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Introduction

Les dernières décennies ont été marquées par la (ré-)introduction mondiale de la justice réparatrice en réponse aux conflits interpersonnels en général et aux crimes en particulier. L’approche réparatrice s’est développée en réponse aux effets dévastateurs du système punitif, à la redécouverte de la victime et au besoin de restaurer une communauté fracturée (Faget, 1997). La maturation du modèle réparateur est fortement liée à son développement sur le terrain. Un arsenal d’instruments réparateurs a été déployé. Les mesures réparatrices appliquées comprennent, entre autres, la médiation auteur-victime (confrontation directe entre le contrevenant et la victime en présence d’un médiateur, ou encore, communication entre les deux parties par l’intermédiaire du médiateur), les rencontres détenus-victimes (qui rassemblent des contrevenants et des victimes d’affaires différentes), ainsi que la concertation réparatrice en groupe (Family Group Conferencing ; conçue pour intervenir avec un jeune contrevenant et ses proches, ainsi que la victime et ses proches et un représentant de la communauté). L’approche réparatrice a aussi été intégrée dans les politiques criminelles nationales et supranationales en Europe (Aertsen et al., 2004 ; Miers et Aertsen, à venir). Les interventions réparatrices sont employées mondialement dans les cas d’infractions commises par des jeunes contrevenants, ainsi que par des contrevenants adultes. Bien qu’initialement le modèle réparateur ait été réservé aux crimes non violents, son champ d’application s’est graduellement élargi pour inclure les crimes contre la personne (Van Ness, 2005 ; Liebmann, 2007).

Les développements sur le terrain témoignent d’une maturation de l’approche réparatrice, bien que l’on soit toujours à la recherche d’une définition consensuelle (Zehr et Mika, 1998 ; Roche, 2002 ; Van Ness, 2005 ; Wheeldon, 2009 ; Woolford et Ratner, 2010). L’élaboration d’un cadre théorique pour l’approche réparatrice n’a toujours pas rattrapé la pratique réparatrice (Braithwaite, 1999 ; McEvoy et al., 2002). La définition proposée par Marshall en 1996 est reconnue comme la plus acceptable ; il décrit la justice réparatrice comme « a process whereby all parties with a stake in a particular offence come together to resolve collectively how to deal with the aftermath of the offence and its implications for the future » (Marshall, 1996 : 37). Cette définition a été critiquée parce qu’elle accentue l’importance du processus et ignore celle du résultat (Bazemore et Walgrave, 1999). Aussi, dans sa définition, Marshall considère seulement les interventions face à face entre victimes et contrevenants, tandis qu’une communication indirecte peut être autant utile et réparatrice (McCold et Wachtel, 2000). L’absence d’une définition consensuelle complique l’évaluation des projets réparateurs. Le modèle réparateur risque aussi de perdre sa particularité et de devenir un concept trop étendu, couvrant une multitude d’interventions qui ne correspondent pas toutes nécessairement à l’esprit de l’approche réparatrice (Zehr et Mika, 1998 ; Roche, 2006 ; Shapland et al., 2006 ; Jaccoud, 2007 ; Woolford et Ratner, 2010).

Néanmoins, les chercheurs s’entendent sur les fondements et les éléments clés de la justice réparatrice. Puisque la « lunette réparatrice » (terme emprunté de Zehr, 1990) perçoit le crime comme un conflit ou une blessure (plutôt qu’uniquement comme une infraction à la loi), le but est d’atteindre la conciliation et le soulagement (plutôt que la punition). Conséquemment, les interventions réparatrices devraient faciliter la participation des trois parties impliquées, soit le contrevenant, la victime et la communauté, ainsi que la communication entre elles. Cela permet de trouver une solution au conflit et d’en atténuer les conséquences, et ce, de façon acceptable pour toutes les parties. La reconnaissance par le contrevenant des dommages causés et du besoin de réparation, la reconnaissance de la victime ainsi que, ultimement, la réintégration du contrevenant et de la victime dans une société sûre et juste, est une préoccupation centrale dans l’approche réparatrice (Van Ness, 1997 ; Van Ness et Heetderks-Strong, 1997 ; Zehr et Mika, 1998).

Cependant, les chercheurs sont en désaccord en ce qui concerne la position que devrait occuper la justice réparatrice dans le système judiciaire, soit en complément du système pénal, soit en remplacement du système pénal. Van Ness (2002) distingue quatre relations possibles (voir aussi Bosnjak [2007] pour une interprétation de cette classification). Premièrement, l’approche réparatrice pourrait remplacer le système pénal (l’approche abolitionniste). Deuxièmement, le modèle réparateur et le modèle pénal pourraient coexister indépendamment, avec des passages entre les deux systèmes qui permettent aux justiciables et aux victimes de traverser de l’un à l’autre, dénommé le modèle du « dual-track ». Troisièmement, dans un modèle hybride, le système pénal pourrait être remplacé partiellement par l’approche réparatrice. Par exemple, les procédures traditionnelles serviraient à établir la responsabilité pénale de l’accusé et les interventions réparatrices à établir la réponse au crime (Christie, 1977). Quatrièmement, Van Ness décrit le modèle du « safety-net ». Dans ce modèle, l’approche réparatrice serait toujours utilisée comme intervention par défaut, pour que le système pénal soit seulement utilisé comme dernier ressort (comparable à la théorie de « responsive regulation » de Braithwaite [2007]).

Les interventions réparatrices évaluées par les victimes

L’implantation étendue de l’approche réparatrice est accompagnée d’un vaste corpus de recherche. Les études évaluatives de la pratique réparatrice indiquent clairement que les interventions réparatrices sont, en tant que complément à la procédure judiciaire traditionnelle, fortement appréciées par les victimes participantes (Wemmers et Canuto, 2002 ; Shapland et al., 2006). De plus, selon les recherches comparatives, le modèle réparateur semble plus apte à répondre aux attentes des victimes de tous types d’infraction, y compris des crimes graves, que les procédures pénales (Braithwaite, 1999 ; Poulson, 2003 ; Latimer et al., 2005 ; Strang et al., 2006 ; Shapland et al., 2007). En outre, la participation à une intervention réparatrice aurait un effet thérapeutique. Par exemple, dans leur étude quasi expérimentale, Rugge et Scott (2009) comparent l’état psychologique des victimes (et des agresseurs) avant et après leur participation à l’un des deux projets canadiens de médiation auteur-victime appliquée à des crimes graves et moins graves. Les chercheures concluent premièrement que les 50 victimes de leur échantillon ont elles-mêmes précisé que la médiation leur a permis de se sentir mieux, et que, deuxièmement, les indicateurs objectifs de problèmes psychologiques avaient effectivement diminué.

Dans le même esprit, une importante étude expérimentale et comparative en Australie et en Angleterre qui assignait de manière aléatoire des victimes de crimes violents et non violents à une médiation complémentaire ou à une simple procédure pénale a démontré que les victimes australiennes et anglaises qui avaient recours à la médiation se sentaient significativement mieux que celles qui avaient suivi uniquement les procédures traditionnelles. La peur et la colère avaient diminué chez ces victimes (Strang et al., 2006). En utilisant les données de cette étude expérimentale, Angel (2008) a aussi découvert une diminution significative du stress post-traumatique après l’intervention réparatrice.

La participation à un programme réparateur ferait aussi en sorte que les victimes participantes aient le sentiment de se prendre en main (« empowerment ») (Wemmers et Canuto, 2002 ; Wemmers et Cyr, 2005 ; Shapland et al., 2007). Finalement, des études comparatives dévoilent que les victimes sont plus satisfaites de l’intervention réparatrice que de la procédure judiciaire (Umbreit et al., 2002 ; Strang et Sherman, 2003 ; Latimer et al., 2005 ; Strang et al., 2006), entre autres parce qu’elles se sentent plus engagées dans la recherche d’une solution aux conséquences du délit (Wemmers et Cyr, 2006).

Cependant, plusieurs experts font preuve de prudence lorsqu’il s’agit de l’offre réparatrice aux victimes de violence, surtout aux femmes (Stubbs, 2002 ; Herman, 2005). Le risque d’une victimisation secondaire fait en sorte que certains chercheurs, comme Julie Stubbs (2002), souhaitent que les crimes de violence commis contre les femmes soient exclus catégoriquement des programmes de justice réparatrice. Selon Stubbs, ces femmes peuvent trop facilement être manipulées par leur agresseur (souvent leur conjoint ou leur ex-conjoint) et doivent ainsi être protégées. Par contre, d’autres chercheurs trouvent que ces femmes utilisent la dénonciation auprès de la police comme un outil de négociation avec leur (ex)-conjoint (Wemmers et Cousineau, 2005). Dans ce processus, la justice réparatrice leur donne le pouvoir de négocier, un pouvoir que le système pénal ne leur donne pas[1] (Wemmers et al., 2004). Il faut plutôt évaluer cas par cas la possibilité d’appliquer la justice réparatrice et s’assurer que la violence a cessé avant d’entreprendre un processus de justice réparatrice au lieu d’exclure catégoriquement certains crimes (Wemmers et Cousineau, 2005 ; Clemants et Gross, 2007).

Bien qu’elles ne représentent qu’une minorité parmi les victimes participantes, certaines victimes jugent leur participation dans l’approche réparatrice de façon négative (Wemmers et Canuto, 2002 ; Wemmers et Cyr, 2004 ; Daly, 2004 ; Sherman et Strang, 2007). Souvent, il s’agit d’une mauvaise sélection de cas. Par exemple, certaines victimes ont indiqué que la rencontre avec le contrevenant avait augmenté leur anxiété parce que l’agresseur n’avait pas reconnu sa responsabilité pour le crime et ainsi elles ont senti que le crime pouvait se reproduire (Wemmers et Cyr, 2004). Il ne faut pas pour autant cesser d’offrir aux victimes le recours à la justice réparatrice, mais plutôt travailler à réduire les risques négatifs que celle-ci peut éventuellement entraîner. En fait, la plupart des victimes participantes de tous types de crimes apprécient l’offre réparatrice. Les observations empiriques et évaluatives encouragent un recours plus fréquent à la justice réparatrice (Braithwaite, 1999 ; Strang et Sherman, 2003). Selon Strang et al. (2006 : 304), « [T]here is a clear victim benefit returned on investment in restorative justice ». On devrait alors cesser de se demander si on peut offrir les options réparatrices aux victimes de crimes violents, et plutôt réfléchir à comment et quand on devrait les offrir (Wemmers, 2002a). Dans cet article, nous cherchons à vérifier la pertinence de l’offre réparatrice avant et après qu’une décision judiciaire est prise. Plus particulièrement, nous voulons savoir si la disponibilité d’une décision judiciaire est une condition pour la convenance de l’approche bilatérale avancée par la justice réparatrice. Pour atteindre cet objectif, nous nous sommes appuyées sur la théorie de la justice procédurale.

La théorie de la justice procédurale

La théorie de la justice procédurale (« procedural justice ») porte sur la façon d’organiser des procédures pour qu’elles soient perçues comme justes. Cette théorie, qui prédit des préférences procédurales des participants dans des procédures relatives à des conflits, nous a guidé dans notre recherche. Initialement élaborée par Thibaut et Walker (1975), la théorie de la justice procédurale affirme que, tout comme le résultat de la procédure suivie pour résoudre le conflit, le processus qui amène à ce résultat est également important pour les participants. À la suite d’une série d’expériences de laboratoire, Thibaut et Walker (1975) ont conclu qu’en général, les procédures qui donnent le plus de contrôle aux individus, et en même temps minimisent le contrôle d’une tierce partie, sont les plus appréciées. Ils distinguent entre le contrôle du processus (i.e. l’opportunité de présenter des arguments) et le contrôle de la décision (i.e. le contrôle du verdict). Ils ont observé que les gens impliqués dans un conflit cherchent à garder le contrôle du processus ainsi que le contrôle des décisions. En d’autres mots, selon Thibaut et Walker, les procédures bilatérales, comme par exemple les procédures réparatrices, sont généralement préférables. Thibaut et Walker expliquent que les gens cherchent des résultats favorables et qu’ils veulent s’assurer d’un résultat favorable en gardant le contrôle sur la décision.

Cependant, Thibaut et Walker ont trouvé que les personnes impliquées dans un conflit cherchent l’intervention d’une tierce partie lorsqu’elles ont des intérêts déséquilibrés ou non concordants ou lorsque le conflit est très intense. Ça peut être le cas, par exemple, pour les actes criminels où la victime cherche activement l’intervention de l’État en portant plainte à la police (Wemmers, 2002b ; Wemmers et al., 2003). Par contre, même si les gens impliqués dans un conflit intense sont prêts à déléguer le contrôle de la décision à une tierce partie, ils veulent toujours garder le contrôle du processus. Par exemple, les victimes qui dénoncent un crime et qui comptent sur le système pénal pour réagir veulent tout de même participer dans les procédures après avoir délégué le contrôle de la décision aux acteurs judiciaires.

Les premières études de Thibaut et Walker ont été suivies de multiples études scientifiques concernant la justice procédurale (Lind et Tyler, 1988 ; Tyler et Lind, 1992 ; Van den Bos, 1996 ; Colquit, 2001). Tandis que Thibaut et Walker supposaient que certaines procédures sont plus appréciées parce qu’elles mènent à des résultats favorables (i.e. le modèle « self-interest »), d’autres chercheurs ont démontré que les procédures sont importantes indépendamment des résultats. Selon ces chercheurs, les procédures reflètent le statut social des participants et envoient le message qu’ils sont reconnus en tant que membres respectables de la société. Ainsi, même si une victime a obtenu un résultat favorable (par exemple, la condamnation de son agresseur), sa satisfaction ne sera pas optimale si elle ne se sent pas reconnue dans la procédure qui a abouti à ce résultat (Wemmers, 1996). Une troisième explication possible pour comprendre pourquoi la justice procédurale est importante vient de Van den Bos et Lind (2002) qui avancent que les procédures justes nous permettent de mieux gérer l’incertitude (uncertainty management). Selon eux, la justice procédurale est importante parce qu’elle donne des balises pour pouvoir évaluer les situations incertaines. Les victimes qui connaissent mal le système pénal et qui ne savent pas ce qui va arriver évaluent donc l’équité des procédures.

Objectifs de recherche

Les crimes violents constituent des situations susceptibles de représenter des intérêts déséquilibrés ou non concordants, ou des situations d’une intensité élevée. Selon la théorie de la justice procédurale, dans une telle situation, les victimes préféreraient l’intervention d’une tierce partie. Mais, elles souhaiteraient également participer aux procédures et garder un contrôle sur celles-ci. Le système pénal donne un rôle limité aux victimes et ces dernières se plaignent que le système les exclut (Shapland et al., 1985 ; Kelly et Erez, 1997 ; Herman, 2005 ; Wemmers et Cyr, 2006). Par contre, la justice réparatrice, qui est de nature bilatérale, offre le contrôle du processus ainsi que le contrôle décisionnel. Tandis que les victimes d’actes criminels cherchent à garder le contrôle du processus, elles ne cherchent généralement pas à avoir le contrôle de la décision (Wemmers et Cyr, 2004). Dans cet article, nous voulons explorer la pertinence de l’approche bilatérale offerte par la justice réparatrice en réponse aux crimes violents. Ces crimes représentent des situations dans lesquelles l’intervention d’une tierce partie, soit une autorité judiciaire, est généralement requise. Nous explorons la pertinence de la justice réparatrice, dans des cas de violence grave, avant et après l’intervention d’une tierce partie.

Plus spécifiquement, dans cette étude, nous voulons premièrement discerner l’appréciation par les victimes d’une intervention réparatrice selon le moment de son application soit avant, soit après qu’une décision judiciaire est prise. Deuxièmement, nous cherchons à démontrer la pertinence de l’approche bilatérale avancée par la justice réparatrice, en l’absence ou en la présence d’une décision judiciaire, pour les victimes de crimes violents.

Les observations faites dans ce but nous ont permis de vérifier si la disponibilité d’une décision judiciaire est une condition pour l’appréciation de l’approche bilatérale offerte par la justice réparatrice. D’ailleurs, les observations faites par les victimes concernant l’appréciation de l’intervention réparatrice relative au moment de son application mettent également en lumière leur point de vue sur la position de l’approche réparatrice par rapport au système pénal. Cela pourrait également nourrir le débat scientifique sur la position de la justice réparatrice.

Méthodologie et échantillon

Méthodologie qualitative

Dans le présent article, nous nous concentrons sur l’appréciation d’une intervention réparatrice, telle que la médiation auteur-victime, les rencontres détenus-victimes et les concertations réparatrices en groupe, d’après l’expérience des victimes de violence relativement au moment de son application dans le processus judiciaire. L’objectif de recueillir les impressions et les réflexions des victimes justifie l’utilisation d’un devis méthodologique de type qualitatif. Ce devis permet d’obtenir un regard approfondi sur une réalité sociale donnée (Guba et Lincoln, 1994 ; Poupart et Lalonde, 1998). Dans ce but, nous avons mené des entrevues semi-directives avec des victimes de crimes violents ou avec leurs proches (dans le cas où la victime directe est décédée des suites du crime, catégorisées comme victimes indirectes) en Belgique et au Canada. Le type de crime ciblé a été défini comme un crime contre la personne comportant de la violence physique ou psychologique, tel que l’homicide volontaire ou involontaire, les voies de fait ayant causé des blessures, l’enlèvement, la prise d’otage, l’agression sexuelle, le harcèlement et le vol qualifié. Dans les codes criminels belge et canadien, ces types de crime sont mentionnés sous différentes sections rassemblant les crimes contre la personne ou contre les biens, et pouvant être punis avec une sentence d’emprisonnement.

De plus, les victimes ciblées ont participé à une médiation auteur-victime, une rencontre détenus-victimes ou une concertation réparatrice en groupe avant ou après qu’une autorité judiciaire s’est prononcée sur leur dossier. Au Canada, à l’échelle nationale, la médiation auteur-victime n’est offerte qu’aux victimes de crimes violents après l’approbation de la sentence, sauf si le contrevenant est un mineur. Au Québec, les dossiers concernant les crimes violents commis par un jeune sont moins souvent transmis aux services de justice réparatrice, comme le constate Martire (2005). Des rencontres détenus-victimes peuvent s’effectuer à n’importe quelle phase, mais sont peu fréquentes. Nous avons également interviewé des victimes participantes en Belgique. La loi fédérale de 2005 sur la généralisation de l’offre de médiation réparatrice et la loi de 2006 modifiant la législation relative à la protection de la jeunesse et à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié d’infraction y encouragent l’utilisation des interventions réparatrices. L’approche réparatrice y est applicable dans tous les types de crimes commis par un adulte ou par un jeune, soit avant ou après que la décision judiciaire est prise. Notons qu’au Canada et en Belgique les interventions réparatrices sont complémentaires et ne remplacent ni la procédure judiciaire ni la décision judiciaire.

Recrutement

Les victimes interviewées ont été sélectionnées et approchées par l’entremise de services de justice réparatrice belges et canadiens. Notre échantillon compte 28 répondants, parmi lesquels la moitié (14) a participé à une intervention réparatrice avant que la décision judiciaire soit prise et l’autre moitié après. Seulement un répondant du groupe « participation avant la décision judiciaire » est canadien. Le groupe « participation après la décision judiciaire » comprend six Belges et huit Canadiens.

Description de l’échantillon

Les deux groupes de répondants sont assez comparables. L’âge moyen est de 47 ans dans les deux groupes. La plupart des répondants dans les deux groupes sont des femmes. Il y a toutefois six hommes dans le groupe « participation avant la décision judiciaire » et seulement un dans le groupe « participation après la décision judiciaire ». Les répondants qui ont participé à une médiation auteur-victime sont plus nombreux dans les deux groupes (respectivement 11 et 12 sur 14 répondants). Trois répondants nous ont parlé de leurs expériences en matière de rencontres détenus-victimes, auxquelles un a participé avant qu’un juge se soit prononcé dans son dossier et deux après. Notre échantillon comprend deux victimes qui ont participé à une concertation réparatrice en groupe, toutes deux avant qu’une décision judiciaire soit prise. Dans chaque groupe, plus de la moitié des répondants connaissaient déjà l’agresseur avant la victimisation. Trois cas dans le premier groupe et un cas dans le deuxième groupe concernent un jeune contrevenant.

Les deux groupes diffèrent plus en ce qui concerne le type de crime. Il y a plus de victimes d’homicide volontaire ou involontaire et d’inceste dans le groupe « participation après la décision judiciaire » (respectivement sept et quatre dans le groupe « participation après la décision judiciaire » contre respectivement quatre et une dans le groupe « participation avant la décision judiciaire »). Tous les cas de voies de fait (N = 6) se situent dans le groupe « participation avant la décision judiciaire », mais le groupe « participation après la décision judiciaire » inclut une invasion de domicile. Les proches des victimes du crime sont plus nombreux dans le groupe « participation après la décision judiciaire », puisque le nombre de cas d’homicides est plus élevé dans ce groupe. Toutefois, cela n’affecte pas nos résultats, puisque avec un échantillon qualitatif, nous n’aspirions pas à la représentation, mais à la saturation empirique.

Il est à noter que tous les cas sauf une des victimes qualifiées comme indirectes (N = 11) concernent un homicide (N = 10). Malgré que nous catégorisions ces victimes comme indirectes, elles ont vécu de très près et directement les conséquences émotionnelles d’avoir perdu un proche ainsi que les étapes policières, criminelles et réparatrices. Les expériences de ces victimes soi-disant indirectes, c’est-à-dire les proches d’une victime décédée, sont assez comparables aux expériences des victimes classées comme victimes directes. De plus, le onzième cas avec une victime indirecte concerne une invasion de domicile, chez ses parents. Dans ce cas, c’est la victime indirecte qui a rencontré l’agresseur et non pas ses parents. En d’autres mots, même dans ce cas, c’est la victime indirecte qui a pu nous décrire ses expériences liées à l’intervention réparatrice.

Évidemment, toutes les victimes dans notre échantillon ont initié ou accepté l’offre réparatrice. Nous ne cherchions pas à savoir pourquoi les victimes refusaient de participer à une intervention réparatrice ou à comparer les expériences des victimes qui ont participé à une intervention réparatrice à celles des victimes qui ont seulement vécu les procédures pénales. C’étaient aussi des victimes qui étaient prêtes à nous rencontrer et à témoigner de leurs expériences. Ce biais de sélection peut être vu comme une limite méthodologique, mais en même temps, c’est un biais inévitable dans le devis qualitatif, car on compte sur des témoignages directs.

Finalement, bien que nous sachions que les différences structurelles, culturelles et politiques associées au contexte belge et canadien, et à des régimes judiciaires distincts (respectivement inquisitoire et accusatoire) peuvent être importantes dans l’appréciation de l’approche réparatrice, elles ne font pas partie des objectifs de cet article. Nous ne voulions pas comparer les expériences des victimes aux procédures pénales, dictées par un régime inquisitoire en Belgique et par un régime accusatoire au Canada, mais comparer leurs expériences dans l’approche réparatrice, qui n’est pas dirigée par le régime inquisitoire ou accusatoire. Alors que nous sommes conscientes de la différente position légale de la victime en Belgique et au Canada, soit la possibilité d’avoir une place dans les procédures pénales en tant que partie civile en Belgique versus la position restreinte de témoin au Canada, la position de la victime au sein de l’approche réparatrice en Belgique ou au Canada est similaire, c’est-à-dire comme partie centrale et activement engagée. Rappelons également que le but de cet article n’est pas d’évaluer et de comparer la pratique réparatrice en Belgique et au Canada, mais de comparer l’appréciation des interventions réparatrices chez les victimes qui s’y sont soumises avant qu’elles connaissent la décision judiciaire et chez les victimes qui s’y sont soumises après.

Résultats

L’approche réparatrice précédant la décision judiciaire

Satisfaction par rapport à l’approche réparatrice

Les répondants qui ont participé à une intervention réparatrice avant qu’une autorité se soit prononcée dans leur dossier (treize Belges et un Canadien) ont beaucoup apprécié l’approche réparatrice. Ils sont heureux d’y avoir participé et sont satisfaits du traitement de leur cas, du soutien qu’ils ont reçu de la part du médiateur et, généralement, de l’effort du contrevenant. Les répondants décrivent l’effet de leur participation, et plus particulièrement de la rencontre avec le contrevenant, comme apaisant et libérateur, en plus de leur avoir permis de se sentir reconnus en tant que victimes :

Je trouve que c’est vraiment utile au niveau personnel. Ça permet un soulagement énorme. […] Le tribunal, c’est très froid, c’est très impressionnant. Dans le cadre de médiation, on est dans une petite pièce avec un médiateur qui prend ni parti pour l’un ni pour l’autre […]. C’est beaucoup plus convivial et ça permet de… le soulagement est plus grand. […] [On peut] engager une médiation réparatrice pour apaiser les tensions.

No 21, Belge

Se sentir bien préparé pour le procès pénal

Grâce à leur participation à une intervention réparatrice, certains répondants se sentaient bien préparés pour le procès pénal qui allait suivre. À part l’impact positif sur la récupération émotionnelle, l’intervention réparatrice s’est aussi montrée utile dans la préparation mentale pour le procès pénal. Tout d’abord, le système judiciaire était inconnu et abstrait pour tous sauf pour deux répondants (tous deux avocats). Quelques répondants (N = 3) étaient en contact avec les assistants des services d’aide aux victimes au tribunal, lesquels pouvaient leur expliquer les procédures. Les médiateurs étaient également au courant des procédures traditionnelles et c’est bien probable qu’ils pouvaient eux aussi répondre aux questions des victimes sur ce sujet. Leurs expériences dans l’intervention réparatrice pourraient ainsi avoir réduit leur incertitude par rapport au processus pénal.

Toutefois, cinq répondants soulignent que c’était surtout l’interaction avec le contrevenant qui les a davantage préparés au procès après un meilleur aperçu des détails, des faits et des motifs qui auraient pu autrement être révélés à la suite d’interrogations du juge et du procureur au tribunal. Même si les victimes avaient eu l’opportunité d’étudier le dossier judiciaire auparavant (ce qui est un droit attribué aux parties civiles en Belgique et que trois répondants de ce groupe ont utilisé), c’était le contact direct avec le contrevenant qu’elles cherchaient. L’opportunité de poser des questions pendant les rencontres réparatrices sur les événements (par exemple, les victimes indirectes n’avaient pas d’image réaliste des faits ; d’autres répondants ne se souvenaient pas de tous les détails) et sur les motifs du contrevenant (par exemple : « Pourquoi ? », « Pourquoi moi ? », « D’où viennent ses pulsions d’agression ? ») les a protégés contre certaines surprises au tribunal. Quelques répondants du groupe « participation après la décision judiciaire » (N = 3) soulignent que souvent la révélation de détails ou l’explication de l’acte violent au tribunal étaient consternantes ou choquantes. Alors, les rencontres avec le contrevenant avant le procès pénal permettaient aux répondants d’avoir une meilleure compréhension sans avoir à attendre les interrogations au tribunal :

C’était vraiment bien qu’on pouvait lui parler avant le procès. « Explique-nous ce qui s’est passé ce jour-là. » Et qu’on pouvait lui poser des questions nous-mêmes. Alors, au tribunal, eh bien, on avait déjà entendu l’histoire et c’était la deuxième ou même la troisième fois qu’on l’entendait.

No 13, Belge, notre traduction

De plus, sept répondants avaient apprécié l’opportunité de désamorcer le conflit avec le contrevenant avant d’aller au tribunal. Un répondant mentionne, par exemple, que grâce à la rencontre avec le contrevenant dans la médiation – qui offre un contexte convivial –, la rencontre postérieure avec lui au tribunal a été moins embarrassante. Il est à noter que chacun de ces sept répondants connaissait le contrevenant avant sa victimisation :

Et [la médiation auteur-victime] apparaît… enfin, je pensais que ça allait calmer les affaires un petit peu.

No 19, Belge

Bref, la participation à l’intervention réparatrice avant que la décision judiciaire soit prise permettait aux répondants de se créer des attentes réalistes par rapport à la procédure pénale et à l’impact émotionnel du procès judiciaire.

Perception d’intégration

Ce qui distingue encore les répondants du groupe « participation avant la décision judiciaire » du groupe « participation après la décision judiciaire » est la perception de l’intégration structurale de l’approche réparatrice dans l’ensemble des procédures judiciaires. Les répondants indiquent tous avoir été informés de l’indépendance, en principe, de l’approche réparatrice par rapport au système judiciaire (par exemple, un accord entre la victime et le contrevenant ne se traduit pas automatiquement par une exonération du contrevenant, une exemption ou une réduction de peine). Les répondants savaient donc que, en même temps que la procédure réparatrice avançait, leur dossier judiciaire et les investigations judiciaires avançaient de façon indépendante. Néanmoins, nos données suggèrent que les procédures réparatrices et judiciaires ont été vécues comme un ensemble procédural.

Dans dix cas l’offre réparatrice avait été faite soit par le procureur ou par le médiateur après la transmission du dossier par le procureur au médiateur ; cette procédure a contribué à une impression d’intégration. Ceux qui avaient été invités directement par le procureur ajoutent que cette manière de faire donnait un air de formalité et du sérieux à l’offre, ce qu’ils ont apprécié également. Deux répondants avaient même compris que l’intervention réparatrice était une étape supplémentaire et donc obligatoire au procès pénal, tout comme les examens médico-légaux. Le médiateur a évidemment informé ces répondants que ce n’était pas le cas.

Pour deux répondants en particulier, la perception d’intégration a été plutôt renforcée par le fait qu’ils ne se sentaient pas « saisis » par les services de justice réparatrice. La coopération entre les services de médiation, les services judiciaires et les services d’aide aux victimes, où la confidentialité des interactions avec la victime et du contenu de la médiation était respectée, a été fort appréciée. Il faut souligner qu’en Belgique, d’où viennent tous les répondants sauf un dans ce groupe, cette coopération est dirigée par les accords entre les différents services des arrondissements judiciaires et par le cadre légal sur la justice réparatrice sur le plan national, régularisant, par exemple, le partage des références entre les différents services. Autrement dit, grâce au système de référence mutuel et à la collaboration (tout en respectant la confidentialité de chacun) entre les différents services belges offerts aux victimes, les différentes étapes pouvaient former ce qui semblait être un ensemble cohérent et soutenant :

En fait, ça formait tout un ensemble. […] Il y avait aussi une bonne coopération entre le service de médiation et le service d’aide aux victimes. […] Ce n’était pas comme « Ici, c’est mon service, c’est ce que j’offre, et pas plus. Je ne veux rien en savoir du reste », non, une bonne coopération. […] Il ne faut sûrement pas sous-estimer ce que ça a fait pour nous et pour notre récupération. […] Comme, comme on a vécu la médiation, si ça marche bien par exemple, et ensuite on a le procès, je pense qu’on vit mieux le procès. Sinon, on reste avec un sentiment d’amertume.

No 12, Belge, notre traduction

Une opportunité de participer

Sept répondants soulignent que leur besoin de participer et de s’exprimer a été suffisamment comblé par la participation à l’intervention réparatrice. L’intervention réparatrice a été aussi plus pratique et conviviale que le procès pénal. Parmi ces sept répondants, deux décrivent le procès pénal comme un fardeau. Bien que ces sept répondants respectent la nécessité sociale d’une réaction formelle au crime, une fois l’intervention réparatrice leur ayant accordé suffisamment d’opportunités de participer activement, d’apaiser les tensions et de résoudre les affaires de nature informelle, ils étaient simplement moins pressés d’assister aux audiences au tribunal :

Tout d’un coup, j’avais [le montant sur lequel on s’était mis en accord] sur mon compte. Et [pour moi] c’était la fin de l’histoire. […] S’il fallait que j’aille encore au tribunal… […] Pour moi ça a été mieux de le régler ici [en médiation].

No 9, Belge, notre traduction

Le procès, pour moi, c’était moins important. Pour moi c’était fini avec [la médiation]. […] Il ne fallait plus le procès pour moi. Ce n’était qu’un fardeau pour moi.

No 4, Belge, notre traduction

Cependant, pour les sept autres répondants dans ce groupe, la participation à une intervention réparatrice ne remplace pas leur présence au tribunal. Avec le procès pénal, ils cherchent toujours à obtenir un statut. Il semble qu’ils aient peut-être eu plus de patience et de compréhension pour la nature administrative du système judiciaire, mais le besoin de s’exprimer, qui est comblé grâce à la communication avec le contrevenant, n’annule pas le besoin de s’exprimer au tribunal (plus dans le but d’être reconnu que pour influencer la décision judiciaire) :

On a eu l’opportunité de dire ce qu’on voulait dire au procès. Oui, vraiment tout, hein. Et on a toujours été impliqué, toujours été soutenu. Cela le rend en fait plus supportable.

No 12, Belge, notre traduction

L’impact de l’absence d’une décision judiciaire

Tandis que le besoin de participer était suffisamment comblé par l’intervention réparatrice pour la moitié des répondants dans ce groupe, presque tous les répondants (N = 12) soulignent que le résultat de la rencontre avec le contrevenant ne remplace pas le besoin d’une décision judiciaire. Les répondants situent le résultat de l’intervention réparatrice sur le plan informel et le résultat du système judiciaire sur le plan formel. Il est à noter que les conséquences des crimes ciblés, soit des crimes violents, se situaient sur le plan émotionnel ainsi que matériel, mais que les victimes cherchaient premièrement à savoir le pourquoi des faits, la vérité sur les faits, de savoir si le contrevenant se rendait compte de l’impact des faits sur la victime ou ses proches, ou encore d’apaiser les tensions, donc un résultat plutôt informel. Par conséquent, la majorité des répondants de ce groupe insiste ou, au moins, suggère que l’intervention réparatrice reste complémentaire aux procédures pénales, parce que le résultat de l’un ne pourrait pas remplacer le résultat de l’autre :

Je lui ai dit : « Tu t’as mis des choses dans ton plan d’intention [équivalent d’un accord entre contrevenant et victime, ici provenant d’une concertation réparatrice en groupe], mais maintenant c’est au juge de décider si cela suffit, ce n’est pas à moi de le décider. »

No 20, Belge, notre traduction

Il est à noter que le besoin d’une réaction formelle, en complément au résultat de l’intervention réparatrice, n’est pas synonyme d’une demande de punition, mais bien d’une reconnaissance formelle de la responsabilité de l’agresseur. L’importance d’une décision judiciaire est par exemple décrite comme « une trace judiciaire ». Le degré de justice n’égale pas nécessairement le degré de punition. Certains répondants (N = 7) préféraient même que le contrevenant reçoive la sentence la plus clémente possible, tout en étant, toutefois, reconnu comme responsable. De toute façon, les répondants volontairement déléguaient la responsabilité pour la trace judiciaire aux autorités. Quelques répondants (N = 3) soulignaient que ce sont les autorités qui savent ce qui est une réaction juste à l’acte criminel, non pas les victimes :

Il a quand même été cité devant le tribunal correctionnel, hein. Et je suis pour. […] D’après les faits, ça n’a aucune utilité sociale qu’il aille en prison, hein. […] Je voulais simplement qu’il reconnaisse ce qu’il avait fait. […] Et qu’il y ait un procès. Parce que la médiation ne peut pas tout faire non plus. Le médiateur n’est pas un juge. Il doit concilier les parties, mais ce n’est pas à lui d’imposer une sanction. […] Le médiateur, pour moi, enfin c’est ma conception, il doit apaiser, et il doit essayer que les personnes [puissent] se concilier. Tandis que le juge est là pour faire inscrire notamment une sanction dans un casier judiciaire et une trace judiciaire. Donc, c’est tout à fait différent et c’est tout à fait complémentaire.

No 21, Belge

En résumé, pour les répondants, l’intervention réparatrice sert à résoudre les affaires informelles, tandis que le procès pénal concerne les affaires formelles. En outre, une réponse formelle sert à la reconnaissance publique de la responsabilité du contrevenant, plutôt qu’au besoin de punition. Aussi, dans les cas où l’intervention réparatrice précède les procédures judiciaires, il ne s’agit pas d’une absence de décision judiciaire, mais de l’anticipation d’une telle décision. Tous les répondants savaient et voulaient qu’un juge se prononce dans leur dossier, malgré l’intervention réparatrice et leur satisfaction par rapport à cette intervention. Les victimes sont prêtes à donner le pouvoir décisionnel au juge mais elles veulent toujours prendre part aux procédures.

L’approche réparatrice suivant la décision judiciaire

Satisfaction par rapport à l’approche réparatrice

La satisfaction par rapport à l’approche réparatrice chez les répondants du groupe « participation après la décision judiciaire » est aussi positive que chez les répondants du groupe « participation avant la décision judiciaire ». L’offre réparatrice est décrite comme une opportunité qu’ils recommandent à d’autres victimes ou encore comme un cadeau. La participation à l’intervention réparatrice leur a amené un sentiment d’apaisement ou un sentiment de reprise de contrôle de leur vie :

[La rencontre détenus-victimes], moi c’était comme pour fermer cette boucle-là pour ensuite passer à autre chose.

No 2, Canadienne

Le fait de avoir vu [le contrevenant], m’a beaucoup aidée. Moi, je dis que si je ne l’aurais pas vu, je ne pense pas que je serais rendue aussi loin. Il m’a expliqué [des choses]. J’avais besoin d’avoir des [réponses].

No 23, Canadienne

Combler les frustrations subies dans le système judiciaire

Le mécontentement envers le système pénal semble être plus répandu et plus fort dans le groupe de répondants qui ont participé à une intervention réparatrice après la connaissance de la décision judiciaire. Dans le groupe « participation avant la décision judiciaire », il y avait quatre répondants qui n’étaient pas satisfaits du traitement qu’ils avaient reçu dans le système judiciaire[2]. Ils percevaient le système comme impersonnel, mais ils semblaient mieux préparés pour le caractère bureaucratique du système (grâce au médiateur et/ou aux services d’aide aux victimes). Par contre, la majorité des répondants qui ont participé à la justice réparatrice après une décision judiciaire (N = 8) manifeste du mécontentement envers le système judiciaire[3]. Ils mentionnent comme points négatifs la convocation à titre de témoin, le contre-interrogatoire, le traitement impersonnel de leur dossier, le manque de participation, l’impossibilité de s’exprimer et les stratégies d’ajournement de la défense. L’expérience du système judiciaire est même décrite comme l’une des pires de leur vie (N = 3) :

C’était l’une des pires expériences de ma vie, mis à part le crime. […] Je me sentais humiliée et gênée parce que l’audience m’entendait décrire ce que j’avais subi. C’était gênant. C’était très, très dur de parler de ça. […] Je revis toujours mes expériences au tribunal dans mes rêves. J’ai toujours des cauchemars du tribunal. […][Le système judiciaire] n’a simplement pas marché pour moi. Oui, j’ai eu de la vindicte, mais ce n’était pas la justice à mon avis.

No 24, Canadienne, notre traduction

Bien entendu, il y a aussi quelques victimes dans le groupe « participation après la décision judiciaire » qui ont indiqué avoir eu une bonne expérience du système pénal (N = 3). Elles soulignent l’importance du soutien de la part des services d’aide aux victimes, du procureur ou du juge pour que cela soit une bonne expérience.

Alors, pour certaines victimes qui ont participé à la justice réparatrice après une décision judiciaire (N = 8), l’intervention réparatrice a servi à combler des frustrations subies à la suite de leur expérience du système judiciaire. Par exemple, le dossier judiciaire ou le procès pénal ne leur permettait pas d’avoir toutes les réponses qu’elles cherchaient par rapport aux faits et aux motifs du contrevenant. Le procès pénal n’amenait pas la même compréhension des faits et des motifs que le dialogue direct avec lui. La seule manière de connaître la vérité était de parler avec lui dans un contexte informel et indépendant du système judiciaire, pour qu’il puisse dire les vraies choses sans répercussions judiciaires. Les répondants voulaient confronter le contrevenant pour s’assurer qu’il comprenne la gravité de ses actes. Le fait que le contrevenant est reconnu coupable par un juge et qu’ils ont eu l’opportunité de témoigner ou de présenter une déclaration de la victime n’était pas toujours suffisant :

[Je voulais] savoir qui avait [orchestré le crime]. […] Une fois que [le contrevenant] est condamné, il peut se permettre de le dire. […] Mais au tribunal, il ne va pas le dire. […] Il n’a pas [dit] un mot. Au tribunal on sait rien. […] Tout le temps de sa préventive, il a gardé le silence. Au tribunal, il a gardé le silence, tout ça pour protéger son ami. […] Donc je vais dire, il y a des vérités qu’on sait apprendre en médiation qu’on ne sait pas apprendre autre part.

No 15, Belge

Ça lui a pris 20 ans avant de dire [qu’il m’avait agressée], et c’était la chose la plus gratifiante pour moi. C’était apaisant. À ce moment, j’ai été capable de me sentir apaisée. Je ne crois pas qu’on pourrait avoir un vrai achèvement, mais [la médiation] a approché l’achèvement le plus que possible. Ça m’a donné la paix que je cherchais.

No 24, Canadienne, notre traduction

En plus, neuf répondants dénoncent explicitement leur manque de place et de statut au tribunal (ce que plusieurs répondants du premier groupe ont aussi qualifié d’incorrect et d’irrespectueux). Ils soulignent que c’est seulement dans l’intervention réparatrice qu’ils ont trouvé une place en tant que victimes et ont eu l’opportunité de s’exprimer et d’être entendus. Selon une des victimes, c’est comme d’être au volant plutôt que sur la banquette arrière. Au tribunal, bon nombre de répondants (N = 9) se sentaient mis à part ou traités d’une manière irrespectueuse ; soit l’avocat et le procureur parlaient d’eux, sans se soucier d’eux, récupérant leur histoire et la dépersonnalisant, soit ils se sentaient attaqués en tant que témoins :

[Je me sentais traitée] comme si j’étais handicapée ; on est victime donc « on ne comprend rien ». On a l’impression qu’on n’est pas apte à comprendre. […] On parle pour nous, on fait tout pour nous. […] On parle pour nous parce qu’on croit qu’on n’est plus capable de gérer. […] C’est nos avocats qui vont parler pour nous, mais [ils n’ont pas] le même ressenti que nous. […] On subit, on fait ce qu’on nous dit. […] Ça serait très rare que je suis la maman […], j’avais rarement cette place-là. Je serais toujours victime un peu, oui. C’est très frustrant parce que… La seule fois où j’ai pu être maman, c’est quand j’ai demandé la médiation, que j’ai pu parler [au contrevenant].

No 7, Belge, a perdu son enfant à la suite du crime

De toute façon, même les victimes qui se sentaient bien traitées au sein du système judiciaire (N = 3) avaient toujours besoin de rencontrer le contrevenant. Elles avaient des attentes spécifiques qui ne pouvaient simplement pas être comblées par les procédures pénales. Elles voulaient, par exemple, s’assurer que le contrevenant se rendait effectivement compte de l’ampleur des conséquences de son acte criminel dans une conversation privée.

Stricte distinction entre les procédures

L’intervention réparatrice après le procès pénal est souvent entamée pour pallier le manque de sensibilité envers la victime ou d’autres lacunes du système judiciaire. En plus, contrairement aux répondants du premier groupe, les répondants du groupe « participation après la décision judiciaire » font une stricte distinction entre la procédure judiciaire et l’intervention réparatrice, non seulement sur le plan du résultat, mais aussi de la procédure. Pour eux, la procédure réparatrice n’a rien à voir avec la procédure judiciaire et sert d’autres objectifs. Conséquemment, la participation ne corrigerait pas l’évaluation négative du système pénal, malgré la satisfaction par rapport à l’intervention réparatrice. L’intervention réparatrice est seulement une dernière étape complémentaire dans le but de connaître la vérité et de se sentir reconnu. Ils ne voient pas de lien entre l’intervention réparatrice et les procédures pénales.

L’impact de la disponibilité d’une décision judiciaire

En lien avec l’observation de la stricte distinction entre la procédure judiciaire et la procédure réparatrice, qu’il y ait une décision judiciaire ne semble pas affecter l’appréciation de l’approche réparatrice. Une réponse formelle avait été prise (dans la plupart des cas, le contrevenant avait été emprisonné), et malgré le caractère bilatéral de l’approche réparatrice, il n’y avait plus de décision à prendre. Les répondants cherchaient simplement à connaître la vérité, à avoir des réponses et à être reconnus par le contrevenant en tant que victimes.

Discussion

Notre recherche concernait la pertinence de l’intervention réparatrice relativement au moment où elle est entamée dans le processus judiciaire, ainsi que les conséquences de l’absence ou de la présence d’une décision judiciaire sur l’évaluation de l’intervention réparatrice. Nous avons tout d’abord constaté que les victimes de crimes graves dans notre échantillon étaient satisfaites de l’intervention réparatrice, qu’elle ait eu lieu avant ou après qu’une décision judiciaire a été prise. Elles y accordaient un effet libérateur et apaisant. Les répondants dans les deux groupes ont apprécié l’opportunité d’y participer activement, de s’exprimer et de poser des questions au contrevenant. Tout comme l’observation faite par Rugge, Bonta et Wallace-Capretta (2005), les victimes des crimes graves ont beaucoup apprécié l’approche réparatrice dans la phase pré- condamnation et post-condamnation.

Nos données démontrent également que les procédures judiciaires ne répondent pas toujours au besoin de participer et de s’exprimer. La moitié des répondants perçoit le système judiciaire comme froid et impersonnel. Nos résultats sont similaires à ceux de plusieurs autres études comme celle de Davis et Mulford (2008) qui concluent que malgré des efforts internationaux pour améliorer la position des victimes, ces dernières sont encore souvent ignorées et exclues des procédures judiciaires.

De plus, les victimes de notre échantillon cherchaient le dialogue avec le contrevenant, ce qui n’est pas permis au tribunal. Grâce à la communication avec le contrevenant, les répondants ont eu une meilleure compréhension des faits et des motifs ainsi que l’opportunité d’exprimer leurs émotions et leurs angoisses. Conséquemment, parmi les victimes qui avaient participé à l’intervention réparatrice avant qu’elles connaissent la décision judiciaire, en comparaison des victimes qui avaient participé à l’intervention réparatrice après, il y en avait qui se sentaient mieux préparées émotionnellement et intellectuellement pour le procès pénal. Le rôle d’informateur peut être joué par différents acteurs, par exemple, les intervenants des services d’aide aux victimes ou le médiateur. Aussi, la communication avec le contrevenant est utile par rapport au contenu du procès et par rapport à l’apaisement des tensions. La communication avec le contrevenant avant le procès pénal comblait de plus le manque de dialogue avec lui lors du procès pénal, mais pas nécessairement le manque de place en tant que victime lors du procès.

Tandis que la participation à une intervention réparatrice avant que la décision judiciaire soit prise prévenait certains problèmes par rapport au procès pénal (grâce à un meilleur aperçu du système et ainsi des faits et des motifs), la participation après servait à pallier des lacunes du système pénal (par exemple le manque de sensibilité et de reconnaissance). Les victimes qui ont participé à la justice réparatrice après le processus pénal étaient souvent insatisfaites du processus pénal et surtout de leur exclusion des procédures judiciaires.

Les répondants insistent sur la complémentarité de l’approche réparatrice et des procédures judiciaires. Pour les victimes de crimes violents de notre échantillon, le résultat informel d’une rencontre avec le contrevenant ne remplace pas la nécessité d’une trace judiciaire. En outre, la participation à une intervention réparatrice ne remplace pas nécessairement le besoin de participer aux procédures pénales. Peu importe la chronologie des interventions réparatrices et judiciaires, les répondants décrivent et apprécient l’intervention réparatrice comme une intervention complémentaire. En d’autres mots, les victimes veulent garder le contrôle sur le processus mais elles sont prêtes à donner le pouvoir décisionnel au juge. Ce résultat coïncide avec la conclusion de Wemmers et Cyr (2004) que les victimes d’actes criminels qui participent à une intervention réparatrice ne cherchent pas à avoir le contrôle de la décision, mais à être reconnues et à prendre part aux procédures, ce qui correspond au concept du contrôle de processus.

Les répondants soulignent que chacune de ces procédures comble des attentes particulières, ce qui indique que chaque procédure est importante et nécessaire. Les procédures réparatrices et judiciaires peuvent se dérouler simultanément, chacune suivant son propre cours, indépendamment des avancements de l’autre procédure. Cette constatation correspond au modèle du « dual-track » décrit par Van Ness (2002). Conséquemment, le besoin de participer au processus et d’être entendu ne doit pas se limiter à l’approche réparatrice, mais devrait aussi être étendu au plan judiciaire (Wemmers et Cyr, 2004). Nos répondants ne proposaient pas d’abolir le système pénal, mais de le réorienter pour mieux répondre aux besoins des victimes.

Finalement, nous nous demandons si l’absence d’une décision judiciaire pourrait affecter la pertinence d’une intervention réparatrice, vu que celle-ci représente une approche bilatérale employée dans des situations qui requièrent généralement l’intervention d’une tierce partie. Ce ne semble pas être le cas. Les répondants qui ont complété une intervention réparatrice avant qu’un juge se soit prononcé dans leur dossier, confirment qu’ils requéraient une décision judiciaire et percevaient l’absence de celle-ci comme temporaire. Malgré que, théoriquement, l’approche réparatrice soit de nature bilatérale, en pratique, la victime peut toujours déléguer la responsabilité de la décision au juge. En d’autres mots, vu qu’une décision judiciaire sera prise à un moment donné, l’absence de cette décision ne se présente pas comme un obstacle à l’appréciation du caractère bilatéral de la procédure réparatrice.

Conclusion

Nos résultats vont dans le sens des observations de Thibaut et Walker (1975) par rapport aux préférences procédurales des victimes de violence. Dans des crimes graves, comme dans des conflits intenses, les victimes veulent que le contrôle décisionnel reste entre les mains des autorités mais veulent garder un certain contrôle sur le processus. Ainsi, la mise en oeuvre des interventions réparatrices avant qu’un juge se soit prononcé, absente au Canada, semble assez appropriée. Son impact sur la récupération émotionnelle, ainsi que sur la préparation pour le procès pénal, qui devrait toujours suivre vu le besoin d’une trace judiciaire, est important.

Finalement, nos observations indiquent qu’on ne doit pas seulement investir dans la mise en place de l’approche réparatrice, mais également dans l’amélioration du système judiciaire, que l’on doit rendre plus convivial pour les victimes. Bien que le pouvoir décisionnel demeure toujours exécuté par un juge neutre, cela ne doit pas exclure la participation des victimes ni empêcher que celles-ci soient entendues (Doak, 2005). Il est nécessaire d’améliorer le système judiciaire pour qu’il y ait plus de place pour les émotions et une place pour la victime.