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Introduction

Les connaissances actuelles quant à l’emplacement et aux lieux où sont commises les infractions sexuelles découlent principalement d’études ayant vérifié l’efficacité des lois en matière de délinquance sexuelle, lois qui cherchent à contrôler de plus près la mobilité géographique de ces derniers. Dans ce corpus de recherches, l’accent est mis sur le processus de sélection du lieu par les récidivistes ayant déjà été condamnés pour une infraction sexuelle dans le passé. Cet échantillon de contrevenants étant très spécifique, la compréhension plus générale de la configuration spatiale (spatial patterning) de ce type de violence reste limitée. En adoptant une approche fondée sur un système d’information géographique[2] et en élargissant ce champ de recherche à l’étude de la distribution spatiale des crimes à caractère sexuel rapportés aux forces policières qui demeurent à être jugés, la présente étude tentera d’esquisser des pistes de solutions en matière de prévention.

Revue de la littérature

La recherche sur les crimes (sexuels) et les lieux

Bien que l’importance du lieu soit depuis longtemps reconnue comme un facteur important qui contribue à l’étiologie du crime (par ex. : Brantingham et Brantingham, 1981 ; Cohen et Felson, 1979 ; Shaw et McKay, 1942), les recherches portant sur les crimes de nature sexuelle ont généralement ignoré cette approche et se sont largement concentrées sur la pathologie des individus qui commettent ces crimes plutôt que sur les lieux où ceux-ci se produisent. Grâce aux avancées en matière de cartographie et d’analyse spatiale de la criminalité ainsi qu’à un meilleur accès aux données policières (Sherman et Weisburd, 1995 ; Weisburd et Eck, 2004), la criminologie a vu émerger une nouvelle perspective, connue sous le nom de « crime and place » (« lieux et crimes » ; voir Eck et Weisburd, 1995). Même si les résultats de ce corpus de plus en plus étoffé semblent prometteurs lorsqu’il s’agit de comprendre les crimes et de mieux les contrôler de manière générale (Weisburd et al., 2016), l’utilité de cette perspective dans le contexte de crimes sexuels est encore à explorer.

Le concept « crime and place » sert à montrer le lien entre une activité criminelle et des microlieux spécifiques dans un environnement social plus large (Eck et Weisburd, 1995). Cette approche a notamment permis à certaines études de souligner que les crimes, particulièrement ceux de nature prédatrice, ne dépendent pas du hasard ni ne sont répartis de manière uniforme dans le temps et l’espace (Sherman, Gartin et Buerger, 1989). Même dans les quartiers reconnus pour leurs hauts taux de criminalité, les infractions ont tendance à se regrouper dans un nombre très restreint de lieux, phénomène qui est d’autant plus apparent lorsqu’on analyse des unités spatiales plus réduites (Andresen et Malleson, 2011). Ce phénomène appelé law of crime concentration at places (Loi de la concentration du crime ; Weisburd, 2015) a été constaté dans une variété de contextes criminels différents (par ex. : Andresen, Curman et Linning, 2017 ; Melo, Matias et Andresen, 2015 ; Weisburd et Mazerolle, 2000). Mais, jusqu’à présent, seules quelques études se sont penchées spécifiquement sur les infractions d’ordre sexuel.

Les résultats des études géospatiales sur les crimes sexuels en Amérique du Nord soutiennent généralement la Loi de la concentration du crime. Par exemple, au Canada, Andresen et ses collaborateurs ont déterminé que seulement 4,50 %, 3,57 % et 2,99 % des segments de rue sont à l’origine de toutes les agressions sexuelles rapportées aux autorités à Vancouver en 1991, 1996 et 2001 respectivement (Andresen et Linning, 2012 ; Andresen et Malleson, 2011). Pour ce qui est de la concentration des agressions sexuelles, 50 % de tous les appels pour agressions sexuelles étaient concentrés et provenaient de seulement 1,12 % des segments de rue de cette ville, renforçant l’idée que la majorité des crimes sexuels rapportés ont lieu sur une minorité de segments de rue. Dans une autre ville canadienne, des données similaires ont été révélées quant à la concentration spatiale lorsque mesurée annuellement. Dans une ville de taille moyenne en Colombie-Britannique, toutes les agressions sexuelles signalées à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) sur une période de cinq ans étaient liées à environ 1 % (de 1,01 à 1,24 %) des segments de rue (et intersections) (Hewitt, Beauregard et Andresen, 2017). Aux États-Unis, Sherman et al. (1989) ont trouvé eux aussi que tous les viols rapportés ont eu lieu à seulement 1,2 % des adresses et intersections de la ville de Minneapolis sur une période d’un an. Ainsi, malgré les différences géographiques et temporelles, les conclusions de ces études sont cohérentes, à savoir que la majorité des crimes sexuels sont concentrés dans une minorité de zones spatiales sur un territoire donné. La principale faiblesse de ces études toutefois est que les chercheurs ont analysé la concentration spatiale et les schémas des crimes à caractère sexuel à une échelle très agrégée. Bien que cette approche ait pu être méthodologiquement nécessaire étant donné la rareté (du moins, officiellement) des crimes sexuels, elle masque toute nuance potentielle dans les schémas et configurations spatiales entre les différents types de crimes sexuels, en particulier ceux perpétrés contre des enfants par rapport aux victimes adultes, comme il sera discuté plus loin.

Localisation des crimes sexuels par type de victime

Comme il a déjà été noté (par ex. : Hewitt, Beauregard, Andresen et Brantingham, 2018), les caractéristiques des lieux associés aux infractions sexuelles sont l’objet de peu de recherches empiriques. De ces quelques recherches, on retient qu’il existe des différences entre les types de lieux choisis par les délinquants sexuels pour commettre leurs crimes, et que ces lieux varient si la victime est un enfant (abus sexuel) ou un adulte (viol). Des études ont montré que les lieux intérieurs privés sont les plus communs pour les violences sexuelles à l’égard des enfants (Duwe, Donnay et Tewksbury, 2008 ; Elliott, Browne et Kilcoyne, 1995). Plus précisément, le domicile de l’auteur de l’infraction − suivi de celui de la victime − est le lieu de prédilection des personnes coupables d’abus sexuels intrafamiliaux, extrafamiliaux ou de nature mixte (ceux dont les victimes sont à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la cellule familiale) (Leclerc et Felson, 2016 ; Smallbone et Wortley, 2000). Selon Elliott, Browne et Kilcoyne (1995), les espaces privés seraient les lieux les plus communs pour des abus sexuels de mineurs, mais 44 % des contrevenants de leur étude ont admis commettre également ce crime dans des lieux publics. Parmi ces endroits extérieurs ont été mentionnés les toilettes publiques, des tentes où des enfants participaient à des activités de plein air, des parcs ou des bois isolés.

Du côté des victimes adultes, les études sur le viol – un crime qui implique la pénétration de la victime – ont révélé de manière similaire que les lieux intérieurs, comme la résidence de la victime ou du contrevenant, sont un choix commun à plusieurs auteurs d’agressions sexuelles (par ex. : Amir, 1971 ; McDermott, 1979). Toutefois, l’étude de Ceccato (2014), une des études les plus exhaustives sur les lieux de viol à Stockholm, en Suède, a permis de reconnaître le nombre important d’agressions sexuelles d’adultes qui ont lieu dans des aires publiques extérieures. L’étude en question montre que les viols commis à l’extérieur par des inconnus se regroupent dans le centre de la ville ainsi que dans ses zones périphériques. Ces évènements ont d’ailleurs tendance à se produire autour de lieux où l’on vend de l’alcool (bars, restaurants, etc.) et des voies de transport empruntées pour s’y rendre, ainsi que dans les lieux où la visibilité est réduite. Autrement dit, il s’en dégage que les auteurs d’agressions sexuelles inconnus de leurs victimes préfèrent commettre leurs crimes dans des lieux où ces victimes sont plus vulnérables (où elles sont susceptibles d’être intoxiquées) et où le risque d’être dérangé par des passants est faible.

Si les chercheurs ont constaté que les lieux privés intérieurs étaient couramment choisis par les auteurs d’agressions sexuelles pour commettre leurs crimes (du moins comme le concluent les études s’appuyant sur les données autorapportées par des auteurs reconnus coupables ou leurs victimes), il n’en demeure pas moins qu’on en sait généralement peu sur la nature spatiale des agressions sexuelles commises à l’extérieur, et qui semblent se produire à une certaine fréquence si l’on se fie aux données policières officielles. Cette lacune est considérable puisque de telles connaissances pourraient guider des stratégies de prévention du crime de manière à mieux cibler et appliquer celles qui sont les plus pertinentes dans les lieux publics. La présente étude, de nature exploratoire, se fonde sur une perspective axée sur les systèmes d’information géographique pour combler ces lacunes et approfondir les connaissances actuelles sur les emplacements où les crimes sont rapportés, qu’ils touchent des enfants ou des adultes. Elle vise en outre à étoffer le corpus sur le sujet en étendant son champ de recherche afin de prendre en considération les crimes sexuels avec et sans contact (hands-on et hands-off ; c’est-à-dire ceux qui ne découlent pas d’un contact physique entre la victime et l’agresseur), sous-entendant des crimes ayant différents degrés d’intrusion sexuelle. En s’appuyant sur le cadre méthodologique et théorique des études portant sur les lieux et les crimes, la présente étude tentera de répondre aux trois questions suivantes (les hypothèses spécifiques sont ici omises en raison du manque de connaissances empiriques jusqu’à maintenant) :

  1. Les infractions sexuelles envers une victime adulte rapportées à la police sont-elles réparties spatialement de manière similaire à celles dont la victime est un enfant en termes de segments de rue et d’intersections ?

  2. Quel est le degré de concentration spatiale des infractions rapportées dont le caractère intrusif varie parmi les victimes adultes aussi bien que mineures ?

  3. Les configurations et schémas de répartition spatiale des infractions rapportées à la police, impliquant des adultes et des enfants, varient-ils en fonction de la nature et du degré d’intrusion des comportements sexuels lors de ces crimes ?

Méthodologie

Les données

Zone délimitée. L’unité spatiale d’analyse est le segment de rue (et l’intersection[3]). Suivant de façon similaire la définition employée par Weisburd et al. (2018), un segment de rue comprend les deux côtés d’une rue située entre deux intersections. Les segments de rue (et intersections) ont été choisis parce qu’ils représentent les plus petites unités spatiales en fonction desquelles les données sur les évènements criminels sont récoltées, suivant la littérature sur les lieux et les crimes (Andresen et Malleson, 2011 ; Weisburd, Bushway, Lum et Yang, 2004 ; Weisburd, Groff et Yang, 2012). En 2018, la ville d’Austin, au Texas, comptait 33 881 rues (longueur moyenne de 0,11 km [0,07 mille] ; écart interquartile de 0,08 à 0,19 km [0,05 à 0,12 mille]) et 19 224 intersections (moyenne de 0,18 km2 [0,11 mille carré] ; écart interquartile de 0,18 à 0,19 km), pour un total de 53 105 segments de rue (et intersections).

Police. Les dossiers analysés proviennent de la base de données des appels pour demande d’intervention de l’Austin Police Department (APD)[4]. De cette base de données ont été tirés tous les incidents (fondés[5]) ayant eu lieu entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2018, soit les données les plus récentes disponibles aux fins de la présente recherche. Les informations contenues dans la base de données de l’APD comprennent l’emplacement géographique de l’infraction (les coordonnées XY de l’endroit où elle a eu lieu), le type d’endroit (stationnement, centre commercial, parc, etc.), la date et l’heure de l’infraction, celles où elle a été rapportée, le code de l’infraction/sa description, le classement daté de l’incident et une note s’il s’agissait de violence familiale. Comme il a été expliqué ailleurs (Andresen, 2006 ; Hewitt et al., 2018), les données policières sont meilleures que certaines autres sources d’information (comparativement aux données sur les condamnations par exemple), surtout lorsqu’il est question de recherches sur les crimes sexuels, puisque leur enregistrement est moins affecté par l’attrition − un phénomène qui s’observe au fur et à mesure que le contrevenant avance dans le système de justice pénale. Il n’en demeure pas moins que les cas de crimes sexuels sont généralement sous-rapportés. On estime en effet qu’environ 75 % des infractions sexuelles ne sont pas rapportées à la police (Department of Justice, 2017). À des fins interprétatives, les résultats de la présente recherche représentent donc les segments de rue (et intersections) où le plus d’infractions sexuelles ont été rapportées à la police, et pas nécessairement là où il s’en produit le plus.

Procédure

Tous les incidents criminels ayant au moins un code pour infraction sexuelle ont été compilés à partir des interventions policières parmi la population et sont du ressort de l’APD, sur une période de trois ans (N = 4831). Ensuite, en fonction de la description de l’infraction et conformément à des études préalables (p. ex. : Hewitt et Beauregard, 2014 ; Lussier, Leclerc, Healey et Proulx, 2007), ces incidents ont été classés à nouveau, selon la nature et le degré d’intrusion sexuelle : 1) avec pénétration ; 2) avec contact sexuel ; 3) sans contact. La description des infractions telles qu’elles sont définies dans le Code pénal du Texas a servi à la classification des incidents selon ces trois catégories. Les actes sexuels avec pénétration font référence à la pénétration vaginale ou anale forcée de la victime, y compris celle par des objets. Les actes avec contact sexuel font référence aux attouchements ou au sexe oral avec la victime. Les infractions sexuelles sans contact font référence aux actes sexuels n’occasionnant pas de contact physique avec la victime, comme les gestes indécents ou le voyeurisme aux fenêtres[6]. Cette classification a été par la suite subdivisée selon le type de victime (c.-à-d. adulte ou enfant), dépendamment de la nature de l’infraction. Par exemple, la description « viol » implique une victime adulte, alors que « viol d’enfant » implique clairement une victime mineure.

À l’instar d’études similaires (par ex. : Ceccato, 2014) et en vue de contrer l’effet limitatif de la sous-déclaration mentionnée plus haut, tous les incidents extrafamiliaux (ceux n’étant pas caractérisés par de la violence familiale) dans les trois types de crimes sexuels analysés, et qui ont eu lieu à l’extérieur, ont été sélectionnés. Les incidents commis à l’extérieur ont été choisis spécifiquement parce qu’ils ont davantage tendance à être perpétrés par des auteurs inconnus (Jones, Wynn, Kroeze, Dunnuck et Rossman, 2004) et que le paysage urbain influence certainement le choix de l’emplacement (Ceccato, 2014). De plus, les incidents extrafamiliaux commis à l’extérieur sont plus susceptibles d’être dénoncés à la police (Greenberg et Ruback, 1992). Nous espérons donc qu’en visant ce type d’incidents, nous obtiendrons une représentation plus juste des crimes perpétrés sur chaque segment de rue (et intersection) au cours de la période étudiée.

La disponibilité des coordonnées XY a été un autre critère de sélection des dossiers puisqu’il s’agit ici de faire des analyses géospatiales (décrites plus loin). Ce critère était nécessaire afin de géocoder chaque infraction sur les données de segments de rue (et intersections). Ainsi, le corpus final comprenait 1381 infractions sexuelles impliquant des adultes (n = 1211) et des enfants (= 170). Les renseignements descriptifs classés par type de victime et d’infraction sont présentés dans le Tableau 1.

Tableau 1

Statistiques descriptives des infractions sexuelles extérieures extrafamiliales impliquant des adultes ou des enfants (N = 1381)

Statistiques descriptives des infractions sexuelles extérieures extrafamiliales impliquant des adultes ou des enfants (N = 1381)

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Stratégie d’analyse

Comme la recherche a établi qu’il existe des différences nettes entre le choix de lieu du crime pour les crimes sexuels d’adultes et d’enfants (Leclerc, Chiu, Cale et Cook, 2016 ; Wortley et Smallbone, 2006), les analyses présentées ci-dessous furent menées séparément pour chaque profil de victime.

Trois mesures de concentrations spatiales et analyses de noyaux de densité. Dans le but de déterminer la concentration spatiale des infractions sexuelles et d’observer leur variation en fonction du type d’infraction, une série de calculs ont été effectués pour les segments de rue (et intersections), en s’appuyant sur des études précédentes sur les lieux et les crimes (par ex. : Sherman et al., 1989 ; Weisburd et al., 2004). Le nombre de crimes sexuels rapportés par segment de rue (et intersection) a d’abord été compté afin de pouvoir calculer trois mesures de concentration spatiale : a) le pourcentage du total des segments de rue (et intersections) à l’origine de 50 % des incidents rapportés ; b) le pourcentage du total des segments de rue (et intersections) comptant un incident ou plus  ; c) le pourcentage du total des segments de rue (et intersections) avec au moins un incident rapporté et représentant 50 % du total des incidents. Cette dernière mesure (c) exclut les segments de rue (et intersections) où aucune infraction sexuelle n’est rapportée. Ainsi, il devient possible de vérifier si des points chauds (hotspots) existent sur les segments de rue (et intersections) pour lesquels des incidents ont déjà été rapportés (un point chaud dans un point chaud). Afin de déterminer les emplacements où se concentrent les infractions sexuelles, une série d’analyses de noyaux de densité ont été effectuées pour chaque type de crime sexuel. Une telle démarche se sert des données (par ex. : emplacements des infractions sexuelles) pour créer une surface tridimensionnelle, une carte, sur laquelle des pics représentent les zones à forte criminalité dans la zone étudiée (Andresen, 2015). Pour ce faire, on place d’abord une grille sur cette zone, où chaque cellule mesure la densité de points qu’elle contient. Plus il y a de points dans une cellule, plus le noyau (ou la hauteur) de celle-ci est élevé (voir Chainey et Ratcliffe, 2005, pour plus de détails sur ce type d’analyse). Cette carte offre une interprétation visuelle et plus qualitative des concentrations des infractions sexuelles dans la zone géographique étudiée.

Analyses de dispersion spatiale. Pour vérifier statistiquement si les infractions sexuelles, subdivisées par type, se produisent dans les mêmes emplacements géographiques (ou dans des emplacements différents) dans la ville d’Austin, le test de dispersion spatiale d’Andresen (2009) fut utilisé. Ce test compare les similitudes des schémas spatiaux entre deux jeux de données (de base et test), en considérant une unité de surface sous-jacente. Dans la présente étude, le jeu de données de base est composé des infractions sans contact pour toutes les comparaisons par paires et les données test sont composées des infractions avec contact ou avec pénétration. Les unités de surface sont les segments de rue (et intersections).

Les résultats des tests comprennent deux volets. Premièrement, l’indice de valeur de similitude, S, qui va de 0 (aucune similitude) à 1 (similitude parfaite) et qui représente la proportion des segments de rue (et intersections) qui présentent un schéma spatial similaire dans les deux jeux de données. Selon des études précédentes (Andresen et Malleson, 2011 ; Vaughan, Hewitt, Andresen et Brantingham, 2016), 0,80 est la valeur seuil qui indique la similitude de deux schémas spatiaux. C’est-à-dire que les deux types de crimes comparés (infraction sans contact comparée à infraction avec contact ou infraction avec pénétration) ont eu lieu sur les mêmes segments de rue (ou intersections) dans la ville. Une valeur S égale ou inférieure à 0,79 indique que les deux types d’infractions sexuelles ont eu lieu dans des segments de rue (ou intersections) différents. Deuxièmement, le test génère des résultats cartographiables qui peuvent montrer où se situent les changements statistiquement significatifs[7].

Analyse de sensibilité. Le pourcentage de segments de rue (et intersections) sans infraction sexuelle signalée pouvant être substantiel, une valeur S plus élevée peut être produite par grâce au test d’Andresen (2009), qui indiquerait un degré de similitude plus élevé entre deux schémas spatiaux. Par conséquent, ce degré accru d’uniformité spatiale peut ne pas être présent, si seules les unités ne correspondant pas à zéro sont utilisées (c’est-à-dire une comparaison avec seulement les segments de rue [et intersections] où au moins une infraction sexuelle a été rapportée). Afin d’évaluer cette possibilité, une analyse de sensibilité des résultats du test de dispersion spatiale d’Andresen (2009) a été effectuée.

Résultats

Concentrations spatiales et analyses de noyaux de densité

Le Tableau 2 montre les concentrations spatiales par type de victime. Nonobstant le type d’infraction sexuelle, la colonne A indique que très peu de segments de rue (et intersections) ont fait l’objet de rapports d’agression sexuelle d’enfants. Plus précisément, moins de 1 % des segments (et intersections) compte pour 50 % des infractions sans contact (0,02 %), avec contact (0,04 %) et avec pénétration (0,08 %) rapportées. Des résultats similaires sont aussi observés pour les victimes adultes des mêmes infractions, respectivement 0,35 %, 0,23 % et 0,24 %, où 50 % d’entre elles ayant eu lieu sur moins de 1 % des segments de rue (et intersections).

La colonne B indique le degré de concentration spatiale des infractions sexuelles rapportées. Selon les résultats, sur le nombre total de segments de rue (et intersections) de la ville, très peu d’entre eux font l’objet de rapports d’infraction sexuelle contre un enfant (écart = 0,05 à 0,17 %). Autrement dit, presque 99 % des rues d’Austin n’ont pas fait l’objet de rapports d’infraction sexuelle contre un enfant au cours des trois années analysées, ce qui montre un degré de concentration spatiale élevé. Plus spécifiquement, les infractions avec pénétration contre des enfants étaient plus réparties dans la ville (0,17 %), et les infractions sexuelles sans contact étaient plus localisées (0,05 %) que les infractions avec contact (0,07 %). Des résultats similaires ont été trouvés pour les victimes adultes pour l’ensemble des types d’infractions (écart = 0,50 % à 0,91 %), moins de 1 % des segments de rue (et intersections) ayant fait l’objet de rapports d’infractions sexuelles. Les infractions sexuelles sans contact envers les adultes étaient davantage réparties dans la ville (0,91 %) alors que les infractions avec contact étaient plus concentrées (0,50 %) par rapport aux infractions avec pénétration (0,55 %).

La colonne C mesure le degré de concentration des infractions sexuelles rapportées sur les segments de rue (et intersections) présentant déjà une concentration de ce type d’infraction (c.-à-d. des lieux de concentration au sein de lieux déjà dits de concentration sur les segments de rue [et intersections]). Relativement aux victimes d’âge mineur, les résultats semblent indiquer que les infractions avec contact et sans contact étaient plus dispersées sur les segments de rue (et intersections) qui comptaient déjà au moins un crime sexuel rapporté. Ainsi, 48,72 % et 48,00 % de ces segments (et intersections) comptaient pour 50 % de ces deux types d’infractions. Les incidents d’infraction sexuelle avec pénétration rapportés étaient les plus concentrés, seulement 43,48 % des segments de rue (et intersections), où au moins une infraction sexuelle avait été rapportée, comptaient pour 50 % de ces infractions. Pour les adultes, les infractions avec contact et avec pénétration étaient davantage dispersées dans les segments de rue (et intersections) qui comptaient déjà une certaine concentration d’infractions sexuelles. En effet, 46,07 % et 44,03 % comptaient pour 50 % de ces crimes. Les infractions sexuelles sans contact étaient les plus concentrées, avec seulement 38,72 % des segments de rues (et intersections) comptant au moins un incident d’infraction représentant 50 % de toutes ces infractions.

Si l’analyse ci-dessus montre que les infractions sexuelles tendent à être très concentrées spatialement pour les adultes comme pour les enfants, les analyses de noyaux de densité permettent une compréhension plus qualitative des lieux où surviennent les incidents. Comme le montre la Figure 1, des points chauds distincts sont visibles pour les infractions commises contre les deux types de victimes. Toutefois, en comparant leur emplacement en fonction du type de victime, certaines différences se sont démarquées. Pour les enfants (Figure 1 a-c), de multiples points chauds sont présents dans toute la ville. Le plus important, situé dans le centre-nord, est visible sur les trois cartes. Des concentrations additionnelles de densité faible à modérée ont émergé dans le sud-est de la ville pour les infractions avec pénétration et sans contact, alors que plusieurs points chauds sont présents dans le corridor nord-sud pour les infractions avec contact sexuel. Contrairement aux résultats des analyses de noyaux de densité pour les victimes mineures, les analyses des victimes adultes présentées à la Figure 1 (d-f) indiquent que les zones de haute densité des infractions sexuelles rapportées sont peu nombreuses mais constantes pour tous les types d’infractions. Plus spécifiquement, les trois types d’infractions rapportés se concentraient dans le centre de la ville.

Tableau 2

Concentrations spatiales des infractions sexuelles rapportées

Concentrations spatiales des infractions sexuelles rapportées

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Figure 1

Cartes des analyses de noyaux de densité

(a)

(b)

(c)

(d)

(e)

(f)

Note : (a) Victimes enfants, infractions avec pénétration ; (b) Victimes enfants, infractions avec contact sexuel ; (c) Victimes enfants, infractions sans contact ; (d) Victimes adultes, infractions avec pénétration ; (e) Victimes adultes, infractions avec contact sexuel ; (f) Victimes adultes, infractions sans contact.

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Résultats des analyses de dispersion spatiale

Le Tableau 3 présente l’indice des valeurs de similitude de toutes les comparaisons par paires. Rappelons que la valeur S de 0,80 indique une similitude entre deux schémas spatiaux. Les résultats montrent donc que les analyses de dispersion spatiale des infractions avec pénétration et avec contact (= 0,999), et avec pénétration et sans contact (= 0,992), et avec contact et sans contact (S = 0,999) dont les victimes sont des enfants, sont similaires. Autrement dit, ces données indiquent que toutes les infractions sexuelles contre des mineurs se sont produites sur les mêmes segments de rue (et intersections) au cours de la période à l’étude. De manière semblable, la valeur S du schéma spatial qui compare les infractions avec pénétration et avec contact (= 0,994), les infractions avec pénétration et sans contact (= 0,990), et les infractions avec contact et sans contact (= 0,991) dont les victimes sont des adultes, révèle également qu’elles ont lieu sur les mêmes segments de rue (et intersections).

À la lumière de ces résultats, on observe qu’une grande partie de la ville ne semble pas avoir d’infractions sexuelles. Ainsi, une série d’analyses de sensibilité ont été effectuées pour comparer les analyses de dispersion spatiale uniquement sur les segments (et intersections) qui comptaient au moins un incident. Dans le Tableau 3, la valeur S de toutes les comparaisons en paires chez les victimes mineures (écart de la valeur non nulle de S = 0,48-0,50) et adultes (écart de la valeur non nulle de S = 0,29-0,42) a diminué de manière significative, tombant bien au-dessous du seuil de 0,80. Ces résultats statistiques indiquent que les infractions avec pénétration et avec contact, et les infractions sans contact contre les enfants et les adultes ont des schémas de dispersion spatiale différents, ce qui signifie qu’ils ont lieu sur des segments de rue (et intersections) différents dans toute la ville.

Tableau 3

Valeur de S pour les segments de rue (et intersections)

Valeur de S pour les segments de rue (et intersections)

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Discussion

Les résultats de la présente étude concordent bien avec ceux observés dans la littérature sur les crimes et lieux (Andresen et Linning, 2012 ; Andresen et Malleson, 2011 ; Hewitt et al., 2017 ; Sherman et al., 1989) : les crimes sexuels rapportés, que la victime soit adulte ou mineure, sont spatialement concentrés sur un très faible nombre de segments de rue (et intersections) de la ville d’Austin. Selon les résultats des mesures de concentration spatiale et de l’analyse des noyaux de densité, les crimes visant les adultes sont un peu plus dispersés dans la ville que ceux qui impliquent des enfants. Cela concorde avec la théorie de la configuration spatiale de la criminalité de Brantingham et Brantingham (1981), selon laquelle les adultes, contrairement aux enfants, ont une plus grande conscience de leur espace en raison de la diversité des lieux qu’ils fréquentent dans le cadre de leurs activités quotidiennes. Cette multiplication des déplacements dans l’espace urbain fait en sorte d’augmenter les risques d’être victimes d’un tel crime en croisant sur leur parcours, possiblement sans surveillance policière, un agresseur potentiel (Cohen et Felson, 1979).

La décomposition des incidents, survenus à la fois chez les adultes et les enfants, selon le type d’acte sexuel commis, a permis d’observer des différences de degré de concentration spatiale de ces incidents. Chez les victimes d’âge mineur, l’infraction sexuelle avec pénétration s’est produite sur davantage de segments de rue (et intersections) que les actes avec contact et sans contact, mais est caractérisée par une plus forte concentration sur les segments de rue (et intersections) qui comptaient déjà des signalements d’agressions sexuelles d’enfants. En d’autres termes, il y avait des points chauds relativement aux crimes sexuels avec pénétration dans des zones de la ville accusant déjà des problèmes à cet égard. Pour ce qui est des victimes adultes, les infractions sexuelles sans contact se sont révélées les plus spatialement concentrées sur un moins grand nombre de segments de rue (et intersections). Fait intéressant, très peu de recherches se sont penchées sur les lieux choisis par les auteurs de crimes sexuels sans contact ayant recours à des gestes paraphiliques (voyeurs, exhibitionnistes). Même si ce point n’entre pas dans le champ de la présente étude, il pourrait certainement faire l’objet de futures recherches. En résumé, le degré de concentration spatiale, lorsqu’il s’agit des infractions sexuelles rapportées, confirme les résultats des recherches sur les lieux et les crimes menées en contexte nord-américain.

Les analyses de noyaux de densité offrent une compréhension plus qualitative des emplacements où les incidents rapportés sont concentrés. Notons que l’emplacement des points chauds varie grandement en fonction du profil de la victime. Lorsqu’il est question d’enfants, plusieurs points chauds émergent partout dans la ville pour chaque type d’infraction sexuelle, ce qui montre que les auteurs de crimes sexuels recherchent des endroits extérieurs spécifiques qui leur permettent de perpétrer leurs actes. Ce résultat confirme les travaux de Wortley et Smallbone (2006), qui ont montré qu’un sous-groupe d’agresseurs d’enfants choisissait des lieux extérieurs spécifiques pour commettre l’agression plutôt que d’y recourir pour y chercher ses victimes. De plus, dans leur étude sur les schémas de mobilité des agresseurs d’enfants, Leclerc, Wortley et Smallbone (2010) ont conclu que les lieux isolés (extérieurs) sont des lieux communs pour ce type d’agresseurs, surtout ceux qui cherchent à commettre des actes sexuels avec pénétration. Ainsi, les résultats de la présente étude pourraient être le fait d’un faible nombre d’agresseurs d’enfants qui emmènent leurs victimes dans les mêmes lieux extérieurs pour commettre leurs agressions puisque ces lieux sont relativement peu exposés et peu à risque. Des études précédentes portant sur la constance des comportements de délinquants sexuels et de leurs lieux choisis soutiennent en effet cette proposition (voir par exemple Deslauriers-Varin et Beauregard, 2013, 2014a, 2014b ; Lundrigan, Czarnomski et Wilson, 2010 ; Santtila, Junkkila et Sandnabba, 2005). Les conclusions de ces travaux indiquent que les auteurs de crimes sexuels en série préfèrent choisir les mêmes lieux géographiques (centres commerciaux, quartiers, etc.) ou des lieux ayant des caractéristiques similaires.

Les résultats qualitatifs des analyses de noyaux de densité sont différents du côté des victimes adultes. Pour ces incidents, un seul point chaud est apparu au centre de la ville pour tous les types d’infractions. Ces incidents rapportés étaient regroupés autour du quartier de divertissement d’Austin, qui se caractérise par la présence de bars, de boîtes de nuit et de restaurants. Des travaux précédents ont montré que les risques de viol augmentent avec la proximité du centre de la ville (Ceccato, 2014 ; Ceccato, Guangquan et Haining, 2018) et des quartiers de divertissement (Muldoon et al., 2019), surtout lorsqu’ils s’y trouvent plusieurs établissements servant de l’alcool (Hewitt et al., 2018). Toutefois, ces études s’intéressent principalement aux incidents de viol, et pas nécessairement aux infractions sexuelles où des actes moins intrusifs sont perpétrés. Les résultats de la présente étude entraînent ainsi deux hypothèses lorsqu’on se penche sur le fait que les trois types d’infractions étudiés ont un même point chaud en commun. La première : que les auteurs de crimes sexuels, bien qu’ils cherchent à commettre des actes différents, reviennent vers les mêmes endroits en raison de leurs caractéristiques situationnelles (absence de surveillance, opportunité de trouver des victimes vulnérables). La seconde : que les contrevenants ont eu l’intention de commettre des crimes plus intrusifs (c.-à-d. des infractions avec pénétration), mais que des facteurs situationnels (comme la résistance de la victime) ont découragé leurs assauts. Les limites des données actuelles rendent ces explications purement spéculatives, mais ouvrent aussi la porte à des recherches futures.

Il est clair que le risque de victimisation sexuelle à l’extérieur des cellules familiales n’est pas réparti uniformément dans la ville. La majorité des infractions rapportées à l’extérieur ont eu lieu dans seulement quelques rues (et intersections) dans des quartiers distincts d’Austin, selon qu’ils comptaient une victime adulte ou enfant. Si l’on se penche plus particulièrement sur la répartition spatiale des infractions rapportées dans ces quartiers dangereux, une dernière question se pose : les mêmes microlieux sont-ils visés par les agresseurs sexuels qui ont l’intention de commettre différents types de crimes ? Les résultats des schémas et configurations spatiales montraient que les trois types d’infractions, qu’ils impliquent un adulte ou un enfant, se déroulaient sur des segments de rue (et intersections) différents, même s’ils se concentraient à l’intérieur d’un même quartier. Considérés dans leur ensemble, ces résultats montrent qu’il importe d’examiner les schémas de répartition spatiale au niveau le plus déconstruit en termes de victimes et de types d’infractions, à l’aide d’une échelle plus petite que les secteurs de recensement, afin d’éviter l’erreur écologique de Robinson (1950).

Une autre explication qui mérite tout autant d’être soulevée relativement aux résultats obtenus est que les concentrations spatiales et les schémas observés ont pour base uniquement les infractions sexuelles rapportées à la police. Comme il a déjà été mentionné, les agressions extérieures ayant plus de chances d’être commises par des agresseurs inconnus de leurs victimes (Jones et al, 2004), elles ont plus de chances d’être rapportées (Greenberg et Ruback, 1992) puisqu’elles contreviennent aux normes de ces espaces. Ces rapports tendent à être dits « fondés » par la police (Bouffard, 2000) étant donné qu’ils correspondent au schéma « vrai/classique » du viol (Estrich, 1987 ; Williams, 1984) et aux stéréotypes de l’« honnête victime » (LaFree, 1989). Ces résultats sont donc davantage révélateurs des endroits où ces incidents ont plus de chances d’être rapportés, et non ceux où ils ont plus de chances d’être commis. Très peu d’études se sont intéressées au rôle du contexte environnemental (caractéristiques spatio-temporelles) dans la décision des victimes de rapporter une agression sexuelle (voir par exemple Bachman, 1998 ; Fisher, Daigle, Cullen et Turner, 2003 ; Lizotte, 1985 ; Williams, 1984). Une étude, menée par Melo, Beauregard et Andresen (2019) en contexte brésilien, s’est intéressée spécifiquement aux facteurs spatio-temporels associés à la dénonciation par les victimes. Ces chercheurs ont conclu que les viols commis dans des lieux publics extérieurs ont plus de chances d’être rapportés à la police, peut-être parce qu’ils infligent souvent des violences et des blessures plus sévères aux victimes (Balemba et Beauregard, 2013). Ainsi, les victimes peuvent se sentir plus à l’aise de s’adresser aux forces de l’ordre puisqu’elles présentent des preuves physiques de viol (Melo et al., 2019). Or, d’autres travaux montreraient que les viols commis dans des lieux privés intérieurs, comme la maison de la victime, ont deux fois plus de chances d’être dénoncés à la police (Melo et al., 2019). Il semblerait donc que l’environnement physique exerce une certaine influence sur le comportement menant à la dénonciation de la part des victimes, mais que cela n’est pas propre aux agressions sexuelles extérieures. Ces données contradictoires issues des travaux empiriques ne peuvent soutenir qu’en partie la possibilité que les schémas spatiaux observés dans la présente étude soient représentatifs seulement des lieux où plus d’incidents sont rapportés, plutôt que ceux où le plus d’infractions sexuelles sont commises.

Conclusion

Les résultats de la présente étude ont plusieurs implications. D’abord, comme l’importance du lieu pour susciter des possibilités d’agissement criminel a été bien théorisée, on la considère comme un mécanisme par lequel ces opportunités criminelles peuvent être tout autant éliminées. Selon Clarke et Cornish (1985), certaines situations ont des caractéristiques différentes qui structurent les décisions et c’est la raison pour laquelle certains lieux entraîneraient des types d’évènements particuliers pour la simple raison que ces caractéristiques facilitent aux auteurs de crimes l’adoption de comportements propres à leur type de crime (Sherman, 1995). Ainsi, en modifiant les caractéristiques de ces lieux − segments de rue et intersections − à l’aide d’une approche situationnelle de prévention du crime[8], il deviendrait plus difficile de commettre ce genre de crime dans ces microlieux. Cela réaffirme l’importance de la décomposition des crimes sexuels par type de victime et d’infraction étant donné que les propriétés qui structurent ces choix varient en fin de compte selon ces facteurs.

Du point de vue du maintien de l’ordre, considérant le fait qu’un très faible nombre de segments de rue (et intersections) crée, de manière disproportionnée, des occasions d’infractions sexuelles (avec pénétration, avec contact et sans contact) auprès de victimes aussi bien adultes qu’enfants, il semble que placer davantage de ressources policières dans ces microlieux pourrait avoir un effet considérable sur la réduction des crimes. De plus, en effectuant des analyses spatiales des crimes à caractère sexuel décomposées par type d’infraction, la police peut devenir plus proactive dans ses patrouilles des lieux touchés en s’intéressant de manière préventive aux facteurs de risques propres à chacun de ces types d’infraction et de victime. Par exemple, sur les segments de rue (et intersections) souvent ciblés pour des crimes à caractère sexuel sans contact contre des adultes, la police peut prévenir les résidents de cette zone d’être plus prudents (en fermant leurs rideaux ou en verrouillant leurs portes par exemple). Les mesures policières préventives cibleraient des segments de rue (et intersections) touchés par des problèmes très spécifiques plutôt que des quartiers entiers, une manière plus efficace de contrôler des crimes. Bien que la recherche en soit encore à ses balbutiements, les résultats de la présente étude soutiennent l’idée que l’approche sur les lieux et les crimes semble être une solution plus prometteuse que les approches plus traditionnelles en prévention de la violence sexuelle (la réhabilitation des délinquants) pour la réduction des crimes de cette nature.

Bien qu’instructive, cette étude n’est pas sans limites. À l’instar d’autres études issues de la littérature sur la violence sexuelle, les données de la présente étude n’incluent que les infractions rapportées à la police par la victime ou une tierce personne. Comme il a été fait mention, plusieurs raisons expliquent pourquoi les agressions commises à l’extérieur sont plus fréquemment rapportées à la police (normes dans certains espaces extérieurs, victimes qui pensent que leur déposition est plus crédible à cause de la nature de l’attaque et sa correspondance avec le « viol classique/vrai », des « honnêtes » victimes stéréotypées, etc.). Il est donc possible que ces résultats ne représentent qu’un sous-groupe des crimes sexuels ayant eu lieu pendant la période étudiée. De même, les incidents étudiés ne comprennent pas l’entièreté des infractions sexuelles rapportées, mais seulement celles dites « fondées » par les corps policiers. Il peut en effet arriver que certains incidents soient classés à tort comme étant « non fondés » et donc exclus de l’échantillon pour des raisons externes au cas (comme la croyance au mythe du viol de la part des policiers ; pour des exemples de ces mythes et comment ils influencent la prise de décision policière et les comportements liés au signalement, voir Shaw, Campbell, Cain et Feeney, 2017 ; Spohn et al., 2014). Cette étude comporte une autre limite, soit l’utilisation de mesures indirectes (c.-à-d. des agressions extérieures combinées avec des violences non familiales) pour définir et identifier les agressions commises par des inconnus. Les recherches à venir devraient veiller à reproduire la méthodologie utilisée ici avec des données policières et de l’information plus détaillée sur les évènements, y compris la relation entre la victime et l’agresseur (si elle est connue), dans le but de comparer les résultats. Il est par ailleurs impossible de savoir si les crimes ici analysés faisaient partie de séries de crimes reliés à un même auteur. Autrement dit, il n’était pas possible de savoir si les concentrations spatiales des crimes obtenues ici étaient simplement le fait de quelques auteurs de crimes sexuels sériels visant les mêmes segments de rue (et intersections) de manière répétée au cours de la période étudiée.

Les futures recherches pourraient envisager une approche plus qualitative quant à la nature des points chauds relevés en fonction du type de crime sexuel commis à l’endroit des adultes et des enfants. Une analyse des caractéristiques environnementales des microlieux que visent les agresseurs permettrait de trouver des moyens de les décourager de commettre ces crimes, que ce soit dans ces lieux ou en tout autre lieu ayant ces caractéristiques. Enfin, il conviendrait d’examiner la présence de schémas temporels sur ces segments de rue (et intersections) afin de mieux adapter les efforts de prévention et de maintien de l’ordre dans ces lieux.