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Introduction

L’Afrique regorge de nombreuses ressources naturelles et minérales. Longtemps cachées, inexplorées et inexploitées, elles font aujourd’hui l’objet de convoitise de la part des sociétés multinationales extractives, dont la plupart sont enregistrées et domiciliées en Occident[2]. Ainsi, en plus de la production et de l’exploitation extractives déjà en cours dans certains pays, les découvertes de pétrole, de gaz et de minerais se multiplient dans d’autres (Senewela, 2015). Idéalement, avec ses richesses naturelles et l’exploitation qui s’ensuit, l’Afrique est en bonne position pour décoller économiquement et devenir une puissance. En réalité, il convient de noter que des progrès ont été globalement réalisés dans plusieurs pays africains producteurs de matières premières, tant minières, pétrolières, gazières que forestières. Certains présentent même un taux de croissance à deux chiffres (Statistiques mondiales, 2015)[3], ce qui influe sur la croissance économique globale du continent.

Néanmoins, en dépit de cette croissance économique notable, les effets escomptés sur un développement humain intégral et harmonieux tardent à se matérialiser. L’indice de développement humain est encore globalement bas, et certains pays producteurs se retrouvent au bas de l’échelle du classement mondial et le niveau de vie des citoyens africains ne s’améliore pas. Pourquoi cet état de choses ? Comment peut-on s’assurer que l’extraction des richesses naturelles, minières, pétrolières et gazières puisse avoir des retombées positives sur la jouissance des droits de la personne, en particulier des droits sociaux, économiques et culturels ? Comment éviter que la découverte et l’exploitation des ressources ne soient source de violations graves de droits de la personne résultant de la dégradation environnementale, de conflits armés, de déplacements massifs ou d’expulsions forcées des communautés ?

Cet article offre d’explorer l’une des meilleures voies à emprunter dans le but de minimiser l’impact négatif du secteur de l’industrie extractive sur les communautés et les citoyens africains. Prenant appui sur l’approche fondée sur les droits de la personne et le souci d’assurer la viabilité de l’industrie extractive sur le continent, cet article propose qu’un exercice de pondération permet d’atteindre un équilibre acceptable entre les divers intérêts en jeu, soit ceux des compagnies extractives, ceux des communautés locales affectées par l’industrie extractive et ceux de l’État. En effet, ces trois entités sont et doivent être des partenaires dans l’industrie extractive. Une fois cette notion de partenariat bien comprise, des améliorations peuvent être aisément apportées en vue d’une exploitation socialement et environnementalement responsable et d’une gestion transparente des ressources naturelles (Union africaine, 2009).

L’article est subdivisé en deux parties. Après un bref exposé de l’impact de l’industrie extractive sur la jouissance et l’exercice de certains droits individuels et collectifs (I), il abordera l’épineuse question de la prise en compte des droits de la personne à travers l’implication communautaire dans la gouvernance de l’industrie extractive (II).

I. Impact de l’industrie extractive sur la jouissance et la protection des droits de la personne et des peuples en Afrique

L’industrie extractive est florissante en Afrique. Selon certaines estimations, plusieurs pays africains occupent une place privilégiée dans la production mondiale des ressources minières. Ainsi, l’Afrique du Sud produit les trois quarts du platine mondial, 46 % du chrome, 35 % du vanadium et plus de 15 % de l’or et du manganèse (Yager, 2014). En 2012, la République démocratique du Congo fournissait 55 % de la production mondiale de cobalt, un quart des diamants industriels, 14 % du tantale et 3 % du cuivre et de l’étain (Yager, 2014). La Zambie se placerait au sixième rang mondial dans la production du minerai de cuivre et au cinquième rang pour la production du cobalt (Yager et al., 2015). La Sierra Leone se place au dixième rang des producteurs de diamant en volume et au troisième rang des producteurs de rutile, un métal lourd utilisé dans les peintures, la céramique et les plastiques. La Guinée-Conakry fournit 8 % de la production mondiale de bauxite, etc. (Africa Progress Panel, 2013).

En dépit de cette présence mondiale remarquable dans le secteur minier, l’Afrique ne perçoit pas la part des bénéfices qui y sont associés. On constate en effet que plusieurs pays exportent des produits bruts à prix modique alors qu’ils importent des produits dérivés à un coût exorbitant[4]. Ceci est dû au fait que de nombreux pays n’ont ni les moyens ni l’expertise indispensables à la transformation sur place des ressources exportées. Ainsi, le cobalt produit en République démocratique du Congo est transformé ailleurs ; la bauxite guinéenne est transformée en aluminium en dehors du pays ; le pétrole nigérian et soudanais est raffiné en dehors du continent. Toutefois, bien que les revenus soient moins élevés pour les États lorsqu’on les compare à ceux des compagnies extractives, le coût environnemental et social des projets extractifs est très lourd pour l’Afrique.

A. Impact environnemental de l’industrie extractive

L’impact environnemental de l’industrie extractive sera évalué sous l’angle des droits de la personne. D’entrée de jeu, il importe de souligner que les peuples et les citoyens africains jouissent d’un droit à un environnement sain. Ce droit est consacré dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples à l’article 24, contrairement aux autres instruments régionaux qui sont silencieux à cet effet. Dans le contexte africain, l’importance de l’environnement est encore justifiée par le lien ténu et intrinsèque qu’il entretient avec la sécurité alimentaire ainsi qu’avec le maintien des styles de vie des communautés (Social and Economic Rights Action Center [SERAC], 2001). En effet, plus des trois quarts de la population de la plupart des États africains dépendent directement des terres pour se nourrir, des forêts pour se soigner, prier et exercer d’autres activités culturelles[5]. Ce faisant, la réduction et la contamination des terres arables ainsi que la dégradation de l’environnement en général posent des défis énormes aux paysans en matière de sécurité alimentaire et de santé.

C’est dans ce contexte que la protection de l’environnement est primordiale afin de s’assurer que la jouissance du droit à l’environnement ne soit pas compromise par les activités extractives. Malheureusement, la réalité montre que certaines entreprises évacuent les déchets et autres résidus directement ou indirectement dans les cours d’eau, les mers, les océans, les lacs et les rivières à l’occasion des activités d’exploration et de traitement, compromettant ainsi l’écosystème. À titre d’exemple, dans la région du delta du Niger, au Nigéria, les activités de l’entreprise Shell ont causé une catastrophe écologique qui a compromis les moyens de subsistance en raison de la contamination des sols cultivables et des nappes phréatiques et de la réduction des ressources halieutiques (SERAC, 2001). De même, les rivières Sere, Rukuru et Chapwasha, au Malawi, contiennent des niveaux de radiation très élevés en raison de la mine d’extraction de l’uranium de Kayelekera (Chareyon, 2015).

L’industrie extractive est également associée à la déforestation, à l’érosion, à la dégradation des sols et à la rupture de l’écosystème. En Guinée-Conakry, l’extraction du minerai de bauxite de Sangaredi dans des puits à ciel ouvert nécessite la suppression de la végétation et de la couche arable. De même, d’après le Programme des Nations Unies pour l’environnement (2008), le raffinage de l’alumine produit une « boue rouge » hautement caustique qui a des effets nocifs sur la qualité des eaux superficielles et souterraines. En RDC orientale, il a été constaté que la population des gorilles, des éléphants et autres animaux sauvages a diminué considérablement, essentiellement à cause des activités extractives qui dégradent les terres dont ils dépendent pour leur survie, sans oublier que les mineurs (mais aussi les rebelles) s’adonnent parfois au braconnage d’éléphants et à la chasse de subsistance (Ware, 2001). Aussi, faudrait-on mentionner que l’Afrique est particulièrement vulnérable au changement climatique, étant donné qu’il dépendra encore pour longtemps de l’extraction de ses ressources naturelles afin d’accéder à un niveau de développement durable et satisfaisant. Or, le charbon extrait pour la production d’électricité ainsi que l’utilisation des hydrocarbures sont responsables d’une forte émission de gaz à effet de serre entraînant un réchauffement climatique (Commission économique pour l’Afrique, 2011).

Ainsi, bien que l’industrie profite à un petit pourcentage de la population, notamment l’élite, il importe de noter que son impact environnemental n’est pas sélectif ; il affecte tout le monde, en l’occurrence les communautés locales où l’extraction a lieu. D’après les ministres africains de la Santé et de l’Environnement, « plus de 23 % des décès en Afrique, soit plus de 2,4 millions de décès par an, sont imputables à des facteurs de risque évitables liés à la détérioration de l’environnement, avec des effets particuliers sur les couches les plus pauvres et les plus vulnérables, notamment les enfants, les femmes, les populations rurales pauvres, les personnes vivant avec des incapacités, les réfugiés ou les personnes déplacées, et les personnes âgées » (Organisation mondiale de la santé [OMS], 2008, p. 2-3).

Il sied de souligner que ces impacts compromettent la jouissance du droit à un environnement sain et que, malheureusement, la situation risque de ne pas s’améliorer à cause de l’engouement actuel pour les matières premières. En effet, la plupart des pays occidentaux ont ralenti ou mis fin à l’extraction des ressources naturelles de leurs sous-sols, préférant se ruer vers les ressources de pays en développement, notamment d’Afrique, à qui on fait porter le fardeau des désastres environnementaux associés à l’extraction. Dans le souci de faire face à l’explosion de l’industrie extractive en Afrique et aux catastrophes environnementales qui en découlent, les États africains s’embarquent désormais dans la réglementation du secteur en adoptant des lois ainsi que d’autres mesures protectrices de l’environnement. À titre d’exemple, la législation sur la gestion environnementale de la Tanzanie stipule clairement qu’aucun développeur ne peut mettre en oeuvre un projet qui présente potentiellement un risque pour l’environnement[6] ou dont l’évaluation de l’impact environnemental n’a pas encore été réalisée, au cas où la loi l’exigerait[7]. De même, aucune autorité ne peut accorder une licence à aucun projet exigeant l’évaluation de l’impact environnemental, à moins que cette exigence ne soit respectée[8]. Cette réglementation environnementale a été renforcée dans la nouvelle législation sur le pétrole qui prévoit des principes fondamentaux de responsabilité environnementale des intervenants. Ainsi, en matière de pollution ou d’autres dommages environnementaux, il est prévu que les détenteurs de permis ainsi que les contractants en encourent la responsabilité absolue, car il n’est pas exigé de faire la preuve d’une faute quelconque[9]. À cet égard, une obligation de diligence incombe aux détenteurs de permis et aux contractants afin de s’assurer que la gestion de la production, du transport, du stockage, du traitement et de la disposition des déchets découlant des opérations pétrolières soit conforme aux principes environnementaux consacrés dans la loi sur la gestion environnementale à laquelle il a été fait allusion ci-dessus ou à d’autres lois pertinentes. De même, au Burkina Faso, le nouveau Code de l’environnement établit des principes qui guident les mesures environnementales visant le maintien de la qualité de l’environnement et la mise en valeur des ressources naturelles[10]. Une obligation légale incombe aux pouvoirs publics de « lutter contre la désertification, assurer la fertilité des sols, garantir la qualité des eaux, de l’air ainsi que des autres ressources naturelles[11] ». À cet effet, « les activités susceptibles d’avoir des incidences significatives sur l’environnement sont soumises à l’avis préalable du ministre chargé de l’environnement. L’avis est établi sur la base d’une évaluation environnementale stratégique (EES), d’une étude d’impact sur l’environnement (EIE) ou d’une notice d’impact sur l’environnement (NIE)[12]. Ces exigences légales garantissent une meilleure protection environnementale au Burkina Faso.

Il importe de souligner que cet exercice de réglementation environnementale sur le plan africain est soutenu par des campagnes de sensibilisation et de lobbyisme savamment orchestrées par des organisations de la société civile et par d’autres intervenants. Néanmoins, en dépit de ces efforts et de quelques progrès réalisés, les experts estiment que l’Afrique affiche une faible capacité en matière de gestion environnementale. Selon le rapport de l’Indice de performance environnementale de Yale (Hsu et al., 2014), la plupart des pays producteurs se classent en dessous de la moyenne, bien qu’il y ait une légère amélioration[13].

B. Impact social des activités extractives

Les projets extractifs en cours d’exécution en Afrique mettent à mal non seulement l’environnement, mais aussi la jouissance d’autres droits importants garantis par les instruments internationaux et régionaux. Sur le plan socioéconomique, le secteur extractif engendre parfois des expulsions forcées de populations, la réduction des terres arables, la contamination des sols, la déforestation, etc., compromettant ainsi le droit à l’alimentation[14] qui est aujourd’hui considéré comme étant « inextricablement lié à la dignité des êtres humains et (…) est par conséquent essentiel à la jouissance et à la réalisation des autres droits tels que les droits à la santé, à l’éducation, au travail et à la participation politique » (SERAC, 2001, paragr. 65). C’est ainsi que le gouvernement du Nigéria a été jugé responsable de la violation du droit à l’alimentation des habitants de la région du delta du Niger, en particulier le peuple Ogoni, car il a permis aux compagnies pétrolières de détruire les sources de nourriture, notamment par la contamination des terres et la pollution des eaux en déversant des déchets dans des cours d’eau, réduisant ainsi les ressources nutritionnelles d’origine maritime indispensables à la survie des communautés (SERAC, 2001, paragr. 66). En Sierra Leone, Human Rights Watch (2014) rapporte que l’insécurité alimentaire et l’extrême pauvreté criantes qu’on y observe sont principalement dues à la prise des terres arables par les compagnies minières.

De même, le droit au logement est mis à mal par l’expulsion forcée des communautés locales de leurs terres pour donner place à l’activité extractive. Il est important de signaler que la Commission africaine a également été ingénieuse en interprétant de manière combinée trois autres dispositions de la Charte[15] de telle sorte qu’elle a créé un nouveau droit au logement qui n’est pas porté par la Charte (SERAC, 2001, paragr. 60). Ce faisant, il a été établi que les expulsions forcées ainsi que les incendies des maisons des habitants de la région du delta du Niger portent atteinte au droit à un abri (SERAC, 2001, paragr. 60). Dans la même optique d’assurer la protection des droits à l’alimentation et à l’abri, une plainte a été déposée au Bureau de l’ombudsman (Compliance Advisor Ombudsman)[16] au sujet des répercussions sociales du projet de construction de l’oléoduc Tchad-Cameroun[17]. Le demandeur, le Groupe de Recherches Alternatives et de Monitoring du Projet Pétrole Tchad-Cameroun, en collaboration avec d’autres ONG, agissait au nom et pour le compte de plusieurs dizaines de paysans et de communautés affectés par le projet d’oléoduc. Il est en particulier allégué l’accaparement des terres, l’accroissement de la pauvreté, des problèmes de santé, en l’occurrence la propagation du VIH-sida, l’intensification de l’abattage des arbres, la perte de ressources en eau, le bruit et la pollution des cours d’eau qui ont endommagé les zones de chasse et de pêche pour les populations autochtones Bagyeli, etc. (Bureau du conseiller pour l’application des directives/médiateur [CAO], 2012)[18].

Bien que l’industrie extractive ait contribué à la croissance économique du continent, force est de constater que la croissance ne s’accompagne pas d’une amélioration des conditions de vie des citoyens africains. Comme M. Annan le dit bien, « dans de nombreux pays, les revenus issus des ressources naturelles creusent le fossé entre les riches et les pauvres. Bien des progrès ont été accomplis, mais une décennie de croissance à un taux très impressionnant n’a pas amené d’améliorations comparables dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la nutrition » (African Progress Panel, 2013, p. 6). Ces propos de l’ancien secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies semblent confirmer la persistance du phénomène de la « malédiction des ressources naturelles » endémique à l’Afrique car, dans la plupart des cas, au lieu de contribuer de façon significative à la réduction de la pauvreté, à l’amélioration de la santé et des infrastructures, la richesse générée par l’industrie extractive a plutôt amplifié les conflits sociaux et favorisé la corruption. Donc, la richesse en ressources naturelles ne conduit pas nécessairement au développement humain harmonieux et inclusif. Certains pays dont les sous-sols sont bien garnis occupent pourtant le dernier rang dans le classement du PNUD selon l’indice de développement humain (IDH). Ainsi, la République démocratique du Congo, une « superpuissance » minière, occupe la 186e place, précédée par la Sierra Leone (183e place) et suivie du Niger (187e) (Programme des Nations Unies pour le développement, 2014).

En plus, dans le domaine social, l’industrie extractive a le potentiel de perpétuer et d’aggraver les inégalités entre les hommes et les femmes. En général, ce sont les hommes qui vont travailler dans des mines. En Afrique du Sud, par exemple, la compagnie Lonmin PLC emploie moins de 8 % de femmes à sa mine de platine de Marikana, en dépit de son engagement d’augmenter substantiellement le nombre d’employées[19]. Le fait que la majorité des employés dans le secteur extractif soit des hommes a pour effet d’augmenter leur pouvoir d’achat et d’influence en société au détriment des femmes qui, en plus, doivent composer avec le manque criant d’opportunités d’emploi dans d’autres secteurs de la vie publique ou privée. De même, sur le plan des responsabilités familiales, les femmes se retrouvent à soutenir presque seules le fardeau de tâches ménagères et éducationnelles étant donné l’absence des hommes.

On peut aussi noter l’attrait des travailleurs migrants étrangers à la recherche d’emplois dans le secteur extractif et qui finissent par s’installer au milieu des communautés locales avoisinant un site extractif. Comme le rapport de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement consacré aux industries extractives le conclut : « l’afflux de migrants (…) dans le cadre de grands projets miniers peut être source de perturbations sociales pour les communautés locales entraînant parfois diverses pathologies sociales, comme une montée de l’alcoolisme, de la prostitution, du jeu, de la violence et de la délinquance, ainsi que de maladies, notamment du VIH/sida » (Organisation des Nations Unies [ONU], 2007, p. 76). Cela a été le cas avec la migration de la main-d’oeuvre en vue de la construction de l’oléoduc Tchad-Cameroun[20]. La Société financière internationale, une division de la Banque mondiale, estime que le système des migrants dans le secteur minier en Afrique australe « has also generated exaggerated forms of masculine identity that now abet the spread of HIV. For mineworkers, the lack of control over their life circumstances results in a risk-taking mentality which advocates high levels of sexual activity (often associated with alcohol use) as a way of dealing with dangerous and stressful lives » (International Finance Corporation, 2004, p. 14). Une telle situation peut aussi provoquer des crises sociales (par exemple, si les travailleurs migrants ne souscrivent pas aux valeurs et aux traditions des communautés d’accueil, etc.), voire des attaques xénophobes, surtout si l’industrie n’emploie pas assez de travailleurs locaux.

Enfin, l’impact social de l’industrie extractive touche également les droits des travailleurs. Les droits des travailleurs des mines sont garantis par un certain nombre d’instruments juridiques adoptés dans le cadre de l’Organisation internationale du travail (OIT)[21] et sur le plan africain[22]. L’instrument international le plus pertinent au secteur extractif est la Convention (n° 176) sur la sécurité et la santé dans les mines (1995) qui a entre autres objectifs de prévenir tout accident mortel, lésion ou atteinte à la santé que pourraient subir les travailleurs ou la population pouvant résulter de l’industrie extractive. La Convention (1995) affirme sans ambages que les travailleurs ont le droit d’être informés, formés et consultés de manière effective, ainsi que de participer à la préparation et à la mise en oeuvre de mesures relatives à la sécurité et à la santé au sujet des dangers et des risques auxquels ils sont exposés dans l’industrie minière.

En effet, le fonctionnement et le comportement de l’industrie suscitent des craintes par rapport aux conditions de travail, à la sécurité et à la santé des travailleurs. Ces derniers sont par exemple exposés à des risques de maladies liés à l’activité extractive[23]. Leur sécurité n’est pas non plus garantie, surtout dans le domaine extractif artisanal où travaillent également beaucoup d’enfants mineurs, compromettant ainsi leur développement physique et leur épanouissement général. De plus, dans plusieurs situations, les travailleurs locaux n’ont pas droit à des avantages comparables à ceux des expatriés ou des travailleurs étrangers, spécialement ceux en provenance du pays d’immatriculation de la compagnie extractive (Human Rights Watch, 2014). En outre, les conditions de travail précaires poussent parfois les travailleurs à leurs limites ; ils empruntent le chemin des grèves et des manifestations, parfois au risque de leur vie. Ce fut le cas des travailleurs de la mine de platine de Marikana, en Afrique du Sud, qui ont opté pour une grève et une marche vers le quartier général de la compagnie pour réclamer une augmentation de salaire et une amélioration des conditions de vie et de travail (Marikana Comission of Inquiry, 2015). L’affrontement avec les forces de sécurité s’est terminé par 44 morts, près de 70 blessés et près de 200 personnes arrêtées (Marikana Commission of Inquiry, 2015). D’autres incidents se sont passés en Zambie[24], en Sierra Leone (Human Rights Watch, 2014), en Érythrée, etc. Par rapport à ce dernier pays, une plainte a été introduite devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique contre une compagnie canadienne (Nevsun Resources) qui participe à l’exploitation de la concession minière d’or de Bisha en Érythrée (Araya v. Nevsun Resources Ltd., 2015 BCSC 2164) pour complicité dans le travail forcé, les crimes contre l’humanité et les tortures pratiquées à la concession[25].

En bref, en dépit de son potentiel, l’industrie extractive en Afrique ne s’arrime pas encore avec l’amélioration des conditions de vie, prélude à la jouissance effective des droits de la personne. Bien au contraire, et comme il a été relevé plus haut, ce secteur donne lieu à des violations multiformes des droits de la personne. Un redressement de situation commande une extraction plus responsable et respectueuse des collectivités locales africaines !

II. Pour une exploitation et une gestion responsables des ressources naturelles : les droits des communautés et des individus au centre de l’industrie extractive

Pendant plusieurs décennies, au-delà du discours politique, la satisfaction des besoins fondamentaux des communautés locales africaines n’a jamais été au centre des intérêts de l’extraction des ressources naturelles et minérales du continent. À l’époque coloniale, les matières premières étaient convoyées vers les métropoles des pays occidentaux et contribuaient grandement à soutenir et à développer leurs économies au détriment des populations africaines. Cette politique était conforme à l’un des principaux objectifs de l’entreprise coloniale consistant essentiellement à piller les ressources naturelles du continent. Durant la période postcoloniale, la philosophie qui a guidé les États a toujours été celle de la croissance économique à tout prix. Aujourd’hui, un changement de cap et de vision s’impose pour s’assurer que l’extraction s’insère dans une politique de développement intégral et durable. Cela n’est possible que si les droits et les intérêts des communautés locales affectées sont pris en compte par l’industrie extractive. En ancrant l’analyse dans une approche fondée sur le respect des droits de la personne et des communautés, cette deuxième partie cherche à savoir si les communautés locales, en tant que telles, ont des droits spécifiques dans le contexte extractif et, le cas échéant, d’en déterminer la nature et le contenu. Cela est d’autant justifié que la plupart des recherches actuelles en Afrique se sont concentrées sur les rapports entre les gouvernements et les compagnies et très peu sur le rôle et la place des communautés affectées par le secteur de l’industrie extractive. Cette partie conceptualise donc la reconnaissance d’un autre partenaire important dans l’industrie extractive, à savoir les communautés locales qui ont été longtemps ignorées.

A. De la croissance économique à une approche fondée sur les droits de la personne et des peuples

L’industrie extractive en Afrique est perçue comme un moteur pour le développement économique et rapide des pays concernés. À cet égard, les États, sous l’impulsion des institutions financières internationales, ont entrepris des réformes législatives visant essentiellement à créer un climat d’affaires favorable aux investissements étrangers, en proposant plusieurs incitatifs tels les congés fiscaux ou le rapatriement des revenus. Par contre, les réformes menées dans ce secteur mettent peu l’accent sur les droits des communautés affectées.

Dans les faits, l’approche centrée sur la croissance économique est fructueuse dans certains pays qui connaissent actuellement un taux de croissance économique à deux chiffres ou les avoisinant[26]. Néanmoins, la croissance économique n’est pas synonyme de développement humain, comme cela a été illustré ci-dessus. Un développement humain et intégral suppose que les droits des citoyens et des communautés sont au centre d’une exploitation responsable des ressources naturelles. Ceci a été réaffirmé par la Déclaration de Rio sur le développement durable (1992)[27].

Bien que les gouvernements soient censés représenter les intérêts de toute la population, la réalité est que ce n’est pas toujours le cas, comme cela a été remarqué au Nigéria, en République démocratique du Congo ou en Afrique du Sud, où les forces de sécurité de ce pays ont été mises à contribution pour arrêter et harceler les manifestants, et parfois même porter atteinte à leur vie, brûler et détruire les maisons des populations, etc. (SERAC, 2001). Ce faisant, les gouvernements et les compagnies se liguent et font cause commune contre les communautés (SERAC, 2001). Cette atmosphère de confrontation dans laquelle évoluent les activités extractives n’est favorable ni à l’investisseur (compagnie) ni au partenaire gouvernemental, encore moins aux bénéficiaires légitimes (communautés et citoyens affectés). D’où l’impérieuse nécessité, pour l’industrie extractive, d’intégrer les communautés comme troisième pilier de l’industrie extractive et du développement.

1. Fondement de l’implication communautaire dans la gestion de l’industrie extractive en Afrique

En Afrique, plusieurs droits garantis par les instruments juridiques africains relatifs aux droits de la personne ont une dimension à la fois individuelle et collective. Selon cette conception africaine des droits, les ressources naturelles sont une propriété collective et appartiennent essentiellement aux peuples africains, y compris les communautés locales. C’est en substance ce que prévoit par exemple l’article 21 de Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui stipule :

1. Les peuples ont la libre disposition de leurs richesses et de leurs ressources naturelles. Ce droit s’exerce dans l’intérêt exclusif des populations. En aucun cas, un peuple ne peut en être privé.

2. En cas de spoliation, le peuple spolié a droit à la légitime récupération de ses biens ainsi qu’à une indemnisation adéquate.

[…]

5. Les États, parties à la présente Charte, s’engagent à éliminer toutes les formes d’exploitation économique étrangère, notamment celle qui est pratiquée par des monopoles internationaux, afin de permettre à la population de chaque pays de bénéficier pleinement des avantages provenant de ses ressources nationales.

Cette importante disposition consacre substantiellement le principe de la souveraineté populaire sur les ressources naturelles qui est aujourd’hui considéré comme un principe de droit international coutumier[28]. Bien que cette disposition doive être replacée dans son contexte colonial, il est important de faire remarquer que l’organe chargé de la mise en oeuvre de la Charte l’a interprétée de façon à la rendre applicable :

à l’Afrique postcoloniale en faveur de groupes dans un État dans la mesure où [elle] impose l’obligation de la part des États parties de protéger leurs citoyens de l’exploitation de puissances économiques extérieures et de garantir que les groupes et les communautés soient impliqués, directement ou à travers leurs représentants, dans les décisions relatives à la disposition de leurs richesses[29].

La lecture de cette jurisprudence semble indiquer que les différents groupes qui présentent des caractéristiques spécifiques comme les communautés locales sont des titulaires des droits enchâssés dans l’article 21. À ce titre, elles ont non seulement un intérêt évident, mais elles devraient aussi avoir un mot à dire dans l’exploration et l’exploitation de leurs ressources.

2. Pour une participation des communautés locales dans l’industrie extractive en Afrique

Traditionnellement, l’industrie extractive en Afrique est dominée par deux acteurs-partenaires importants : les gouvernements et les compagnies extractives. Les contrats extractifs se négocient et se concluent entre les deux. Pourtant, dans la plupart des cas, les ressources naturelles se retrouvent dans les endroits les plus reculés, habités ou utilisés par des populations locales à des fins de pâturage ou d’agriculture. Il n’est donc pas rare pour ces dernières de voir des débroussailleuses suivies de bulldozers débarquer sur leurs terres sans préavis et sans leur consentement. Il importe donc de s’assurer de leur inclusion dans l’industrie extractive afin de leur donner la capacité d’articuler leurs préoccupations et leurs droits et ainsi minimiser les dégâts liés à l’industrie extractive.

La participation communautaire contribue à créer un partenariat gagnant-gagnant qui établirait un équilibre acceptable en tenant compte des champs d’intérêt et autres aspirations articulées par les différentes parties prenantes, y compris les communautés affectées. Plutôt que de considérer ces dernières comme des acteurs passifs du développement, elles doivent être associées et traitées comme des partenaires de l’industrie extractive. Cette relation de partenariat sera bénéfique pour tous les acteurs et les intervenants. Ainsi, les intérêts pécuniaires des compagnies seront pris en compte. Il est à noter que celles-ci ne sont pas des entités caritatives ou humanitaires, mais poursuivent un intérêt lucratif. Néanmoins, pour maximiser leurs profits, elles ont besoin d’une licence sociale. Or, celle-ci n’est pas délivrée par les gouvernements avec lesquels elles signent des contrats d’exploration, d’exploitation ou de développement, mais par les communautés sur le sol desquelles les activités extractives se déploient. La prise en compte du point de vue communautaire permet à l’industrie de bénéficier des connaissances locales auxquelles les experts n’ont pas toujours accès ; elle renforce aussi la légitimité des projets extractifs en réduisant les coûts générés par les tensions sociales pouvant résulter de projets pour lesquels on ne s’est pas soucié de la participation des communautés.

De même, les gouvernements qui interviennent, non seulement pour les communautés affectées, mais au nom et pour le compte de la population entière, seront en mesure de s’assurer que les revenus et autres redevances liés à l’industrie extractive profitent à tous. Quant aux communautés affectées, elles ont un intérêt légitime de s’assurer que l’activité extractive ne se fera pas à leur détriment, tant sur les plans économique, environnemental, social, etc. Au bout du compte, « if communities benefit greatly from a mining operation, then they have a significant stake in seeing the mine operate successfully and will help to overcome obstacles that could adversely affect the mining operation, and in turn reducing risk for the company » (International Council on Mining & Metal, 2012, p. 16). La participation citoyenne dans l’industrie extractive est aujourd’hui une question à l’ordre du jour de plusieurs institutions africaines. Dans le cadre de l’Union africaine, il y a lieu de mentionner l’adoption de la Vision minière africaine, dont l’un des objectifs consiste à améliorer la participation du public. Elle propose que des activités nationales soient entreprises en vue de renforcer la capacité des gouvernements locaux, des communautés, des organisations de la société civile et des compagnies minières, dans le but de prendre des décisions éclairées sur des projets miniers (Commission de l’Union africaine, Banque africaine de développement et Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, 2011). En effet, d’après cette vision, le défaut de prise en considération des opinions et des aspirations des communautés locales et de la société civile dans son ensemble compromet les objectifs d’un développement harmonieux (Union africaine, 2009).

La question est donc de savoir comment assurer une participation significative des communautés. D’entrée de jeu, il importe de signaler que le droit international des droits de la personne conceptualise déjà la participation communautaire dans la prise des décisions concernant les projets de développement, y compris dans le secteur extractif. La participation implique pour les communautés le droit à l’information, le droit d’être consultées, le droit de consentir ou non aux projets de développement, le droit d’exiger la transparence et éventuellement la reddition de comptes dans la gestion des revenus générés par l’industrie extractive, de même que le droit à un recours efficace (le droit à la réparation) en cas de violations de leurs droits.

2.1 Le droit à l’information en matière extractive

Les communautés sur le territoire desquelles l’extraction se fait ont un droit à l’information sur les conséquences environnementales et sociales, autant que sur les potentialités de l’industrie extractive. Ce droit est très important, car il leur permet de prendre une décision éclairée quant au consentement ou non aux projets du gouvernement étant donné que ces conséquences ont un impact sur la jouissance effective de leurs droits. En matière d’environnement, le droit à l’information a été réaffirmé par le Principe 10 de la Déclaration de Rio sur le développement durable (1992) qui prévoit que :

toute personne doit avoir accès aux informations sur l’environnement détenues par les pouvoirs publics, notamment les informations sur les substances et les activités dangereuses dans sa communauté, et pouvoir participer au processus de prise de décision. Les États doivent faciliter et encourager la prise de conscience et la participation du public en assurant une large diffusion de l’information.

Dans le contexte africain, l’article 24 de la Charte qui garantit le droit à un environnement sain a été interprété comme intimement lié au droit à la santé (SERAC, 2001). Dans cette perspective, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a jugé que les États ont l’obligation de « prendre des mesures raisonnables et d’autres mesures pour prévenir la pollution et la dégradation écologique, favoriser la préservation de l’environnement et garantir un développement écologiquement durable et l’utilisation des ressources naturelles » (SERAC, 2001, paragr. 52). Pour ce faire, les États doivent « ordonner ou au moins permettre la surveillance scientifique indépendante des environnements menacés » et « exiger et publier des études sur l’impact social et environnemental avant tout développement industriel majeur » (SERAC, 2001, paragr. 53). Les études d’impact environnemental sont importantes et constituent « one of the key ways through which prevention and precaution may be implemented as it aims at an evaluation of the positive or negative environmental consequences of an activity or a strategy » (Union internationale pour la conservation de la nature, 2004, p. 8).

En outre, compte tenu de l’importance de ce droit qui vise essentiellement à briser la culture bureaucratique du secret dans ce domaine extractif, « le droit d’accès devrait concerner aussi les informations détenues par des personnes privées nécessaires pour son exercice ou sa protection » (Commission économique pour l’Afrique, 2011, p. 63). Enfin, les États ont « l’obligation d’informer les communautés exposées aux activités et produits dangereux et d’offrir aux individus la possibilité d’être entendus et de participer aux décisions relatives au développement affectant leurs communautés » (SERAC, 2001, paragr. 53).

2.2 Le droit d’être consulté dans la prise des décisions

Il a été rappelé plus haut que les communautés locales peuvent disposer librement de leurs ressources naturelles en vertu de l’article 21 de la Charte africaine. Un des corollaires à ce principe de la souveraineté sur leurs ressources est le principe de la participation communautaire, par voie de consultation, dans le processus de prise de décision concernant les projets extractifs pouvant affecter le vécu et les styles de vie des communautés locales (SERAC, 2001, paragr. 53). Pour Kofi Annan, la consultation s’étend à l’élaboration des stratégies nationales qui définissent les conditions dans lesquelles leurs ressources naturelles seront exploitées, notamment sur le plan des politiques budgétaires, des accords contractuels et des régimes fiscaux (Africa Progress Panel, 2013, p. 6). L’ancien secrétaire général des Nations Unies encourage ce genre d’implication communautaire dans la conception de politiques en matière extractive. Selon lui :

les gouvernements africains doivent procéder à des consultations de grande ampleur pour développer ces stratégies, afin de remplacer les calculs à court terme par une nécessaire réflexion à long terme. Fondamentalement, ces stratégies nationales doivent identifier les projets d’extraction capables de générer plus d’emplois, avec un lien effectif avec l’économie locale. La transformation des ressources naturelles avant leur exportation donne une valeur supplémentaire à ce secteur dans un pays.

Africa Progress Panel, 2013, p. 6

De même, la Convention africaine sur la conservation de la nature et des ressources naturelles enjoint les États parties de prendre des mesures pour permettre une participation active des communautés locales au processus de planification et de gestion des ressources naturelles dont elles dépendent en vue de susciter des incitations, sur le plan local, à la conservation et à l’utilisation durable de ces ressources (Union africaine, 2003).

Ce droit procédural est très important pour garantir la jouissance des droits substantifs consacrés par la Charte africaine, en l’occurrence le droit au développement (art. 22). Par rapport à ce dernier, la Commission africaine estime qu’une atteinte au droit d’être consulté compromet la jouissance du droit substantif au développement et en constitue une violation[30]. Dans l’affaire Endorois, qui concerne un peuple autochtone du Kenya évincé de ses terres ancestrales, près du lac Bogoria, la Commission a déterminé une norme de consultation visant à permettre une participation effective et efficace des communautés : la consultation ne doit pas intervenir comme un fait accompli ; les communautés doivent avoir l’opportunité d’influencer la décision finale[31]. Par ailleurs, les communautés peuvent être consultées directement ou indirectement, au moyen de ses représentants[32]. Les consultations ne sont pas envisagées une fois pour toutes ; elles devraient être répétées autant que faire se peut et autant que le besoin se fait sentir, tout au long de la réalisation d’un projet.

En bref, une consultation significative est donc indispensable afin d’assurer le respect des droits des communautés. Il ne doit pas s’agir uniquement d’un simple exercice de relations publiques ou d’une stratégie politique de l’État et des compagnies destinée à obtenir l’aval des communautés ex post facto une fois que le projet est déjà ficelé.

2.3 Le droit de consentir ou non aux projets extractifs

La participation communautaire va au-delà d’une simple consultation. Elle implique également que les communautés et autres personnes consultées sont libres de donner un consentement ou non au projet d’investissement. Aujourd’hui, les compagnies extractives ont compris que le seul agrément gouvernemental n’est peut-être plus suffisant à l’ère des droits de l’homme. Elles ont besoin d’une licence sociale pour prospérer. La licence sociale découle d’un consentement préalable, libre et éclairé, qui est obtenu des communautés locales avant de commencer tout projet de développement. Bien que le principe du consentement libre, éclairé et préalable (CLEP) ait été essentiellement développé et appliqué dans le contexte des droits des peuples autochtones[33], j’ai soutenu ailleurs qu’il peut être appliqué aux autres populations et aux communautés qui ont également une relation particulière avec la terre au point que leur sécurité alimentaire, leur bien-être, voire leur survie en dépendent (Manirakiza, 2013). La jurisprudence et la pratique africaines relatives aux droits de la personne soutiennent également l’application du principe CLEP en dehors des droits des peuples autochtones. Sur le plan continental, des organes importants de l’Union africaine ou affiliés ont déjà pris position par rapport au principe de consentement préalable, libre et éclairé, considérant son importance pour la protection et la promotion des droits de l’homme et des peuples. La Commission africaine, dans sa célèbre décision concernant le peuple Ogoni, a indiqué que l’État a, entre autres, l’obligation découlant des articles 16 et 24 de la Charte « d’offrir aux individus la possibilité d’être entendus et de participer aux décisions relatives au développement affectant leurs communautés » (SERAC, 2001, paragr. 53). De même, la Commission a adopté la Résolution 224 en 2012 par laquelle elle appelle les États parties à « confirmer que toutes les mesures nécessaires doivent être prises par l’État afin de garantir la participation, notamment le consentement libre, préalable et informé des communautés, à la prise des décisions liées à la gouvernance des ressources naturelles[34] » (Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, 2012). Quant à lui, le Parlement panafricain, réuni en sa sixième session ordinaire en 2012, a lancé un appel aux États membres de l’Union africaine d’assurer des consultations effectives « with local communities and various people affected by investment projects and ensure that any investment is approved through free, prior, and informed consent of affected communities[35] ».

Sur le plan sous-régional, la Directive de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sur le secteur minier stipule que les « companies shall obtain free, prior, and informed consent of local communities before exploration begins and prior to each subsequent phase of mining and postmining operations[36] ». L’intérêt de cette Directive réside en ce qu’elle prévoit que des consultations et des négociations sur des questions importantes susceptibles d’affecter les communautés locales soient organisées tout le long de l’activité extractive jusqu’à sa clôture. Ainsi, les communautés, avec ou sans statut autochtone, auraient la possibilité de révoquer leur consentement préalablement accordé à l’activité extractive. Le principe représente donc « a critical tool for evaluating community support for a project early on and for monitoring this support and respecting the decisions of communities throughout the life of the project » (Greespan, 2014, p. 28).

Au regard de ce qui précède, il apparaît clairement que l’application du principe du consentement préalable, libre et éclairé n’est pas circonscrite uniquement aux droits des peuples autochtones. Il prend de plus en plus vigueur dans d’autres domaines, ce qui contribue à donner du pouvoir aux communautés affectées par l’industrie extractive. Néanmoins, force est de constater que les communautés ne sont pas assez outillées pour faire valoir leurs droits, que ce soit en termes d’expertise ou de moyens. Bien que l’État ait une obligation fondamentale de les assister et, le cas échéant, de les outiller pour qu’elles soient en mesure d’articuler leurs champs d’intérêt et leurs besoins, il est important de noter que les autres partenaires, en l’occurrence les organisations de la société civile et les institutions nationales des droits de la personne, ont un rôle à jouer dans l’accompagnement des communautés. Celles-ci se sentiront appuyées dans leurs revendications et dans l’exercice de leurs droits garantis par les instruments juridiques pertinents.

2.4 Le droit d’exiger la transparence dans la gestion des revenus

En outre, en plus des consultations et du consentement préalable, libre et éclairé, la participation consiste, pour les communautés et les citoyens africains, à pouvoir exiger de leurs gouvernements davantage de responsabilité et de transparence dans la gestion des ressources naturelles. Les contrats miniers sont négociés et signés en clandestinité et ne sont pas rendus publics. Seuls les deux partenaires traditionnels – l’État et les compagnies minières – en connaissent le contenu. Ce manque de transparence se manifeste aussi dans la gestion des revenus tirés de l’industrie extractive. Les recettes globales ainsi que la part qui revient à chaque partenaire ne sont pas publiques. Cette opacité en ce qui concerne les contrats et les recettes qu’ils génèrent favorise les mauvaises pratiques telles que la corruption et la gabegie. Les communautés doivent donc exiger la transparence et la reddition de comptes afin que l’industrie extractive puisse atteindre ses objectifs.

2.5 Le droit à réparation

Le dernier aspect de la participation consiste à permettre aux individus et aux communautés de pouvoir accéder aux recours légaux existant afin de revendiquer et d’assurer la protection de leurs droits. Comme le principe 10 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement le stipule, un accès effectif à des actions judiciaires et administratives, notamment des réparations et des recours, doit être assuré (Déclaration de Rio, 1992). Les États ont l’obligation de les rendre disponibles, accessibles et satisfaisants, de telle sorte que toute victime de violations des droits puisse s’en prévaloir. Si les voies de recours internes ne sont pas disponibles ou sont épuisées, les victimes d’inconduites extractives peuvent saisir les instances régionales et internationales. C’est dans ce cadre que le peuple autochtone Endorois[37], les habitants du delta du Niger (SERAC, 2011), la population de Cabinda[38], la communauté autochtone Ogiek[39], etc., ont pu saisir la Commission africaine des droits de la personne et des peuples. Dans les deux premières affaires, la Commission leur a donné raison par rapport à toutes leurs revendications ; dans le troisième cas, la Commission a préféré renvoyer la situation à la Cour africaine des droits et des peuples, sur la base du non-respect des mesures provisoires qu’elle avait prises, mais aussi sur la base de la nature grave ou massive des violations des droits de la personne[40].

Conclusion

Plusieurs États africains rencontrent des défis énormes dans leurs efforts visant leur développement économique tout en assurant le respect et la promotion des droits de la personne et des peuples. Tout se dessine comme s’il y avait une incompatibilité entre les deux impératifs : le développement et le respect des droits de l’homme. En réalité, les deux sont intimement liés et se renforcent mutuellement. En effet, on ne peut penser à une jouissance effective des droits garantis, en particulier les droits sociaux et économiques, sans un niveau minimum de développement économique. De même, un développement qui ne serait pas fondé sur le respect intégral des droits de la personne ne serait pas durable. Toute initiative de développement doit tendre vers l’amélioration des conditions de vie des populations et non contribuer à leur détérioration. À cet égard, l’industrie extractive est censée contribuer au développement et doit le faire d’une façon respectueuse des droits garantis par les instruments juridiques internationaux et régionaux. Cette approche de développement fondée sur le respect des droits de la personne doit notamment et principalement prendre en compte les intérêts des communautés affectées par l’industrie extractive. Ce qui mettrait ainsi fin à – ou en tout cas réduirait – la perception que les communautés ont d’être des « laissées-pour-compte » de l’industrie extractive tandis que les compagnies en seraient les grandes bénéficiaires. Quant aux gouvernements, les revenus issus du secteur extractif sont un atout et constituent des moyens indispensables aux États pour construire, par exemple, des hôpitaux et des écoles et les rendre accessibles, pour créer des emplois, pour procurer de l’eau potable ainsi qu’assurer la sécurité alimentaire et sociale de la population et maintenir le développement et l’amélioration des conditions de vie des citoyens. Ce qui permettrait aux États de s’acquitter de leurs obligations au titre des droits sociaux et économiques consacrés dans les instruments juridiques régionaux, notamment par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.