variation de la population totale dans l’intervalle de temps t, t+1

Le nombre d’immigrants déjà inclus dans la projection est ajouté afin que la migration de remplacement calculée soit équivalente au nombre d’immigrants total et non au nombre additionnel d’immigrants. Puisque R(t)' définit directement le nombre d’immigrants de la projection, celui-ci ne peut être négatif (ce qui est le cas lorsque la croissance de la population est positive sans immigrants). Le cas échéant, R(t)' prend la valeur 0 par défaut, soit 0 immigrant pour l’année concernée.

Calcul de la migration de remplacement minimale visant à éviter le déclin de la population en âge de travailler

La formule pour calculer la migration de remplacement minimale visant à éviter le déclin de la population en âge de travailler (R(t)'') suit le même principe que le calcul de R(t)', à la différence qu’il faut également tenir compte de la proportion d’immigrants qui sont en âge de travailler. Ainsi :

equation: 038132are002n.png

A(t) = taux de rétention des immigrants arrivés l’année t, défini par (1 ‒ taux de départ instantané du modèle)

i(19-63,t) = proportion d’immigrants arrivés l’année t âgés de 19 à 63 ans

∆P(20-64)(t,t+1) = variation de la population en âge de travailler dans l’intervalle de temps t, t+1

Notons qu’il s’agit bien de la proportion d’immigrants âgés de 19 à 63 ans qui est utilisée, de manière à ce que l’année suivant leur établissement, ces immigrants soient dans le groupe d’âge des 20 à 64 ans, soit le groupe d’activité.

Calcul de la migration de remplacement minimale visant à maintenir la proportion de personnes âgées de 65 ans et plus à 25 % ou moins

La formule pour calculer la migration de remplacement minimale visant à maintenir à 25 % ou moins la proportion de personnes âgées de 65 ans et plus (R(t)''') à l’intérieur de la population totale utilise une procédure différente, étant donné la nature bien distincte de l’objectif. Posons d’abord :

R(t)'''= migration de remplacement visant à maintenir la proportion de personnes âgées de 65 ans et plus à 25 % ou moins

A(t) = taux de rétention des immigrants arrivés l’année t, défini par (1 ‒ taux de départ instantané du modèle)

i(64+,t) = proportion d’immigrants arrivés l’année t âgés de 64 ans et plus

P(t+1) = population totale au temps t+1

P(65+,t+1) = population âgée de 65 ans et plus au temps t+1, soit à la fin de l’année t

Il est voulu que la proportion de la population âgée de 65 ans et plus en fin de période soit de 25 % :

equation: 038132are003n.png

En isolant R(t)‴, la formule est alors la suivante :

equation: 038132are004n.png

Le principe de calcul de la migration de remplacement constante

Le principe de calcul de la migration de remplacement constante est le même pour les trois objectifs et est beaucoup plus simple que celui de la migration de remplacement. La migration de remplacement constante, telle que précédemment définie, équivaut à un nombre constant d’immigrants chaque année. La méthode la plus efficace pour trouver ce nombre est d’appliquer le principe « essai-erreur » : il s’agit de tester plusieurs niveaux d’immigration, arrondis au plus proche millier, jusqu’à ce que l’on identifie le niveau le plus bas qui remplisse les conditions de l’objectif sélectionné. Le calcul n’est donc pas explicite comme dans celui de la migration de remplacement minimale. Puisque le niveau d’immigration est le même chaque année et qu’un nombre d’immigrants arrondi au millier est utilisé dans ce cas-ci, le nombre de projections testées pour déterminer la migration de remplacement est très limité. Finalement, précisons que la migration de remplacement constante sera notée respectivement par Rc', Rc'' et Rc''' en fonction de l’objectif auquel elle s’applique.

Les hypothèses de travail

Fécondité

L’hypothèse sur la fécondité suppose une stabilisation de l’indice synthétique de fécondité (ISF) à 1,6 enfant par femme pour l’ensemble de la projection, ce qui correspond au niveau observé en 2006 et à la descendance finale des femmes nées depuis 1950. Le calendrier de fécondité retenu correspond quant à lui à la moyenne observée entre 2001 et 2006 selon les estimations de l’ISQ.

Bien que les immigrantes soient généralement plus fécondes que les Québécoises, l’impact de l’immigration sur l’indice synthétique de fécondité est supposé nul dans le cadre de ces projections (suivant l’hypothèse markovienne[2]). D’ailleurs, dans les années futures, les immigrantes risquent d’avoir un comportement en matière de fécondité de plus en plus semblable à celui des Québécoises, dans la mesure où une baisse de l’ISF a été constatée et est prévue dans pratiquement tous les pays en développement (United Nations, 2006).

Mortalité

L’hypothèse sur les quotients de mortalité par âge et sexe, qui détermine l’espérance de vie, prévoit un quotient de diminution prédéfini à partir des observations de 1971 et 2000. Une hypothèse demeure fondamentale en ce qui concerne l’évolution future de la mortalité : l’espérance de vie augmentera-t-elle indéfiniment ou l’espèce humaine a-t-elle une limite de longévité? Dans le contexte actuel, il est tout à fait raisonnable de penser que l’espérance de vie augmentera encore pendant quelques années. Il n’y a en effet encore aucun signe de ralentissement observé dans le monde tandis que certains pays, comme le Japon, rendent compte d’une espérance de vie plus élevée que le Québec, de sorte qu’il est tout à fait probable que l’espérance de vie au Québec augmente au moins à un niveau équivalent à celle de ces pays. L’hypothèse choisie est donc la suivante : l’espérance de vie augmentera constamment jusqu’en 2050 pour stagner par la suite. Selon la variation des quotients de mortalité des hypothèses, l’espérance de vie passerait entre 2006 et 2050 de 83,8 ans à 89,1 ans pour les femmes et de 78,5 ans à 85,2 ans pour les hommes et serait stable à ce niveau pour le reste de la projection. La migration de remplacement pour les cinquante premières années des projections pourra donc être relativement fiable, toutes choses étant égales par ailleurs, alors que celle pour la seconde partie du siècle devra être analysée avec une grande prudence, car elle sera dépendante de ce qui adviendra de la longévité humaine à long terme, débat qui ne fait pas consensus actuellement.

Migrations

Le modèle de projection fait en sorte que le nombre de sortants interprovinciaux est variable (autour de 30 000, parfois un peu plus et parfois un peu moins), car il est déterminé par des probabilités (moyenne de 1996-1997 à 2006-2007). Le nombre d’entrants est fixé à environ 22 000, le nombre de Canadiens de retour à environ 3000 et le nombre d’émigrants natifs à environ 6000. Pour l’immigration, une structure par âge et sexe est nécessaire. L’hypothèse retenue est la structure moyenne des dix dernières années dont les chiffres ne sont pas provisoires, c’est-à-dire la moyenne de la période 1996-1997 à 2005-2006.

Pour un certain nombre d’immigrants, le Québec constitue un tremplin. Pour diverses raisons, ils repartent en général peu de temps après leur arrivée vers d’autres provinces, les États-Unis ou leur pays d’origine. Le taux de présence en 2007 des immigrants admis entre 1996 et 2005 est de 80,4 % (ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, 2007b), soit une perte de 20 % après une durée moyenne de séjour de cinq ans. La majorité des départs se font assez rapidement après l’arrivée : la présence en 2007 des immigrants arrivés en 2005 n’est pas beaucoup plus élevée que celle des immigrants arrivés en 1996. Au su de ces statistiques, supposer un taux de rétention de 80 % est raisonnable, de sorte que le taux de départ instantané des immigrants retenu est de 20 %.

Les estimations sur les départs instantanés des immigrants ne prennent pas en compte leur destination. Un problème pourrait alors se poser : il y aurait un double compte théorique des sortants interprovinciaux dans l’élaboration des hypothèses, soit, d’une part, ceux calculés par les probabilités de faire une sortie interprovinciale et, d’autre part, ceux ajoutés indirectement par le taux de départ instantané des immigrants, sachant qu’un bon nombre d’entre eux peuvent aller dans une autre province. Cependant, ce problème est partiellement atténué, car les estimations de sorties interprovinciales utilisent comme source de données les fichiers de la Prestation fiscale canadienne pour enfants (PFCE) de l’Agence du revenu du Canada (ARC) et le fichier T1FF (Statistique Canada, 2008). Ainsi, les immigrants qui quittent le Québec dès leur arrivée pour une autre province (avant de produire une déclaration fiscale) ne sont pas nécessairement inclus dans les sorties interprovinciales estimées. Par ailleurs, il est également important de souligner que les estimations annuelles concernant les émigrants et les migrations interprovinciales sont très imprécises. Peu importe les ajustements apportés, les numérateurs renferment déjà une très grande marge d’erreur, rendant non pertinente toute tentative de faire des hypothèses plus poussées.

Le tableau 1 présente la synthèse des hypothèses relatives aux scénarios qui seront élaborés dans le cadre de l’exercice. Chacun des scénarios aura la même population de départ, la même évolution de la mortalité, les mêmes taux de fécondité, le même taux de rétention des immigrants, le même nombre d’entrants interprovinciaux, d’émigrants natifs et de Canadiens de retour. Le nombre de sortants interprovinciaux n’est pas fixe et varie quelque peu d’un scénario à l’autre au fil du temps. Ce nombre, calculé en fonction des probabilités par âge et sexe de faire une sortie interprovinciale, est donc directement lié à la taille et la structure de la population qui dépendront elles-mêmes des niveaux d’immigration, lesquels seront différents d’un scénario à l’autre.

Tableau 1

Synthèse des hypothèses

Synthèse des hypothèses
Source : hypothèses de l’auteur

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Analyse des résultats

Comparaisons entre la migration de remplacement minimale et la migration de remplacement constante

La figure 1 présente les projections de la migration de remplacement minimale et de la migration de remplacement constante établies pour éviter le déclin de la population totale, ainsi que la population totale du Québec résultant de ces deux scénarios de migration de remplacement. Dans le cas où la migration de remplacement minimale serait privilégiée en réponse au déclin démographique, le Québec n’aurait en fait besoin d’aucun immigrant jusqu’en 2015, moment où la croissance naturelle moins le solde net sans immigrants sera négative. Par la suite, le nombre d’immigrants augmenterait progressivement jusqu’à environ 59 000 individus au milieu des années 2050, pour ensuite diminuer et se stabiliser à environ 51 000. La population serait ainsi stable, comptant 7 714 000 millions d’habitants tout au long du siècle. En comparaison, si l’on décide d’opter pour la migration de remplacement constante, signifiant que l’on accueille toujours le même nombre d’immigrants chaque année afin d’éviter le déclin théoriquement prévu de la population, les chiffres seraient beaucoup plus élevés. La migration de remplacement constante est de 70 000 immigrants annuellement. Suivant cette projection, la population québécoise continuerait de croître assez rapidement passant de 7,65 millions d’habitants en 2006 à 9,48 millions en 2051, mais connaîtrait par la suite une croissance très lente durant l’autre moitié du siècle.

Figure 1

Comparaison entre la migration de remplacement minimale (R(t)') et constante (Rc') visant à éviter le déclin de la population totale, Québec

Comparaison entre la migration de remplacement minimale (R(t)') et constante (Rc') visant à éviter le déclin de la population totale, Québec
Sources : projections de l’auteur à partir des hypothèses proposées et des données de Statistique Canada, 2008

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La figure 2 montre les résultats des projections comparant les deux types de migration de remplacement pris en compte pour éviter le déclin de la population en âge de travailler et la population résultant de ces scénarios. Si la migration de remplacement minimale est considérée, nous remarquons qu’il faudrait très rapidement augmenter les niveaux d’immigration pour atteindre les 100 000 individus dès le début des années 2020. Par la suite, les niveaux pourraient redescendre vers 40 000 individus au milieu des années 2030 et oscilleraient par la suite autour de 65 000 avec des sommets et des creux de moins en moins importants. Ces variations marquées sont dues à l’effet des grandes générations. Le premier sommet atteint entre 2017 et 2030 correspond aux années où la génération des baby-boomers atteindra l’âge de 65 ans. Le second sommet, atteint vers les années 2050, représente quant à lui les années où les enfants des baby-boomers auront à leur tour 65 ans. Bien que ces derniers n’aient pas eu beaucoup d’enfants au niveau individuel, le fait qu’ils soient très nombreux leur procure un nombre absolu d’enfants tout de même important. De son côté, la migration de remplacement constante nécessaire pour éviter le déclin de la population en âge de travailler est de 96 000 immigrants par an, soit environ le double de ce que le Québec accueille actuellement.

Figure 2

Comparaison entre la migration de remplacement minimale (R(t)'') et constante (Rc'') visant à éviter le déclin de la population en âge de travailler (20-64 ans), Québec

Comparaison entre la migration de remplacement minimale (R(t)'') et constante (Rc'') visant à éviter le déclin de la population en âge de travailler (20-64 ans), Québec
Sources : projections de l’auteur à partir des hypothèses proposées et des données de Statistique Canada, 2008

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Ces résultats indiquent clairement que la taille de la population en âge de travailler serait bien différente entre les deux scénarios. Dans le premier scénario utilisant la migration de remplacement minimale, elle se stabiliserait à 4,86 millions d’individus, soit le même nombre qu’en 2006. Dans le second, celui de la migration de remplacement constante, elle connaîtrait une série de bonds. Ces derniers sont causés par l’immigration de surplus qui survient lorsqu’une petite génération dépasse l’âge de 65 ans. Selon la courbe de projection, il y aurait d’abord une croissance assez rapide entre 2006 et 2018, la population en âge de travailler passant de 4,86 millions à 5,33 millions d’individus; une stabilisation s’ensuivrait jusqu’en 2025, puis une seconde augmentation, un peu moins forte, surviendrait. Ce processus se reproduirait plusieurs fois jusqu’à ce que les bonds soient minimes. La population en âge de travailler se stabiliserait alors, en ayant évité le déclin.

La figure 3 présente la migration de remplacement minimale et la migration de remplacement constante considérées pour éviter que la part de la population âgée de 65 ans et plus dans la population totale dépasse 25 %, de même que l’évolution de la part des 65 ans selon ces scénarios. Rappelons que suivant les dernières projections de l’ISQ, cette proportion serait de près de 30 % en 2050. Les résultats, tant pour la migration de remplacement minimale que constante, montrent d’abord des niveaux d’immigration beaucoup plus élevés que pour les deux objectifs précédents. Dans le cas de la migration de remplacement minimale, il commencerait à y avoir un besoin à partir de 2024, année au cours de laquelle il y aurait plus de 25 % de la population âgée de 65 ans et plus, sans immigrants. Dès lors, la migration de remplacement requise devrait atteindre des niveaux dépassant de loin tout ce que le Québec a pu connaître depuis le début de son histoire : plus de 170 000 immigrants. À partir de la deuxième moitié des années 2020, la migration de remplacement serait supérieure à 250 000 immigrants annuellement. Elle redescendrait par la suite à des niveaux un peu plus modérés (entre 50 000 et 100 000) jusque dans les années 2050. Elle regrimperait ensuite rapidement à plus de 200 000 individus pour atteindre un deuxième sommet. Enfin, elle redescendrait à un peu plus de 100 000 et connaîtrait un troisième sommet à plus de 250 000 immigrants à la fin de la période. Soulignons toutefois que ces niveaux de migration de remplacement sont fortement liés à l’espérance de vie, laquelle est très incertaine dans une projection à long terme. Aucun niveau de stabilisation n’est possible en terme d’effectif : pour maintenir une structure par âge prédéterminée, il faudrait calculer la migration de remplacement en terme de pourcentage. Dans cet exercice, la migration de remplacement établie pour éviter que la part des 65 ans et plus dépasse 25 % se stabiliserait, à très long terme, à environ 1,4 % de la population. Cet objectif est donc tout à fait irréalisable, car cela supposerait que la population croisse de manière exponentielle tout comme le nombre d’immigrants nécessaire. Or, en plus d’un espace habitable restreint, le bassin d’immigration possible n’est pas infini, il dépend de la population mondiale qui ne peut vraisemblablement pas connaître une croissance illimitée.

Figure 3

Comparaison entre la migration de remplacement minimale (R(t)''') et constante (Rc''') visant à éviter que la part des 65 ans et plus dépasse 25 % dans la population totale, Québec

Comparaison entre la migration de remplacement minimale (R(t)''') et constante (Rc''') visant à éviter que la part des 65 ans et plus dépasse 25 % dans la population totale, Québec
Sources : projections de l’auteur à partir des hypothèses proposées et des données de Statistique Canada, 2008

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L’on constate, sans surprise, que la migration de remplacement constante n’est possible qu’à court terme et serait démesurément élevée. Pour la période de référence de la projection, soit le siècle actuel, le Québec aurait besoin annuellement d’environ 1,4 million d’immigrants pour éviter que la part des 65 ans et plus dépasse les 25 %. Après une forte chute pendant les premières années de la projection, la part des 65 ans et plus devrait croître constamment jusqu’à atteindre 25 % vers la toute fin de la projection. Cependant, ce niveau, si élevé soit-il, ne serait déjà plus suffisant quelques années plus tard. Comme nous l’avons mentionné précédemment, aucun niveau de stabilisation de la migration de remplacement en terme d’effectif ne peut être possible pour maintenir une structure par âge prédéterminée. Ainsi, la migration de remplacement constante n’est pas applicable, à long terme, en rapport à ce type d’objectif.

La logique des résultats

Nous avons pu observer que la migration de remplacement minimale est plus faible que la migration de remplacement constante. Plus précisément, pour éviter le déclin de la population totale, le sommet de la migration de remplacement minimale est inférieur d’environ 15 000 immigrants par rapport à la migration de remplacement constante et la moyenne annuelle y est inférieure d’environ 30 000 immigrants (figure 1). Ces résultats, quoique étonnants, n’en sont pas moins logiques. En effet, dans la perspective d’éviter le déclin de la population totale, la migration de remplacement constante offre un surplus d’immigrants pour la première moitié du siècle, c’est-à-dire qu’elle contribue à augmenter la taille de la population, ce n’est que par la suite qu’elle se limitera uniquement à éviter le déclin. Ainsi, la population totale augmente et, par conséquent, le nombre de personnes à remplacer aussi. L’ampleur de l’écart est moins grande en ce qui a trait à la perspective d’éviter le déclin de la population en âge de travailler, car celui-ci surviendra beaucoup plus rapidement.

À titre d’exemple, si le Québec avait accueilli un très grand nombre d’immigrants (200 000 plutôt que 45 000) uniquement au cours de l’année 1967, serait-il encore confronté à un déclin éventuel de la population en âge de travailler? La réponse est affirmative. Ces 200 000 immigrants, en supposant qu’ils étaient âgés de 25 ans en moyenne à leur arrivée, auraient 65 ans en 2007. Ils auraient donc contribué à gonfler l’effectif de la population en âge de travailler durant leur période d’activité, mais celle-ci aurait quand même décliné, car ce ne sont pas ces immigrants qui combleraient les besoins actuels étant donné qu’ils seraient à l’âge de la retraite. De plus, il y aurait un plus grand nombre d’individus à remplacer, soit la population née au Québec, en plus de ces nouveaux immigrants.

La logique des résultats concernant la migration de remplacement visant à éviter que la part des personnes âgées de 65 ans et plus dépasse 25 % par rapport à la population totale est quelque peu différente. La date de 2024 à laquelle la migration de remplacement minimale est nécessaire n’est pas générée par l’entrée d’une génération spécifique à un âge donné : elle l’est par effet d’accumulation pour les raisons suivantes. Les premiers baby-boomers qui atteindront 65 ans vers 2010 sont précédés par beaucoup moins de personnes âgées. Ils ont donc contribué à faire augmenter rapidement la part des 65 ans et plus, mais compte tenu que les membres de ce dernier groupe d’âge étaient déjà relativement peu nombreux, la migration de remplacement n’est pas encore nécessaire. À partir de 2024, les derniers baby-boomers, ceux nés à partir de 1960, vont atteindre l’âge de 65 ans. Bien que ceux-ci ne soient pas plus nombreux, les premiers baby-boomers les avaient déjà précédés, de sorte qu’à partir de ce moment, le recours à l’immigration devient nécessaire. La migration de remplacement constante, on l’a vu, est beaucoup plus élevée. L’effet d’accumulation prend ici plus de temps étant donné qu’il est compensé par l’arrivée massive de jeunes gens. Cependant, ce concept est impensable à long terme, la migration de remplacement constante ne faisant que reporter à plus tard le moment inéluctable où la part des personnes âgées de 65 ans et plus sera supérieure à 25 %, car dans une population stable, seules l’espérance de vie et la fécondité ont un effet concret sur la structure par âge. Ainsi, plus l’horizon temporel de la projection est vaste, plus la migration de remplacement constante sera élevée. En d’autres termes, les résultats n’ont pas de valeur concrète.

Discussion

Migrations de remplacement et perspectives en matière de politiques d’immigration

En matière de politiques publiques et de politiques d’immigration en particulier, les résultats de cet exercice nous amènent à conclure qu’il n’est pas essentiel d’augmenter dès maintenant le nombre d’immigrants afin d’éviter le déclin de la population totale du Québec. Ce dernier doit survenir dans quelques années et c’est à ce moment que l’immigration aura le plus d’effet. Il ne sera pas nécessaire alors de l’augmenter à des niveaux anormalement élevés par rapport aux dernières années. En supposant un nombre constant d’immigrants pour éviter le déclin de la population, il faudrait augmenter les contingents à plus de 70 000 immigrants, soit 15 000 de plus que le niveau de 55 000 individus établi à l’automne 2007 par le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (MICC) pour les prochaines années (MICC, 2007a). Or, la migration de remplacement minimale susceptible d’éviter le déclin de la population totale est au maximum de 60 000 immigrants par an. En bref, pour le Québec, il serait plus facile d’éviter le déclin de la population totale si moins d’immigrants sont accueillis avant que cela ne soit absolument nécessaire. Cette proposition peut paraître contre-intuitive, mais l’utilisation de la migration de remplacement comme méthode d’analyse atteste qu’une hausse trop rapide de l’immigration nuirait aux efforts engagés pour contrer le déclin de la population plutôt que de les favoriser.

D’un point de vue pratique, il est cependant évident que la migration de remplacement minimale n’est pas envisageable, car il n’est guère concevable, comme nous l’avons déjà signalé, que le Québec n’accueille aucun immigrant durant un certain nombre d’années. D’autres intérêts sont en jeu, ne serait-ce que l’accueil de réfugiés ou les besoins en région. Néanmoins, la logique des résultats peut aider à la construction de scénarios plus réalistes ayant pour but d’éviter le déclin de la population. Nous pouvons avancer, en guise d’exemple, deux scénarios possibles : d’un côté, le scénario A qui prévoit 55 000 immigrants de manière constante tout au long de la projection (soit le niveau qui a été privilégié pour les prochaines années par le MICC) et, de l’autre, le scénario B, dans lequel le niveau d’immigration projeté est de 45 000 individus jusqu’en 2024, passant à 50 000 entre 2025 et 2039, puis à 55 000 entre 2040 et 2049 et à 60 000 à partir de 2050 et pour la suite de la projection. La figure 4 montre la population résultant de ces deux scénarios.

Figure 4

Comparaison entre la population résultant du scénario A et du scénario B, Québec, 2006-2101

Comparaison entre la population résultant du scénario A et du scénario B, Québec, 2006-2101
Sources : projections de l’auteur à partir des hypothèses proposées et des données de Statistique Canada, 2008

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Le scénario B, en prévoyant d’accepter un nombre total d’immigrants moins élevé que le scénario A, permet d’éviter le déclin de la population. Par contraste, la population du scénario A connaîtrait une croissance rapide, engendrée par le très grand nombre d’immigrants de surplus (c’est-à-dire l’immigration qui contribue à la croissance de la population et non uniquement à éviter le déclin), suivie d’un lent déclin. Le scénario B, du fait que moins d’immigrants de surplus sont acceptés, conduit à une croissance plus modérée de la population. Lorsque le déclin devient effectif, le nombre d’immigrants accueillis augmente progressivement, annulant ainsi la décroissance. Ce dernier scénario prévoit donc d’abord une croissance modérée de la population, suivie d’une stagnation. Par conséquent, avec une bonne gestion de l’immigration et une fécondité de 1,6 enfant par femme, le déclin de la population pourrait être évité.

Les résultats sont un peu différents en ce qui concerne l’objectif visant à éviter le déclin de la population en âge de travailler. Celui-ci arrivant beaucoup plus vite, le nombre minimal d’immigrants nécessaire augmenterait rapidement à plus de 90 000 individus et devrait être ensuite maintenu à une moyenne d’environ 65 000 immigrants au fil du siècle. Les chiffres pour la migration de remplacement constante sont encore plus élevés. Il faudrait accueillir annuellement 96 000 immigrants tout au long du siècle, soit un nombre bien supérieur aux niveaux annoncés par le MICC. Cela signifie néanmoins que les immigrants accueillis avant le déclin n’auront pas d’effet sur la quantité d’immigrants nécessaire au moment du déclin. Le déclin de la population en âge de travailler semble alors inévitable : peu importe le type de migration de remplacement, les niveaux d’immigration seront beaucoup plus élevés que ceux envisagés.

Éviter que la part des personnes âgées de 65 ans et plus dépasse 25 % par rapport à la population totale est un objectif complètement irréalisable. L’immigration n’a qu’un impact marginal sur la structure par âge de la population. Pour avoir un effet significatif, il faudrait un nombre d’immigrants beaucoup plus important que les niveaux actuels et qui croîtrait à long terme de manière exponentielle. Pour maintenir, par le biais de l’immigration, une structure par âge artificielle qui ne serait pas celle prédéterminée à long terme par les comportements démographiques de la population locale, la migration de remplacement devrait devenir constante et ce, uniquement en terme de pourcentage et non en terme d’effectif, comme dans le modèle de la migration de remplacement visant à éviter le déclin de la taille de la population. Les effectifs seraient donc constamment croissants, atteignant des chiffres inenvisageables et, dans ce cas, pour reprendre l’expression employée par Henri Léridon (2000), « c’est véritablement chercher à remplir un tonneau des Danaïdes ». Toute mesure visant à rajeunir la population par le biais de l’immigration est donc totalement impertinente et non justifiable.

La question du déclin : une préoccupation à court et moyen terme

Cet exercice a permis de découvrir une réalité mathématique inhérente au modèle et aux hypothèses qui ont été proposés : le déclin démographique n’est pas à craindre pour le long terme. Ainsi, les scénarios alarmistes prévoyant une extinction de la population québécoise ne sont pas réalistes, car, à mortalité constante et toutes choses étant égales par ailleurs, pour chaque niveau d’immigration (>0) et de fécondité, la population se stabilise sur le long terme. Pareillement, dans chacun des scénarios ayant comme objectifs d’éviter le déclin de la population totale ou en âge de travailler, la migration de remplacement se stabilise sur une longue période, soit par hypothèse, soit du fait de la dynamique de la population. Dans le cas de la migration de remplacement constante, la population se stabilise à un niveau donné en fonction du nombre d’immigrants. Dans le cas de la migration de remplacement minimale, les fluctuations du nombre d’immigrants sont de moins en moins grandes et disparaissent à long terme. En élargissant l’horizon temporel sur plusieurs siècles, on s’aperçoit que les deux types de migration de remplacement répondent à une question distincte. La migration de remplacement constante indique à quel niveau la population se stabiliserait si un nombre x d’immigrants étaient acceptés. La migration de remplacement minimale indique le nombre d’immigrants stable nécessaire à long terme pour maintenir une taille de population prédéterminée.

Lorsque la fécondité est sous le seuil de remplacement, du moment que la migration nette est positive, toute population tend vers la stationnarité, c’est-à-dire que la croissance devient nulle à long terme. En supposant une stabilisation de l’espérance de vie à 85,2 ans pour les hommes et à 89,1 ans pour les femmes, les différents seuils de stationnarité calculés sont indiqués dans le tableau 2.

Tableau 2

Niveau de stationnarité de la population selon la migration nette et l’intensité de la fécondité (e0h = 85,2 et e0f = 89,1)

Niveau de stationnarité de la population selon la migration nette et l’intensité de la fécondité (e0h = 85,2 et e0f = 89,1)

forme: 038132aro010n.png Fourchette de population résultant de scénarios ayant des composantes que le Québec a connues récemment.

Sources : calculs effectués d’après les hypothèses de l’auteur

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Quel sera l’avenir à très long terme pour le Québec? Étant donné la nature imprévisible des comportements humains, l’on peut difficilement opter pour l’un ou l’autre des scénarios présentés ci-dessous. Néanmoins, il est peu probable que la fécondité redevienne élevée et se maintienne au-delà du seuil de remplacement ou encore qu’elle descende et se maintienne à un niveau inférieur à 1,4 enfant par femme. Par ailleurs, il est possible d’avancer que la migration nette annuelle moyenne se situera vraisemblablement entre 10 000 et 40 000 immigrants. En présumant que l’espérance de vie se stabilise au niveau indiqué, il est possible d’établir une très large fourchette des effectifs probables de la population du Québec pour les prochains siècles (cellules grisées du tableau 2). En bas de la fourchette, le plus faible effectif, qui suppose une migration nette de 10 000 immigrants et une fécondité de 1,4 enfant par femme, est de 1 590 000 habitants, alors qu’en haut de la fourchette, le plus grand effectif, qui suppose une migration nette de 40 000 individus et une fécondité de 1,8 enfant par femme, est de 15 410 000 habitants. Ces résultats sont donc peu favorables à une quelconque planification. Toutefois, nous pouvons en conclure qu’à long terme, l’extinction, de même que la surpopulation, ne font pas partie des scénarios démographiques plausibles pour le Québec.