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Introduction

La désaffiliation est sans nul doute la retombée souhaitée de tous les efforts et des diverses stratégies de contrôle des gangs[2]. Cependant, un manque de consensus et de connaissances subsiste au sujet de ce processus. Tout d’abord, s’il est difficile de déterminer le statut officiel d’un affilié (qui est membre, qui ne l’est pas), il va de soi que les mêmes dilemmes se posent lorsqu’il est question du statut du désaffilié. L’affiliation ajoute un niveau supplémentaire à l’opérationnalisation du concept de désistement d’un gang. En fait, le désistement « complet » demande à l’individu non seulement de mettre fin à sa participation à toutes les activités criminelles, mais aussi de se désaffilier de son groupe, renonçant ainsi à son identité de membre de gang. À l’exception des travaux de Decker et Lauritsen (2002), Pyrooz et Decker (2011) et Pyrooz, Decker et Webb (2010), très peu d’études ont examiné le processus de désaffiliation en tant que tel.

Dans cet article, il est question d’examiner si la désaffiliation est associée aux caractéristiques individuelles ou plutôt aux caractéristiques et aux processus collectifs au sein d’un échantillon de 73 jeunes affiliés incarcérés. L’élaboration de l’hypothèse de travail se fonde sur le modèle de socialisation de groupe présenté par Moreland et Levine (1982), voulant illustrer le passage des individus au sein des groupes. Leur modèle théorique considère que a) des changements (affectifs, cognitifs et comportementaux) se produisent dès qu’un individu entre dans un groupe jusqu’à ce qu’il quitte ce groupe, et que b) tant le groupe que l’individu sont des agents potentiels de changement (c’est-à-dire que le groupe peut changer l’individu, mais aussi que l’individu peut à son tour influencer le groupe). Le modèle théorique propose quatre transitions qui illustrent le passage de l’individu dans un groupe, soit l’entrée, l’acceptation, la divergence et la sortie du groupe. Le modèle semble également indiquer que des rites peuvent accompagner ces transitions. La transposition au monde des gangs semble naturelle et permet de supposer que la désaffiliation découlerait d’une combinaison de deux sources de facteurs : individuelle et collective. De plus, puisque la désaffiliation est beaucoup plus complexe qu’une finalité dichotomique (se désister ou pas), cet article a donc également comme objectif d’illustrer le contexte dans lequel se déroule la désaffiliation. Il sera question dans un premier temps de déterminer les évènements ayant précipité la décision de se désaffilier, et deuxièmement, de comprendre le rôle de la violence dans le processus de désaffiliation.

Le processus de désaffiliation aux gangs

Caractéristiques du processus

Les plus récentes études précisent que la désaffiliation est un processus qui peut se produire promptement ou progressivement, généralement sans conséquence de la part du gang (Decker et Lauritsen, 2002 ; Decker et Van Winkle, 1996 ; Pyrooz et al., 2010). Cependant, dans les travaux de Pyrooz et Decker (2011), un processus plus structuré et violent a été révélé. En fait, ils ont examiné les motivations individuelles, dites internes (par ex. : le désintérêt du mode de vie ou le désir d’éviter la violence) et externes (avoir une petite amie, obtenir un travail, avoir des enfants), ainsi que les modes de sortie du gang (hostile ou non hostile), auprès d’un échantillon de 84 membres de gangs juvéniles désaffiliés. Selon les auteurs, un départ hostile implique des évènements violents ou criminels, similaires au rite initiatique, et un départ non hostile se caractérise par l’absence de tels évènements. Un mode hostile de départ a été révélé chez 1 participant sur 5 de l’échantillon des désaffiliés, alors que les modes de départ non hostiles étaient la réponse modale. Leurs résultats ont aussi montré que le mode de départ privilégié était associé à la raison du désistement. En fait, toutes les personnes ayant déclaré des motivations externes au gang n’ont pas été soumises à un départ hostile. Ce résultat semble indiquer l’importance d’approfondir les motivations pour en savoir davantage sur le processus de désaffiliation.

Incitations à la désaffiliation

Les membres de gangs, plus que tout autre délinquant, sont engagés dans des conflits violents (Bouchard et Spindler, 2010 ; Decker, 1996 ; Melde, Taylor et Esbensen 2009 ; Peterson, Taylor et Esbensen, 2004). Lorsque la propension à la violence se transforme en une surexposition à une violente victimisation, certains membres préfèrent quitter leur gang. Decker et Lauritsen (2002) ont d’ailleurs examiné le processus de désistement auprès de 24 ex-membres de gang à Saint-Louis. La principale raison pour quitter le gang était directement associée à la violence à laquelle ils ont été exposés, tant à titre de témoins que de victimes. La documentation scientifique sur le désistement en général semble également indiquer que des évènements particuliers de la vie ont le potentiel de créer des points tournants dans la trajectoire criminelle. À titre d’exemple, Hughes (1998) relève la formation de liens sociaux et de capital social, l’âge, l’emploi, le respect et les préoccupations pour les enfants, la peur de préjudices physiques, l’incarcération, l’étape de contemplation (prise de conscience) et le soutien comme étant des facteurs importants pouvant avoir une influence positive sur le processus de désistement (voir aussi Pyrooz et Decker, 2011). En plus, le rôle des interventions (programmes ou sanctions émanant du système judiciaire) est également considéré comme ayant un effet positif sur l’atteinte de la stabilité et le soutien nécessaire dans le processus de désistement (Farrall, 2002, 2004 ; Giordano, Cernkovich et Rudolph, 2002 ; Hastings, Dunbar et Bania, 2011 ; Hughes, 1998 ; Rex, 1999).

Facteurs dissuasifs à la désaffiliation

Tout d’abord, il semblerait que la réticence au désistement pourrait être associée à la culture des gangs voulant que l’affiliation soit permanente (Decker et Lauritsen, 2002). De plus, sachant que la violence est souvent utilisée pour maintenir l’ordre au sein du gang et punir les transgresseurs (Decker, Bynum et Weisel, 1998 ; Decker, Katz et Webb, 2008 ; Decker et Van Winkle, 1996), vouloir quitter le gang en ébranlant la cohésion du groupe ainsi que son capital social pourrait être considéré comme un acte punissable (Fleisher et Decker, 2001). La « violence mythique », telle que désignée par Klein (1971), réfère à la croyance que la désaffiliation serait possible uniquement par voie violente et hostile (voir aussi Decker, 1996 ; Vigil, 1988) et serait un important facteur de dissuasion à la désaffiliation.

De plus, Decker et Lauritsen (2002) indiquent que le gang « est une source de soutien et d’amitié qui ne peut être quittée avant qu’un substitut approprié ait été trouvé » (p. 61). En fait, les membres ayant tranquillement rétabli des liens avec les institutions sociales ou ayant été confrontés à des changements de vie importants seraient plus susceptibles de mieux réussir la transition vers la désaffiliation. Cette transition demeure toujours complexe, surtout qu’il n’est pas rare que la source de soutien substitut demeure ancrée dans le même environnement social (par ex. : au sein du même quartier, à l’école ou encore auprès des membres de la famille aussi affiliés aux gangs). Ces liens persistants avec les gangs ont également été décrits comme un obstacle important dans des études plus récentes sur la désaffiliation (Decker et Lauritsen, 2002 ; Pyrooz et Decker, 2011 ; Pyrooz et al., 2010). À titre d’exemple, les travaux de Pyrooz et Decker (2011) montrent que deux ans après la désaffiliation, les désaffiliés entretenaient des liens avec en moyenne deux individus toujours affiliés, et que la plupart affirmaient qu’ils exerceraient des représailles si quiconque manquait de respect envers leur (ex-) gang. Ce résultat illustre à quel point les liens de gangs demeurent puissants, et ce, même après la désaffiliation. Ces liens durables compliquent le processus et ne peuvent être minimisés.

Source des données

La présente étude découle d’un projet de recherche d’une plus grande envergure, mené par Raymond Corrado, portant sur les jeunes contrevenants violents et récidivistes incarcérés (ISVYO) au centre de détention juvénile de Burnaby (BYCC), en Colombie-Britannique[3]. L’instrument sur l’affiliation aux gangs a été implanté en 2009, lors de la quatrième vague de collecte des données du projet ISVYO. Tous les délinquants qui purgeaient une peine d’emprisonnement au BYCC ont été contactés pour participer au projet ISVYO. Leur participation était volontaire.

Les données incluent premièrement les informations officielles obtenues des dossiers du centre de détention et des documents provinciaux du système Corrections Network (CORNET) de la Colombie-Britannique. Deuxièmement, les données autodéclarées ont été recueillies au cours d’entretiens semi-structurés. Ces premiers entretiens, d’environ 90 minutes, visaient à recueillir des informations sur les divers facteurs de risques liés à la délinquance et à leur histoire personnelle[4]. Une fois cette première entrevue terminée, tous les participants étaient invités à remplir l’instrument sur l’affiliation aux gangs. Au total, 161 entretiens ont été réalisés avec cet instrument. Sur ces 161 entretiens, 80 participants ont confirmé une affiliation récente ou courante, et 73 de ces participants ont rempli l’ensemble de l’instrument et constituent l’échantillon de la présente étude. La méthode d’autodéclaration a été validée dans plusieurs études précédentes (Bjerregaard, 2002 ; Curry, 2000 ; Curry et Decker, 1998 ; Esbensen, Peterson, Taylor et Freng, 2009 ; Esbensen, Winfree, He et Taylor, 2001). Les informations recueillies au moyen de l’instrument sur l’affiliation aux gangs comprenaient : l’âge de la première affiliation, les motivations pour adhérer à un gang, les personnes qui les ont introduites, la description de leur initiation, la composition et le niveau d’organisation de leur gang et les conflits.

Variables

Désaffiliation

Au sein de l’échantillon, 22 participants (30 %) ont mentionné avoir quitté leur gang. À la suite de cette affirmation, ils ont été appelés à expliquer les raisons motivant leur désaffiliation et à indiquer s’ils avaient eu à subir un rituel de sortie, comme semble l’indiquer la croyance, particulièrement pour ceux ayant été initiés lors de leur affiliation (Decker et Lauritsen, 2002 ; Pyrooz et Decker, 2011).

Les motivations

Il a été demandé aux participants de nommer les raisons ayant motivé leur affiliation. Six options fondées sur la documentation scientifique leur ont été fournies : 1) l’argent ; 2) le respect ; 3) la protection ; 4) se faire des amis ; 5) pour vendre de la drogue ; et 6) a été contraint de s’affilier (voir Decker et Curry, 2000 ; Hochhaus et Sousa, 1988 ; Melde et al., 2009 ; Sanchez-Jankowski, 1991 ; Skolnick, Correl et Rabb, 1988 ; Thornberry, Krohn, Lizotte, Smith et Tobin, 2003). Des réponses multiples étaient autorisées, un index cumulatif du nombre différent de motivations déclarées a également été créé (0 à 6).

L’initiation

Au sein de l’échantillon, 54 participants (74 %) ont été initiés au moment de leur entrée dans le gang. Pour ceux-ci, il leur a été demandé de décrire cet évènement initiatique dans leurs propres mots. Pour le besoin de cette étude, les différents types d’initiation mentionnés ont été groupés en nature violente (1) ou non violente (0).

Le capital social criminel présent avant l’affiliation

Les participants ont été invités à décrire la nature des sources humaines et institutionnelles qui les ont introduits au gang. Ces sources incluent : 1) les amis ; 2) les frères et soeurs ; 3) les parents ; 4) les cousins ; 5) le quartier ; 6) l’école ; 7) la prison ; et 8) autres. Un index cumulatif a été calculé pour déterminer le nombre de sources différentes ayant facilité l’affiliation (0 à 8). Une attention particulière a été apportée au rôle de la famille et des amis lors du recrutement. Pour ce faire, la nature des sources a été recodée afin d’obtenir deux variables supplémentaires dichotomiques : 1) introduit par des amis ; et 2) introduit par la famille immédiate (regroupant les variables frères et soeurs, et parents). Une autre variable dichotomique examine si des membres de la famille de l’affilié étaient aussi des affiliés.

Il a également été demandé aux participants d’indiquer le nombre de fois, dans les 12 derniers mois, où ils ont commis des crimes avec des individus n’étant pas des affiliés : jamais, une ou deux fois, plusieurs fois ou souvent. Cette variable a été recodée en codélinquance fréquente (= 1) en fusionnant les choix de réponses « plusieurs fois » ou « souvent », et une codélinquance occasionnelle (= 0) en fusionnant « jamais » et « une fois ou deux ».

Composition des gangs à l’étude

La composition du gang est évaluée au moyen de quatre variables. Tout d’abord, la taille du gang. La valeur minimale estimée par les participants était de 5 et la valeur maximum était de 5000 ; au moins 5 personnes ont déclaré faire partie d’un gang de plus de 1000 individus. Puisque cette variable était normalement distribuée, une transformation logarithmique naturelle a été appliquée. Deuxièmement, la longévité du gang a été déterminée par le nombre de mois écoulés depuis sa création. Troisièmement, l’âge moyen des membres de gangs. Finalement, la composition ethnique du gang a été qualifiée soit 1) exclusivement d’origine caucasienne, 2) exclusivement d’origine autochtone, 3) exclusivement composée par un groupe ethnique autre que caucasien ou autochtone et 4) mixte.

Le niveau d’organisation des gangs à l’étude

En fonction de recherches antérieures sur l’organisation des gangs (Bouchard et Spindler, 2010 ; Decker, 2001 ; Decker et Curry, 2000 ; Decker et Van Winkle, 1996 ; Decker et al., 1998, 2008 ; Peterson, Miller et Esbensen, 2001 ; Vigil, 1988), huit caractéristiques ont été utilisées : 1) nom du gang ; 2) dirigeants établis ; 3) adoption des symboles de gangs spécifiques ; 4) réunions régulières ; 5) territoire spécifique ; 6) hiérarchie ; 7) règles de conduite ; et 8) recours à la violence pour faire respecter les règles et maintenir l’ordre.

Activités criminelles du groupe

Il a été demandé aux participants de nommer les activités criminelles auxquelles s’adonnait leur gang : 1) vente de drogue ; 2) culture de marijuana ; 3) vol qualifié ; 4) voies de fait ; 5) autres formes de violence (ex. : fusillade au volant) ; 6) entrée par effraction pour vol de drogues ; 7) entrée par effraction pour d’autres raisons ; 8) fraude ; 9) proxénétisme ; 10) vol de véhicules ; 11) graffitis ; 12) vandalisme (autre que les graffitis) ; 13) enlèvement ; et 14) extorsion. Premièrement, un index de diversité a été créé en cumulant le nombre de types d’activités criminelles (1 à 14). Deuxièmement, les activités ont été regroupées en fonction de la nature des crimes. Les crimes liés aux drogues (1, 2, 6), les crimes violents (3, 4, 5, 13), les crimes lucratifs (7, 8, 9, 10, 14) et les autres crimes contre les biens (11 et 12).

Le capital social criminel du gang

Deux index de capital social criminel du gang (CSCG) ont été créés : 1) le CSCG positif et 2) le CSCG négatif. Le CSCG positif comprend le nombre de contacts positifs (alliances pour les affaires ou l’amitié) que le gang entretient avec les motards et d’autres groupes du crime organisé (ex. : groupes chinois, vietnamiens, russes, japonais, est-européens, italiens, américains, autochtones, indo-canadiens, etc.) (0 à 11). Cet index fournit une mesure des sources potentielles d’associés et, de plus, une source de CSCG positif est un prédicteur robuste d’une carrière criminelle active et réussie (Bouchard et Nguyen, 2010 ; Descormiers, Bouchard et Corrado, 2011 ; Morselli et Tremblay, 2004 ; Tremblay, 1993). En revanche, le CSCG négatif indique le nombre de contacts négatifs (animosité) que le gang entretient avec les motards et les 10 groupes du crime organisé ciblés (0 à 11).

Finalement, en ce qui concerne les variables de contrôle, trois variables démographiques ont été utilisées : l’âge, le genre (0 = masculin, 1 = féminin) ; et l’origine ethnique (0 = autres, 1 = autochtone). De plus, une quatrième variable a été créée pour contrôler le nombre total de mois passés en détention durant la période d’affiliation.

Résultats quantitatifs

Description générale de l’échantillon

L’échantillon global est composé principalement de participants masculins (87,7 %), âgés en moyenne de 16,42 ans (ÉT = 1,21) et provenant de diverses origines ethniques : caucasiennes (42,5 %), autochtones (24,7 %), indo-canadiennes (12,3 %) et autres (20,4 %). En moyenne, les participants se sont affiliés à l’âge de 13 ans (ÉT = 1,94). Au moment de l’entretien, les participants, qui étaient encore affiliés (n = 51), ont déclaré être dans les gangs depuis en moyenne 3 ans (ÉT = 2,02).

Description des caractéristiques individuelles des membres affiliés et désaffiliés

L’échantillon global a ensuite été divisé en deux sous-groupes, pour être par la suite comparés statistiquement sur la base de leurs caractéristiques individuelles (Tableau 1) et collectives (Tableau 2), au moyen des tests de différence de moyennes pour les variables continues et de chi carré pour tous les autres types de variables.

Tout d’abord, les participants féminins représentent 27 % du sous-échantillon des membres désaffiliés, en comparaison du mince 6 % des membres encore actifs au moment de l’entretien (c² = 6,506 ; p ≤ 0,05). À l’inverse, les membres autochtones de notre échantillon sont moins susceptibles de se retrouver dans la catégorie des désaffiliés (9,1 % vs 31,4 %) (c² = 4,107 ; p ≤ 0,05). Parmi les différents types de capital social criminel que les participants présentaient avant même d’être affiliés, une principale différence significative émerge. Les membres désaffiliés rapportent un plus petit nombre de différentes sources les ayant conduits et introduits aux gangs (1,64), en comparaison de ceux qui sont toujours actifs au moment de l’entretien (2,37) (F = 4,446 ; ≤ 0,05). Ce résultat soutient l’idée que ceux qui n’ont pas (encore) quitté leur gang sont plus susceptibles d’être intégrés dans un environnement social qui encourage leur affiliation.

Tableau 1

Description du sous-échantillon des membres affiliés et désaffiliés

Description du sous-échantillon des membres affiliés et désaffiliés

p ≤ 0,10 ; *p ≤ 0,05 ; **p ≤ 0,01 ; ***p ≤ 0,00

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Les participants qui ont été initiés au moment de leur affiliation représentent 80 % du groupe des membres toujours actifs, et 59 % des individus qui se sont désistés. La différence est marginalement significative (c² = 3,622 ; p ≤ 0,10), mais elle est d’autant plus marquante lorsqu’on examine la sévérité de la nature de l’initiation, c’est-à-dire si elle a été de nature violente ou non. Ceux qui ont été initiés par un rite violent à leur entrée dans le gang étaient moins susceptibles d’avoir quitté leur gang. En fait, ils se retrouvent à 47,1 % dans le groupe des membres qui se sont désistés et à 77,8 % dans le groupe des membres actifs (c² = 5,478 ; p ≤ 0,05).

Tableau 2

Les caractéristiques des gangs au sein des affiliés et des désaffiliés

Les caractéristiques des gangs au sein des affiliés et des désaffiliés

p≤ 0,10 ; *p≤ 0,05 ; **p≤ 0,01 ; ***p≤ 0,00

1

Le terme « log » est utilisé pour rappeler qu’une transformation logarithmique naturelle a été appliquée.

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Description des caractéristiques des gangs

Premièrement, une seule variable liée à l’organisation du gang est significative, c’est-à-dire le recours à la violence pour faire respecter les règles au sein du gang. Les participants s’étant désistés font état d’une prévalence plus faible (82 %) d’un tel recours par rapport aux membres toujours actifs (96 % ; c² = 4,143 ; p ≤ 0,05). Ce résultat est similaire aux données des recherches américaines (Decker et Lauritsen, 2002 ; Pyrooz et Decker, 2011 ; Vigil, 1988). Troisièmement, les membres ayant quitté leurs gangs les ont décrits comme étant moins polyvalents en termes d’activités criminelles auxquelles ils participaient (7,23 vs 8,55 ; F = 2,777 ; p ≤ 0,10). Plus précisément, ils seraient moins impliqués dans les crimes violents (2,36 vs 2,86 ; F = 2,742 ; p ≤ 0,10) et ceux en lien avec les drogues (2,05 vs 2,47 ; F = 4,517 ; p ≤ 0,05).

Résultats des analyses multivariées

Les associations entre le désistement et les caractéristiques des membres et du gang ont alors été examinées au moyen d’analyses multivariées en utilisant un modèle de régression logistique (Tableau 3). Par souci de puissance statistique compte tenu de la petite taille de l’échantillon, ces modèles incluent les variables de contrôle et seulement les variables qui étaient significatives ou près de l’être dans les analyses bivariées. Tout d’abord, tel qu’il est observé dans les résultats bivariés, les membres féminins sont plus susceptibles d’avoir quitté leur gang au moment de l’entrevue (β = 2,38 ; p ≤ 0.05), contrairement aux membres d’origine autochtone qui sont moins susceptibles d’avoir mis fin à leur affiliation (β = -2,45 ; p ≤ 0,05). Aussi, plus la durée totale de temps passé en détention durant la période d’affiliation du participant est grande, plus ces participants sont susceptibles d’avoir quitté leur gang (β = 0,00 ; p ≤ 0,10). Ce résultat semble indiquer que la durée de la séparation du gang peut en quelque sorte affaiblir les liens avec le gang et faciliter la transition vers le désistement. Le modèle 2 inclut les variables de contrôle et deux variables liées à la période d’entrée dans le gang (introduit aux gangs par de multiples sources et l’occurrence d’une initiation violente). Le modèle est significatif (c² = 21,97 ;  0,01). Les deux variables sont associées avec une continuation de l’affiliation (respectivement β = -0,50 et β = -1,38). Ces résultats semblent indiquer deux choses. Premièrement, l’environnement présent avant l’affiliation, celui qui forge la première opportunité de s’affilier, est tout aussi important dans le processus décisionnel du désengagement envers le gang. L’environnement criminel semble maintenir les membres dans un style de vie et une sous-culture associés au monde des gangs. Deuxièmement, la présence de la violence comme première manifestation des processus de groupe du gang peut créer une peur (fondée ou non) d’avoir à subir un rituel similaire s’ils décidaient de quitter leur gang. Finalement, le troisième modèle inclut les variables de contrôle et les variables liées aux gangs. Le modèle s’améliore légèrement et demeure significatif (c² = 22,63 ; p ≤ 0,01). Le recours à la violence pour faire respecter les règles au sein du gang est marginalement significatif et négativement associé au désistement des membres (β = -1,92 ; p ≤ 0,10). Ce résultat suggère que les membres pourraient craindre d’avoir à subir des conséquences violentes s’ils décidaient de quitter leur gang, puisque leur gang utilise habituellement la violence pour faire respecter les règles et sanctionner les mauvaises conduites.

Tableau 3

Régression logistique prédisant la désaffiliation

Régression logistique prédisant la désaffiliation

p ≤0,10 ; * p ≤ 0,05 ; **p ≤0,01 ; ***p ≤ 0,00

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Résultats qualitatifs

Raisons ayant motivé la désaffiliation

La section suivante présente six principales raisons ayant motivé la désaffiliation des 22 désaffiliés représentés dans l’échantillon. Le Tableau 4 présente la distribution complète des motivations[5].

Tableau 4

Distribution des raisons motivant la désaffiliation

Distribution des raisons motivant la désaffiliation

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Désir d’indépendance

Le désir d’indépendance est la motivation ayant été la plus souvent nommée au sein de l’échantillon des membres s’étant désistés (n = 5). Par exemple, le participant 1827 a déclaré : « Je commence à être trop vieux, je ne veux pas faire ça, je veux être indépendant. » L’état d’indépendance a un prix. En fait, lorsqu’on a demandé au participant s’il a eu de la difficulté à quitter son gang, il a affirmé qu’il s’est fait battre par sept affiliés de son gang pendant 30 secondes. Il était autorisé à se défendre et à riposter. Ce même participant avait eu à subir un rituel semblable lors de son entrée dans le gang.

Trois autres participants ont déclaré qu’ils préféraient quitter leur gang et poursuivre leurs activités criminelles par eux-mêmes. Le participant 1870 se décrit comme « un gars indépendant », et c’est la raison pour laquelle il a quitté son gang, alors que le participant 1882 a précisé que « ça devenait trop lourd pour moi. Je fais plus d’argent par moi-même, j’ai eu la chance de connaître des gens, d’avoir plus de connexions et je peux me protéger ». Le discours du participant 1561 semble indiquer également que l’argent n’en valait pas le coup : « C’était sans but, pas assez d’argent. Je peux faire les mêmes choses à ma façon. Il a été facile de quitter, j’ai simplement arrêté de les contacter. »

Un autre participant (1880) a mentionné que son affiliation s’est terminée en raison d’un conflit avec les dirigeants du gang. Il explique : « [Je] me suis fait volé mon stock et ils ont dit que je leur devais de l’argent. Ils m’ont dit que j’avais deux jours pour payer. J’ai dit fuck that et j’ai quitté. » Comme le démontre son dossier criminel, malgré sa désaffiliation, il est toujours impliqué dans le trafic de drogue.

Maturation

Quatre participants ont fait référence à la maturation comme facteur ayant principalement motivé leur cheminement vers la désaffiliation. L’expérience du participant 1056 illustre bien ce thème. Lors de la première entrevue, il énonçait déjà son désir de se désaffilier une fois sorti de prison. Il considère qu’il a fait assez de prison en raison de son affiliation (au moment de l’entrevue, son séjour était d’un peu plus de 900 jours) et ajoute : « Je me rends compte à quel point j’ai fait mal à ma famille et à ma copine. J’ai eu 18 ans. Adulte et crimes, cela t’affecte pour un long moment. » Plusieurs entretiens ont été réalisés avec ce participant sur une période de deux ans. Au début, il était très fier d’être affilié à son gang. Il se vantait des avantages de son affiliation, affirmant par exemple que lorsque « [je suis] à l’extérieur, je me tiens dans les casinos et les casinos illégaux. Je porte du Versace, j’ai une vie de luxe et je sors avec une fille de 28 ans ». Avec le temps, plus son procès approchait, plus il semblait tendu et anxieux. Il avait appris entre-temps que sa grand-mère était très malade et qu’elle était décédée quelques semaines plus tard. Cet évènement dramatique a été difficile pour lui. Il était l’un des rares détenus qui avaient des visites hebdomadaires. Sa famille lui apportait beaucoup de soutien et il a confié qu’il était maintenant important de la rendre fière. Au début de son incarcération, il avait eu le sentiment que son gang était toujours là pour lui. Il partageait la perception de « faire du temps » pour son gang. Il a mentionné qu’il avait toujours des contacts indirects avec son gang par sa petite amie. Il sentait encore qu’il faisait partie du gang, mais, avec le temps, il a eu de moins en moins de communication. Ses liens avec son gang se sont affaiblis. Il a vite compris qu’en réalité, une fois incarcéré, il y a très peu de choses que le gang peut faire pour lui, et c’est la famille biologique qui l’a soutenu.

Une autre motivation à changer de style de vie a été mentionnée par une participante (1491) qui est tombée enceinte durant son affiliation. Dès ce moment, elle avait su qu’elle ne voulait pas de ce mode de vie pour son bébé. Cet évènement l’a poussée à approfondir ses réflexions sur l’avenir et l’a incitée à reconsidérer son affiliation. Deux autres participants ont déclaré qu’ils ont simplement pris de la maturité et qu’ils ne voulaient plus être affiliés (1466 et 1531).

Temps d’incarcération

Trois autres participants ont mentionné que c’est principalement le temps passé en incarcération qui a influencé leur transition vers la désaffiliation. La participante 1439 a été incarcérée pendant plus d’un an, ce qui l’a isolée de son environnement et l’a forcée à se désengager de son gang. Mais, dans d’autres circonstances, elle ne nie pas qu’elle aurait pu demeurer active. Le participant 1706 a expliqué qu’il « a cessé de traîner avec eux parce que j’étais tout simplement incarcéré ». Le participant 1754 précise que « lorsque tu finis par te retrouver dans un endroit comme la prison, c’est automatiquement un changement de motivation ». Ce même participant avait émis le désir de protection comme motivation principale à joindre son gang. Il est probable que de se retrouver plutôt en prison sans le soutien de ses acolytes n’était pas ce qu’il avait envisagé en s’affiliant.

Désintérêt relativement au style de vie

Trois participants ont mentionné le désintérêt qu’ils ressentaient relativement au style de vie des gangs comme étant la principale raison de leur désaffiliation. Le participant 1636 a expliqué qu’en plus du temps passé en prison, il s’est lassé de tout cela : « Trop de conflits, la prison, tout simplement tanné de cette vie. » Il a dit que le gang lui avait même suggéré de partir. Une information rarement soulevée et qui illustre bien l’influence collective sur le processus de désistement.

Ce désintérêt relativement au mode de vie était également la raison exprimée par le participant 1351 qui a précisé qu’il « en avait marre des gens toujours en conflit les uns envers les autres. Les batailles de gangs et tout le reste ». Ce participant a ajouté que son gang était impliqué dans le proxénétisme et assurait la protection d’un groupe du crime organisé. Toute cette violence a peut-être contribué au processus décisionnel de se désaffilier. De même, le participant 1898 a mentionné qu’il y avait « trop de bullshit et trop de conflits. Si je n’avais pas quitté mon gang, j’aurais fini en prison pour une longue période ou simplement mort. Alors j’ai déménagé ». Notez que ce participant a dû quitter l’environnement pour mettre un terme à son affiliation ; mais de toute évidence, il ne semble pas s’être désisté du crime puisqu’au moment de l’entrevue, il était incarcéré pour de nouvelles infractions.

Expérience de mort imminente

Cet autre thème regroupe les expériences de mort imminente de trois participants ou de membres de leur famille. Le participant 1588 a admis qu’il avait reconsidéré son affiliation six mois plus tôt, lorsque son père, aussi affilié, était décédé dans le cadre de ses activités criminelles. À ce même moment, le participant avait commencé à s’injecter des drogues dures et s’était bien rendu compte que « quand la merde frappe, plus personne du gang n’est là pour toi ». Le participant 1771 a fait face à un évènement dramatique similaire : son père, aussi membre d’un groupe criminel notoire, s’était suicidé. À ce moment, le jeune avait décidé de mettre fin à son affiliation, en prenant ses distances avec son gang. Un autre participant (1858) a déclaré que son expérience de mort imminente lui avait aussi fait reconsidérer son affiliation : « Je ne voulais plus être impliqué, j’ai failli me faire tirer. » Il a atteint sa limite de tolérance à la violence quand sa propre sécurité a été menacée.

Démantèlement du gang

Deux participants (1867 et 1869) ont mentionné que leur affiliation a pris fin lorsque leur gang s’est tout simplement dissous.

Une fois que mon frère et mes cousins se sont fait prendre et envoyer en prison, il restait juste un groupe de jeunes de 15 ans. Tous les OG étaient disparus. J’ai essayé de continuer à faire rouler le gang, mais c’était trop dur et trop stressant. Je leur disais de faire une chose et ils faisaient autre chose. Ils ont tout fait foirer.

Participante 1967

Le participant 1869 a mentionné qu’il n’avait pas vraiment quitté son gang parce que le gang s’était lui-même dissous. À cette époque, la police croyait que ce groupe pouvait constituer la prochaine génération et les jeunes de ce groupe étaient étroitement surveillés par les corps policiers.

Continuation de l’affiliation et le pouvoir de la sous-culture

Tel qu’il est mentionné par Decker et Lauritsen (2002), une barrière importante à la désaffiliation est liée à la croyance que l’affiliation est permanente. Trois participants ont mentionné durant leurs entrevues qu’ils voudraient bien quitter leur gang mais qu’ils le ne pouvaient tout simplement pas. Le participant 1684, membre depuis l’âge de 11 ans et initié par son beau-père, explique : « une fois que tu es dans le gang, tu ne peux pas le quitter ».

Deux participants autochtones ont aussi mentionné que se désister n’était pas une option. Le participant 1825 affirme clairement : « je ne peux juste pas ». « C’est tout simplement impossible », déclare le participant 1717. Ce dernier indique que l’ensemble de sa famille est membre de gangs, « même ma mère ! » s’exclame-t-il. Il affirme :

Nous ne sommes pas des mauvais jeunes, c’est simplement ce que nous faisons qui est mauvais. Nous n’avons pas eu la chance d’être élevés normalement comme les autres enfants. C’est ce que fait ma famille. Être un gang.

Le gang fait partie de ses racines, l’affiliation est son identité et l’ancrage à cette sous-culture demeure un défi important à relever pour viser une désaffiliation complète.

Discussion et conclusion

La présente étude s’est penchée sur le processus de désaffiliation au sein des gangs en examinant, dans un premier temps, l’influence des caractéristiques individuelles des membres affiliés ainsi que les caractéristiques de leur gang sur la fin de leur affiliation. Tel qu’il est suggéré par Decker et Lauritsen (2002), à la fois le groupe et les caractéristiques individuelles influencent le processus de désistement. Les individus peuvent prendre des décisions, mais il ne faut pas oublier que l’entité de l’affiliation influence les raisons et le moment où un tel processus est plus susceptible de se produire. Cette influence réciproque est prise en considération par le modèle de socialisation de groupe de Moreland et Levine (1982), qui soutient que tant les individus que le groupe exercent une influence sur les changements de l’un et des autres. Notons qu’aucune étude n’avait auparavant examiné l’influence du groupe sur le processus de désaffiliation.

Selon les résultats de la présente étude, quatre caractéristiques principales sont associées à la désaffiliation et elles devraient être considérées dans les prochaines recherches. Tout d’abord, les femmes affiliées étaient plus susceptibles d’avoir renoncé à leur affiliation que leurs homologues masculins. Ce résultat a également été soulevé dans des recherches antérieures, qui ont d’ailleurs démontré que la durée de l’affiliation des femmes affiliées tend à être plus courte que celle des hommes (Peterson et al., 2001 ; Thornberry, 1998).

Deuxièmement, les affiliés autochtones de l’étude étaient moins susceptibles de se retrouver dans le processus de désistement au moment de l’entretien. Les gangs sont souvent dépeints comme des familles de substitution pour les jeunes démunis et privés de leurs droits, ce qui est particulièrement le cas pour les jeunes autochtones (voir Goodwill, 2009 ; Grekul et LaBoucane-Benson, 2006). Il se peut que pour ces affiliés, renoncer à leur affiliation soit plus difficile puisque les gangs répondent à leurs besoins d’appartenance et d’acquisition de respect au sein de leur communauté. Ils ne se retrouveraient donc pas dans une phase de divergence qui mène subséquemment au désir de sortie du gang, comme semble l’indiquer le modèle de Moreland et Levine (1982). Une autre explication possible est liée au fait que tous les affiliés autochtones représentés dans l’échantillon ont été initiés, et la plupart du temps par des rituels violents. La croyance que la sortie d’un gang n’est possible qu’à travers un rituel violent (Decker, 1996 ; Decker et Van Winkle, 1996 ; Klein, 1971 ; Vigil, 1988) pourrait être encore plus forte pour les membres qui ont été initiés par un rite initiatique violent. Ce qui, par conséquent, pourrait freiner leur envie de se désaffilier.

Troisièmement, parmi les indicateurs de capital social criminel, le fait d’avoir été introduit par plusieurs sources (par exemple, une combinaison des amis et de la famille ou bien du quartier et de la famille) était associé significativement à la continuité de l’affiliation. Le fait que les affiliés sont entourés par un environnement social favorable à ce style de vie pourrait avoir un impact important sur la durée de l’affiliation. Le concept de l’enchâssement criminel semble être important dans la compréhension que nous avons des obstacles au désistement. Ce type de milieu social est déterminant dans les trajectoires des individus comme il les maintient dans un contexte qui normalise le mode de vie criminel (Miller, 2001). Ce phénomène est un défi important dans l’élaboration de stratégies d’intervention des gangs parce que cela signifie que l’environnement social qui a d’abord facilité le recrutement des individus (voir Descormiers, 2013) reste présent et influence tout au long de leur affiliation le processus de désistement.

Quatrièmement, il a été démontré que les membres ayant été initiés par un rite violent étaient moins susceptibles de s’être désaffiliés, au moment de l’entrevue. Ce résultat peut être associé à la croyance que des rites violents d’entrée et de sortie sont obligatoires afin d’assurer la loyauté et l’engagement à long terme des affiliés (Decker, 1996 ; Decker et Lauritsen, 2002 ; Klein, 1971 ; Vigil, 1988). Bien que certains chercheurs soutiennent qu’il s’agit d’une croyance partagée au sein des membres de gangs, les cas de cérémonies violentes de sortie ont rarement été signalés (Pyrooz et Decker, 2011). Rappelons que dans la présente étude, un seul participant a subi un rituel de sortie. Une association similaire pour ce qui est du groupe a été aussi observée. En fait, les participants qui avaient déclaré que leur gang faisait respecter ses règles par la violence étaient moins susceptibles d’avoir quitté leur gang. Ces deux résultats (à la fois sur le plan individuel et du groupe) sont régis par le même processus : la violence intragang (Decker, 1996 ; Vigil, 1988). Les recherches antérieures ont démontré que la violence est l’un des mécanismes renforçant la cohésion du groupe et la solidarité (voir Decker, 1996 ; Decker et Van Winkle, 1996), et tend à être associée à un niveau plus important d’organisation (Decker et al., 1998 ; Decker et al., 2008 ; Decker et Van Winkle, 1996). Dans la présente étude, les participants qui ont déclaré que leurs gangs étaient impliqués dans plusieurs types d’activités criminelles étaient moins susceptibles de s’être désistés, en particulier ceux dont le gang était actif dans le trafic de drogues. Ce résultat semble indiquer qu’au moment de l’entrevue, ces participants évaluaient sans doute leur affiliation comme étant suffisamment gratifiante pour motiver une continuation. Comme mentionné par Moreland et Levine (1982), ce n’est que lorsque la divergence entre l’engagement et les objectifs se produit que le désistement progressif du groupe débute.

Grâce aux récits des 22 participants désaffiliés, il a été possible de contextualiser davantage le processus de désaffiliation. Les raisons évoquées étaient semblables à celles relevées dans les recherches précédentes : maturation, temps d’incarcération, désir d’indépendance, désintérêt du mode de vie, expérience de mort imminente et démantèlement du gang (voir Decker et Lauritsen, 2002 ; Pyrooz et Decker, 2011 ; Vigil, 1988). Nous sommes également d’avis, comme ont semblé l’indiquer les études américaines, que la désaffiliation ne devrait pas être conçue comme un évènement, mais plutôt comme un processus de désengagement puisque nous concluons que : a) la désaffiliation est influencée par les caractéristiques individuelles et celles du groupe, et donc il peut y avoir divergence entre les désirs et les objectifs des deux parties, le désengagement peut donc être amorcé par l’une ou l’autre des parties ; b) la désaffiliation est facilitée par une accumulation de facteurs qui se produit au fil du temps, et, lorsqu’un seuil de tolérance individuel est atteint, la désaffiliation se produit ; cependant, tout au long de l’accumulation de ces facteurs, de subtiles variations sur le plan de l’engagement se produisent ; et c) la persistance des liens de gangs, alors même que les individus deviennent des « non-membres », crée une zone grise où le statut de « désaffilié » demeure flou. Considérer ce processus sur un continuum de désengagement représente davantage ce qui se produit pour les affiliés engagés dans le processus de désaffiliation.

Comme dans le cas de plusieurs autres études portant sur les gangs, la limite principale demeure son faible échantillon et le fait qu’elle constitue une étude exploratoire. Cependant, cette présente étude a proposé une méthodologie qui combine les méthodes quantitatives et qualitatives, permettant ainsi de soulever la complexité et les défis associés à la désaffiliation. Les processus collectifs qui régissent le gang ainsi que l’environnement social criminel (y compris l’environnement criminel non affilié) sont des éléments importants dans notre compréhension du processus de désaffiliation et ils doivent être analysés dans des recherches futures.