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L’immigration internationale au Québec : un remède ou un choix de société ?

En février 2011, la vague Dubreuil-Marois déferlait sur le Québec. Avec un titre aussi accrocheur que Le remède imaginaire : pourquoi l’immigration ne sauvera pas le Québec, les auteurs ont pu faire part de leurs points de vue sur plusieurs tribunes avant même la sortie du livre. Ce que l’on pouvait lire, avant la parution du 3 mars dernier, était l’avant-propos diffusé sur le site de l’éditeur, des articles des auteurs dans les médias ainsi que des entrevues accordées. Certes, un livre fort attendu. Après sa sortie, des commentateurs en ont parlé comme étant « indiscutablement une des contributions au débat public les plus sérieuses, salutaires et décapantes depuis longtemps » (Joseph Facal, Journal de Montréal) ; « un essai-choc, solidement argumenté, qui ébranle une idée reçue à peu près unanimement partagée » (Louis Cornellier, Le Devoir) ; « un livre qui secoue plusieurs idées reçues sur l’immigration comme espèce de remède miracle du vieillissement de la population » (Mario Dumont, Télévision V/Dumont) ; « Le livre de la rentrée 2011. Le remède imaginaire […] lézarde les fondations de la politique d’immigration du Québec » (Jean-François Lisée, L’Actualité).

Dubreuil et Marois ont voulu écrire ce livre afin, disent-ils, de combler un manque, étant convaincus que « le public et les décideurs entretiennent une idée fausse de l’influence de l’immigration sur l’économie et la démographie québécoise » (p. 12). Cette idée fausse aurait pour effet d’empêcher une évaluation objective de la politique québécoise d’immigration. Elle créerait aussi des attentes démesurées auprès des Québécois qui « s’attendent à ce que l’immigration soulage la pression sur les finances publiques » et des immigrants qui « s’attendent à ce que leurs perspectives d’emploi soient particulièrement favorables » (p. 306).

Or, avec la prémisse sur laquelle tout le livre s’est construit, soit l’immigration perçue comme un remède qui sauverait le Québec, les auteurs développent un argumentaire remettant en cause la politique d’immigration et ses pratiques. Mais l’argumentaire est-il aussi solide qu’il en donne l’image ? Si la prémisse peut être remise en question, qu’advient-il de toute la construction élaborée autour d’elle ? Si l’immigration n’était pas ce qui peut « sauver » le Québec, mais plutôt, en complémentarité avec les autres leviers sur lesquels il est possible d’agir, ce qui peut « aider » le Québec à mieux faire face à ses défis de développement ? Et si l’immigration internationale n’était pas un « remède » mais un « choix de société », ayant fait l’objet, en 1990, d’un Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration (Ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration, 1990a), adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale du Québec ?

Avec l’intention de démontrer que le Québec n’a pas besoin d’immigration pour des raisons démographiques et économiques, Dubreuil et Marois traitent des impacts marginaux de l’immigration sur le vieillissement de la population et sur la prospérité économique. Cela fait l’objet des quatre premiers chapitres. Ils font appel à de nombreux ouvrages scientifiques traitant de la question des impacts démographiques et économiques de l’immigration. Afin d’illustrer les effets de l’immigration sur la démographie, Marois simule en outre ce qu’aurait été la population du Québec sans immigration, sur la période 1971-2006, ce qui ne manque pas de surprendre dans un essai qui s’intéresse au vieillissement démographique. Nous y reviendrons.

Dans le chapitre 5, ils s’interrogent sur les causes de la « détérioration des performances économiques des nouveaux immigrants ». Ils font la revue des facteurs avancés pour expliquer la détérioration et ils en concluent que « [l]es difficultés d’intégration des immigrants ne sont pas surprenantes. Elles découlent naturellement de leurs difficultés à se mouler à un nouveau contexte institutionnel » (p. 206). Ce qui est surprenant, pour ne pas dire choquant, ce sont les jugements de Dubreuil et de Marois dans le traitement de la question. Lutter contre la discrimination, mieux reconnaître l’expérience et la scolarité étrangères, améliorer la francisation, développer le mentorat, etc. » sont pour eux des « réponses gentilles » (p. 194). Ils y reviennent dans la conclusion : « Lorsque l’on ne connaît pas les causes des mauvaises performances économiques des immigrants, on met donc l’accent sur les problèmes de reconnaissance des diplômes et de discrimination. On n’évoque surtout pas la “non-transférabilité du capital humain”, et encore moins un possible écart de compétences entre natifs et immigrants » (p. 305).

Ils se penchent dans le chapitre suivant sur le mode de sélection des travailleurs qualifiés, passant en revue la grille de sélection québécoise. En effet, selon eux, « une des façons les plus efficaces d’améliorer les performances économiques des immigrants consiste à opérer une sélection plus stricte et rigoureuse des candidats à l’immigration » (p. 16), tout en soulevant le point qu’un resserrement de la grille aurait une conséquence directe sur le nombre d’immigrants admis au Québec. Ils remettent aussi en cause le programme des immigrants investisseurs (chapitre 7), ainsi que celui des aides familiaux résidants (chapitre 8).

Dans leur conclusion, ils rediscutent des éléments qui selon eux pourraient améliorer l’intégration des immigrants à l’emploi, notamment la grille de sélection qui pourrait être revue et corrigée, mais « [a]u-delà des propositions concrètes de réforme, le plus urgent, dans la situation actuelle, demeure néanmoins de rétablir des attentes réalistes par rapport à l’immigration » (p. 301).

Certes, non seulement l’idée principale et le titre du livre peuvent être questionnés, mais il est possible aussi de relever, dans chacun des huit chapitres qu’il contient ainsi que dans la conclusion, des éléments remettant en cause certaines affirmations qu’on y trouve. Nous nous en tenons aux arguments à caractère scientifique ainsi qu’à ceux liés à la politique québécoise d’immigration et d’intégration, laissant de côté les opinions, jugements de valeur présents dans cet essai.

L’argumentaire des auteurs

Selon les auteurs, le Québec n’a pas besoin d’immigration pour des raisons démographiques et économiques, malgré ce qu’en disent les politiciens et « [l]a communauté journalistique [qui] partage un seul et même point de vue sur la question. L’immigration est essentielle pour diminuer les effets négatifs du vieillissement ; c’en est devenu un lieu commun » (p. 24). Or, l’impact est marginal sur la structure par âge de la population et sur l’offre sur le marché du travail. Sur le plan économique, dès que l’on cesse de s’intéresser à la taille globale de l’économie, l’impact de l’immigration semble à peu près nul. Et, « à cause des mauvaises performances économiques des immigrants admis au Canada depuis trois décennies, elle est peut-être même négative. Dans notre Québec social-démocrate […] plutôt que d’alléger le fardeau que fait peser le vieillissement sur les finances publiques, il n’est pas impossible que l’immigration l’alourdisse modestement » (p. 297). Aussi, « les Québécois doivent poursuivre le débat sur leurs politiques d’immigration et d’intégration, mais en mettant de côté cet argument une fois pour toutes » (p. 307). « Le vieillissement de la population est un problème réel, mais l’immigration est un remède imaginaire » (p. 307). Ont-ils raison ?

Jeter le bébé avec l’eau du bain

L’effet marginal de l’immigration sur la structure par âge de la population devient, pour les auteurs, une raison en soi de méconnaître et de mettre de côté la contribution de l’immigration à l’avenir démographique du Québec. N’est-on pas en train de « jeter le bébé avec l’eau du bain » ?

En reconnaissant les limites et les possibles du rôle de l’immigration dans l’enjeu démographique du Québec, l’Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration de 1990 fixait, pour sa part, les objectifs suivants en matière démographique :

  • Retarder, et même éviter, grâce à une fécondité plus favorable, le déclin de la population ;

  • Ralentir autant que faire se peut le processus du vieillissement et contrecarrer les effets d’une structure par âge vieillissante sur les effectifs des naissances, des jeunes et des jeunes adultes ; plus spécifiquement sur la population en âge de travailler, atténuer les effets du vieillissement par l’ajout de jeunes actifs, soutenir le volume de cette population et alléger le rapport de dépendance démographique ;

  • Ralentir la perte tendancielle du poids démographique du Québec, dans la mesure où la fraction que représente l’immigration québécoise dans l’immigration canadienne corresponde davantage à son poids démographique.

Ces objectifs démographiques s’appuyaient sur des simulations produites en 1988 par le Bureau [devenu l’Institut] de la statistique du Québec pour le compte du ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration [devenu le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles] afin de dégager le rôle de l’immigration sur le devenir de la population jusqu’en 2026. Le ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration (MCCI) avait aussi fait appel à Statistique Canada en ce qui a trait à des simulations portant sur le poids démographique du Québec. La présentation de ces simulations et de leurs résultats se trouve dans une annexe à l’énoncé de politique (Ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration, 1990b).

Dans cette annexe, il est écrit :

[…] l’exercice de simulation montre qu’une hausse de l’immigration internationale, dans le contexte du vieillissement prononcé de la population que le Québec doit vivre au cours des prochaines décennies, aura pour effet d’ajouter des effectifs dont l’importance sera particulièrement importante chez les moins de 40 ans. Cela tient à la fois à la structure par âge relativement plus jeune des nouveaux arrivants à leur arrivée et à leur descendance en sol québécois.

p. 47

Et encore :

[…] sans pouvoir modifier le cours du vieillissement prononcé de la population québécoise au cours des prochaines décennies, l’immigration a pour effet de ralentir la baisse prononcée des 0-14 ans, des 15-24 ans et des 25-39 ans, ralentissement dont les effets bénéfiques ne peuvent qu’être appréciés par l’ensemble de la société.

p. 64

Par ailleurs, le MCCI confiait à Jacques Ledent, au début des années 1990, une étude visant à explorer l’impact distinct et combiné de différents niveaux d’immigration et de fécondité sur un horizon de court terme (25 ans) et à moyen terme (50 à 75 ans) sur l’avenir démographique du Québec. L’auteur a démontré la complémentarité nécessaire des actions (en matière de fécondité et d’immigration) si le Québec voulait éviter le déclin de sa population (Ledent, 1993).

Tout en réaffirmant le caractère inéluctable du vieillissement démographique, l’étude mettait en évidence l’impact d’une hausse du volume d’immigration sur la structure par âge : plus le niveau d’immigration est élevé, plus la proportion des moins de 15 ans est élevée et plus la proportion des 65 ans et plus est faible, et cela sur toute la période de projection. Il en est de même avec la hausse de la fécondité : les impacts vont dans le même sens. Quant à l’importance relative des deux impacts, celui de la fécondité prime sur celui de l’immigration pour ce qui est de la proportion des jeunes. Dans le cas de la proportion des 65 ans et plus, les deux impacts sont plus ou moins équivalents jusqu’en 2031, et par la suite, l’impact de la fécondité devient plus important. Ainsi donc, si l’on fait le ratio « vieux/jeunes », l’impact de la fécondité l’emporte sur celui de l’immigration.

Cependant, il en est autrement quant à l’indice de dépendance. Une hausse de l’immigration ne peut pas empêcher la tendance à la hausse du rapport de dépendance, mais il a pour effet de l’alléger en ajoutant des effectifs proportionnellement plus importants de jeunes adultes. En ce qui concerne la fécondité, il faut distinguer l’impact d’une hausse en deux temps ; dans un premier temps, l’impact est de hausser le rapport de dépendance, mais à mesure que le temps passe, les effectifs de jeunes adultes commencent à s’accroître.

Réjean Lachapelle a montré aussi, dans une application théorique (Lachapelle, 1990), que pour un même taux d’accroissement annuel de la population, un redressement de la fécondité rajeunit davantage la structure par âge qu’une hausse de l’immigration : une hausse de l’immigration, tout comme la fécondité, conduit à une hausse de la fraction des moins de 20 ans et à une baisse de celle des 65 ans et plus, mais l’effet est plus faible. L’immigration aurait des effets particulièrement visibles chez les adultes, la concentration des immigrants parmi les jeunes adultes provoquant une hausse notable de leur représentation.

Ledent mettait en évidence, rappelons-le, que cette complémentarité des actions (en matière de fécondité et d’immigration) était vraiment essentielle si le Québec voulait éviter le déclin de sa population :

[…] sur le plan de l’action gouvernementale, la possibilité d’enrayer le déclin prévisible de la population québécoise requiert non pas la poursuite mais bien l’accentuation du rôle volontariste présentement exercé par le gouvernement. A priori, l’accentuation doit être portée sur les deux composantes car, s’il se produisait un relâchement vis-à-vis de l’une ou l’autre, alors l’effort à faire vis-à-vis de l’autre composante serait formidable.

p. 68

La dernière édition des perspectives démographiques du Québec (Institut de la statistique du Québec, 2009) retient comme scénario de référence une fécondité de 1,65 enfant par femme au lieu de celle de 1,5 posée dans l’édition de 2003 et une migration nette projetée de + 30 000 personnes au lieu de + 19 000.

Laissons la parole aux auteurs de ces nouvelles perspectives :

La présente mise à jour des perspectives démographiques du Québec démontre que les paramètres de croissance actuels de la population, s’ils se perpétuaient, pourraient assurer un renouvellement constant de la population, et ce, même s’ils n’impliquent pas une fécondité de 2,1 enfants par femme. Cet équilibre n’est cependant obtenu qu’à travers le maintien de l’immigration à un niveau rarement atteint, soit 47 500 immigrants annuellement.

p. 118

En analysant l’évolution de la population projetée dans l’édition de 2009, ils précisent :

Avec un solde migratoire annuel total qui passe de + 19 000 à + 30 000, c’est le changement des hypothèses de migration externe (internationale et interprovinciale combinées) qui influence le plus l’écart de population projetée en 2031[1], avec une part de 52 %. La nouvelle hypothèse de fécondité participe à plus du quart de la correction (27 %), tandis que la population de départ en 2007 et la nouvelle hypothèse de mortalité contribuent à hauteur d’environ 10 % chacune.

p. 117

Et qu’en est-il des effets bénéfiques sur l’effectif de certains groupes d’âge ?

Voués quant à eux au déclin de leur effectif dans les précédentes éditions des projections, les 0-19 ans et les 20-64 ans se dirigent maintenant vers une certaine stabilité, ce qui représente un changement de perspective peu anodin.

Alors que le réseau scolaire pouvait s’attendre jusqu’à tout récemment à planifier ses activités sur la base d’une population de 1 620 000 jeunes de 0-19 ans en 2012, c’est maintenant 1 720 000 que l’on attend cette même année, soit 100 000 de plus. Auparavant prévue pour 2013, la baisse des effectifs de la population en âge de travailler, les 20-64 ans, est dorénavant repoussée en 2016. Le déclin serait également de courte durée, car on peut s’attendre à ce qu’une stabilité autour de 4,8 millions de personnes soit atteinte vers 2026. Ces résultats laissent entrevoir de nouveaux enjeux, notamment ceux reliés au renouvellement de la main-d’oeuvre.

p. 117-118

Quant au rapport de dépendance :

Si le déclin de la population québécoise n’est plus envisagé à court ou moyen terme dans le nouveau scénario de référence, le défi du déséquilibre démographique demeure colossal. Avec la hausse projetée du nombre des naissances, c’est même une augmentation du rapport de dépendance qui s’annonce : en 2025, il serait de 78 dépendants démographiques pour 100 personnes en âge de travailler, tandis que la précédente projection annonçait 75 pour 100. La hausse de trois points du rapport projeté à cette année précise se décompose en une augmentation relative de quatre personnes de moins de 20 ans, compensée par la diminution relative d’une personne de 65 ans et plus par tranche de 100 personnes de 20 à 64 ans. Cela ne signifie pas que l’effectif projeté des 65 ans et plus s’amoindrit ; il s’agit plutôt de l’effectif des 20-64 ans au dénominateur qui est révisé plus fortement à la hausse. En somme, la nouvelle projection rapproche d’environ deux ans l’augmentation du rapport de dépendance en raison d’un plus grand nombre de jeunes que ne l’avait prévu l’édition 2003.

p. 118

Suite à ces nouvelles projections de population, des chercheurs et collaborateurs de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques (Godbout et collab., 2009) ont actualisé les résultats présentés dans une étude antérieure (Godbout et collab., 2007).

Mettons en évidence certains de leurs résultats :

  • Conjuguées aux hypothèses concernant le marché du travail établies par les auteurs, les nouvelles projections démographiques de l’ISQ engendrent une augmentation de près de 395 000 travailleurs au cours de la période 2006-2051 au lieu d’une diminution de 216 500 personnes. En 2051, avec les données de l’édition de 2003, les auteurs estimaient que 3 500 000 personnes auraient été en emploi par rapport à 4 110 000 avec les données de l’édition de 2009.

    Godbout et collab., 2009 : 202
  • Cette hausse du nombre de travailleurs devrait engendrer une croissance économique plus forte. « Les nouvelles perspectives démographiques permettent d’anticiper un taux de croissance du PIB plus élevé que lors des projections faites lors des perspectives démographiques de 2003. La croissance du PIB réel oscillera donc entre 1,4 % et 1,8 %, comparativement à 1,1 % 1,3 % auparavant ».

    Godbout et collab., 2009 : 202
  • La projection du budget de l’État jusqu’en 2051 conduit toutefois à la même impasse budgétaire pour les prochaines décennies. En effet, si d’un côté une croissance démographique plus forte engendre des revenus supplémentaires pour l’État, de l’autre, le nombre de personnes pour lesquelles les dépenses sont engendrées serait aussi supérieur provoquant une hausse des dépenses « […] les nouvelles perspectives démographiques entraînent dans un premier temps un ratio de déficit sur le PIB plus élevé en 2021 (1,3 % comparativement à - 0,9 %) avant de conduire à un ratio identique en 2031. Ce n’est vraiment qu’à long terme que l’on peut apercevoir une légère amélioration, où le ratio du solde budgétaire déficitaire passerait de 4,5 % à 4,0 % en proportion du PIB. […] Cela ne signifie nullement qu’une hausse de la fécondité et de l’immigration n’est pas souhaitable, au contraire, mais simplement qu’une telle évolution ne constitue pas une solution efficace au problème des finances publiques dans l’horizon envisagé ».

    Godbout et collab., 2009 : 205

Les auteurs du Remède imaginaire n’acceptent pas, quant à eux, la complémentarité des effets bénéfiques sur le long terme : « […] la migration ne doit pas être perçue comme un remède efficace aux problèmes du vieillissement démographique, mais plutôt comme une mesure très limitée pour en réduire certaines conséquences à court terme » (p. 57). Pourtant, les occasions ne manquent pas dans ce livre de faire valoir la complémentarité d’effets bénéfiques. Ainsi, ils font état de la hausse récente de la fécondité, augmentation qui « permet maintenant, et pour la première fois depuis de nombreuses années, d’envisager un avenir sans déclin substantiel de la population » (p. 63), sans faire aucune mention au solde migratoire, ni à la combinaison de facteurs permettant d’éviter le déclin. De surcroît, ils citent l’article de Bijak et collab. (2008), tout en ne retenant pas leur démonstration de la nécessité de la complémentarité des actions :

Seule une combinaison de politiques visant à accroître le taux de fécondité et la participation au marché du travail, de pair avec un niveau raisonnable d’immigration, peut contribuer à faire face aux défis socioéconomiques que pose le vieillissement de la population.

Citation traduite dans le Remède imaginaire, p. 57

Ces auteurs demandent aux décideurs de poser les gestes qui s’imposent dans le présent, s’ils veulent éviter de devoir les poser à des coûts sociaux plus élevés : « the sooner, the better » (p. 340).

Dans leur article, nous trouvons les taux de migration internationale calculés pour 27 pays européens selon les hypothèses de migration retenues dans le scénario de base. Le taux serait de 2,41 pour 1 000 habitants en 2052 (p. 328). Nous avons calculé, à partir du scénario de référence de l’ISQ que le taux de migration internationale correspondant serait de 4,36[2] pour 1 000 habitants au Québec en 2051 alors qu’il serait de 6,53[3] à l’échelle canadienne en 2051-2052 (Statistique Canada, 2010).

Une simulation surprenante

Marois a développé, pour son essai, un modèle permettant de simuler ce qu’aurait pu être la population du Québec en 2006 dans un univers hypothétique où il n’y aurait pas eu d’immigrants au cours de la période 1971-2006. Il précise que les probabilités de fécondité, mortalité, émigration et migrations interprovinciales ont été calculées pour chacune des années de 1971 à 2006 et pour chaque âge et sexe. Il applique par la suite ces probabilités à la population initiale de 1971 de manière à reconstituer son histoire démographique sans immigration.

Reconnaissons d’entrée de jeu que cette période est bien différente de la situation démographique actuelle et de celle que nous réserve l’avenir. On peut donc questionner la raison d’être de cette simulation, non pas qu’elle ne soit pas intéressante, bien au contraire, mais celle-ci retient la période faste des générations nombreuses de femmes en âge de procréer. Or, l’avenir sera bien différent. Déjà au cours de la décennie 1990, « les cohortes nombreuses de femmes issues du baby-boom étaient graduellement remplacées aux âges les plus féconds par des cohortes plus petites » (Girard et St-Amour, 2010: 31).

Signalons aussi que la simulation surestime la fécondité, l’émigration et la migration nette interprovinciale de la population non alimentée par l’immigration en lui appliquant les probabilités calculées pour l’ensemble. En ce qui concerne la fécondité des natives, elle est en effet quelque peu inférieure à la fécondité calculée pour l’ensemble des femmes du Québec sur la période (Street, 2009 : 14, tableau 10). Cela peut sembler négligeable mais est-ce vraiment le cas lorsque l’on est en présence au cours de ces années des générations nombreuses de femmes en âge de procréer issues du baby-boom ? Les naissances annuelles sont surestimées et cela se répercute sur la population âgée de moins de 35 ans en 2006 ; ce qui a pour effet de sous-estimer les écarts entre la population réelle et celle de la simulation à ces âges.

L’effet est inversé quant à l’émigration internationale et à la migration interprovinciale : on surestime les pertes migratoires nettes subies par la population sans immigration, elle est ainsi sous-estimée.

Si l’on fait abstraction de ces deux inconnues, les résultats de la simulation témoignent de l’effet significatif de l’immigration internationale sur l’effectif total de la population : le Québec aurait compté 900 000 personnes de moins en 2006. Les résultats annuels de la simulation, en ce qui concerne la taille de la population, sont illustrés à la figure 2.2 ; ils permettent de vérifier que la population du Québec, estimée à 6,1 millions en 1971, aurait atteint sans immigration, les 6,5 millions de personnes vers 1986-1987, taille qui a été atteinte dans les faits en 1980. Non alimentée par l’immigration, la population québécoise aurait crû légèrement jusqu’en 1997, ne dépassant les 6,8 millions d’habitants, et demeurerait depuis dans cet ordre de grandeur. Chez les 15-64 ans, il y aurait 600 000 personnes de moins en 2006 : « 4,7 millions contre 5,3 millions », précise Marois.

Il est possible aussi d’observer, à la figure 2.3, l’impact de l’immigration allant dans le sens d’un rajeunissement de la structure par âge, la population sans immigration montrant un profil rétréci aux âges inférieurs à 40 ans et élargi aux âges suivants par rapport à la pyramide des âges de 2006.

Si on délaisse le passé pour s’intéresser au futur, il est possible de vérifier à l’aide d’un scénario que l’on trouve dans les perspectives de population de l’ISQ l’impact d’une migration nulle (Institut de la statistique du Québec, 2009 : scénario F).

Outre le fait que la population s’accroît dans une moindre mesure, ce scénario génère une structure par âge plus vieille que celle du scénario A (le scénario de référence), portant l’âge médian à 49,3 ans en 2056 [au lieu de 46,4 ans]. L’apport migratoire ralentit donc quelque peu le vieillissement de la population du Québec.

p. 35

Nous avons aussi vérifié l’impact sur les groupes d’âge de moins de 15 ans, de 15-64 ans et de 65 ans et plus ainsi que sur le rapport de dépendance. En 2056, les 15-64 ans verraient leur effectif réduit à 3,9 millions par rapport à 5,3 millions projeté selon le scénario de référence. Ils représenteraient 54,4 % de la population totale comparativement à 57,5 %. L’effectif des 65 ans et plus serait aussi moins élevé (2,3 millions contre 2,6 millions) ; cependant, leur importance relative dans la population totale augmenterait de 4 points (32,2 % par rapport à 28,0 %). Pour chaque 100 personnes en âge de travailler, il y aurait 59 personnes âgées de 65 ans et plus comparativement à 49 dans le scénario de référence.

Chez les moins de 15 ans, l’effectif qui varie peu dans le scénario de référence subit une baisse continue dans le scénario F, après 2020. En 2056, au lieu de 1,3 million, l’effectif est inférieur à un million (969 000). Étant dans une population moins nombreuse, la part relative se situe à 13,5 %, soit un écart d’un point seulement avec celle du scénario A (14,5 %). Rapporté à l’effectif de 15-64 ans, le rapport est le même si on ne tient pas compte des décimales : pour chaque 100 personnes en âge de travailler, il y aurait 25 enfants âgés de moins de 15 ans.

Au total, le rapport de dépendance est de 84 « dépendants » dans le scénario F comparativement à 74 dans le scénario de référence. À remarquer que les deux scénarios projettent la même fécondité (1,65 enfant par femme). Certes, on est ici dans un cas limite : aucune migration.

Cela nous amène donc à préciser que la juxtaposition de deux courbes traçant les rapports de dépendance totaux de la population sans immigration et de la population réelle pour la période 1971-2006, que l’on trouve à la figure 2.4 (p. 50), est tout à fait normale. En effet, contrairement à ce que réserve l’avenir, cette période s’illustre par l’arrivée massive des générations du baby-boom venant grossir l’effectif des 15-64 ans jusqu’en 1981 (la génération de 1966 arrivant à ses 15 ans). Ce grand groupe d’âge continue par la suite de bénéficier de la présence de toutes les générations nombreuses, n’étant en 2011 qu’au tout début du processus des boomers passant dans le groupe des aînés. Dans un tel contexte, les rapports de dépendance ne peuvent commencer à se distancer que lorsque le temps aura permis d’obtenir des parts relatives différentes sur les groupes d’âge en présence. La figure 2.4 montre que c’est vers 1996 que les rapports de dépendance totaux commencent à se distancer. Cela contraste fortement des rapports de dépendance discutés précédemment dans le cadre des perspectives de l’ISQ à l’horizon 2056.

La contribution de l’immigration visant à mieux positionner le Québec, en complémentarité avec les autres attributs de population, est une réalité. Il ne faut pas exagérer ce qu’elle est en mesure de faire, mais il faut reconnaître ses apports. En effet, « ne pas exagérer » ne veut pas dire lui refuser d’occuper la place qui lui revient sur le plan démographique.

Deux visions

Si l’immigration est devenue un enjeu majeur pour le Québec, c’est parce qu’elle s’inscrit dans une perspective de développement de la société distincte. En effet, aujourd’hui davantage qu’hier, le Québec veut et doit associer l’immigration à quatre défis, largement interdépendants, dont dépend son avenir :

  • le redressement démographique,

  • la prospérité économique,

  • la pérennité du fait français,

  • l’ouverture sur le monde.

C’est par ces mots que le gouvernement du Québec a clairement exprimé sa volonté de faire de l’immigration un facteur de développement de la société québécoise (Ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration, 1990a : 8). Il reconnaissait que cette contribution dépend non seulement du recrutement et de la sélection des candidats à l’immigration mais aussi et tout autant de la volonté et de l’habileté de la société québécoise, en tant que société d’accueil, à faciliter l’intégration des immigrants à leur société d’adoption résolument francophone, démocratique et pluraliste. L’immigration et l’intégration deviennent dès lors deux axes indissociables du projet de société.

Contrairement à ce que Dubreuil et Marois croient, ce n’est pas tout récemment, et en vue de « soulager les finances publiques » (p. 149), que le Québec a haussé ses volumes d’immigration. C’est depuis le milieu des années 1980 que le Québec poursuit une politique d’ouverture dans la mesure de ses capacités (incluant l’immigration familiale et humanitaire), axée sur la hausse des volumes d’immigration et sur une priorité accordée à la sélection des immigrants de la catégorie économique. Cette volonté a été fortement affirmée dans le cadre de l’Énoncé de politique de 1990.

L’immigration n’a pas un rôle instrumental et ne doit pas servir à remédier à des aléas. Le rôle de l’immigration découle de la vision prospective de la société. On ne demande pas à l’immigrant de sauver le Québec mais de participer à son développement.

L’immigration internationale : un phénomène complexe qui mérite d’être traité correctement

Nous nous en tenons à la présente analyse critique. Il y a d’autres aspects qui mériteraient d’être revisités et de faire l’objet d’un traitement en profondeur. Nous pensons à l’incidence de l’immigration sur la composition de la population québécoise, telle qu’abordée rapidement à la fin du chapitre 2 où il est question de l’essor des tierces langues, de la composition de la population de l’île de Montréal par rapport aux autres régions.

Il en est de même pour plusieurs points soulevés par les auteurs dans le volet économique. Leur façon de statuer sur les performances économiques des immigrants admis au Québec dans les décennies 1980, 1990 et 2000 est certes critiquable, n’apportant pas d’éléments de contexte nécessaires à la compréhension de ce qu’ils constatent ; mentionnons des éléments explicatifs relativement à la composition du mouvement migratoire, à la baisse du poids relatif des cohortes anciennes à travers les recensements, au vieillissement de la population native à travers les recensements et son incidence sur les écarts observés. Leur remise en cause de la transférabilité du capital humain demanderait à elle seule un traitement en soi.

Par ailleurs, des commentaires devraient aussi être apportés dans les chapitres critiquant les politiques et programmes d’immigration et d’intégration au Québec (sélection, programme des aides familiales résidantes, immigrants investisseurs), afin de faire ressortir les tenants et aboutissants de ceux-ci.

Le livre, avec l’intention qu’avaient leurs auteurs « [de] se tenir à l’abri de la conjecture et [de] mobiliser la documentation empirique disponible tout en reconnaissant ses limites » (p. 307), aura été une contribution au questionnement sur l’immigration. Cependant, son analyse aura permis au bout du compte de réaffirmer que l’immigration a un impact réel et complémentaire.

En conclusion

L’étude de sept pays membres de l’OCDE — l’Australie, le Canada, les États-Unis, la Finlande, la France, l’Irlande et le Japon — permet d’identifier les nombreuses difficultés que les États doivent affronter pour traiter les questions de long terme, tout particulièrement le cas du vieillissement démographique par nature si complexe et concernant de multiples secteurs. (OCDE, s. d. : 1)

Parmi les difficultés énoncées, mentionnons celle relative à la création d’un consensus et un appui politique durable pour des politiques qui entraînent des effets importants de développement.

Godbout et collab. (2009) proposent pour le Québec une caisse démographique réversible pour égaliser la charge fiscale entre les générations en vue d’assurer ainsi l’équité intergénérationnelle.

Ces sommes proviendraient de l’augmentation des impôts, taxes et tarifs d’un pourcentage uniforme et constant du PIB de 2007 à 2051. Ces recettes fiscales supplémentaires s’accumuleraient dans un fonds (avec les intérêts) pendant un temps, puis seraient ultérieurement dépensées au profit des générations futures, selon des paramètres démographiques préétablis.

Dans le scénario démographique de référence de 2003, la hausse de recettes fiscales nécessaire pour appliquer cette stratégie équivalait à 1,5 % du PIB sur la période 2007 à 2051. Les nouvelles perspectives démographiques de 2009 font croître ce ratio à 1,67 % du PIB. Ainsi, donc, l’ampleur accrue des déficits à brève échéance découlant des nouvelles perspectives démographiques, limite l’accumulation de fonds et le rendement sous-jacent dans les premières décennies et augmente l’importance des versements requis dans la caisse démographique. (p. 206-207)

Dans Oser choisir maintenant. Des pistes de solution pour protéger les services publics et assurer l’équité entre les générations, Godbout et collab. (2007), identifiaient, outre un investissement nettement plus substantiel dans le Fonds des générations que celui prévu par le gouvernement, un certain nombre de mesures « afin de diminuer au préalable la facture démographique : promouvoir la natalité et l’immigration ; encourager le développement économique en maximisant la croissance de la productivité par l’investissement dans le capital humain, le capital matériel, le capital technologique et les infrastructures ; s’assurer que les régimes de retraite et la fiscalité n’encouragent pas indûment les retraites hâtives ; poursuivre une gestion serrée des dépenses gouvernementales en réorganisant la santé ; accroître les recettes gouvernementales en combattant l’évasion et les paradis fiscaux, en réglant l’épineuse question du déséquilibre fiscal et en tarifant mieux les services publics » (p. 8).

En ce qui concerne l’immigration internationale, reconnaissons que les effets positifs se font sentir sur le court, moyen et long terme. L’immigrant admis au Québec investit de sa personne et assume des coûts liés à son projet migratoire, persuadé que ses efforts seront récompensés pour lui et ses enfants. Faisons en sorte que cette personne et la société qui l’accueille en sortent toutes deux gagnantes. Le Québec s’est donné les moyens et une tribune extraordinaire pour y parvenir. Sachons bien nous en servir.