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INTRODUCTION

Parmi les changements sociodémographiques importants ayant touché la famille dans les dernières décennies, on note une diminution de la proportion de familles composées des deux parents d’origine au profit des familles recomposées et monoparentales. Le nombre de familles intactes est récemment passé sous la barre des 65 % au Québec, ce qui représente un creux historique (Lou et collab. 2014 ; Milan, 2000 ; Statistique Canada, 2011). Les familles monoparentales forment actuellement plus du quart des familles québécoises avec enfant et environ 11 % des familles sont recomposées (Lou et collab. 2014). Des tendances similaires sont présentes dans le reste du Canada, aux États-Unis et en Europe de l’Ouest (Kreider et Ellis, 2011 ; Kreyenfeld et Martin, 2011 ; Office for National Statistics, 2005 ; Statistique Canada, 2012 ; Vivas, 2009). Cependant, la société québécoise se distingue par son taux plus élevé d’unions libres et de naissances hors mariage (Comité consultatif sur le droit de la famille, 2015 ; Statistique Canada, 2012). Par ailleurs, le quart des enfants nés en 1998 ont connu la séparation de leurs parents avant leur 8e anniversaire. Cette situation est plus fréquente chez les enfants dont les parents sont en union libre (35 %) plutôt que mariés (15 %) (Ducharme et Desrosiers, 2008).

Ces changements laissent croire à une plus grande acceptabilité des solutions de rechange à la famille biparentale intacte comme tendance de fond dans les valeurs de la population au Québec et ailleurs en Occident. Les théories visant à expliquer les bouleversements qu’a connus la famille font d’ailleurs référence à un affaiblissement des normes sociales qui définissent les comportements des conjoints (Cherlin, 2004), à la valorisation de l’autoactualisation et du développement personnel au détriment de la conformité et des obligations traditionnelles (Finkel et collab. 2014) de même qu’à une certaine normalisation de la diversité des structures familiales :

What characterizes the second modernity is not just that “deviations” occur ever more widely and with ever-greater frequency, but that formerly “deviant” forms of living together have now become normal and acceptable

Beck et Beck-Gernsheim, 2004 : 505

Cela dit, malgré des formes de plus en plus éclatées du « vivre ensemble », l’idéal de la famille dite traditionnelle[1] et du couple engagé pour la vie persiste dans les représentations de la population (Campbell et Wright, 2010 ; Cherlin, 2004 ; Duncan et Phillips, 2008). Selon une autre perspective sur ces questions, loin d’être valorisées, les familles qui s’écartent de ce modèle seraient considérées plus négativement. À cet égard, de nombreux travaux ont montré que les individus vivant dans des familles séparées sont stigmatisés que ce soit par la population en général, les thérapeutes familiaux, les organisations de la communauté d’allégeance conservatrice, les médias ou les chercheurs (Amato, 2000 ; Coltrane et Adams, 2003 ; Kalmijn et Uunk, 2007 ; Schultz et Leslie, 2004). Par exemple, Bernstein (2007) souligne que l’on a assisté au développement d’un « paradigme de l’enfant du divorce » qui met l’accent sur les conséquences négatives voire dévastatrices, du divorce sur les enfants. Toutefois, comme le souligne cette auteure, ces caractéristiques sont si générales que l’on peut se demander dans quelle mesure elles décrivent uniquement les enfants du divorce. Une vision restreinte de la réalité de ces enfants accompagne cette représentation : un scénario de la vie d’une personne dont les parents se sont séparés est élaboré et tout ce qui lui arrive (de négatif) est attribué à ce divorce sans que l’investigation s’approfondisse. Ceci est préoccupant, car ces représentations négatives et ces préjugés finissent par infiltrer les représentations que ces familles ont d’elles-mêmes et entraînent de la gêne, de la culpabilité et des problèmes d’adaptation (Bernstein, 2007 ; Ganong et Coleman, 1997). Enfin, les intervenants qui oeuvrent auprès des familles et de la société en général sont touchés par cette lecture qui forge les attentes et finit par avoir un impact réel sur les comportements des individus.

Entre valorisation, normalisation ou stigmatisation, peu de données permettent d’établir un portrait clair de l’opinion des Québécois[2] sur les questions entourant les séparations des parents. Pourtant une telle compréhension s’avère essentielle afin de constater si les perceptions négatives et les préjugés observés dans des études réalisées à l’extérieur du Québec sont aussi partagés par les Québécois. En conséquence, le premier objectif de cet article est de décrire l’opinion des Québécois à propos de la séparation et de ses conséquences. Au passage, lorsque les données sont disponibles, des parallèles seront établis avec les opinions qui prévalent dans d’autres pays. Un deuxième objectif est d’examiner le caractère homogène ou non de l’opinion et, le cas échéant, de dégager des profils d’opinion au sein de la population québécoise ainsi que les caractéristiques sociodémographiques associées aux différents points de vue exprimés. Les résultats obtenus permettront de porter un regard éclairé sur la nécessité, ou non, de mettre en place des mesures visant à contrer la stigmatisation de ces familles. Aussi, une plus grande compréhension des caractéristiques sociodémographiques à la base de la diversité des opinions pourrait permettre de prioriser les acteurs les plus susceptibles d’avoir des opinions opposées et donc, potentiellement conflictuelles.

LES SONDAGES D’OPINION SUR LA SÉPARATION ET LE DIVORCE[3]

Plusieurs enquêtes ont cherché à connaître les attitudes de la population générale concernant divers aspects reliés aux transitions familiales, et ce, dans plusieurs régions du monde. Les données disponibles proviennent essentiellement d’études basées sur de larges échantillons représentatifs de la population et elles ont, dans l’ensemble, davantage exploré la question du divorce et du mariage que celles de la séparation et de la monoparentalité.

Sur le plan international, une tendance vers une meilleure acceptation du divorce entre les années 1981 et 2001 est observée en combinant les données provenant de 20 pays d’Amérique, d’Europe et d’Asie (Esmer, 2007). Cependant, durant la même période, la majorité de la population provenant de 85 pays considère qu’une famille comprenant un père et une mère est la structure familiale permettant à un enfant de se développer en étant heureux. Cette opinion a toutefois perdu du terrain dans 35 pays (Halman et collab. 2007).

Aux États-Unis, une progression suivie d’un plafonnement à un niveau élevé semble s’être produite en ce qui a trait à l’acceptabilité du divorce entre les années 1960 et 1990 (Thornton et Young-DeMarco, 2001). Pourtant, l’examen de différentes enquêtes populationnelles réalisé par Amato (2014) amène ce dernier à conclure qu’on retrouve très peu de consensus chez les Américains concernant différents aspects reliés au mariage, au divorce et à la famille, mis à part le fait que le mariage est encore très valorisé. À titre indicatif, le General Social Survey inclut, tous les deux ans depuis 1974, la question suivante : « Should divorce in this country be easier or more difficult to obtain than it is now ? » avec des résultats montrant toujours de grands contrastes au sein de la population (Amato, 2014). Ainsi, en 2014, 36 % des Américains étaient d’avis que le divorce devrait être plus facile à obtenir, 42 % jugeaient que son obtention devrait être plus difficile et 22 % optaient pour le statu quo. Il en va de même pour l’idée que le divorce est la meilleure solution quand un couple n’arrive pas à régler ses difficultés. La moitié des Américains était en accord et près du tiers en désaccord avec cette affirmation, tant en 1994 qu’en 2012. Cependant, durant la même période, la proportion de la population croyant qu’un parent seul puisse élever son enfant aussi bien qu’un couple est passée de 36 % à 49 % (National Opinion Research Center, 2015).

Des études dont les données proviennent de l’International Social Survey Program mettent également au jour un déclin global d’une vision traditionnelle des questions entourant les comportements conjugaux et familiaux depuis les 25 dernières années, et ce, dans plusieurs pays industrialisés (Gubernskaya, 2010 ; Treas et collab. 2014). Encore une fois, cette tendance générale masque des variations importantes inter items et inter pays. Ainsi, seulement la moitié des pays sondés (= 21 et n’incluant pas le Canada) dans l’étude de Treas et ses collaborateurs (2014) ont vu le niveau de désapprobation à l’égard du divorce baisser entre 1994 et 2002. Des analyses plus fines révèlent qu’entre 1988 et 2008, il y a eu une progression plus importante de l’acceptation de comportements ayant lieu hors des liens du mariage (ex. cohabiter, avoir des relations sexuelles, élever seul(e) son enfant) que ceux qui ont lieu dans le cadre d’un mariage (ex. divorcer ou avoir une relation extra-conjugale) (Treas et collab. 2014). Sur le plan des caractéristiques sociodémographiques, les femmes, les personnes en emploi et plus scolarisées tendent à avoir une vision moins traditionnelle des unions conjugales et de la famille (Gubernskaya, 2010 ; Treas et collab. 2014). Au-delà des taux de divorce en vigueur et des considérations religieuses, l’étude de l’acceptation du divorce en Europe montre qu’elle est étroitement reliée au contexte sociopolitique, les pays sociaux-démocrates (pays scandinaves) ayant les niveaux de tolérance les plus élevés et les pays post-totalitaires (Roumanie, Russie, Biélorussie, etc.) ayant ceux les plus bas (Gelissen, 2003).

En plus des variations substantielles existant d’un pays à l’autre (Gelissen, 2003 ; Treas et collab. 2014), des travaux indiquent que les opinions peuvent varier d’une région à l’autre au sein d’un même pays (Kalmijn et Uunk, 2007) de même qu’en fonction de la contextualisation des questions posées à la population. À cet égard, des enquêtes révèlent que des questions traitant du divorce reçoivent des niveaux d’acceptation plus bas lorsqu’il est précisé que les adultes qui se séparent ont des enfants (Duncan et Philips, 2008 ; Liefbroer et Billari, 2010). Cependant, les réponses peuvent également varier lorsque des conflits entre les parents sont évoqués. Des sondages menés en Oklahoma et en Utah montrent qu’une majorité de la population (autour de 60 %) estime que des parents qui « ne s’entendent pas » ne devraient pas rester mariés et la même proportion pense que des parents qui « ne s’aiment plus » ne devraient pas divorcer (Johnson et collab. 2002 ; Schramm et collab. 2003), laissant supposer que la présence de conflits module l’opinion de la population sur cette question. Dans cet ordre d’idées, une grande majorité (78 %) des Britanniques interrogés lors du British Social Attitudes de 2006 est d’avis que ce n’est pas le divorce qui blesse les enfants, mais le conflit entre leurs parents (Duncan et Phillips, 2008).

Près du tiers des Européens désapprouve le divorce des parents d’enfants de moins de 12 ans avec des variations importantes entre les pays (taux de désapprobation allant de 14 % à 56 % dans 22 pays) (Rijken et Liefbroer, 2012). Des études basées sur l’European Social Survey mené en 2006 (Harrison et Fitzgerald, 2010 ; Rijken et Liefbroer, 2012) révèlent, à l’aide d’analyses comparatives entre les pays, qu’une plus grande désapprobation du divorce de parents d’enfants de moins de 12 ans est significativement reliée à un État-providence moins vigoureux (niveau plus élevé de pauvreté chez les parents monoparentaux et faible accès à des services de garde) et à une plus faible modernité (plus faibles PIB par habitant, taux moins élevé d’activité des femmes et de divorce et plus haut taux de religiosité). Ces résultats se maintiennent lorsque des caractéristiques sociodémographiques clés (sexe, âge, niveau d’éducation, etc.) sont prises en compte (Harrison et Fitzgerald, 2010 ; Rijken et Liefbroer, 2012).

En somme, des données représentatives de la population occidentale, mais excluant souvent le Canada, permettent de statuer que les comportements familiaux moins traditionnels sont mieux acceptés de nos jours (cohabiter sans se marier, élever seul son enfant, etc.). Si le divorce est légitimé lorsque de bonnes raisons sont invoquées (conflits importants), cette acceptation stagne dans bon nombre de pays et cette transition est moins bien vue lorsque cela met fin à la famille intacte d’un enfant. Cette perception varie cependant d’un pays à l’autre et semble étroitement reliée au type de société d’appartenance des répondants et à son filet social, particulièrement celui mis en place pour soutenir les familles.

En résumé, si des données majoritairement européennes et américaines permettent de situer l’opinion de la population au sujet des transitions familiales, ces questions ont été très peu documentées dans le contexte spécifique de la société québécoise. La présente étude palliera donc ce manque de connaissances en se penchant sur le positionnement des Québécois sur différents aspects de la séparation parentale. Précisons qu’il s’agit du premier sondage sur la question qui soit réalisé auprès de la population du Québec, qu’il est, à notre connaissance, le plus détaillé jamais mené au Canada et qu’il rejoint un nombre important de répondants.

MÉTHODOLOGIE

Source de données et échantillon

Les données sur lesquelles s’appuie l’étude de l’opinion des Québécois et des Québécoises à propos des questions entourant la séparation des parents sont tirées d’un sondage en ligne réalisé en 2013 par la firme Léger, lequel visait à rejoindre un échantillon représentatif de la population adulte du Québec. Les répondants, hommes et femmes âgés de 18 ans et plus pouvant s’exprimer en français ou en anglais, proviennent d’un panel Web québécois constitué de 200 000 personnes. Les membres du panel ont été initialement recrutés lors de l’administration d’un sondage téléphonique auprès d’un échantillon aléatoire (60 %), par une connaissance (25 %), par les médias sociaux (page Facebook de la firme Léger) et à l’aide d’autres formes de sollicitation comme des campagnes de recrutement (10 %). Les noms de 6 000 participants à ce panel ont été extraits aléatoirement et 1 202 d’entre eux ont accepté de compléter le sondage (taux de participation de 20 %). Les caractéristiques sociodémographiques des répondants sont présentées dans le tableau 1.

Tableau 1

Profil des répondants (n = 1202)

Profil des répondants (n = 1202)

1 Données correspondant au nombre réel de répondants rejoints par le sondage.

2 Données tenant compte des poids d’échantillon.

3 La somme des pourcentages pour chaque caractéristique ne donne pas nécessairement 100 % à cause des arrondis.

Source : Étude sur l’opinion des Québécois à l’endroit des familles séparées, recomposées et la protection de la jeunesse. Centre de recherche JEFAR et Léger, 2013

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Les enquêtes misant sur le recours à un panel Web comportent plusieurs avantages, notamment d’être simple à orchestrer et, sur le plan de l’administration, rapide et peu coûteux. Toutefois, elles comportent l’inconvénient de ne pas être basées sur un échantillonnage aléatoire de la population ce qui entraîne des problèmes d’autosélection qu’il ne faut pas perdre de vue (Svensson, 2014). L’ensemble des analyses inférentielles a été pondéré en utilisant un poids échantillonnal normalisé et post-stratifié à partir des données du recensement canadien de 2011 (Statistique Canada) selon le sexe, l’âge, les régions du Québec, la langue maternelle et la présence d’enfants mineurs dans le ménage. Le niveau de scolarité a, quant à lui, été ajusté à partir des données recueillies par Léger Marketing dans tous leurs sondages omnibus téléphoniques menés de janvier à décembre 2011 auprès de Québécois âgés de 18 ans ou plus et pouvant s’exprimer en français ou en anglais (n = 12 006). La pondération des données a permis de réduire les possibles distorsions entre les caractéristiques des répondants et la population à l’étude, soit celle du Québec.

Compte tenu de la nature du sondage réalisé, les caractéristiques conjugales et familiales des répondants ont été documentées de façon détaillée (tableau 2) afin de saisir dans quelles proportions ceux-ci ont une expérience passée et présente des transitions familiales associées à la séparation parentale.

Mesures utilisées

Certaines questions utilisées dans ce sondage sont similaires à celles utilisées lors des enquêtes populationnelles et recherches recensées dans la littérature internationale et d’autres ont été développées par les auteurs afin de vérifier l’existence de préjugés envers les familles séparées dans le contexte québécois.

Acceptabilité de la séparation. L’acceptabilité de la séparation a été mesurée en demandant aux répondants leur niveau d’accord (échelle de Likert en quatre points allant de Tout à fait d’accord à Tout à fait en désaccord) à six items : 1- La séparation est généralement la meilleure solution lorsque les couples n’arrivent pas à régler leurs difficultés, Quand les gens sont malheureux en couple, la séparation est une bonne chose : 2- pour la femme/3-pour l’homme/4- pour le ou les enfants du couple, 5- Ce n’est pas la séparation qui est difficile pour les enfants, mais le conflit entre les parents, 6- De nos jours, les gens se séparent trop facilement.

Conséquences de la séparation pour les enfants. Le niveau d’accord (échelle de Likert en quatre points allant de Tout à fait d’accord à Tout à fait en désaccord) à deux items a été demandé : 1- Les parents qui se séparent sont en conflit pendant plusieurs années après la séparation et 2- Les enfants dont les parents sont séparés vont subir les conséquences négatives de la séparation toute leur vie.

Tableau 2

Caractéristiques conjugales et familiales des répondants (n = 1202)

Caractéristiques conjugales et familiales des répondants (n = 1202)

1 Données correspondant au nombre réel de répondants rejoints par le sondage.

2 Données tenant compte des poids d’échantillon.

Source : Étude sur l’opinion des Québécois à l’endroit des familles séparées, recomposées et la protection de la jeunesse. Centre de recherche JEFAR et Léger, 2013

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Valeur des familles monoparentales par rapport aux familles intactes. Afin de comparer la valeur accordée à ces deux types de familles, les répondants devaient préciser leur niveau d’accord (échelle de Likert en quatre points allant de Tout à fait d’accord à Tout à fait en désaccord) à deux items : 1- Les enfants qui grandissent dans une famille monoparentale ont autant de chance de bien se développer et d’être heureux que ceux qui grandissent dans une famille traditionnelle, 2- La famille traditionnelle est l’idéal alors que les familles recomposée et monoparentale ont moins de valeur. Les répondants étaient ensuite invités à choisir jusqu’à trois caractéristiques (parmi un choix de huit descripteurs, quatre à connotation positive et quatre à connotation négative) permettant de qualifier les familles traditionnelles et monoparentales.

La succession de ces questions était présentée en rotation afin d’éviter un biais relié à l’ordre proposé. Pour chaque question, les répondants avaient la possibilité de répondre : « je ne sais pas » ou « je préfère ne pas répondre ». Enfin, 16 questions ont permis de recueillir les données démographiques et socioéconomiques d’usage (ex. statut conjugal, sexe, âge, revenu) et spécifiques à cette enquête (séparation et recomposition familiale de la famille d’origine ou actuelle). Bien que le terme « famille biparentale intacte » soit répandu au Canada, notamment dans les études démographiques, celui de « famille traditionnelle » a été utilisé ici lorsqu’il a été question de préciser le type de famille auquel on faisait référence, puisqu’il est connu de la population. La définition suivante a été présentée aux répondants avant qu’ils commencent à remplir le sondage : famille composée de deux parents et de leur(s) enfant(s) biologiques ou adoptés.

Analyses

Une série d’analyses de tables de contingence (test du khi-carré) a permis d’étudier les associations entre les fréquences des réponses aux questions (combinées en deux catégories, soit « en accord » et « en désaccord ») et certaines caractéristiques démographiques et socioéconomiques des répondants.

Par la suite, une analyse exploratoire de regroupement (k-means cluster analysis) a été retenue afin d’identifier des sous-groupes de répondants présentant des profils distincts de réponses sur leurs opinions à l’égard de la séparation (Hair et Black, 2000). Par la suite, les regroupements (clusters) obtenus ont été décrits et comparés sur la base des variables sociodémographiques afin d’établir leurs particularités.

RÉSULTATS

Acceptabilité de la séparation

Les répondants devaient indiquer leur niveau d’accord avec six énoncés référant à la séparation des parents. Les données révèlent que la très grande majorité des Québécois (87 %) estime que « de nos jours, les gens se séparent trop facilement ». Cette opinion est significativement plus commune chez les Québécois qui ont une scolarité primaire et secondaire (92 %) plutôt qu’universitaire (83 %, χ2(1) = 15,21, p < 0,001) alors qu’elle est moins partagée par les 25-34 ans que par les répondants des autres groupes d’âge (79 % c. 89 %, χ2(1) = 13,40, p < 0,001). Les réponses aux autres énoncés apportent certaines nuances à l’opinion générale des Québécois concernant la séparation. Ainsi, une majorité est d’avis que la séparation est généralement la meilleure solution lorsque les couples n’arrivent pas à régler leurs difficultés (60 % en accord). De même, l’opinion générale est que ce n’est pas la séparation qui est difficile pour les enfants, mais le conflit entre les parents (73 % en accord) et que la séparation est une bonne chose pour le ou les enfants lorsque le couple est malheureux (54 % en accord). Les opinions sont plus partagées en ce qui a trait à l’impact positif de la séparation d’une union malheureuse sur les adultes du couple. Les Québécois qui croient que la séparation est une bonne chose pour la femme (50 % en accord) et pour l’homme (48 % en accord) sont proportionnellement plus nombreux chez les personnes âgées de 25 à 34 ans comparativement aux autres groupes d’âge (59 % c. 48 % pour la femme, χ2(1) = 8,74, p = 0,003 et 57 % c. 46 % pour l’homme, χ2(1) = 7,60, p = 0,006), les non-francophones comparativement aux francophones (61 % c. 46 % pour la femme, χ2(1) = 18,28, p < 0,001 et 55 % c. 46 % pour l’homme, χ2(1) = 7,07, p = 0,008), les résidents de la région de Montréal comparativement aux autres régions du Québec (55 % c. 47 % pour la femme, χ2(1) = 7,09, p = 0,008 et 52 % c. 46 % pour l’homme, χ2(1) = 3,20, p = 0,07) et les personnes avec un niveau de scolarité universitaire comparativement aux personnes ayant un niveau de scolarité primaire, secondaire ou collégial (56 % c. 46 % pour la femme, χ2(1) = 9,66 p = 0,002 et 54 % c. 45 % pour l’homme, χ2(1) = 9,14, p = 0,003).

Conséquences de la séparation pour les enfants

Les opinions concernant les conséquences découlant de la séparation sont partagées. Ainsi, 52 % des Québécois sont d’avis que les parents qui se séparent sont toujours en conflit plusieurs années après la séparation. Une minorité substantielle d’adultes au Québec (44 %) considère que les enfants vont subir les conséquences de la séparation toute leur vie. Ceux en accord avec ces deux énoncés sont proportionnellement plus nombreux chez les gens âgés de 65 ans et plus comparativement à ceux dans d’autres groupes d’âge (60 % c. 50 % pour les parents, χ2 (1) = 8,78, p= 0,003 et 50 % c. 43 % pour les enfants, χ2(1) = 4,07, p = 0,04) et chez les non-francophones (65 % c. 48 % pour les parents, χ2(1) = 22,84, p < 0,001 et 60 % c. 39 % pour les enfants, χ2(1) = 36,24, p < 0,001).

Perception des familles monoparentales et recomposées par rapport aux familles « traditionnelles »

Une majorité de Québécois (63 %) considère que les enfants qui grandissent dans une famille monoparentale ont autant de chance de se développer et d’être heureux que ceux qui grandissent dans une famille traditionnelle. Cette opinion était partagée par une proportion plus grande de femmes (69 % c. 56 %, χ2(1) = 20,66, p < 0,001) de francophones (66 % c. 53 %, χ2(1) = 14,81, p < 0,001) et de personnes formant une famille non traditionnelle (64 % c. 58 %, χ2(1) = 3,21, p < 0,07). Une proportion importante, bien que minoritaire (39 %), a répondu que la famille recomposée et la famille monoparentale ont moins de valeur que la famille traditionnelle. Ceux qui ont exprimé cette opinion sont surtout des hommes (46 % c. 32 %, χ2(1) = 24,36, p < 0,001) des personnes âgées de 65 ans et plus (45 % c. 38 % des personnes dans les autres groupes d’âge, χ2(1) = 4,65, p = 0,03) et celles formant une famille traditionnelle (46 % c. 37 %, χ2(1) = 6,10, p = 0,01).

Le choix des descripteurs permettant de qualifier les familles traditionnelles et monoparentales montre que les familles traditionnelles sont, de façon générale, surtout décrites de manière positive (stables et sécurisantes) alors que des caractéristiques négatives sont plus souvent associées aux familles monoparentales (stressantes et complexes) (figure 1). Deux ANOVAs sur le nombre de descripteurs positifs et négatifs utilisés pour décrire les familles traditionnelles selon le type de famille révèlent la présence de différences significatives pour la valence positive, F(2 378) = 3,55, p = 0,03, et la valence négative, F(2 378) = 5,49, p = 0,004. Des comparaisons pairées indiquent que les adultes au Québec provenant de familles traditionnelles rapportent en moyenne davantage de descripteurs positifs que ceux provenant de familles monoparentales (2,7 c. 2,4, p < 0,05) alors que les Québécois vivant en famille recomposée utilisent davantage de descripteurs négatifs que ceux de familles traditionnelles ou monoparentales (0,4 c. 0,1, p < 0,01). Deux ANOVAs sur la description des familles monoparentales indiquent également la présence de différences significatives, F(2 361) = 15,31 et 15,06, p < 0,001, respectivement, pour les descripteurs positifs et négatifs. Les comparaisons pairées révèlent que les hommes et les femmes provenant de familles traditionnelles utilisent significativement moins de descripteurs positifs (0,7 c. 1,4 pour les répondants des autres types de familles, p < 0,001) et davantage de descripteurs négatifs (1,8 c. 1,1, p < 0,001) que ceux et celles des autres types de familles.

Figure 1

Descripteurs positifs et négatifs (jusqu’à trois réponses par répondant) choisis par les répondants pour décrire leur représentation des familles traditionnelles et monoparentales (n = 1202)

Descripteurs positifs et négatifs (jusqu’à trois réponses par répondant) choisis par les répondants pour décrire leur représentation des familles traditionnelles et monoparentales (n = 1202)

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Opinions sur la séparation : profil de réponses

Une première analyse de regroupement a permis de générer cinq profils distincts de réponses à propos des opinions sur la séparation parentale. Les 13 indicateurs d’opinion sur la séparation retenus[4] pour cette analyse présentaient une variabilité suffisante dans les réponses obtenues ou expliquaient plus de 10 % de la variance. Des solutions variant entre deux et six regroupements ont été considérées avant de sélectionner une solution optimale selon la variance expliquée et le potentiel d’interprétation. Celle-ci comporte cinq regroupements expliquant près de 32 % de la variance de l’ensemble des indicateurs (tableau 3). L’interprétation des regroupements consiste en une description qualitative de ce qui caractérise et distingue chaque regroupement (Hair et Black, 2000). Dans le cas des opinions sur la séparation, une typologie se dégage des regroupements effectués. Les nostalgiques peu alarmistes : le premier regroupement (19,08 %) tend à avoir une vision plutôt négative de la séparation. Cependant, ce qui différencie vraiment ce groupe des autres est la perception que la séparation n’entraîne pas de conséquences négatives à long terme pour les enfants ou des conflits parentaux de longue durée. Les modernistes : le deuxième regroupement (10,92 %) est caractérisé par une vision plutôt positive de la séparation et par la croyance que les enfants en famille monoparentale ont autant de chance de bien se développer et d’être heureux que ceux qui grandissent dans une famille traditionnelle. Ces adultes sont en désaccord avec l’affirmation que les familles monoparentales et recomposées ont moins de valeur que les familles traditionnelles. Au surplus, ce groupe se distingue fortement par son opinion négative très marquée envers la famille traditionnelle qui se matérialise par le fait d’associer peu de qualificatifs positifs et plusieurs qualificatifs négatifs à cette structure familiale. Les paradoxaux : globalement, le troisième regroupement (24,5 %) est celui qui est le plus en accord avec les items présentant la séparation comme une « bonne chose » lorsque les gens sont malheureux et avec l’affirmation que ce sont les conflits et non la séparation qui affectent les enfants. Paradoxalement, leur opinion de la famille monoparentale est plutôt négative. Les traditionalistes : le quatrième regroupement (23 %) est formé de personnes qui se positionnent clairement en défaveur de la séparation, qui croient de façon marquée que les conséquences de la séparation sont négatives et à long terme, et qui valorisent davantage la famille traditionnelle. Les promonoparentalité : le cinquième et dernier regroupement (22,5 %) se démarque essentiellement par un positionnement très positif envers la famille monoparentale. Concrètement, les adultes de ce regroupement sont ceux qui associent le plus de caractéristiques positives et le moins de caractéristiques négatives aux familles monoparentales.

Tableau 3

Analyse de regroupement exploratoire concernant l’opinion sur la séparation parentale

Analyse de regroupement exploratoire concernant l’opinion sur la séparation parentale

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Tableau 4

Comparaisons entre les regroupements pour les variables d’intérêt1 — opinion sur la séparation

Comparaisons entre les regroupements pour les variables d’intérêt1 — opinion sur la séparation

Tableau 4 (continuation)

Comparaisons entre les regroupements pour les variables d’intérêt1 — opinion sur la séparation

1 Seules les variables avec des différences significatives entre les groupes sont présentées.

2 Note : Des lettres différentes (a, b, c) indiquent où se situent les différences significatives dans les comparaisons pairées.

3 Les regroupements présentant des valeurs en gras se distinguent significativement de tous les autres regroupements sur cette variable (même ligne).

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Le profil sociodémographique de chacun des regroupements (tableau 4) révèle que le premier regroupement (nostalgiques, mais peu alarmistes) est, comparativement aux autres regroupements, davantage formé de francophones et de personnes vivant dans d’autres régions que celles de Québec et de Montréal. Les modernistes se distinguent par la présence plus importante des 25 à 34 ans et moins importante des 45 à 54 ans. Ils sont également plus souvent célibataires, universitaires et se situent davantage dans la tranche de revenu la moins élevée (0 à 19 000 $ par année). Le regroupement formé des traditionalistes comprend une proportion moins élevée de personnes âgées de 55 à 64 ans et de personnes ayant vécu une séparation ou un divorce et davantage de gens mariés et d’hommes. Le regroupement présentant une vision très positive de la monoparentalité comporte moins de personnes âgées de 35 à 44 ans, mais davantage de veufs, de personnes ayant vécu une séparation ou un divorce, de personnes vivant dans une famille monoparentale et gagnant de 20 000 à 39 000 $ par année. Les paradoxaux, quant à eux, ne se distinguent pas des autres regroupements sur les variables démographiques et socioéconomiques étudiées.

DISCUSSION

Cette recherche avait pour premier objectif de brosser le portrait de l’opinion des Québécois au sujet de la séparation des parents en mesurant l’acceptabilité sociale de cette transition et ses conséquences (bien-être des individus, développement des enfants, etc.). Un deuxième objectif était d’établir « qui pense quoi » au sujet de la séparation des parents.

Portrait de l’opinion des Québécois

Un premier point de vue qui fait l’objet d’un quasi-consensus auprès de la population québécoise est que les gens se séparent trop facilement de nos jours. D’autres résultats apportent cependant des nuances à ce point de vue largement partagé : une majorité (60 %) croit que la séparation est généralement la meilleure solution lorsque les couples n’arrivent pas à régler leurs difficultés. À titre comparatif, c’est le cas de seulement la moitié des Américains (National Opinion Research Center, 2015). En outre, plus de la moitié des Québécois considèrent que la séparation est une bonne chose pour les enfants lorsque le couple est malheureux et une large majorité est d’avis que ce n’est pas la séparation qui est difficile pour les enfants, mais le conflit entre les parents, opinion également massivement partagée par les Britanniques (Duncan et Philipps, 2008). En revanche, l’opinion de plus de la moitié des Québécois, en particulier chez les personnes âgées de 65 ans et plus, est que les parents qui se séparent sont toujours en conflit plusieurs années après la séparation ; 44 % croient que les enfants vont subir les conséquences de la séparation toute leur vie. Que retenir de ces résultats et points de vue en apparence contradictoires ? Les Québécois semblent considérer que les gens ne font pas assez d’efforts pour sauver leur couple et souhaiteraient que la séparation soit plus souvent évitée. Cependant, en cas d’impasse, celle-ci apparaît acceptable, voire préférable pour les enfants, pourvu qu’on les épargne des conflits. Ce point de vue qui pourrait relever du sens commun a, dans les faits, été largement démontré par la recherche scientifique qui a identifié le conflit parental comme principal facteur de prédiction du bien-être des enfants dont les parents se séparent (Amato et Keith, 1991 ; Grych, 2005).

Un élément qui ressort des études internationales comme pouvant être lié à l’opinion de la population en matière de transition familiale est le type d’État et l’ampleur des mesures gouvernementales visant à soutenir les familles (Gelissen, 2003 ; Rijken et Liefbroer, 2012). À ce chapitre, le Québec se distingue des autres provinces canadiennes par son plus bas taux de pauvreté chez les familles monoparentales et un risque moins élevé pour ces familles de se retrouver dans une pauvreté aiguë et persistante. Ces différences seraient tributaires des politiques familiales québécoises plus généreuses qui incluent un réseau de services de garde accessible et à bas coût (Raïq et Plante, 2013) et différentes mesures économiques visant à soutenir les familles (Ministère de la Famille et Aînés, 2011). Est-ce pour autant que les Québécois valorisent la monoparentalité ? Dans les faits, près de 40 % d’entre eux sont d’accord avec l’affirmation que les familles monoparentales et recomposées ont moins de valeur que les familles biparentales intactes et les qualificatifs utilisés par ces derniers pour décrire la famille monoparentale sont plus souvent négatifs que positifs. D’un autre côté, 63 % des personnes ayant répondu au sondage sont d’avis que les familles monoparentales permettent aux enfants de s’épanouir autant que les familles traditionnelles. À titre comparatif, cette opinion semble beaucoup moins partagée aux États-Unis, un pays qui a mis en place peu de mesures de redistribution aux familles monoparentales, de soutien à la garde d’enfant et de congés parentaux, en comparaison à d’autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (Maldonado et Nieuwenhuis, 2015). En effet, 49 % des Américains croient qu’un parent seul peut aussi bien élever un enfant que deux parents (National Opinion Research Center, 2015) et 78 % croient que les enfants qui grandissant dans une famille monoparentale ont un peu (40 %) ou beaucoup (38 %) plus de défis à surmonter que les autres enfants (Pew Research Center, 2010). La réplication du présent sondage jumelée à la prise en compte des mesures de soutien aux familles dans d’autres provinces et pays permettrait cependant de mieux situer le Québec à l’échelle internationale.

En somme, peut-on affirmer que les Québécois entretiennent des préjugés à l’égard des familles séparées ? Plutôt qu’une réponse tranchée, la présente étude propose un portrait en demi-teintes : la famille biparentale intacte demeure un idéal même si les familles qui ont connu la séparation des parents ne sont pas systématiquement vues négativement. Cette considération positive de la famille séparée semble cependant s’appuyer sur une représentation du « bon divorce » ou de la « bonne séparation » qui permet à une famille séparée de « rester une famille », soit de garder des liens parent-enfant étroits et des relations parentales coopératives et exemptes de conflits (Amato, Kane et James, 2011).

Les profils d’opinions

Un deuxième objectif de cette étude était de déceler des profils distincts d’opinions et de les relier à des caractéristiques sociodémographiques. Pour ce faire, des analyses exploratoires de regroupement ont été effectuées. Dans le cas des opinions sur la séparation, si cinq profils ont été dégagés (nostalgiques peu alarmistes, modernistes, paradoxaux, traditionalistes, et promonoparentalité), deux ressortent comme étant particulièrement en opposition, soit les modernistes (séparation et monoparentalité vues positivement et famille traditionnelle vue négativement) et les traditionalistes (séparation et monoparentalité vues négativement, famille traditionnelle vue positivement et conséquences négatives et à long terme de la séparation). Dans le premier cas, le profil type est celui d’un répondant plus jeune (25 à 34 ans), célibataire, ayant terminé des études universitaires et ayant un faible revenu (0 à 19 000 $ par année). Le regroupement formé des traditionalistes comporte davantage de gens mariés et d’hommes. Ce résultat rejoint d’autres études qui ont montré que les personnes plus éduquées et les femmes ont généralement une vision moins conservatrice de la famille (Gubernskaya, 2010 ; Kinlaw et collab. 2015 ; Pew Research Center, 2011 ; Treas et collab. 2014). Par ailleurs, il est intéressant de noter que le groupe qui valorise la monoparentalité (les promonoparentalité) comprend davantage de personnes ayant vécu une séparation ou un divorce ou étant actuellement en situation de monoparentalité, alors que le groupe traditionaliste regroupe moins de personnes ayant vécu une séparation ou un divorce. Ceci pourrait indiquer que les personnes tendent à voir plus positivement des situations qu’elles vivent elles-mêmes.

Une comparaison des profils montre aussi que certains se distinguent par le fait de poser un regard tantôt négatif sur le phénomène de la séparation parentale (les nostalgiques et les traditionalistes), tantôt positif ; la séparation est alors vue comme une bonne solution face à une union malheureuse (les modernistes et les paradoxaux). Il semble donc subsister des tiraillements au sein de la population sur le plan des fondements de la vie conjugale que l’on considère comme étant basés, chez les couples contemporains occidentaux, sur l’amour et l’épanouissement personnel (Singly, 2000 ; Théry, 2000). L’élaboration de ces profils permet aussi de constater que le fait de valoriser des structures familiales qui s’écartent de la norme de la famille traditionnelle n’équivaut pas nécessairement à valoriser la diversité familiale en soi. En effet, du côté des Québécois qui considèrent que certaines structures familiales sont préférables à d’autres, on retrouve les traditionalistes (valorisation de la famille intacte et vision plutôt négative de la monoparentalité), les paradoxaux (vision plutôt négative de la monoparentalité) et les modernistes (vision négative marquée de la famille intacte). Ces conclusions sont toutefois basées sur des analyses exploratoires qu’il serait pertinent d’approfondir.

CONCLUSION

Plus largement, les résultats obtenus dans ce sondage révèlent une dissonance entre le vécu familial des Québécois et leur opinion. En réalité, alors que la famille traditionnelle est de moins en moins la structure familiale dominante (Lou et collab. 2014), les Québécois voient beaucoup plus positivement les familles traditionnelles que les autres structures familiales. Ceci laisse donc supposer que les idéaux ou le discours ne rejoignent pas les réalités individuelles et familiales. Pour le moment, les conséquences de ce décalage sont mal connues. Toutefois, nous savons que les représentations négatives de la séparation tendent à affecter négativement les familles qui vivent cette transition. Lorsqu’en plus, ces représentations ne sont pas généralisées (rappelons, à titre d’exemples que la séparation des parents a des effets hétérogènes sur l’adaptation des enfants et qu’en moyenne les impacts mesurés sont de faible amplitude (Amato, 2001 ; Amato, 2014 ; Jeynes, 2006) ou que deux ans après la dissolution de leur mariage, les deux tiers des parents ne sont plus en conflit (Drapeau et collab. 2006), il pourrait apparaître intéressant de travailler au développement d’une représentation plus positive de la famille séparée. Certains éléments du discours ambiant pourraient être revus, par exemple la propension à associer automatiquement la séparation aux conflits, à la « famille éclatée », à « l’enfance brisée » ou à un problème social (Bernstein, 2007 ; Coltrane et Adams, 2003 ; Saint-Jacques et collab. 2016). À l’instar de Campbell et Wright (2010), qui proposent le développement d’une représentation moins restrictive du mariage (union qui dure aussi longtemps que le couple est heureux en opposition à une union monogame et indissoluble jusqu’à la mort) qui soit plus en phase avec la réalité conjugale des Américains (taux d’infidélité et de divorce élevés au sein de la population), une image plus diversifiée et plus positive des différentes structures familiales reste à promouvoir pour que l’idéal rejoigne la réalité.