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Introduction

Au Canada, le taux d’homicide par arme à feu (ci-après : AAF) et le taux global d’homicide suivent une tendance à la baisse depuis le milieu des années 1970 (Dauvergne et Li, 2006). Le taux d’homicide par AAF était de 1,3 pour 100 000 habitants en 1975, ce qui correspond à plus du double du taux de 2006. Cette tendance générale à la baisse coïncide avec l’introduction de trois lois canadiennes en matière de contrôle des AAF, soit les Lois C-51 (1977), C-17 (1991) et C-68 (1995)[1].

Malgré une nette amélioration des taux d’homicide au cours des 30 dernières années, la contribution de ces lois n’est toujours pas bien établie. Blais et ses collègues (2011) ont récemment répertorié les études ayant mesuré l’impact des lois canadiennes sur les homicides et concluent que des biais potentiels remettent en question la crédibilité de leurs résultats. Tentant de pallier l’ensemble de ces biais, ces chercheurs ont mesuré l’effet des trois lois préalablement citées sur les homicides. Leurs résultats indiquent que les Lois C-51 et C-68 ont permis de réduire d’environ 5 à 10 % le taux d’homicide par AAF selon les provinces.

Malgré les efforts réalisés par Blais et ses collègues (2011), ces derniers ne font aucune distinction entre les effets immédiats et les effets graduels produits par les lois. Également, deux aspects centraux aux études évaluatives n’ont toujours pas été abordés dans les écrits actuels sur le sujet. Premièrement, les évaluations antérieures n’utilisent aucun test pour identifier la nature des processus non stationnaires de leurs séries chronologiques. Advenant qu’un tel processus soit mal identifié, les principales méthodes d’estimation et d’inférence peuvent devenir non fondées (Lardic et Mignon, 2002). Deuxièmement, les évaluations réalisées jusqu’à ce jour considèrent rarement les mêmes tierces variables. Les divergences de résultats entre les études pourraient donc être imputables à cette spécification très variable des modèles (Leamer, 1983 ; Bartley et Cohen, 1998). Enfin, la Loi C-68 n’a été évaluée qu’à une seule reprise (Blais et al., 2011), et ce, malgré toute la controverse que ses dispositions ont suscitée, particulièrement en ce qui concerne le bien-fondé du Registre canadien des armes à feu (Gabor, 2003 ; Mauser, 2005).

L’objectif général de cette étude est donc d’améliorer nos connaissances quant à l’effet de la Loi C-68 sur les homicides au Québec, en considérant la période 1974-2006. La première section de cet article décrit succinctement les concepts théoriques sous-jacents à l’efficacité des lois canadiennes et présente de façon critique les résultats des évaluations réalisées jusqu’à ce jour. Nous portons une attention particulière aux enjeux qui entourent l’identification et la gestion des processus non stationnaires, de même qu’aux répercussions du choix des tierces variables sur la robustesse des estimés. La seconde section présente les variables à l’étude et la stratégie analytique. Enfin, les deux dernières sections présentent respectivement les résultats et leur interprétation.

Recension des écrits

Concepts relatifs à l’efficacité des lois

Afin de s’attaquer aux crimes et traumatismes reliés aux armes à feu (AAF), le gouvernement canadien a promulgué trois lois depuis la fin des années 1970 : 1) la Loi C-51 (1977), 2) la Loi C-17 (1991), et 3) la Loi C-68 (1995). Ces lois renferment plusieurs dispositions dont l’efficacité repose essentiellement sur quatre mécanismes : l’accessibilité, la disponibilité, la dissuasion et la neutralisation (voir l’annexe 1 pour un aperçu détaillé des dispositions comprises dans les lois).

L’accessibilité fait référence à « la facilité avec laquelle un individu peut se procurer une arme et des munitions à un endroit et à un moment donné » (Cukier, 1998 : 30). Plusieurs études montrent que la simple présence d’une AAF au domicile augmente significativement le risque d’homicide (Kellermann et al., 1993 ; Bailey et al., 1997 ; Cummings et al., 1997 ; Dahlberg et al., 2004). Les risques de blessures mortelles par AAF sont encore plus élevés lorsque les normes d’entreposage sécuritaire ne sont pas respectées (Grossman et al., 2005). Ainsi, plusieurs dispositions dans les lois canadiennes visent à restreindre l’accessibilité des AAF (annexe 1). Les futurs propriétaires d’AAF doivent notamment se soumettre à des vérifications approfondies avant qu’un permis ne leur soit accordé. Également, les propriétaires ont le devoir d’enregistrer toutes leurs AAF au Registre canadien des armes à feu. Ce registre assure une évaluation continue de l’admissibilité des détenteurs de permis. Enfin, les propriétaires doivent se conformer à des règles strictes pour l’entreposage de leurs AAF (Ministère de la Justice, 2003).

Selon le concept de la disponibilité, le nombre d’homicides par AAF est fonction du nombre d’AAF en circulation sur un territoire donné (Cook, 1979 et 1983). Mis à part quelques auteurs (Kleck et Patterson, 1993 ; Southwick, 1997 ; Moody et Marvell, 2005), la majorité des études rapporte que le taux de possession d’AAF est positivement associé au taux d’homicide par AAF (voir Hemenway [2004] pour une synthèse sur la question). Par conséquent, une réduction du nombre d’AAF en circulation devrait engendrer une réduction du taux d’homicide par AAF. C’est ainsi qu’au Canada, le gouvernement canadien a prohibé plusieurs catégories d’AAF en vue de les retirer de la circulation (Ministère de la Justice, 2003)[2]. Également, bien que les dispositions entourant la délivrance de permis et l’enregistrement des AAF visent avant tout à restreindre l’accessibilité des AAF, ces mêmes dispositions peuvent aussi affecter leur disponibilité. En effet, en rendant l’acquisition des AAF plus difficile, nous pouvons nous attendre à ce qu’il y ait une diminution générale du taux de possession d’AAF.

Finalement, afin de dissuader et de neutraliser les délinquants, le Code criminel a été amendé. De nouvelles infractions ainsi que des peines minimales obligatoires plus sévères pour les crimes commis au moyen d’une AAF ont été instaurées (Ministère de la Justice, 2003). L’effet préventif des peines minimales obligatoires demeure toutefois contesté (McDowall et al., 1992 ; Marvell et Moody, 1995).

Bilan des évaluations quant à l’effet des lois canadiennes sur les homicides

Bien que les lois canadiennes s’attaquent à l’accessibilité et à la disponibilité des armes à feu (AAF), et visent à dissuader et neutraliser les délinquants, leur efficacité à prévenir les homicides ne fait pas consensus. À l’instar d’autres auteurs (Kleck, 1997 ; Hahn et al., 2005 ; Blais et al., 2011), nous avons répertorié les études ayant estimé l’effet des lois canadiennes sur les homicides, tout en posant un regard critique sur leur méthodologie et en catégorisant leurs résultats. Au total, 11 études (comprenant 25 évaluations) ont été repérées[3].

Le tableau 1 présente les résultats des évaluations retenues de même que les menaces à la validité observées. De manière générale, les études n’arrivent pas à un consensus quant aux retombées des lois canadiennes. Seulement 7 évaluations sur 21 (33 %) montrent que la Loi C-51 a permis d’abaisser les homicides par AAF (Sproule et Kennett, 1988 ; Ministère de la Justice, 1996 ; Leenaars et Lester, 1996 [femmes] ; Leenaars et Lester, 1997 [45-54 ans et 65-74 ans] ; Carrington, 1999 [femmes] ; Blais et al., 2011). Les autres évaluations de la Loi C-51 n’observent aucun effet préventif. D’autre part, bien que différents, les résultats des trois évaluations de la Loi C-17 ne permettent pas de conclure à son efficacité (Bridges, 2004 ; Labalette, 2004 ; Blais et al., 2011). Finalement, la seule évaluation de la Loi C-68 tranche en faveur de son efficacité (Blais et al., 2011).

En plus d’une absence de consensus quant aux retombées des lois canadiennes, les évaluations antérieures renferment ce que certains ont nommé des menaces à la validité des résultats (Kleck, 1997 ; Blais et al., 2011). Le tableau 1 montre qu’en moyenne, les évaluations renferment 5,04 menaces, ce nombre variant entre 1 (Blais et al., 2011) et 6 (Sproule et Kennett, 1988 ; Leenaars et Lester, 1994 ; 1996 ; et 1997 ; Carrington, 1999 ; Bridges, 2004). Ces menaces sont de quatre ordres.

Premièrement, des menaces à la validité interne des résultats ont été répertoriées. Il s’agit de 1) l’absence de tierces variables, 2) la faible puissance statistique des modèles, 3) la transgression des postulats des tests statistiques, 4) la spécification inadéquate du début de l’intervention, et 5) l’absence d’une série témoin (voir Shadish et al. [2002] pour une description détaillée de ces menaces).

Deuxièmement, la plupart des évaluations antérieures ne distinguent pas les homicides en fonction des catégories d’AAF utilisées (c.-à-d. sans restriction, à autorisation restreinte ou prohibée). Cette menace est importante d’autant plus que les AAF font l’objet d’un contrôle différent en fonction de leur catégorie. Ainsi, les dispositions relatives à l’accessibilité risquent d’affecter uniquement les homicides par AAF sans restriction ou à autorisation restreinte, les armes prohibées et illégales échappant généralement à ces contrôles (Labalette, 2004 ; Blais et al., 2011). Le fait de ne pas distinguer les homicides en fonction des catégories d’AAF utilisées pourrait donc masquer un effet ciblé.

Troisièmement, la plupart des évaluations antérieures utilisent le pays comme unité d’agrégation spatiale. Bien que les lois et règlements du Code criminel entrent en vigueur en même temps dans l’ensemble des provinces et territoires, l’application de leurs dispositions est un champ de compétence provinciale (Mauser et Maki, 2003). Les lois pourraient donc être appliquées à des intensités différentes d’une province à l’autre et par conséquent, cette dernière représente l’unité d’agrégation spatiale par excellence (Mauser et Maki, 2003 ; Blais et al., 2011).

Tableau 1

Résultats des évaluations antérieures quant à l’effet des Lois C-51, C-17 et C-68 et menaces à la validité

Résultats des évaluations antérieures quant à l’effet des Lois C-51, C-17 et C-68 et menaces à la validité

X = la menace est présente.

1 Signification des résultats :

Aucun : aucun changement significatif (p > 0,05) des homicides par AAF suivant l’introduction de la loi.

Baisse : les indicateurs relatifs aux homicides par AAF affichent une diminution significative (p < 0,05) suivant l’introduction de la loi, sans que l’on observe un déplacement tactique vers les homicides commis par d’autres méthodes.

Mitigé : certains indicateurs propres aux homicides par AAF affichent une diminution significative (p < 0,05) alors que d’autres demeurent non significatifs (p > 0,05).

Substitution : diminution significative (p < 0,05) des homicides par AAF et augmentation significative (p < 0,05) des homicides par d’autres méthodes (déplacement tactique).

Autres facteurs : suivant l’introduction de la loi, les auteurs observent une diminution significative (p < 0,05) des homicides par AAF, mais aussi une diminution significative (p < 0,05) des homicides par d’autres méthodes. Ce dernier indicateur n’est pas censé être affecté à la baisse par la loi, ce qui remet en cause la validité de construit de la variable intervention (Shadish et al., 2002). La baisse dans les homicides par AAF n’est donc probablement que le reflet d’une baisse générale de l’ensemble des homicides. D’autres facteurs survenus en même temps que la loi, mais non pris en compte dans les analyses, sont sans doute à l’origine des baisses observées (Kleck et Patterson, 1993).

2 Leenaars et Lester (1996) mesurent l’effet de la Loi C-51 sur les homicides selon le sexe des victimes.

3 Leenaars et Lester (1997) mesurent l’effet de la Loi C-51 sur les homicides selon divers groupes d’âge de victimes.

4 Carrington (1999) mesure l’effet global de la Loi C-51 sur les homicides et son effet selon le sexe des victimes.

5 Leenaars et Lester (2001) mesurent l’effet global de la Loi C-51 sur les homicides et son effet selon le sexe des victimes.

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Enfin, la dernière menace concerne la modélisation du déploiement de l’effet des lois. Alors qu’une loi peut produire des effets immédiats (changement dans la constante d’une série), cette dernière peut aussi engendrer des effets graduels (changement dans la pente d’une série). Ainsi, la modélisation de l’effet des lois est limitée dans les évaluations qui mesurent uniquement l’un ou l’autre des effets susmentionnés, mais non les deux (Campbell et Stanley, 1966).

À la lumière des critères du tableau 1, les trois évaluations de Blais et al. (2011) sont les plus robustes. Leurs résultats montrent que les Lois C-51 et C-68 ont permis de réduire de 5 à 10 % les homicides par AAF au Canada et plus particulièrement, ceux commis par carabine et fusil de chasse. Malgré les points forts de cette étude, deux autres questions méritent d’être abordées. La première question concerne les méthodes d’identification et de gestion des processus non stationnaires. La deuxième touche le choix des tierces variables et ses répercussions sur la robustesse des estimés. Les paragraphes suivants traitent de ces deux questions.

Gestion du processus non stationnaire des séries chronologiques

Un des postulats centraux à l’analyse de séries chronologiques est la stationnarité de la série (Lardic et Mignon, 2002). Toutefois, seulement deux études gèrent le processus non stationnaire de leurs séries (Mauser et Holmes, 1992 ; Blais et al., 2011). Pour rendre ces dernières stationnaires, ces auteurs introduisent une variable tendance dans leurs modèles. Cette procédure assume cependant que les séries sont empreintes d’une tendance déterministe ou dite TS (Trend Stationary) (Lardic et Mignon, 2002). Or, assumer un processus déterministe alors qu’il ne l’est pas peut biaiser les résultats des analyses.

L’une des premières étapes à l’analyse de séries chronologiques est donc de vérifier si la série est stationnaire et, dans le cas contraire, d’identifier le type de processus non stationnaire au moyen d’un test de racine unitaire (Greenberg, 2001). Globalement, il existe deux types de processus non stationnaire : 1) le processus TS (Trend Stationary), où la non-stationnarité est de nature déterministe, et 2) le processus DS (Difference Stationary), où la non-stationnarité est de nature stochastique (présence d’une racine unitaire) (Nelson et Plosser, 1982). En présence d’un processus TS, une variable tendance doit être insérée dans le modèle, alors qu’en présence d’un processus DS, la série requiert une différenciation (Lardic et Mignon, 2002).

Spécification des modèles : tierces variables et robustesse des estimés

D’autres facteurs que les lois sur le contrôle des armes à feu (AAF) sont susceptibles d’affecter le taux d’homicide (Ouimet, 1999) et par conséquent, plusieurs études intègrent diverses tierces variables à leurs modèles. Toutefois, la spécification de leurs modèles varie. Alors que six études tiennent compte de certains facteurs confondants dans leurs analyses, cinq autres n’en prennent aucunement considération (voir tableau 1). Il est dès lors possible d’émettre l’hypothèse que les variations de résultats entre les évaluations sont attribuables aux différentes spécifications des modèles (Leamer, 1983 ; Bartley et Cohen, 1998).

Afin d’apporter une réponse à ce type de questionnement, Leamer (1983) a élaboré la méthode de l’analyse des bornes extrêmes. Cette stratégie permet de vérifier si l’effet d’une variable indépendante dépend des tierces variables considérées (Leamer, 1983 ; Bartley et Cohen, 1998). C’est ainsi que, lors des analyses, un premier bloc de variables est créé et comprend uniquement les variables indépendantes centrales (dans la présente étude, il s’agit des variables relatives aux lois en matière de contrôle des AAF). Les variables du premier bloc demeurent présentes en tout temps dans le modèle. Le deuxième bloc comprend des tierces variables pouvant aussi influer sur la variable dépendante. La composition de ce bloc est appelée à varier. Pour ce deuxième bloc, toutes les combinaisons possibles de variables sont considérées et ajoutées à tour de rôle au premier bloc de variables. Au terme de ce processus, l’effet d’une variable indépendante est jugé robuste si ses coefficients pointent tous dans la même direction (Leamer, 1983 ; Bartley et Cohen, 1998).

Tout en surmontant les biais potentiels préalablement repérés, le présent article vise à améliorer nos connaissances quant aux effets immédiats et graduels de la Loi C-68 sur les homicides au Québec, en considérant la période 1974-2006. Plus précisément, nous explorons l’utilité des tests de racine unitaire et de l’analyse des bornes extrêmes afin d’assurer que les effets observés ne soient pas biaisés par une mauvaise spécification du processus non stationnaire des séries ou par le choix des tierces variables. De surcroît, nous départageons l’effet de la Loi C-68 en fonction des catégories d’AAF (sans restriction, à autorisation restreinte et prohibée) et des moyens utilisés (AAF ou autres méthodes).

Méthodologie

Source des données et opérationnalisation des variables dépendantes

Les données proviennent de l’Enquête sur l’homicide menée par Statistique Canada. Ces données sont agrégées sur une base annuelle et concernent exclusivement le Québec. Nos analyses reposent sur des séries chronologiques qui couvrent une période totale de 33 années (1974-2006).

Quatre taux d’homicide pour 100 000 habitants sont utilisés :

  1. Taux d’homicide par arme à feu. Il s’agit de l’ensemble des homicides commis par arme à feu (AAF), toutes catégories confondues.

  2. Taux d’homicide par carabine ou fusil de chasse. Puisque les catégories d’AAF font l’objet de contrôles différents, l’effet des lois peut varier d’une catégorie à l’autre. Ainsi, cette deuxième variable mesure l’effet spécifique de la Loi C-68 sur les homicides commis au moyen d’AAF sans restriction.

  3. Taux d’homicide par arme à feu à autorisation restreinte ou prohibée. De la même façon que la précédente, cette variable estime l’effet spécifique de la Loi C-68 sur les homicides commis au moyen d’une AAF à autorisation restreinte ou prohibée[4].

  4. Taux d’homicide par d’autres méthodes. Cette série témoin a deux rôles. D’abord, elle permet de mettre à l’épreuve des faits l’hypothèse du déplacement tactique (Clarke et Mayhew, 1988). Selon certains, l’AAF n’est qu’un moyen parmi d’autres pour commettre l’homicide. Ainsi, en augmentant le contrôle des AAF, on pourrait observer une baisse des homicides par AAF, mais qui serait compensée par une hausse des homicides par d’autres méthodes (Kleck, 1997 ; Kates et Mauser, 2007). Alors qu’une hausse de cette série témoin signifierait un déplacement tactique, une baisse remettrait en question la validité de construit de la Loi C-68. Une baisse de ce taux d’homicide indiquerait que d’autres facteurs sont probablement responsables du déclin des homicides par AAF (voir Shadish et al. [2002] sur l’utilité des séries témoins).

Opérationnalisation des variables indépendantes

Afin de réaliser une analyse des bornes extrêmes, nous avons regroupé les variables indépendantes en trois blocs : 1) les variables d’intérêt ; 2) les variables importantes ; et 3) les tierces variables. Les variables d’intérêt correspondent aux variables centrales à notre objet d’étude, soit celles qui mesurent les effets de la Loi C-68. Ce premier bloc est toujours présent dans les modèles et comprend plus spécifiquement les deux variables suivantes :

  1. Loi C-68. Il s’agit d’une variable dichotomique (0,1) qui permet de détecter les effets immédiats et permanents (changement dans la constante de la série). Afin de capter adéquatement l’effet de la Loi C-68, la période expérimentale doit débuter non pas à partir du moment où elle a été adoptée, mais bien à partir du moment où ses dispositions sont devenues effectives (Shadish et al., 2002). Ainsi, les unités comprises entre 1974 et 1997 reçoivent la valeur 0 (période témoin) et celles de 1998 à 2006, la valeur 1 (période expérimentale)[5].

  2. Tendance après la Loi C-68. Ce terme d’interaction (Loi * temps après la Loi) permet de capter les effets graduels (changement dans la pente). De la même façon que la variable précédente, les unités comprises entre 1974 et 1997 reçoivent la valeur 0 (période témoin), mais la période expérimentale est plutôt composée d’une série d’intégrateurs consécutifs (l’année 1998 correspondant à la valeur 1 et l’année 2006 à la valeur 9).

Le deuxième bloc comprend des variables importantes, c’est-à-dire les autres lois en matière de contrôle des AAF et une tendance générale. Ces variables sont présentes en tout temps dans les équations, au même titre que les variables d’intérêt. Ce deuxième bloc est constitué des trois variables suivantes :

  1. Loi C-51. Les unités comprises entre 1974 et 1977 reçoivent la valeur 0 (période témoin) et celles de 1978 à 2006, la valeur 1 (période expérimentale).

  2. Loi C-17. De la même façon que pour la Loi C-51, nous intégrons une variable dichotomique afin de contrôler statistiquement les effets produits par la Loi C-17. Les unités comprises entre 1974 et 1991 reçoivent la valeur 0 (période témoin) et celles de 1992 à 2006, la valeur 1 (période expérimentale).

  3. Tendance. Il s’agit d’une série d’intégrateurs consécutifs variant de 1 à 33 (l’année 1974 correspondant à la valeur 1 et l’année 2006 à la valeur 33). La variable « tendance » est présente dans toutes les séries qui renferment un processus non stationnaire de nature déterministe (processus TS), cette variable devenant nécessaire pour rendre la série stationnaire (Lardic et Mignon, 2002). De plus, cette variable permet de contrôler pour toute tendance déjà présente dans la série, engendrée par des causes inconnues et des variables absentes des modèles (Wagner et al., 2002).

Enfin, conscients que d’autres facteurs sont susceptibles d’influer sur le taux d’homicide, un troisième bloc de variables a été créé. Pour construire ce dernier bloc, les tierces variables retrouvées dans l’ensemble des évaluations antérieures ont été répertoriées. Au total, 17 variables ont été repérées. Le choix de ces tierces variables varie grandement d’une étude à l’autre, suggérant que les auteurs ne s’entendent pas sur la pertinence de chacune d’entre elles. Afin d’éviter toute critique entourant la spécification des modèles, huit de ces variables ont été retenues. Les autres ont été exclues en raison de leur redondance[6]. Le tableau 2 présente ces variables, leur définition et leur source. La composition de ce troisième et dernier bloc est appelée à varier tout au long de l’analyse des bornes extrêmes.

Tableau 2

Liste des tierces variables

Liste des tierces variables

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Stratégie analytique

Dans un premier temps, nous effectuons des analyses descriptives afin de commenter l’évolution des différents taux d’homicide au Québec entre 1974 et 2006. Dans un second temps, nous réalisons une analyse des bornes extrêmes afin d’évaluer l’effet de la Loi C-68 sur nos quatre indicateurs d’homicide.

Mise au point par Leamer (1983), l’analyse des bornes extrêmes permet de vérifier en quoi le retrait ou l’ajout de certaines variables fait varier les coefficients des variables d’intérêt. Pour ce faire, nous devons préalablement déterminer toutes les combinaisons possibles d’un ensemble de tierces variables. Toutefois, en raison du nombre limité d’observations de notre échantillon, nous adoptons la variante de Levine et Renelt (1992) qui consiste à utiliser un maximum de trois tierces variables par équation. Autrement dit, les combinaisons renferment d’une à trois tierces variables, ce qui empêche de « surspécifier » les modèles. Par la suite, nous testons chacune des combinaisons sur les quatre taux d’homicide.

Au total, 372 équations sont réalisées, soit 93 équations par variable dépendante. Les variables relatives à la Loi C-68 sont toujours incluses dans les équations, le but étant de vérifier si les estimés qu’elles produisent sont robustes ou fragiles. La robustesse des estimés est évaluée par une comparaison de l’estimé minimum et de l’estimé maximum, ceux-ci représentant les deux bornes extrêmes de l’ensemble des résultats obtenus. Au terme de ce processus, un effet est jugé robuste si les coefficients pointent tous dans la même direction (Leamer, 1983 ; Bartley et Cohen, 1998).

Une critique pouvant être formulée à l’endroit de cette règle décisionnelle touche le seuil de tolérance des coefficients. Selon la stratégie de Leamer (1983), les estimés sont robustes s’ils pointent tous dans la même direction. Toutefois, cela ne veut pas dire pour autant que la variable indépendante influence significativement la variable dépendante. En effet, en présence d’estimés robustes, il est possible d’affirmer, d’une part, que la variable d’intérêt n’a aucun impact, et d’autre part, qu’elle affecte significativement la variable dépendante. Ainsi, il manque à la stratégie de Leamer (1983) une règle décisionnelle permettant d’affirmer qu’une variable a bel et bien un effet significatif sur un résultat. Faute d’indications précises dans la littérature sur l’analyse des bornes extrêmes, nous adoptons l’approche du « vote-count », communément utilisée dans les synthèses systématiques, qui consiste à répertorier le sens et le seuil de tolérance de chaque effet (relation positive significative, relation non significative, relation négative significative). Par la suite, la catégorie qui obtient le plus de « votes » est celle utilisée pour se prononcer sur l’effet d’une variable (Braga, 2001).

Les 372 équations sont réalisées selon la modélisation ARIMA (Box et Jenkins, 1970). Celle-ci s’effectue en trois étapes : 1) l’identification, 2) l’estimation, et 3) le diagnostic (Tabachnick et Fidell, 2007). À l’étape de l’identification, nous inspectons les matrices d’autocorrélation et d’autocorrélation partielle de la variable dépendante, afin de visualiser la tendance de la série et de déterminer la source de dépendance entre les termes d’erreur. Des paramètres autorégressifs (AR) et/ou de moyenne mobile (MA) sont, au besoin, intégrés au modèle. À cette étape, nous utilisons également le test augmenté de Dickey-Fuller, afin de vérifier si la série est stationnaire et, dans le cas contraire, d’identifier le type de processus non stationnaire (processus TS ou DS). Selon les résultats obtenus à ce test, la série est différenciée (en présence d’un processus DS) ou une variable tendance est ajoutée (en présence d’un processus TS) (Lardic et Mignon, 2002). À l’étape de l’estimation, la validité prédictive des paramètres AR et MA est évaluée. Enfin, à l’étape du diagnostic, les termes d’erreur sont inspectés à nouveau afin de s’assurer qu’ils affichent une distribution de bruit blanc (absence d’autocorrélation). Une fois ces étapes réalisées, les variables indépendantes sont intégrées.

Résultats

Analyses descriptives

La figure 1 présente l’évolution de quatre taux d’homicide pour 100 000 habitants, au Québec, entre 1974 et 2006. Les barres verticales indiquent les années où les dispositions des lois sont entrées en vigueur. Une inspection visuelle des courbes montre que le taux d’homicide par arme à feu (AAF) a atteint un sommet en 1975 pour ensuite décliner progressivement jusqu’en 2006 (figure 1 [A]). La tendance du taux d’homicide par d’autres méthodes diffère légèrement : ce taux augmente jusqu’au milieu des années 1980 et diminue de façon graduelle par la suite. L’évolution du taux d’homicide est bien différente selon les catégories d’AAF (figure 1 [B]). Alors que le taux d’homicide par carabine ou fusil de chasse baisse graduellement entre 1975 et 2006, la tendance du taux d’homicide par AAF à autorisation restreinte ou prohibée est beaucoup plus erratique. Cette série décline jusqu’en 1980 pour ensuite amorcer une tendance à la hausse qui culmine en 1991. À partir de ce point, le taux tend à baisser et reste relativement stable entre 1994 et 2001. Enfin, il chute drastiquement en 2002 et demeure stable par la suite.

Figure 1

Évolution des taux d’homicide au Québec entre 1974 et 2006

A

B

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En somme, les analyses descriptives permettent de tirer trois constats. Premièrement, les homicides par AAF à autorisation restreinte ou prohibée ne semblent pas être affectés par les mêmes facteurs que les homicides commis au moyen d’AAF sans restriction (carabines et fusils de chasse). En effet, leurs tendances respectives s’avèrent très différentes. Deuxièmement, les homicides par AAF à autorisation restreinte ou prohibée diminuent de façon marquée entre les années 2001 et 2002, soit trois à quatre années après l’entrée en vigueur de la Loi sur les armes à feu. L’opération « Printemps 2001 » contre les motards criminalisés pourrait expliquer cette baisse (Morselli et al., 2008). Troisièmement, la tendance à la baisse du taux d’homicide par AAF débute quelques années avant l’entrée en vigueur de la Loi C-51. Par conséquent, d’autres facteurs peuvent être à l’origine des baisses observées au cours des 30 dernières années. Les analyses multivariées permettent justement de tenir compte de ces facteurs et des tendances qui précèdent l’introduction des lois.

Analyse des bornes extrêmes

Les résultats de l’analyse des bornes extrêmes sont présentés dans le tableau 3. Ce dernier rapporte, pour chacune des séries, les estimés de la borne minimale et de la borne maximale pour les deux variables d’intérêt, soit la Loi C-68 et la tendance après la Loi C-68. Ces estimés représentent donc les bornes à l’intérieur desquelles se situent les coefficients des 93 équations. Enfin, les deux dernières colonnes du tableau présentent respectivement les tierces variables incluses dans les modèles et le diagnostic (estimés robustes ou fragiles).

Selon les résultats du tableau 3, seulement trois séries d’estimés sont robustes. Premièrement, les coefficients de la Loi C-68 sont tous positifs dans les modèles impliquant le taux d’homicide par arme à feu (AAF). Cependant, seulement 3,2 % (3/93) des coefficients atteignent un seuil de tolérance égal ou inférieur à 10 % (résultat non présenté dans le tableau), suggérant qu’il est peu probable que la Loi C-68 ait affecté à la hausse le taux d’homicide par AAF. Deuxièmement, toutes les relations entre la tendance après la Loi C-68 et le taux d’homicide par AAF sont négatives, indiquant la présence d’estimés robustes. Bien que ce résultat suggère que la loi ait produit un effet graduel à la baisse, seulement 30,1 % des coefficients sont statistiquement significatifs (15/93) ou marginalement significatifs (13/93). Troisièmement, pour le taux d’homicide impliquant des AAF sans restriction (carabines et fusils de chasse), tous les estimés de la variable tendance après la Loi C-68 sont négatifs. De surcroît, 51,6 % des coefficients sont significatifs (45/93) ou marginalement significatifs (3/93). Cette série d’estimés est non seulement robuste, mais montre aussi que la Loi C-68 est associée à une baisse graduelle du taux d’homicide par AAF sans restriction.

Tableau 3

Effets de la Loi C-68 : résultats de l’analyse des bornes extrêmes

Effets de la Loi C-68 : résultats de l’analyse des bornes extrêmes

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Toutes les autres séries d’estimés sont fragiles et suggèrent que la Loi C-68 n’a pas eu d’effet immédiat ou graduel sur les divers taux d’homicide. Les variables Loi C-68 et tendance après la Loi C-68 sont respectivement associées au taux d’homicide par AAF à autorisation restreinte ou prohibée dans 0 et 6,5 % des modèles (p ≤ 0,10). De même, la relation entre les deux variables d’intérêt et le taux d’homicide commis par d’autres méthodes est fragile et rarement significative.

Finalement, une dernière série d’analyses a été réalisée afin de pallier un biais potentiel. Une vérification des postulats montre que le coefficient de Gini affiche des problèmes de multicolinéarité dans une majorité de modèles, pouvant rendre les estimés non fondés (Lewis-Beck, 1980). Le retrait de cette variable ne change que très peu le diagnostic sur les estimés[7]. Les constats n’en sont que consolidés puisque 55 % des relations entre la tendance après la Loi C-68 et le taux d’homicide par AAF sans restriction ont un seuil de tolérance inférieur à 5 % et elles sont toutes négatives. Cette même variable entretient des relations significatives (p ≤ 0,05) dans 14, 17 et 0 %, respectivement, pour le taux d’homicide par AAF, le taux d’homicide par d’autres méthodes et le taux d’homicide avec AAF à autorisation restreinte ou prohibée.

Interprétation

Tout en surmontant les biais potentiels retrouvés dans les évaluations antérieures, l’objectif de cet article était de documenter l’effet de la Loi C-68 sur les homicides au Québec. L’approche méthodologique préconisée a d’ailleurs permis d’explorer deux aspects non abordés dans les études antérieures.

D’une part, le test augmenté de Dickey-Fuller a permis d’identifier les processus non stationnaires des séries, et ainsi d’assurer le bien-fondé des estimés (Lardic et Mignon, 2002). Ce test a d’ailleurs révélé que toutes les séries d’homicides étaient empreintes d’une tendance déterministe, à l’exception des homicides impliquant des armes à autorisation restreinte ou prohibées. Par conséquent, l’intégration d’une variable tendance ainsi que la différenciation des séries ont été utilisées dans les situations indiquées.

D’autre part, l’analyse des bornes extrêmes permet d’assurer que les conclusions quant à l’influence d’une variable sur un résultat sont robustes (Leamer, 1983). L’effet de la Loi C-68 a été estimé à l’aide de 93 équations pour chaque série. Au terme de ce processus, il a été possible de se prononcer sur les effets immédiats et graduels de la Loi C-68 sur les homicides par arme à feu (AAF) et les homicides par carabine ou fusil de chasse, ces séries d’estimés ayant démontré leur robustesse.

Les conclusions quant à l’effet de la Loi C-68 sur les homicides ne font toutefois du sens que dans la mesure où le type d’AAF est pris en considération. D’après nos résultats, la probabilité que la Loi C-68 ait eu un impact immédiat ou graduel sur les homicides par AAF est relativement faible. Toutefois, lorsque les taux d’homicide sont subdivisés en fonction du statut de l’arme, le diagnostic est tout autre. Il appert que les homicides commis par carabine ou fusil de chasse amorcent une tendance à la baisse à la suite de l’introduction de la Loi sur les armes à feu en 1998.

Plusieurs retombées découlent de ces résultats. Dans un premier temps, ces résultats montrent l’intérêt d’employer des indicateurs d’homicides qui tiennent compte, d’une part, des catégories d’AAF utilisées et, d’autre part, de l’application des dispositions législatives. Si nos analyses avaient reposé exclusivement sur un taux d’homicide par AAF (toutes catégories confondues), nous aurions conclu à tort à l’inefficacité de la Loi C-68. Or, ce sont principalement les armes longues qui sont visées par les dispositions de la Loi sur les armes à feu. De plus, l’importance relative des homicides par arme longue, dans le taux global d’homicide par AAF, a diminué au fil des années (Dauvergne et De Socio, 2008). Ainsi, il est probable qu’une baisse spécifique des homicides par arme longue ne puisse pas être détectée dans un taux englobant tous les types d’AAF (Blais et al., 2011). Par ailleurs, les résultats au test augmenté de Dickey-Fuller montrent que les taux d’homicide par arme longue et ceux impliquant des AAF à autorisation restreinte ou prohibées suivent des processus non stationnaires différents. Les deux séries seraient donc pratiquement influencées par des facteurs différents.

Dans un second temps, nos résultats démontrent l’importance de mesurer non seulement les effets immédiats d’une loi (changement dans la constante d’une série), mais aussi les effets graduels (changement dans la pente d’une série) (Wagner et al., 2002). L’ensemble des études publiées antérieurement emploie l’une ou l’autre des modélisations, sans toutefois les combiner. Or, il était jusqu’à présent impossible de savoir si un résultat non significatif témoignait d’une absence d’effet préventif ou plutôt d’une modélisation restreinte de ce même effet (Campbell et Stanley, 1966). Les présents résultats suggèrent que les effets de la Loi C-68 se sont manifestés de manière graduelle, comme en témoignent les estimés négatifs de la tendance après la Loi C-68. Qui plus est, la présente stratégie évaluative souligne la nécessité de se questionner sur l’application qui est faite de la loi. L’effet à court terme de la Loi C-68 est en effet peu probable. Bien que la Loi sur les armes à feu soit entrée en vigueur dès 1998, ses dispositions ont été appliquées progressivement. Par exemple, le permis d’acquisition et de possession d’AAF est devenu obligatoire en 2001 ; l’enregistrement des AAF au Registre canadien des armes à feu, en 2003 (annexe 1).

L’effet graduel que nous avons observé pourrait d’ailleurs perdurer. À la suite de la fusillade survenue le 13 septembre 2006 au Collège Dawson (Montréal, Québec), de nouvelles mesures ont été introduites au Québec pour assurer un contrôle plus efficace des AAF. La Loi Anastasia, entrée en vigueur le 1er septembre 2008, prévoit notamment l’interdiction de posséder une AAF sur le terrain et à l’intérieur d’un établissement scolaire ou d’une garderie, de même que dans un transport public ou scolaire[8]. Cette loi autorise également certains professionnels, normalement tenus par le secret professionnel, à signaler tout comportement à risque chez un individu qui serait susceptible de compromettre sa propre sécurité ou celle d’autrui (Ministère de la Sécurité publique, 2010).

Enfin, les présents résultats remettent en question la thèse du délinquant motivé qui utilisera une autre arme si les AAF sont plus difficiles d’accès ou moins disponibles. L’analyse des bornes extrêmes montre plutôt que la relation entre la Loi C-68 et les homicides par d’autres méthodes est fragile. Aucun déplacement tactique ne semble donc survenir, ce qui est cohérent avec les résultats de Blais etal. (2011). Ce constat est également cohérent avec la position de plusieurs chercheurs selon laquelle certains homicides sont commis sous le coup de l’impulsion et que, dans ce contexte, l’AAF constitue un facilitateur important qui favorise le passage à l’acte et scelle l’issue fatale d’un différend (Zimring, 1968 ; Cook, 1981 et 1983 ; Hemenway, 2004).

Conclusion

Les présents résultats montrent que la Loi C-68 est associée à une baisse graduelle des homicides par arme à feu (AAF) au Québec, sans qu’aucun déplacement tactique ne soit observé. Cette baisse s’observe précisément auprès des homicides par AAF sans restriction. Il est donc possible d’avancer que le contrôle des AAF est, de manière générale, une politique efficace pour prévenir les homicides y étant associés (Hemenway, 2004 ; Lavoie et al., 2010).

Malgré les précautions prises afin de maximiser la validité des résultats, cet article comporte certaines limites. Premièrement, bien que la variable tendance permette de contrôler pour d’autres facteurs et causes inconnues absents des modèles, elle ne permet pas d’isoler l’effet de ces mêmes tierces variables. Par exemple, les progrès dans le domaine de la médecine d’urgence et de la traumatologie ont peut-être contribué au déclin des homicides (Harris et al., 2002). Des analyses supplémentaires sont nécessaires pour documenter cette question.

Deuxièmement, nos résultats ne permettent pas de départager les effets de la Loi C-68 selon les divers types d’homicide (ex. : homicides conjugaux, homicides attribuables à un gang, vols qualifiés se soldant par un meurtre, etc.). Il est toutefois fort probable que la loi ait affecté différemment ces formes d’homicide. Soulignons d’ailleurs qu’une des préoccupations majeures des autorités canadiennes était de s’attaquer à la problématique des homicides conjugaux. Pour ce faire, la Loi C-68 a notamment rendu obligatoire la notification des conjoints des deux dernières années chez les demandeurs de permis (annexe 1). D’autres études sont nécessaires afin de mieux comprendre les répercussions de la Loi C-68 sur les différents types d’homicide.

Troisièmement, il est impossible de repérer précisément les mécanismes de la Loi C-68 responsables de son efficacité. Des résultats récents suggèrent cependant que cette loi a été particulièrement efficace pour réduire l’accessibilité et, dans une moindre mesure, la disponibilité des AAF (Blais et al., 2011). D’autres stratégies doivent cependant être élaborées pour étayer ces constats et mieux cerner le rôle de l’enregistrement des AAF dans la prévention des homicides (Gabor, 2003).

Finalement, les présents résultats s’appliquent à la province de Québec. Étant donné que les taux d’homicide par AAF ainsi que les taux de possession d’AAF varient d’une province à l’autre (Dauvergne et Li, 2006), toute généralisation demeure délicate. D’autres recherches sont requises pour évaluer les retombées de cette loi dans les autres provinces et sur d’autres crimes et traumatismes associés aux AAF.