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Introduction

La violence politique a durement éprouvé l’Algérie durant la décennie 1991-2000, appelée souvent « décennie noire ». Des études antérieures ont souligné l’importance des facteurs démographiques, économiques et sociaux dans l’instabilité politique (Coquery-Vidrovitch, 1990 ; El-Kenz et Jabi, 1996 ; Kateb, 2004). Les études sur le rôle que joue la croissance démographique dans la déstabilisation politique en Afrique sont encore rares en raison, en grande partie, du manque de données fiables. En Algérie, l’histoire politique récente, si elle évoque le rôle de la croissance démographique, en particulier le chômage des jeunes, se concentre principalement sur les variables politiques et les acteurs (voir par exemple Martinez, 2004). En utilisant une combinaison de données démographiques agrégées, ce travail cherche à examiner les effets de la violence politique sur les variables démographiques dans les différentes wilayates (provinces) du pays.

Bien que cet essai explore la relation entre la violence politique et l’évolution démographique, il se concentre sur le comportement démographique de la population, pendant et après la décennie noire, et non sur l’ensemble des liens entre croissance démographique et violence politique. Il y a en effet deux relations distinctes : une en amont qui identifie les mécanismes démographiques ayant fourni les jeunes aux groupes terroristes, et une en aval qui identifie les effets sur la démographie locale de la violence, étant entendu que la violence a été surtout projetée sur des zones bien déterminées.

De plus, la violence ayant considérablement diminué depuis les années 2000, il était tentant d’essayer d’évaluer comment la fécondité, la mortalité et la migration ont changé en parallèle. Il manque grandement d’études pour identifier les mécanismes ayant conduit à cette reprise.

Les estimations à l’échelle locale peuvent-elles ajouter un éclairage supplémentaire aux données nationales ? Comment la violence a-t-elle affecté la dynamique des populations dans les différentes régions du pays, sachant que les Algériens ont migré au cours de la période de la violence tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays ? La reprise est-elle systématiquement observable au niveau local, ou bien dans certaines wilayates seulement ?

Pour répondre à ces questions, nous allons présenter un profil démographique d’ensemble des 48 wilayates en termes de fécondité, de mortalité et de migration interne. Nous allons voir que les méthodes indirectes peuvent fournir avec souvent une précision acceptable des estimations locales à partir des données nationales. L’objectif de cet article est donc double : évaluer l’efficacité de ces techniques indirectes en identifiant les faiblesses potentielles, et mettre en évidence, au niveau régional, l’impact différentiel des troubles politiques sur la dynamique des populations locales.

Il convient cependant de limiter l’ambition de ce travail exploratoire : il n’est pas question de prétendre fournir au terme de cet exercice un tableau complet et précis de la dynamique des 48 wilayates en termes de fécondité, de mortalité et de migrations. Tout au plus, ce travail de défrichage pourrait permettre d’identifier des pistes pour des recherches approfondies. Par ailleurs, la comparaison des estimations directes et indirectes permettra de mettre en exergue les spécificités, les limites, voire même certaines incohérences dans les données disponibles.

Portrait d'ensemble

Le contexte algérien

Dans un autre article, nous avons analysé les déterminants démographiques de la crise algérienne (Kouaouci, 2004). Le cadre théorique développé par McNicoll (1984) sur les conséquences d’une croissance démographique rapide s’était avéré fort utile pour décrire ce que bon nombre de sociétés occidentales ont connu : le baby-boom d’après-guerre. Ce phénomène a été décrit abondamment et sa contribution au changement social établie (voir par exemple Glick, 1988). Lorsque les cohortes de jeunes issues du baby-boom arrivent à l’âge adulte, un problème particulier de déficit de femmes à marier surgit, dû au fait que les hommes épousent en général des femmes plus jeunes. En Algérie, le sommet de la natalité fut observé en 1970, mais le nombre absolu de naissances a continué à augmenter jusqu’en 1985. Après 1985, l’effectif des naissances commença à baisser, et par conséquent les jeunes hommes nés en 1985 ne trouveront pas tous une femme à marier née en 1990 (de 5 ans plus jeune) si la différence d’âge entre conjoints devait rester constante.

En Algérie, la crise de l’emploi est apparue plus tôt que le déséquilibre du marché matrimonial, accélérant ainsi le recul de l’âge au mariage. Le poids de ces jeunes arrivant massivement sur le marché du travail va obliger la société à changer, le système en place ne pouvant les intégrer. Ces changements toucheront nécessairement les principales institutions de la société : la famille et les sous-systèmes économique, politique et culturel. Ces jeunes, qui apparaissent comme produit d’une croissance démographique soutenue, peuvent être considérés comme les principales victimes de cette transition, mais aussi comme son principal moteur de changement.

Malheureusement, les principaux changements en Algérie se sont produits au plus mauvais moment : les émeutes de 1988, connues comme « émeutes de la faim » en Tunisie et au Maroc ou encore « émeutes du FMI » ailleurs en Afrique, sont liées aux conditions imposées par le FMI et la Banque Mondiale aux pays endettés ne pouvant honorer le remboursement de leurs dettes. Parmi ces conditions, la suppression des subventions du gouvernement aux produits de première nécessité frappe de plein fouet les classes populaires. Pour l’Algérie, qui paie l’essentiel de ses importations (y compris alimentaires) par les devises de ses hydrocarbures, la baisse du prix du pétrole de 1986 sonne le glas du système politique de l’État providence en vigueur depuis l’indépendance en 1962. Les émeutes de 1988, réprimées dans le sang, vont ouvrir une crise politique que le régime essaiera d’apaiser par l’adoption du multipartisme sur le plan politique, mettant fin à plus de trente ans de domination du parti unique FLN, et vont conduire à une libéralisation économique. Très vite, le Front islamiste de salut (FIS) apparaît comme le parti qui mobilise les masses populaires, et sa montée en puissance est stoppée par les chefs de l’Armée nationale populaire. Le conflit armé commence en décembre 1991, quand les élections parlementaires sont annulées et que le chef de l’État est poussé vers la démission, un Haut-Conseil d’État dominé par l’armée prenant les rênes du pouvoir. La suite des événements est catastrophique : l’interdiction du FIS et l’arrestation de milliers de ses membres ouvra la porte à la constitution de différents groupes de guérilla, qui commencent une lutte armée contre les forces gouvernementales. Si peu de localités échappent à la violence, une dizaine de wilayates autour de la capitale, Alger, sont principalement touchées.

Portrait démographique

L’Algérie a payé un lourd tribut à la violence : les estimations statistiques varient entre 50 000 et plus de 200 000 morts, des milliers de disparus et des centaines des milliers de déplacés ou exilés, la population abandonnant champs et maisons — mais aussi zones explosives urbaines — pour échapper aux violences terroristes et à la répression féroce des forces de l’ordre.

Cette instabilité s’est reflétée par une baisse globale des mariages et des naissances, et par de larges mouvements migratoires. L’Algérie était bien engagée dans sa transition démographique, ce qui a accentué la baisse de la fécondité. Ainsi, le recensement de 1998 a fourni une pyramide des âges avec une base rétrécie, signe de la baisse de la natalité et de la progression de la transition démographique (figure 1). Dans le même temps, la mortalité a également baissé au niveau national, ce qui laisse présager que les bouleversements qu’ont connus certaines wilayates ne peuvent être révélés que par les estimations à l’échelle locale.

Les résultats du recensement de 2008 indiquent au contraire que le pays se remet rapidement de la décennie noire, avec des mariages et des naissances en hausse au cours des cinq dernières années. La pyramide des âges à base élargie illustre un baby-boom, phénomène de rattrapage après ce qui peut être considéré comme une période de guerre (figure 2). Plus précisément, en examinant les structures par âge et sexe en 2008 dans les 48 wilayates, nous notons que pour chacune d’entre elles le groupe des 0-4 ans est plus nombreux que le groupe des 5-9 ans, ce qui illustre l’augmentation du nombre de naissances entre 2004 et 2008.

Figure 1

Pyramide des âges, Algérie 1998

Pyramide des âges, Algérie 1998

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Figure 2

Pyramide des âges, Algérie 2008

Pyramide des âges, Algérie 2008

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Méthodologie des estimations indirectes

Intérêt et limites de la démarche

L’Office National des Statistiques (ONS) fournit assez rarement des estimations démographiques au niveau de la province (wilaya). En général, l’ONS publie des tables de mortalité nationales et des séries de fécondité au niveau national, à l’exception d’une publication basée sur le recensement de 1998 qui a estimé les taux de fécondité de manière classique au niveau de la province. Or, pour mettre en évidence l’impact de la violence, l’approche locale est primordiale : les vastes mouvements de population, pour ne parler que des migrations internes, ont redistribué la population au profit des grandes villes, et ces populations avec des profils de fécondité et de mortalité différents ont probablement contribué au changement démographique dans ces grandes villes. Il était donc tentant de recourir à des estimations indirectes pour décrire ces changements induits par les migrations internes. En effet, les méthodes indirectes, entre autres celles développées par le US Bureau of the Census, permettent de fournir une estimation du nombre net de migrants entre deux recensements, de fournir des séries de taux de fécondité ainsi que des estimations de l’espérance de vie à la naissance au niveau local.

Ces techniques ont parfois été critiquées, et nous avons même montré dans un autre travail que, pour la mortalité, la table ADJMX du US Bureau of the Census n’était pas exacte et que seule l’espérance de vie à la naissance était utilisable avec une marge d’erreur n’atteignant pas 5 %. Bien entendu, ces estimations indirectes ne doivent être utilisées qu’à bon escient et en l’absence de données fiables suffisantes pour procéder à des calculs précis par les méthodes directes.

Cette approche se justifie donc, car aucune estimation directe n’existe à ce jour en Algérie pour l’espérance de vie à la naissance ou le nombre net de migrants par province. Nous pouvons en revanche comparer les estimations indirectes de la fécondité par province avec les calculs directs sur la base du recensement de 1998.

Les données

L’Algérie dispose de trois recensements généraux de population et de l’habitat (RGPH), ceux de 1987, 1998 et 2008, sur la base de la même division en 48 wilayates. La dizaine de wilayates du sud recouvre environ 90 % du territoire et seulement un peu plus de 5 % de la population.

La période 1987-2008, délimitée par deux des RGPH (1987 et 2008), a été choisie pour mesurer les niveaux et les tendances des principaux paramètres démographiques, afin de faire ressortir l’impact de la décennie noire sur le niveau de fécondité, de mortalité et de migrations par wilaya. Les structures par âge et par sexe des 48 wilayates ont été obtenues à partir des trois recensements, 1987, 1998 et 2008.

Figure 3

Subdivision de l’Algérie en 48 wilayates

Subdivision de l’Algérie en 48 wilayates

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L’exploitation des données de ces recensements est partielle, limitée essentiellement à l’information identifiée comme prioritaire. Les méthodes utilisées sont pour la plupart des méthodes directes, qui fournissent des indicateurs démographiques nationaux ou décomposés en secteurs d’habitat urbain/rural. Les estimations de l’espérance de vie à la naissance, de la migration interne ou des taux de fécondité par wilaya ne sont cependant pas régulièrement publiées.

Pour la fécondité, nous avons utilisé les données d’une enquête réalisée en 2006 (MICS 3, voir ministère de la Santé, de la population et de la réforme hospitalière/ONS, 2008) ainsi que les données par wilaya tirées de l’état civil. Pour la mortalité, nous avons utilisé les tables de mortalité nationales publiées par l’ONS pour 1993 et 2007 (ONS, 2008), ainsi que les statistiques sur les naissances et les décès publiées par wilaya (ONS, 2007).

Le principe de l’estimation indirecte

Les procédures utilisées ici sont connues sous le nom de PAS (Population Analysis Software) (US Bureau of Census, s. d.). Ce sont les procédures ADJMX, ADJASFR et CSMIGR. Ce travail est exploratoire : c’est la première fois que ce type d’analyse est effectué sur les 48 wilayates de l’Algérie. Auparavant, de nombreux étudiants ont néanmoins appliqué ces méthodes à leur wilaya natale, sous la supervision de l’un des auteurs.

Les programmes ADJMX, ADJASFR et CSMIGR[1] sont basés sur la standardisation indirecte, popularisée par Louis Henry, illustre démographe français. Cette méthode est utilisée pour comparer les taux de mortalité ou de natalité dans différentes populations lorsque les effectifs sont trop réduits pour fournir des événements suffisants pour chaque groupe d’âge, ou lorsque les taux par âge ou la structure par âge ne sont pas bien connus. L’idée est d’utiliser une série de taux comme standard auquel on applique la structure par âge des différentes populations pour estimer un « nombre attendu » d’événements (naissances, décès ou migrants nets). Ce nombre d’événements divisé par le nombre d’événements observés nous donne un indice comparatif.

Les experts du Bureau du recensement ont ajouté une étape : au lieu de simplement comparer les populations sur la base des indices comparatifs, ils ont utilisé le ratio « nombre d’événements attendus sur nombre d’événements observés » pour corriger la série standard et obtenir une nouvelle série applicable à la population concernée : lorsqu’on travaille sur une population nationale en la décomposant en sous-populations, la série pour une sous-population donnée est alors tout simplement dérivée de la série nationale, le facteur de correction étant le ratio « événements attendus/événements observés ». Ainsi, en comparant les populations nationales et régionales, on peut estimer les taux de fécondité, l’espérance de vie à la naissance et les nombres nets de migrants.

Exemple d’application : la wilaya d’El-Oued en 2006

Dans l’exemple d’application ci-dessous, nous avons utilisé ADJASFR pour estimer les taux de fécondité de la wilaya d’El-Oued à partir des taux de fécondité nationaux, des effectifs de femmes d’El-Oued d’âge reproductif et des naissances annuelles à El-Oued. Quant à ADJMX, il permet de manière similaire d’estimer l’espérance de vie à la naissance à partir des décès annuels, de la structure par âge et des taux de mortalité par âge au niveau national (voir Kouaouci, 2005, pour un exemple d’exploitation avec des données canadiennes).

L’avantage de ces techniques est leur simplicité d’application, ainsi que la disponibilité des données nécessaires. Comme les estimations locales sont dérivées de schémas nationaux, on doit toujours partir de recensements exhaustifs de la population et d’une série de taux de fécondité ou de mortalité au niveau national. Pour obtenir les taux de fécondité d’une localité, il suffira d’utiliser le nombre de naissances annuelles de cette localité, la structure par âge des femmes en âge de procréer et la série de taux de fécondité de la population-mère.

Les données nécessaires pour l’exemple choisi, soit la wilaya d’El-Oued en 2006, sont les suivantes (en bleu dans ADJASFR, soulignées dans le tableau 1) :

  • Les naissances annuelles enregistrées : 17 726

  • La population totale de la wilaya en 2006 (pour le calcul du taux brut de natalité) : 623 487

  • L’effectif des femmes de 15-49 ans, par groupe d’âge

  • La série de taux de fécondité par groupe d’âge pour la population nationale (MICS 2006).

Les résultats (présentés en gris dans la feuille EXCEL, voir tableau 1) sont :

  • Naissances « attendues » par groupe d’âge, obtenues en multipliant simplement le nombre de femmes selon l’âge par les taux de fécondité nationaux

  • Naissances ajustées obtenues en appliquant la répartition proportionnelle des naissances « attendues » au nombre total de naissances observées

  • Série ajustée des taux de fécondité pour la wilaya d’El-Oued et indice synthétique de fécondité (4,58).

Tableau 1

Disposition des calculs dans la feuille ADJASFR

Disposition des calculs dans la feuille ADJASFR

Abréviations : CBR : Crude Birth Rate/Taux brut de natalité pour 1000 ; TFR : Total Fertility Rate/Indice synthétique de fécondité.

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Comparaison des estimations directes et indirectes de l’ISF en 1998

L’ONS a publié un document basé sur les résultats du RGPH 1998 et consacré à la natalité, la fécondité et la reproduction pour chacune des 48 wilayates (ONS, 2001).

Nous avons comparé ces calculs directs pour l’ISF aux mesures indirectes obtenues par ADJASFR. Pour 4 wilayates seulement, la différence relative entre les deux estimations est supérieure à 5 % (elle est respectivement de 6 %, 6 %, 7 % et 9 %). Pour toutes les autres wilayates, nous pouvons affirmer qu’ADJASFR fournit une estimation acceptable de l’ISF. Nous pouvons donc conclure qu’il est justifié d’utiliser cette procédure pour comparer l’ISF entre les différentes wilayates et périodes en Algérie.

Tableau 2

Comparaison des estimations directes et indirectes de l’ISF en 1998

Comparaison des estimations directes et indirectes de l’ISF en 1998

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Comparaison entre estimations directes et indirectes

Migrations

Le tableau 3 montre le nombre net de migrants entre 1987 et 1998 et entre 1998 et 2008, ainsi que les calculs directs de l’ONS pour la période intercensitaire 1987-1998.

La technique indirecte fournit pour la période 1987-1998 un nombre net de migrants de 17 574, à comparer aux 35 239 obtenus par calcul direct.

Tableau 3

Comparaison des estimations directes et indirectes du nombre net de migrants entre les recensements de 1987 et 1998

Comparaison des estimations directes et indirectes du nombre net de migrants entre les recensements de 1987 et 1998

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Quelques remarques s’imposent.

La technique indirecte est basée sur des taux de présence au recensement. Le nombre net de migrants est estimé par différence, pour chaque wilaya, entre les effectifs « attendus » par âge et par sexe, selon les taux de présence au niveau national, et les effectifs réellement recensés au deuxième recensement. Par conséquent, les migrants dont il est question incluent des immigrants de l’étranger, et la présence aux deux recensements n’est pas une condition nécessaire.

À l’inverse, le tableau origine-destination des migrants intercensitaires classique implique plusieurs conditions strictes, dont la présence aux deux recensements dans une des wilayates du pays, ce qui implique des personnes présentes et survivantes aux deux recensements. Par conséquent, les personnes qui ont immigré entre le premier et le deuxième recensement ne peuvent être prises en compte dans le calcul. De ce fait, la somme des entrants et des sortants doit donner zéro, puisqu’on travaille sur les mêmes personnes, celles dont la wilaya de résidence change entre deux recensements.

Or, en examinant les entrants et les sortants publiés par l’ONS, on se rend compte que le total ne donne pas zéro mais 35 239. Ce chiffre inclut probablement des immigrants arrivés entre les deux recensements, et donc l’une des conditions de construction du tableau origine-destination des migrants intercensitaires n’a pas été respectée.

Indice synthétique de fécondité et mariages

L’indice synthétique de fécondité était estimé par l’ONS à 4,38 en 1993 et à 2,66 en 1998. L’enquête PAPFAM l’estime à 2,37 en 2002 et l’enquête MICS à 2,27 en 2006. Durant cette période, les taux de nuptialité et de fécondité continuent donc de baisser et, en 2006, l’âge au premier mariage pour les femmes est d’environ 30 ans, avec un taux de prévalence contraceptive de 60 % (enquête MICS 2006).

Le tableau 4 fournit pour chaque wilaya l’indice synthétique de fécondité en 1995 (au coeur de la période de violence) et en 2006 (durant la période de retour au calme) ainsi que le nombre de mariages au début de la période (1991) et à ces deux dates.

Tableau 4

Comparaison des estimations indirectes de l’indice synthétique de fécondité et du nombre de mariages par wilaya (1991-2006)

Comparaison des estimations indirectes de l’indice synthétique de fécondité et du nombre de mariages par wilaya (1991-2006)

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On s’aperçoit que pour 22 wilayates l’effectif des mariages a reculé en 1995 par rapport à 1991, puis s’est pratiquement multiplié par 2 en 2006 par rapport au niveau de 1991. Une wilaya du sud, Naama, incarne un schéma atypique, puisque les mariages ont été décuplés entre 1991 et 1995 et ont été multipliés par 15 entre 1991 et 2006. Une autre wilaya du sud, Tindouf, présente également un schéma atypique avec un doublement des mariages entre 1991 et 1995 et un triplement entre 1991 et 2006. Ces deux wilayates du sud attirent des immigrants sub-sahariens, mais aussi des migrants en provenance du nord de l’Algérie, ce qui pourrait expliquer ces chiffres.

L’apparente baisse régulière des taux de fécondité suggérée par la figure 4 cache quant à elle des évolutions différentes selon les wilayates. La figure 5 croise l’ISF 1995 (en abscisses) et l’ISF 2006 (en ordonnées) pour les 48 wilayates. Une première constatation est qu’entre ces deux dates le niveau de fécondité a effectivement globalement diminué, puisque le maximum a passé de plus de 6 enfants par femme (Illizi) à 4,49 (El-Oued).

Figure 4

Évolution des taux de fécondité par âge, 1993-2006

Évolution des taux de fécondité par âge, 1993-2006

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Seules les estimations indirectes peuvent cependant révéler que, par exemple, la wilaya d’Alger a vu sa fécondité passer de 2,3 (la plus faible de toutes les wilayates) en 1995 à 3,44 en 2006, une augmentation de plus d’un enfant par femme, ce qui la classe en 2006 parmi les wilayates avec la fécondité la plus forte.

Trois évolutions sont à noter :

  • El Tarf, Blida et Alger, qui présentaient les ISF les plus bas en 1995 (un peu plus de 2 enfants par femme), se retrouvent avec respectivement 4,48, 3,87 et 3,44 enfants par femme en 2006.

  • El Oued, El Bayadh, Naama, Ouargla, Tamanrasset, Tindouf, Ouargla, Adrar et Laghouat, soit la plupart des wilayates du sud, ont vu leur fécondité baisser, mais restent parmi les wilayates avec les niveaux de fécondité les plus élevés.

  • Illizi a vu sa fécondité chuter de 6,23 à 2,35, malgré l’explosion du nombre de mariages, ce qui mériterait un examen approfondi.

Figure 5

Indice synthétique de fécondité en 1995 et en 2006 selon la wilaya

Indice synthétique de fécondité en 1995 et en 2006 selon la wilaya

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Se superposant au phénomène classique de transition démographique, la période de violence a globalement fonctionné comme une guerre, accentuant le schéma classique de report des mariages et des naissances pendant les troubles et conduisant à un rattrapage après la fin de la guerre, à la manière du baby-boom observé dans la plupart des pays engagés dans la Seconde Guerre mondiale.

Espérance de vie à la naissance

L’espérance de vie a continué d’augmenter à l’échelle nationale, partant de 66,7 à 68,1 ans pour les hommes et de 74,7 à 76,8 ans pour les femmes. Mais nous verrons que, comme pour la fécondité, la mortalité présente des tendances différentes dans certaines wilayates : les mouvements de population et la mortalité de crise ont bouleversé la classification des wilayates selon le niveau de mortalité.

Les estimations indirectes de l’espérance de vie à la naissance par wilaya en 1993 et 2007 sont obtenues par ADJMX en utilisant les tables nationales produites par l’ONS à ces deux dates. Il n’y a pas de tables calculées directement au niveau de la wilaya. Pour la comparaison estimations indirectes-calcul directs (tableau 5), nous proposons donc d’utiliser les taux de mortalité infantile par wilaya, puisque l’ONS publie depuis 1997 les décès de moins d’un an ainsi que les naissances par wilaya. Ces taux de mortalité ne sont qu’approximatifs, et non corrigés des faux mort-nés (les chiffres publiés sont peu crédibles). Il convient de signaler ici que selon, l’ONS le taux de couverture des décès approcherait de l’exhaustivité, sans qu’une proportion officielle récente ne soit disponible.

Tableau 5

Comparaison des estimations indirectes de l’espérance de vie à la naissance selon le sexe et du calcul direct du taux de mortalité infantile par wilaya (1993-2007)

Comparaison des estimations indirectes de l’espérance de vie à la naissance selon le sexe et du calcul direct du taux de mortalité infantile par wilaya (1993-2007)

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La comparaison de l’évolution des taux de mortalité conforte les conclusions des estimations indirectes : même durant la décennie de violence, la mortalité a continué à baisser dans la plupart des wilayates. La wilaya d’Alger et ses satellites offre un exemple frappant de ce phénomène en ce qui concerne la mortalité infantile.

  • En 1987, Alger présentait le taux de mortalité infantile le plus bas, suivie de Blida, Tizi Ouzou, Boumerdes et Tipaza, autrement dit la capitale et ses wilayates avoisinantes offraient le meilleur profil sanitaire avant le début de la période de violence, du moins pour les nouveau-nés.

  • En 1998, Alger passe à la quatrième position, suivie de Mila, alors que Boumerdes prend la première position, suivie de Tizi Ouzou et El Tarf.

  • En 2007, Alger continue sa descente, passant à la 11e position en matière de mortalité infantile, El Tarf prenant la première position suivie de respectivement Boumerdes, Tizi Ouzou, Mila et Tipaza.

Les estimations indirectes confirment en partie la détérioration du profil sanitaire d’Alger et également ceux d’Oran et de Constantine, soit les 3 grandes métropoles du pays. Ce recul serait à attribuer aux mouvements de population se traduisant par un exode vers les grands centres urbains (sécurisés) de populations rurales présentant des profils sanitaires moins favorables.

Typologie des changements

Migrations internes

Environ 1,5 million des Algériens ont été contraints de fuir leurs villages entre 1993 et 1997. Plus de 100 000 sont allés vivre à la périphérie de villes comme Djelfa, Médéa et Chlef. De nombreux villages, comme Ouled Ali, près de la capitale, étaient désertés. Sur les 1,5 million de personnes déplacées, 170 000 seulement ont regagné leurs villes d’origine, leur sécurité assurée par la présence de Groupes Locaux de Défense (GLD). Plus de 1,3 million ont continué à vivre sur la périphérie des villes algériennes. Cet exode, lié à la situation de la sécurité du passé, n’est qu’un élément dans un schéma plus large de paupérisation.

Martinez, 2004

En vérité, les affrontements les plus féroces se déroulèrent autour de la capitale, menaçant directement le siège du pouvoir. Le palais du gouvernement et le siège des Nations unies à Alger furent la cible d’attentats spectaculaires.

Bien que les actions armées ont touché l’ensemble du nord Algérien, on constate une concentration dans un groupe de wilayates. Il a été enregistré que 43 % des actions sont concentrées dans 6 wilayates du centre du pays autour d’Alger. Si on leur ajoute les actions armées de trois autres qui leur sont contiguës alors ce sont les deux tiers des actions qui y sont localisées. Un second groupe de wilayates (4) située au nord-ouest localise 12 % des actions ; et 4,3 % des actions sont localisées dans une wilaya du nord-est du pays (Jijel). Un certain nombre de wilayates (6) n’ont par contre connu aucune action armée relevant de la violence qualifiée de « terroriste » ; quatre d’entre elles sont situées au sud du pays où la densité de population est inférieure à 1 hab/km2 ; cependant il n’existe pas de coïncidence entre les cartes de la violence et la carte des densités de population. Les corrélations entre les indicateurs de violence et la répartition de la population sur le territoire ne sont pas particulièrement élevées (0,24 et 0,16). Les densités augmentent du sud vers le nord, alors que la spatialisation de la violence armée et de ses conséquences obéit à une autre logique. Deux wilayates situées en dehors des zones sahariennes n’ont pas enregistré pendant la période considérée de violences armées (Naama à la frontière ouest et Souk-Ahras à l’est du pays proche de la frontière avec la Tunisie)

Kateb, 2004

La carte de la violence (figure 6, tirée de Kateb, 2004) illustre le fait qu’une dizaine de wilayates autour d’Alger ont subi le gros de la violence. Bien entendu ces wilayates ont plutôt perdu de la population durant la décennie noire, sauf Alger, où les forces de sécurité sont les plus importantes. Ultérieurement, les actions se sont repliées sur les wilayates avoisinantes de Boumerdes et Tizi Ouzou. Encore aujourd’hui, ces deux wilayates demeurent instables, avec attentats, kidnappings et rançons.

Ce bilan de Kateb est partiel car il se base uniquement sur les actions rapportées par la presse. Il donne cependant une image représentative de l’extension géographique des actions de violence, soulignant le fait que les wilayates du sud aient été globalement épargnées par la violence. Actuellement, le Sud n’est plus aussi calme, puisque les mouvements terroristes se sont redéployés au nord du Mali, à la frontière sud de l’Algérie.

Figure 6

Carte de la violence selon Kateb (2004)

Carte de la violence selon Kateb (2004)

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Nous avons utilisé CSMIGR (US Bureau of the Census) pour comparer les périodes 1988-1998 et 1998-2008. Les estimations indirectes fournissent un profil approximatif des mouvements entre wilayates (figures 7 et 8). Selon le tableau 3, il y a environ 1,8 million de personnes de plus de 10 ans qui ont changé de wilaya de résidence au cours de la période de conflit, mais seulement 1,25 million au cours de la période 1998-2008, soit une différence de près de 536 000 personnes. Il est clair que les nombres réels peuvent être beaucoup plus élevés, et une étude approfondie de la migration aussi bien interne qu’externe est plus que nécessaire, mais il demeure probable qu’une proportion importante de la population ne reviendra pas dans sa wilaya d’origine.

Entre 1987 et 1998, Alger a gagné 393 871 migrants nets, alors que les wilayates avoisinantes ont perdu plus que l’équivalent de ce gain : Boumerdes (113 139), Tipaza (186 356) et Blida (67 889) ont perdu des migrants, et seule Blida pourra compenser ses pertes durant la période intercensitaire suivante (69 995).

La figure 8 nous apprend qu’Alger a perdu des migrants durant la période 1998-2008, de même que Tlemcen. À l’inverse, la wilaya qui gagne le plus de migrants est Tiaret, avec 108 826 migrants nets. La plupart des grandes villes qui ont gagné des migrants durant la « décennie noire » vont les perdre au cours de la période intercensitaire suivante 1998-2008, une fois le calme (relatif) revenu.

Figure 7

Nombre net de migrants 1987-1998 selon la wilaya

Nombre net de migrants 1987-1998 selon la wilaya

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Nous avons classé les 48 wilayates selon qu’elles ont été attractives ou répulsives en termes de migrants durant les périodes 1987-1998 et 1998-2008.

Wilayates répulsives pour 1987-1998 et répulsives pour 1998-2008

Ces wilayates ont donc perdu de la population au cours de la période de violence et après la fin de cette période. Il s’agit des wilayates de Chlef, Béjaïa, Bouira, Tizi-Ouzou, Médéa et Aïn Defla au nord, de Batna, Guelma, Mila et Bordj Bou Arreridj au centre, de Sidi-Bel-Abbès, Mascara, Ain Temouchent, Relizane à l’est et de Tissemsilt à l’ouest.

Wilayates répulsives pour 1987-1998 et attractives pour 1998-2008

C’est la situation la plus typique des wilayates touchées par les troubles, avec des départs en raison de la violence et des retours une fois que la sécurité s’est améliorée. Cette situation concerne des wilayates du centre comme Blida, Tipaza et Boumerdès, de l’Est comme Oum El Bouaghi, Jijel, Skikda et Constantine, et de l’ouest comme Mostaganem, Tiaret et Saïda. Une seule wilaya du sud, Béchar, tombe dans cette catégorie.

Figure 8

Nombre net de migrants 1998-2008 selon la wilaya

Nombre net de migrants 1998-2008 selon la wilaya

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Les wilayates attractives pour 1987-1998 et attractives pour 1998-2008

Ces wilayates-refuges ont attiré une population fuyant la violence puis ont continué à attirer des migrants même après la décennie noire. La moitié de ces wilayates sont du sud : Adrar, Laghouat, Tamanrasset, Illizi, Tindouf et Naama. Dans l’est, nous avons El Tarf, Souk Ahras, Annaba, Sétif, Tébessa et Biskra. Enfin, Djelfa est la seule wilaya du centre qui appartienne à ce groupe.

Les wilayates attractives pour 1987-1998 et répulsives pour 1998-2008

Ce sont des wilayates qui ont attiré la population recherchant la sécurité au cours de la période de violence, mais qui ont perdu des migrants une fois la sécurité restaurée. Toutes les régions du pays sont représentées : Alger et Msila pour le centre, Khenchela pour l’est, Tlemcen pour l’ouest et Ghardaïa pour le Sud.

Fécondité

En 2006, au moins 4 wilayates étaient en dessous du niveau de remplacement des générations de 2,1 : Chlef (1,88), Tizi Ouzou (1,95), Ghardaïa (1,96) et Tipaza (2,06). Pour Tizi-Ouzou et Ghardaïa, il serait utile de tester l’hypothèse de mariages endogames, qui peuvent être le facteur sous-jacent de faible fécondité, tandis que pour Boumerdes et Tipaza, d’autres hypothèses doivent être explorées, en lien avec la violence persistante et le report des mariages.

Alors que le taux de fécondité est en baisse au niveau national, 6 wilayates ont vu leur fécondité augmenter : Alger et Blida dans le centre, Oran à l’ouest et Annaba, El Tarf et Guelma à l’est. La violence a principalement touché le centre et l’est, où les grandes villes ont attiré des migrants ruraux fuyant la violence. Dans l’ouest, seule Oran a connu cet exode. On peut supposer que les migrants ruraux ont maintenu leur taux de fécondité élevé. En 1995, ces wilayates avaient montré des niveaux plus bas de la fécondité : Alger, en particulier, avait le plus faible indice synthétique de fécondité dans le pays, soit 2,3. Les migrants à Alger ont donc certainement contribué à l’augmentation de l’indice synthétique de fécondité, qui passe de 2,3 à 3,44. Bien sûr, les mariages récupérés empêchés par la violence ont induit également la reprise de la fécondité dans la capitale.

En outre, de nombreuses wilayates montrent encore une fécondité élevée, et bien au-dessus au niveau national, comme El Tarf (4,48), El Bayadh (4,43) et Bordj Bou Arreridj (4,08).

Il est intéressant là aussi de classifier les wilayates selon les évolutions au cours de la « décennie noire » et après.

Baisse de la fécondité pour 1995-1998 et hausse de la fécondité pour 1998-2008

34 wilayates ont montré cette tendance : baisse de l’indice synthétique de fécondité entre 1995 et 1998 et tendance à la hausse après. La plupart de ces wilayates ont vu le report des mariages et des naissances au cours de la décennie noire et la récupération au cours de la décennie post-conflictuelle. La plupart des grandes wilayates comme Alger, Oran, Constantine, Annaba, Sétif, Batna, Tlemcen, Mostaganem, Blida, Tizi-Ouzou entrent dans cette catégorie.

Figure 9

Évolutions de l’ISF (1998-2006) selon l’évolution du nombre net de migrants (1998-2008) par wilaya

Évolutions de l’ISF (1998-2006) selon l’évolution du nombre net de migrants (1998-2008) par wilaya

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Baisse de la fécondité pour 1995-1998 et baisse de la fécondité pour 1998-2008

14 wilayates affichent ce profil. Entrent dans cette catégorie beaucoup de wilayates du sud (Tindouf, Tamanrasset, Ghardaia, Illizi, El-Oued), plusieurs du centre (Djelfa, Chlef et Tipaza) et de l’est (Souk-Ahras, Biskra, Skikda, Khenchela, Mila) mais aucune wilaya de l’ouest.

Hausse de la fécondité pour 1995-1998 et baisse de la fécondité pour 1998-2008

Une seule wilaya, Adrar, dans le Sud, entre dans cette catégorie.

En nous concentrant sur la période post-conflictuelle, on note que parmi les wilayates classées attractives en termes de nombre net de migrants, Constantine et Oran, les deux grandes métropoles régionales, ont connu une augmentation de l’indice synthétique de fécondité, qui est passé de 2,14 à 3,19 pour Constantine, et de 2,93 à 2,98 pour Oran. En tout, 15 wilayates ont vu leur fécondité augmenter, dans la logique de récupération déjà évoquée, alors que les migrations de retour ont fait plus que compenser les pertes de la « décennie noire » (tableau 3).

Parmi les wilayates classés répulsives en termes de nombre net de migrants, Blida a montré une augmentation du niveau de l’indice synthétique de fécondité, qui passe de 2,39 à 3,87. Notons que Blida compense aussi ses pertes nettes : ayant perdu près de 68 000 personnes de plus de 10 ans, elle a finalement gagné près de 70 000 personnes (tableau 3). L’indice synthétique de fécondité a aussi augmenté de manière significative pour Guelma, passant de 2,72 à 3,73, et légèrement pour Bordj Bou Arreridj, passant de 4,06 à 4,08.

Autrement dit, pour la majorité des wilayates (32 sur 48), la récupération des mariages et des naissances s’est bien produite après la période de troubles. La fécondité a, par contre, continué à baisser dans 5 wilayates du sud, du fait qu’elles n’ont pas été touchées gravement par la violence.

Espérance de vie à la naissance

L’espérance de vie à la naissance a augmenté régulièrement, passant de 70,5 en 1998 à 74,7 en 2007 pour les hommes, soit un gain de 6 mois par année, et de 72,9 à 76,8 pour les femmes. La différence entre les sexes dans l’espérance de vie à la naissance a diminué, passant de 2,4 à 2,1 ans entre 1995 et 2007.

En comparant les wilayates en 2007, nous avons trouvé des différences significatives. Tamanrasset et Tindouf, deux wilayates du sud, ont la plus faible espérance de vie à la naissance (respectivement 63,64 et 74,44 pour les hommes, 67,27 et 76,95 pour les femmes), suivies de Constantine (69,49 et 76,18). Les trois wilayates avec la plus grande espérance de vie à la naissance sont Boumerdes (79,45 et 76,43), El Tarf (79,12 et 75,75) et Tipaza (77,31 et 76, 93).

Alors que l’espérance de vie augmente au niveau national entre 1993 et 2007, nous trouvons quelques exceptions (tableau 6). Cinq wilayates ont présenté une diminution globale de l’espérance de vie : Adrar et Tamanrasset dans le Sud, Boumerdes et Blida dans le centre et Ain Temouchent dans l’ouest.

Pour les wilayates du sud, qui reçoivent une immigration en provenance de pays voisins d’Afrique subsaharienne, il est probable que ces immigrants ont un profil de santé moins favorable, ce qui contribuerait à cette baisse de l’espérance de vie.

Pour Boumerdès et Ain Temouchent, il y a probablement un problème avec la qualité des données : les niveaux d’espérance de vie dans ces wilayates ne sont pas réalistes (plus de 80 ans pour l’une et plus de 100 ans pour l’autre).

Tableau 6

Évolution de l’espérance de vie à la naissance selon l’évolution du nombre net de migrants par wilaya

Évolution de l’espérance de vie à la naissance selon l’évolution du nombre net de migrants par wilaya

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L’espérance de vie à la naissance à Blida est passée de 77 ans en 1993 à 72 ans en 2007 pour les hommes et de 80 ans à seulement 76 ans pour les femmes pour la même période. Cette wilaya a été l’une des plus touchées par la violence et la répression par les forces de l’ordre. Bien que pour d’autres raisons (y compris l’immigration illégale), Tamanrasset a connu un déclin similaire, l’espérance de vie passant de 65 ans à 63 ans.

Pour les hommes (figure 10), Alger, Oran et Constantine montrent l’espérance de vie moins favorable, en 2007, environ 70 ans.

Pour les femmes (figure 11), Alger, Oran et Constantine présentent en 2007 l’espérance de vie la moins favorable, à environ 70 ans. Une hypothèse sur la domiciliation des décès pourrait être explorée : s’agissant de wilayates concentrant la capitale nationale et les métropoles régionales, il est fort probable que de nombreux décès s’y produisent dans les centres hospitalo-universitaires, et donc ne sont pas correctement domiciliés.

Dans la figure 11, nous pouvons voir que l’espérance de vie à la naissance a diminué aussi pour les femmes de Msila, passant de 78,43 ans en 1993 à seulement 76,18 en 2007. L’explication pourrait être liée à l’émigration. Parmi les wilayates présentant un profil extrême, Msila fut attractive-répulsive en termes de nombre net de migrants, mais elle a perdu beaucoup plus que ce qu’elle avait gagné au cours de la décennie noire (tableau 3). Le nombre net de migrants perdu est en fait trois fois plus élevé que le gain observé. Par ailleurs, le profil de santé des familles qui ont quitté la wilaya aurait pu être plus favorable que celui de la population moyenne de cette wilaya.

Figure 10

Évolution de l’espérance de vie à la naissance pour les hommes entre 1993 et 2007, par wilaya

Évolution de l’espérance de vie à la naissance pour les hommes entre 1993 et 2007, par wilaya

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Figure 11

Évolution de l’espérance de vie à la naissance pour les femmes entre 1993 et 2007, par wilaya

Évolution de l’espérance de vie à la naissance pour les femmes entre 1993 et 2007, par wilaya

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Conclusion

Nous avons essayé de mettre la dynamique des populations en perspective avec la violence qui a ensanglanté le pays pendant une décennie. Il est clair que la population algérienne a payé un lourd tribut en termes de déracinement, de mort, de détérioration des conditions de santé durant la décennie noire. Cependant, actuellement, malgré les émeutes et la destruction des symboles de l’autorité publique, les mariages et les naissances sont repartis à la hausse. Même si certaines wilayates ont vu leur espérance de vie diminuer, pour presque toutes, la situation s’est améliorée. Parmi les centaines de milliers de personnes qui ont quitté leur résidence pour fuir la violence terroriste et la répression par les forces de sécurité, beaucoup y sont retournées au cours de la période post-conflit, mais d’autres ne le feront probablement pas.

De manière générale, les techniques indirectes ont permis de découvrir des tendances de fécondité différentielle entre wilayates, et de même pour la mortalité et la migration. Dans la plupart des situations, nous pouvons simplement présenter des hypothèses, et nous ne sommes pas en mesure d’éliminer complètement les problèmes d’estimations relatives aux procédures elles-mêmes. Le nombre d’estimateurs aberrants (comme une espérance de vie à la naissance irréaliste) demeurent cependant plutôt rares. Cela est probablement lié à la migration : les décès sont rapportés à une population augmentée de migrants, et ces derniers n’ont pas nécessairement été exposés durant toute la période d’étude à la mortalité dans la wilaya d’accueil.

Les techniques indirectes nous suggèrent un scénario pour décrire la situation durant et après la « décennie noire ». Elles ont pu apporter un éclairage inattendu sur les mécanismes en action. Alors que les données nationales proposaient un tableau d’évolution régulière vers la baisse de la fécondité et de hausse tout aussi régulière de l’espérance de vie à la naissance, en rapport avec le stade avancé dans lequel se trouve l’Algérie dans sa transition démographique, les estimations locales nous ont permis d’identifier des wilayates qui ont eu des évolutions différentes, voire singulières, en termes de migrations, de fécondité et de mortalité.

L’élément déclencheur semble bien être la violence, qui a instauré des niveaux d’insécurité différents selon les wilayates et surtout entre les zones urbaines et rurales. Il s’en est ensuivi de larges mouvements de population des wilayates les plus vulnérables vers les wilayates-refuges offrant un certain niveau de sécurité. Une fois la « décennie noire » achevée, beaucoup de ceux qui avaient abandonné maisons et champs sont revenus, mais d’autres sont restés dans leurs wilayates d’accueil. Ces migrants contribuent évidemment à la démographie de cette wilaya d’accueil, notamment en modifiant les niveaux de fécondité et de mortalité, car ils gardent généralement, du moins pendant un certain temps, les caractéristiques de leur wilaya d’origine.