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En 2014, l’Université de Sherbrooke se dotait de la première Politique institutionnelle des arts et de la culture au Canada, politique qui a été actualisée en 2020[1]. C’est dans ce contexte institutionnel favorable que différentes actions culturelles se sont multipliées sur le campus principal, où se situe le Centre culturel, un lieu multidisciplinaire regroupant deux salles de spectacles professionnels et une galerie d’art. C’est aussi dans ce terreau fertile à l’institutionnalisation des liens entre les arts, la culture et l’éducation que le programme des Passeurs culturels[2] a vu le jour à l’automne 2017. Ce programme vise à former de futures professionnelles et de futurs professionnels de l’éducation à la fois héritiers, critiques, interprètes et médiateurs d’éléments de culture dans l’exercice de leur profession. Il s’agit donc de développer chez ces personnes professionnelles en formation leur rôle de passeurs culturels en misant sur l’enrichissement de leur propre bagage culturel (héritiers), en encourageant leur sens critique et leur capacité d’appréciation (critiques), en stimulant leur jugement professionnel (interprètes) ainsi qu’en tissant divers liens avec des partenaires culturels et en alimentant leur expertise à vulgariser, pour différents publics, des objets de savoirs ou de culture (médiateurs). En associant ainsi étroitement les arts, la culture et l’éducation, et en se donnant les ressources tant humaines, matérielles que financières pour y arriver, ce programme insiste sur le développement de la compétence culturelle comme fondement des professions de l’éducation et de la vie universitaire.

Avec le soutien du ministère de la Culture et des Communications, de l’Université de Sherbrooke, du Centre culturel ainsi que du vice-décanat à la formation et à la culture de la Faculté d’éducation et d’associations étudiantes, la communauté étudiante en éducation, tout comme les membres du personnel de la faculté, ont des accès privilégiés aux arts et à la culture sous toutes leurs formes, participent activement à des activités de médiation culturelle et sont appelés à incarner, au quotidien, l’approche culturelle qui caractérise leur champ d’expertise. Le programme, d’abord conçu pour les futures enseignantes et les futurs enseignants dans un projet-pilote de 2017 à 2020 dont nous rendons compte dans cet article, s’est ouvert depuis à toutes les personnes étudiantes en formation initiale en éducation et aux différents corps d’emploi afin d’enraciner le rôle de passeurs culturels chez tous les membres de la communauté facultaire, communauté qui est invitée à entrer en dialogue et à tisser des liens étroits autour de repères culturels communs et partagés. En quelque sorte, pour former des passeurs culturels, il faut des passeurs culturels, les arts et la culture agissant ainsi comme point d’ancrage et fil conducteur qui relient tous les membres de la communauté facultaire, tant personnes étudiantes que chargées de cours, corps professoral que personnel professionnel et de soutien.

Dans cet article, nous présentons d’abord quelques exigences en matière de culture en formation à l’enseignement au Québec, ensuite certains concepts clés ainsi que la méthode utilisée pour documenter le projet-pilote et enfin les principales retombées d’un programme favorisant l’accès aux arts et à la culture dès la formation initiale en éducation comme celui des Passeurs culturels. Comme le soulignent Octobre et Jauneau (2008, p. 698), « [l]a construction des choix culturels des enfants peut [...] obéir à d’autres influences que celle des transmissions familiales, influences qui peuvent compléter ou contrevenir aux premières : notamment les influences des pairs et de l’école ». C’est pourquoi un tel programme nous apparaît nécessaire pour former de futures enseignantes et de futurs enseignants plus conscients de l’importance de l’intégration de la dimension culturelle à l’école.

Les exigences culturelles de la formation à l’enseignement

Depuis le début des années 2000, les enseignantes et les enseignants du Québec, dès leur formation initiale, sont appelés à devenir des professionnelles et des professionnels cultivés, c’est-à-dire qu’elles et ils sont invités à agir en tant qu’héritiers, critiques et interprètes d’objets de culture dans l’exercice de leurs fonctions (Gouvernement du Québec, 2001a). La mise à jour du référentiel des compétences professionnelles pour l’enseignement (Gouvernement du Québec, 2020) insiste sur le fait d’agir comme médiatrice ou médiateur d’éléments de culture. Depuis une vingtaine d’années donc, l’enjeu demeure le même pour la profession enseignante : former des enseignantes et des enseignants capables d’endosser pleinement leur rôle culturel auprès des élèves, l’école jouant un rôle d’agent de socialisation culturelle majeur (Octobre et Jauneau, 2008). Cette première compétence professionnelle sert d’ailleurs de fondement, avec la compétence linguistique, au développement des autres compétences plus spécifiques à la profession enseignante.

Malgré cela, peu de recherches ont documenté ce qui se fait pour initier les futures enseignantes et les futurs enseignants à l’approche culturelle de l’enseignement (Simard, Falardeau, Émery-Bruneau et Côté, 2007). Cette approche culturelle semble d’ailleurs mal comprise par plusieurs personnes enseignantes en exercice (Nadeau, 2020 ; Portelance, 2007). Seule l’équipe de Denis Simard, de l’Université Laval, a étudié le rapport à la culture de futures enseignantes et de futurs enseignants, en particulier du baccalauréat en enseignement du français au secondaire (Simard, Falardeau, Émery-Bruneau et Côté, 2007). Le travail d’exploration réalisé par cette équipe a permis, il y a une quinzaine d’années, d’identifier quatre types de rapport à la culture, et ce, sur deux plans complémentaires : individuel et pédagogique. L’identification de ces types de rapport à la culture, que nous utilisons dans le cadre conceptuel, a montré qu’une majorité de futures enseignantes et de futurs enseignants n’entretenait pas un rapport à la culture jugé optimal, soit de type intégratif-évolutif, et qu’il fallait donc s’en préoccuper.

Tant les référentiels de compétences professionnelles (Gouvernement du Québec, 2001a ; 2020), les programmes de formation de l’école québécoise (Gouvernement du Québec, 2001b ; 2003a ; 2007) que les documents d’accompagnement comme celui intitulé L’intégration de la dimension culturelle à l’école (Gouvernement du Québec, 2003b) misent sur l’importance de contextualiser les apprentissages scolaires à l’aide de repères culturels afin de permettre aux élèves de passer de leur culture immédiate, familière, à une culture plus générale, d’ici et d’ailleurs. Ces repères culturels peuvent être définis comme des « objets d’apprentissage signifiants sur le plan culturel, dont l’exploitation en classe permet à l’élève d’enrichir son rapport à lui-même, aux autres ou au monde » (Gouvernement du Québec, 2003b, p. 9). Les repères culturels, tels que présentés, sont au coeur des différentes disciplines scolaires à enseigner, et ce, pour tous les domaines d’apprentissage.

Ajoutons à cela que, depuis l’année scolaire 2018-2019, une nouvelle mesure gouvernementale vise à démocratiser les activités culturelles pour tous les élèves du Québec en leur permettant de vivre deux sorties gratuites par année. Issue de la politique provinciale Partout, la culture (Gouvernement du Québec, 2018), la mesure pour les sorties scolaires en milieu culturel facilite la rencontre entre les groupes scolaires et les lieux culturels. L’intégration de ces expériences esthétiques dans l’enseignement peut aider les enseignantes et les enseignants en particulier à encore mieux jouer leur rôle de passeurs culturels. Comme le souligne Heinich (1998), les arts offrent un lieu de réflexion et de remise en question ; l’artiste et les institutions de l’art permettent l’affirmation de valeurs singulières qui offrent aux réceptrices et aux récepteurs des oeuvres une façon différente et nouvelle d’observer le monde.

Ces éléments contextuels semblent confirmer, selon nous, l’importance de se préoccuper de la capacité de toutes les futures enseignantes et de tous les futurs enseignants à se sentir confiants et compétents pour incarner leur rôle culturel à l’école, peu importe l’ordre d’enseignement et les disciplines enseignées. C’est dans ce contexte et avec l’objectif de mieux répondre à ce besoin de formation que le programme Passeurs culturels a été développé conjointement par la Faculté d’éducation et le Centre culturel de l’Université de Sherbrooke.

Le programme Passeurs culturels

Le programme Passeurs culturels[3] est né du désir d’offrir des incitatifs d’ordre culturel aux étudiantes et aux étudiants qui embrassent la profession enseignante, et ce, dès le début de leur parcours universitaire. Il s’agissait ainsi de nourrir leur propre rapport à la culture (Simard, Falardeau, Émery-Bruneau et Côté, 2012) afin de leur permettre de devenir de réelles professionnelles et de réels professionnels héritiers, critiques, interprètes et médiateurs d’objets de culture dans l’exercice de leur profession à venir (Gouvernement du Québec, 2001a ; 2020). Dès l’an 1 du projet-pilote, près de 1000 futures enseignantes et futurs enseignants ont obtenu, sur une base volontaire, leur accès Passeurs culturels pour des dizaines de spectacles professionnels gratuits ou à faible coût offerts directement sur le campus de l’Université de Sherbrooke.

Être passeurs culturels,

[c]’est l’envie de faire partager un bien, un ensemble d’oeuvres humaines qui nous aident à vivre, à penser, à aimer, à trouver des réponses comme à trouver du plaisir, de vouloir transmettre ce regard sur les choses qui évite d’être passif devant les évènements du monde, qui nous fait participer davantage à la construction si difficile d’une humanité meilleure

Zakhartchouk, 1999, p. 121

Ces passeurs culturels en éducation font de leur milieu de vie et de travail un endroit ouvert au pluralisme. Elles et ils assument leur rôle d’héritiers cultivés, se renouvèlent sans cesse et assurent la médiation des savoirs savants et des objets culturels partagés à l’école et dans divers milieux. Ces passeurs culturels donnent du sens et de la valeur aux apprentissages en ne se positionnant pas comme seuls transmetteurs, mais plutôt en encourageant une dynamique de questionnement et d’échanges critiques pour amener les jeunes et moins jeunes qui leur sont confiés à développer un rapport avec le monde, les autres et eux-mêmes ouvert et dynamique.

Les passeurs culturels permettent ainsi aux personnes qu’elles et ils côtoient,

[...] à travers des oeuvres artistiques, littéraires, philosophiques et scientifiques, de trouver des échos à leurs propres interrogations, des sources d’ouverture, de compréhension et d’enrichissement, des points d’appui essentiels pour se situer dans leur identité humaine et personnelle et devenir à leur tour des actrices et des acteurs capables de comprendre la société dans laquelle ils vivent et sa culture

Gouvernement du Québec, 2020, p. 21

Agir comme passeurs culturels en éducation, c’est aussi favoriser le goût d’apprendre tout au long et au large de la vie puisque l’ancrage culturel rend les apprentissages plus signifiants et stimulants, ce qui relève de la compétence professionnelle qui soutient le plaisir d’apprendre (Gouvernement du Québec, 2020).

Afin de développer chez les professionnelles et les professionnels de l’éducation un rapport à la culture le plus intégratif et évolutif possible (Simard et al., 2007), type de rapport qui fait de la culture un processus dialogique, ouvert et dynamique, l’équipe responsable a déployé un programme culturel unique qui permet de développer toutes les dimensions du rapport à la culture d’individus comme de groupes, soit les dimensions axiologique (finalité, sens, significations), épistémique (savoirs, notions-concepts, stratégies), praxéologique (pratiques, expériences, vécu), subjective (psychoaffectif, réflexif, valeur) et sociale (interactions, influences, rapports sociaux) (Nadeau, Raymond et Lépine, 2021).

De façon plus spécifique, dès le début de leur formation initiale à l’enseignement, toutes les étudiantes et tous les étudiants des programmes ciblés de la Faculté d’éducation peuvent obtenir une inscription gratuite aux Passeurs culturels. Cette inscription leur permet d’assister annuellement à un minimum de deux spectacles gratuits d’arts vivants offerts au Centre culturel de l’Université de Sherbrooke parmi une sélection élaborée pour des professionnelles et des professionnels de l’éducation. Il faut noter aussi que des dizaines de spectacles étaient offerts exclusivement aux futures enseignantes et aux futurs enseignants, et ce, à faible coût (environ 15 $). Pour chacune des années du projet-pilote de 2017 à 2020, ces personnes ont été accompagnées avant, pendant et après les sorties culturelles tant dans des cours obligatoires de leur formation que dans des activités d’animation complémentaires. Les activités de médiation culturelle sont, par exemple, des rencontres avec des metteuses et des metteurs en scène, des comédiennes et des comédiens, des interprètes, des diffuseuses et des diffuseurs, des animatrices et des animateurs culturels, rencontres qui permettent de présenter le processus de création et de discuter d’éléments clés du spectacle, avant ou après sa représentation.

Tableau 1

Participation au projet-pilote Passeurs culturels par année

Participation au projet-pilote Passeurs culturels par année

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Ce sont près des deux tiers des futures enseignantes et des futurs enseignants des quatre programmes ciblés qui se sont prévalus, au fil des trois années de financement, des activités privilégiées par le programme, dans cette phase initiale de projet-pilote. Le tableau 1 présente un aperçu des accès offerts.

Une recherche pour documenter l’implantation du programme

Une enquête longitudinale a été lancée par l’équipe de chercheuses et de chercheurs de la Faculté d’éducation afin d’analyser en quoi le projet-pilote pouvait nourrir la compétence culturelle de futures enseignantes et de futurs enseignants par la fréquentation de spectacles professionnels, la médiation autour des arts vivants et le dialogue intégré dans certains cours de la formation initiale. Dans ce cadre, nous avons appuyé nos travaux sur des concepts de culture, d’approche culturelle de l’enseignement et de rapport à la culture.

Figure 1

Conception de la culture (figure adaptée de Moran, 2001)

Conception de la culture (figure adaptée de Moran, 2001)

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Concepts fondateurs

Le programme Passeurs culturels s’appuie de façon opérationnelle sur la définition de la culture proposée par Moran (2001), pour qui elle représente un ensemble de pratiques, d’objets et de perspectives, d’individus et de groupes, dans un contexte social donné. Cette définition est illustrée à la figure 1, en faisant ressortir les éléments plus explicites et implicites.

Par conséquent, le programme Passeurs culturels implique des actions à la fois sur les pratiques et les objets culturels, les pôles les plus apparents de la culture, en favorisant l’accès et la médiation autour de spectacles d’arts vivants surtout issus de la culture classique ou artistique contemporaine (spectacles plus ou moins présents dans la culture première des participantes et des participants au programme) ainsi qu’en étudiant les perspectives et les conceptions des futures enseignantes et des futurs enseignants à propos de leur rôle à jouer comme passeurs culturels. En ce qui concerne spécifiquement les spectacles ciblés offerts en accès gratuit, le théâtre, la danse et le cirque ont été principalement ciblés, trois formes artistiques qui contribuent à nourrir la culture générale des jeunes adultes ciblés dans le programme.

Un deuxième concept phare est celui d’approche culturelle de l’enseignement, qui exige une excellente compréhension des savoirs par les enseignantes et les enseignants pour favoriser ensuite une « « appropriation personnelle et significative des savoirs par [les élèves], situer les savoirs dans le contexte historique, social et culturel de leur élaboration tout en instaurant des liens avec la culture première [des élèves] » (Sorin, Pouliot et Dubois-Marcoin, 2007, p. 278). Cette approche vise ainsi la construction de savoirs par les élèves grâce à des expériences d’apprentissage variées et significatives (Nadeau, 2020), et invite les enseignantes et les enseignants à déployer des efforts pour sélectionner des repères culturels signifiants et les intégrer aux apprentissages. Les personnes enseignantes qui mettent en oeuvre une telle approche culturelle de l’enseignement incarnent leur rôle de passeurs culturels dans leur classe. Ce concept développé par le pédagogue français Jean-Michel Zakhartchouk (1999 ; 2006) désigne toute enseignante ou tout enseignant qui dépasse les contenus prescrits pour enrichir la culture générale de ses élèves et pour tisser des liens entre les nouveaux apprentissages et leur bagage culturel. Engagée, ouverte et curieuse, cette personne enseignante fait de sa classe un lieu de dialogue.

Finalement, pour tisser des liens entre les pratiques, les objets et les perspectives culturels (Moran, 2001), le concept de rapport à la culture permet de considérer différentes dimensions du rôle de passeurs culturels. Le rapport à la culture représente « [u]n ensemble organisé de relations dynamiques d’un sujet situé avec des acteurs, des savoirs, des pratiques et des objets culturels » (Simard et al., 2007, p. 289). Pour Falardeau et Simard (2007, p. 7), « [c]haque individu entretient un rapport à la culture, réflexif ou non, en adoptant une distance plus ou moins critique à l’égard de ses pratiques et des acteurs culturels, peu importe sa profession, son éducation, son origine sociale, ses idéologies, etc. ». Dans leur recherche exploratoire, ils ont pu relever quatre types de rapports à la culture, à la fois sur les plans individuel et pédagogique : 1) désimpliqué ; 2) scolaire ; 3) instrumentaliste ; 4) intégratif-évolutif. Ces types de rapport à la culture se développent sur un continuum allant de la précompréhension à l’intégration à la culture du sujet en passant par la rencontre avec des objets, des savoirs et des actrices et des acteurs culturels. Ils ont démontré que le rapport individuel à la culture des enseignantes et des enseignants influence directement leur conception de leur rôle dans le développement culturel de leurs élèves, et que le type de rapport le plus dynamique, complexe et favorable pour agir comme passeurs culturels est le rapport intégratif-évolutif. C’est dans cet esprit, et avec ce désir de développer un rapport à la culture le plus intégratif et évolutif possible, que nous avons ciblé trois objectifs spécifiques de recherche.

Objectifs spécifiques de la recherche

Ayant peu de données indiquant quel est le rapport à la culture de futures enseignantes et de futurs enseignants inscrits dans différents programmes de formation à l’enseignement, nous avons ciblé, dans le cadre du programme Passeurs culturels, trois objectifs spécifiques de recherche :

  1. décrire les pratiques culturelles de futures enseignantes et de futurs enseignants ;

  2. analyser leurs conceptions de la culture et des liens culture-éducation ;

  3. documenter l’impact du projet-pilote sur le développement de la compétence professionnelle culturelle de futures enseignantes et de futurs enseignants.

La méthode d’enquête utilisée

Pour atteindre les objectifs de la recherche, nous avons mené une recherche descriptive/interprétative (Savoie-Zajc et Karsenti, 2004) de type enquête (Ash, Baumann et Bason, 2020) avec questionnaire écrit auto-administré en ligne (Dörnyei, 2003). Pour ce faire, quatre questionnaires ont été élaborés :

  1. un questionnaire initial pour la fin de la première année du projet-pilote pour l’ensemble des étudiantes et étudiants (an 1 du projet, hiver 2018) ;

  2. un questionnaire prétest 1 pour l’entrée dans la formation des étudiantes et étudiants de première année (an 1 de la formation, automne 2018) ;

  3. un questionnaire prétest 2 pour l’entrée dans la formation des étudiantes et étudiants de première année, mais d’une autre cohorte (an 1 de la formation, automne 2019) ;

  4. un questionnaire posttest pour la fin du projet-pilote Passeurs culturels (an 3 du projet, hiver 2020).

Le questionnaire initial et les deux questionnaires prétests comptaient six sections et une quarantaine de questions à réponses fermées et ouvertes. Le questionnaire posttest comptait aussi 6 sections et plus de 25 questions à réponses fermées et ouvertes. Les différentes sections de ces questionnaires permettent de recueillir des données sur le profil d’étudiante ou étudiant, sur les conceptions de la culture et des liens culture-éducation, sur les pratiques culturelles, sur les accès aux sorties culturelles, sur les expériences de médiation culturelle et des données sociodémographiques.

Tableau 2

Quatre phases de collecte de données : détails, échantillons et calendrier

Quatre phases de collecte de données : détails, échantillons et calendrier

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Toutes les considérations éthiques ont été respectées, un certificat éthique avait d’ailleurs été délivré par l’Université de Sherbrooke. Les participantes et les participants étaient éligibles à un tirage et ils recevaient une attestation de participation. Le tableau 2 présente un aperçu des quatre phases de collecte de données. Les questionnaires rejetés étaient incomplets ou remplis par des étudiantes et étudiants inscrits dans des programmes autres que ceux qui mènent au brevet d’enseignement.

Les quatre échantillons sont plutôt homogènes et constitués majoritairement de femmes (86 %), d’environ 22 ans en moyenne, provenant principalement du baccalauréat en enseignement au préscolaire et au primaire (52 %) et aussi du baccalauréat en enseignement secondaire de différents profils (23 %), du baccalauréat en adaptation scolaire et sociale (22 %) et du baccalauréat en enseignement de l’anglais langue seconde (3 %). En proportion, ces pourcentages correspondent au nombre d’inscriptions dans ces programmes à la Faculté d’éducation.

Les données recueillies par l’entremise des questionnaires, présentant des questions fermées et ouvertes, ont été traitées à l’aide de logiciels d’analyses de données (SPSS et NVivo) en fonction du type de données à analyser. Pour les items à choix multiples et les échelles de mesure, des analyses quantitatives descriptives ont été effectuées, de même que des tests t (comparaisons appariées) pour vérifier les différences entre des groupes, et des analyses de corrélation exploratoires ont été produites pour vérifier les liens possibles entre les variables à l’étude. En ce qui concerne les pratiques culturelles, nous avons traité les données en termes de fréquence et de préférence.

Les réponses à trois questions clés des questionnaires portant sur les conceptions des futures enseignantes et des futurs enseignants ont été traitées par une analyse de contenu (Bardin, 1997). Ces trois questions, dont les deux premières sont inspirées du travail de l’équipe de Simard (2007), étaient les suivantes : 1) Que signifie, selon vous, le terme « culture » ? ; 2) Quel est, selon vous, le rôle de l’enseignante ou de l’enseignant dans le développement culturel des élèves ? ; 3) Que signifie, selon vous, être « Passeur culturel » ? Notre analyse des réponses à ces questions se divise en deux volets : le premier concerne le type de rapport à la culture et le deuxième le développement de ce rapport chez les futures enseignantes et futurs enseignants. Dans les prochaines sections, nous présentons les principaux résultats issus de ces diverses phases d’enquête.

Quelques retombées du projet-pilote

Les données recueillies nous ont permis de dégager certaines tendances dans les pratiques culturelles des futures personnes enseignantes, de relever en quoi un tel programme culturel nourrit le développement professionnel des étudiantes et des étudiants en enseignement ainsi que de constater une progression marquée entre le début du projet-pilote et la fin.

Pratiques culturelles et accès

Pour les besoins de l’enquête, nous souhaitions connaître les pratiques culturelles des futures enseignantes et des futurs enseignants de quatre programmes de formation à l’enseignement. Ces pratiques culturelles sont celles qui peuvent alimenter leur rôle d’héritiers, de critiques, d’interprètes et de médiateurs d’objets de savoirs ou de culture dans l’exercice de leur future profession (Gouvernement du Québec, 2001a ; 2020). De manière générale, les données analysées montrent que les étudiantes et les étudiants de l’échantillon 1 ont des pratiques culturelles fréquentes et variées. Parmi ces pratiques culturelles, elles et ils déclarent surtout préférer regarder des séries ou des films à la télévision ou en ligne (moyenne de 8,35 sur une échelle allant jusqu’à 11, étant donné les 11 pratiques identifiées à placer en ordre de préférence), voir des films au cinéma (8,21), assister à des spectacles d’humour (8,01) ou de musique (7,38). Ces personnes étudiantes apprécient aussi la lecture d’oeuvres littéraires (6,78) et voir des pièces de théâtre (6,04). Dans une moindre mesure, elles et ils aiment visiter un musée ou une galerie d’art (4,92), assister à des spectacles de cirque (4,89), de danse (4,89), d’opéra ou de comédie musicale (3,48) et d’art oratoire (conte, légende, slam) (3,05).

Les résultats du volet de l’enquête sur les pratiques culturelles de futures enseignantes et de futurs enseignants, à la fin de la première année du projet-pilote, vont, à plusieurs égards, dans le même sens que certaines enquêtes canadiennes sur les pratiques culturelles des jeunes, notamment de l’enquête du Statistical Insights on the Arts series (2018) qui indique que ce public-cible est plutôt friand des arts au Canada. Dans cette optique, pour établir une comparaison avec le reste de la population québécoise, nous avons utilisé la plus récente enquête sur le sujet, soit l’Enquête sur les pratiques culturelles au Québec 2014, à partir de laquelle nos propres items ont été élaborés. De façon générale, pour toutes les catégories de sorties culturelles pouvant être comparées (sorties au cinéma, spectacles de musique, d’humour, de théâtre, de danse, de cirque, visites d’un musée, d’une galerie d’art), les futures enseignantes et les futurs enseignants de notre échantillon fréquentent davantage la culture que la population québécoise. En revanche, les futures enseignantes et les futurs enseignants pratiqueraient en moins grande proportion un art de façon amateur, quel qu’il soit, que le reste de la population québécoise.

Par ailleurs, plus de 90 % des futures enseignantes et des futurs enseignants (92,0 %) de cet échantillon soulignent que le fait d’offrir l’accès gratuit ou à faible coût à de telles activités culturelles, notamment pour des sorties de théâtre, de danse ou de cirque, a une influence positive (39,6 %) ou très positive (52,4 %). Lorsqu’on leur demande d’expliquer ce degré d’influence, plusieurs abordent la question économique pour expliquer l’apport de l’accès gratuit ou à faible coût. Près de deux futures enseignantes et futurs enseignants sur trois (62,0 %) évoquent l’importance de la gratuité pour soutenir le développement de leur rôle de passeurs culturels. Cet accès plus facile aux arts et à la culture leur permet de faire des économies (36,0 %), de réaliser plus de découvertes (22,0 %), d’augmenter la fréquence de leurs sorties (16,0 %), d’alimenter leur intérêt pour la culture (6,0 %), de s’insérer progressivement dans leur future profession (4,0 %) et de créer de nouvelles habitudes chez eux (3,0 %). La gratuité peut aussi être entendue ici dans le sens qu’aucun travail obligatoire, de nature scolaire, n’est lié à ce type de sorties culturelles.

Par ailleurs, le fait de proposer des activités de médiation culturelle avant ou après les spectacles offerts a une influence positive (66,4 %) ou très positive (17,3 %) pour plus de 80 % des futures enseignantes et des futurs enseignants (83,7 %). Les activités de médiation avant ou après les spectacles, qu’elles aient lieu au Centre culturel directement ou dans des cours ciblés à la Faculté d’éducation, ont une influence surtout positive sur l’appréciation des spectacles. En général, les futures enseignantes et les futurs enseignants déclarant une influence négative ou nulle de ces médiations réalisées directement au Centre culturel le jour de la sortie culturelle invoquent comme raison le fait qu’elles accompagnaient un spectacle déjà très long.

L’analyse de contenu réalisée à partir des données recueillies nous permet aussi de regrouper les retombées de ce projet-pilote en quatre grandes catégories :

  1. Le projet-pilote pousse les futures enseignantes et les futurs enseignants à développer leur curiosité et leur ouverture à de nouveaux objets culturels ;

  2. Le projet-pilote leur permet d’embrasser le rôle de passeurs culturels ;

  3. Le projet-pilote favorise l’accessibilité à une plus large offre culturelle en leur permettant de faire des découvertes et de vivre des expériences en toute gratuité ;

  4. Le projet-pilote modifie leurs habitudes de fréquentation culturelle.

L’encadré présente quelques-unes des réactions des étudiantes et étudiants sur les retombées du projet-pilote selon ces catégories.

Progression au fil du projet-pilote

L’analyse des données a aussi permis de dégager certaines tendances en termes de progression entre les conceptions initiales, en début de projet (questionnaire 2 ou 3, selon le cas), et les conceptions quelques mois plus tard, après le déploiement du projet-pilote (questionnaire 4). Une majorité de futures enseignantes et de futurs enseignants, quant à leur rapport à la culture (Simard et al., 2007), a progressé vers un rapport plus intégratif et évolutif entre les réponses données au questionnaire prétest et au questionnaire posttest. Pour l’échantillon 2, qui a répondu aux deux questionnaires avec une année et demie d’écart, 54,7 % des futures enseignantes et des futurs enseignants ont vu leur rapport à la culture évoluer positivement. Pour l’échantillon 3, 58,1 % des futures enseignantes et futurs enseignants ont aussi vu une progression sur une durée de seulement six mois. C’est dans l’échantillon 2, qui a eu plus de temps pour profiter du projet-pilote, que le pourcentage de futures enseignantes et futurs enseignants ayant grandement progressé est le plus élevé (19,0 %). Dans les deux échantillons, le rapport à la culture semble demeurer stable entre les deux collectes de données pour le quart des futures enseignantes et futurs enseignants environ et pour un cinquième d’entre eux, il semble avoir régressé.

Rôle de passeur culturel

L’analyse des réponses aux trois questions clés sur la définition de la culture, le rôle de l’enseignante et de l’enseignant dans le développement culturel des élèves et la signification de l’expression « Passeur culturel » a permis d’identifier le type de rapport à la culture qui se dégageait pour chaque future enseignante et chaque futur enseignant lors de leur arrivée au baccalauréat en enseignement, avant même d’avoir participé activement au projet-pilote. Pour ce faire, nous avons utilisé les données des phases 2 et 3 de l’enquête.

L’analyse des types de rapport à la culture des futures enseignantes et des futurs enseignants de ces échantillons constitués d’étudiantes et d’étudiants arrivant au baccalauréat semble indiquer des proportions semblables dans les types de rapport. Pour les deux groupes, le type de rapport à la culture dominant est le type scolaire pour environ les deux tiers des répondants (64,2 %), tandis que le type intégratif-évolutif l’est pour environ une personne sur cinq (17,6 %).

Au-delà de la formation initiale

Dans le questionnaire posttest, nous avons posé une question à réponse fermée, avec une échelle de 1 (pas du tout) à 5 (tout à fait), afin de voir en quoi le projet-pilote Passeurs culturels avait permis aux futures enseignantes et aux futurs enseignants, encore en début de parcours de formation (année 1 ou 2 de leur programme), de développer un plus grand sentiment de compétence en matière d’approche culturelle de l’enseignement. Les deux échantillons déclarent que le projet-pilote a contribué à développer leur sentiment de compétence en matière de culture (moyenne de 4,2/5 pour l’échantillon 2 et de 4,1/5 pour l’échantillon 3). Par exemple, un des futurs enseignants de l’échantillon 2 exprime ainsi ce sentiment :

Ce projet me permet d’avoir accès facilement à la culture. Il est donc certain que j’augmente mon répertoire, ce que j’aurais moins la chance de faire sans ce projet. Je pense que toutes ces expériences culturelles me donnent le goût d’en parler avec mes élèves. J’ai vraiment le goût de leur transmettre cette passion qui se développe pour moi. J’ai le goût de leur expliquer et de leur faire vivre pourquoi la culture est importante. Je me sens plus à l’aise de le faire, car je le vis moi-même et j’en retire plusieurs bénéfices

Ens49- Q4-1

En fin de projet, 73,9 % des futures enseignantes et des futurs enseignants ont indiqué que le fait de participer au projet-pilote (donc assister à davantage de spectacles qu’à l’habitude, participer à des activités de médiation culturelle, faire des liens en classe entre le contenu d’un cours et un spectacle et/ou une activité de médiation) avait contribué positivement à leur sentiment de compétence à intégrer des sorties culturelles avec leurs futurs élèves. Ces résultats nous permettent de constater que plus les étudiantes et les étudiants sont exposés aux manifestations culturelles et à des activités de médiation, plus cela influence positivement leur rapport à la culture. Dans ce projet-pilote, il faut tenir aussi compte de la formation en cours pour ces étudiantes et étudiants : plus leur formation universitaire avance, plus ils sont exposés à des enjeux, des projets, des lectures, etc. qui les amènent à réfléchir à leur rôle de passeurs culturels pour mieux le comprendre et l’endosser.

Le questionnaire posttest permet également de dégager quelques retombées du projet-pilote, notamment quant à la fréquentation de spectacles, aux expériences de médiation culturelle et au sentiment de compétence développé par la participation aux activités des Passeurs culturels. Les résultats révèlent, d’une part, que 89,4 % des futures enseignantes et futurs enseignants ont assisté à plus de spectacles qu’ils n’en avaient l’habitude grâce au projet-pilote. Pour plusieurs, ces sorties étaient synonymes de plaisir partagé avec des collègues dans un autre contexte que celui de la salle de cours. D’autre part, 92,6 % d’entre eux indiquent que leur participation les incitera à fréquenter encore davantage les salles de spectacles après leurs études. Comme le soulignent Octobre et Jauneau (2008, p. 698), le degré de connaissance des jeunes générations des équipements culturels comme une salle de spectacle doit beaucoup à l’influence de l’école et des sorties scolaires, qui jouent un rôle majeur en matière de démocratisation de l’accès à certains lieux culturels.

Discussion

Pour réussir à tisser des liens entre les savoirs à acquérir, une culture générale vaste à découvrir et la culture des élèves, il faut que les enseignantes et les enseignants soient confiants et convaincus de l’importance de la culture à l’école. La participation à des expériences culturelles variées contribue à faire évoluer les conceptions des futures enseignantes et des futurs enseignants face à leur rôle culturel puisque ces oeuvres, ces échanges et ces ateliers les exposent à des points de vue différents sur le monde et les amènent à s’ouvrir à d’autres réalités. Ces expériences sensibles ne peuvent être remplacées par des lectures ou des cours uniquement. Le cadre de la formation initiale est ici essentiel pour boucler la boucle et mieux comprendre comment, concrètement, intégrer la dimension culturelle à l’enseignement en s’appuyant sur ce que les futures enseignantes et les futurs enseignants ont eux-mêmes vécu.

Les résultats présentés dans cet article montrent qu’il semble possible, en favorisant l’accès aux arts de la scène ainsi qu’à des expériences de médiation culturelle et en enrichissant des cours universitaires à propos de l’appréciation de spectacles, de faire progresser le rapport à la culture de futures enseignantes et de futurs enseignants ainsi que leur conception du rôle de passeurs culturels. Un changement de réflexe ou même de paradigme par rapport à la place de la culture dans l’enseignement peut contribuer à sensibiliser la société à l’importance de former des citoyennes et des citoyens culturels, ouverts sur le monde et valorisant le pluralisme. Comme le signale Baby (2018, p. A7), « [i]l faudrait [...] remplacer le paradigme utilitariste et techniciste actuel de la formation à l’enseignement par un paradigme humaniste pour une culture générale solide comme clé de voute d’une véritable autonomie professionnelle et d’une action éducative émancipatrice auprès des élèves ».

Si les manifestations culturelles sont plus accessibles et si on les démocratise par des rencontres, des discussions ou des ateliers créatifs, les (futures) enseignantes et (futurs) enseignants pour qui ce rôle est moins clair se sentiront davantage investis de leur mission culturelle. Bien qu’il faille préciser les prescriptions culturelles associées à l’école, ce n’est pas par la contrainte que le désir de culture naîtra chez eux, mais bien par le contact sensible et l’engagement, inscrits dans la durée.

Bien que plusieurs retombées du projet-pilote présenté ici soient encourageantes, il faut relever quelques limites de l’étude. D’entrée de jeu, nous devons souligner que le contexte de l’Université de Sherbrooke, avec un centre culturel sur le campus, était favorable à l’implantation d’un tel programme, ne serait-ce que par la facilité d’accès aux lieux de diffusion des arts de la scène. La durée de l’enquête, sur une période de deux ans notamment marqués par la pandémie, a permis de dégager certaines tendances, mais il serait pertinent de poursuivre ce type d’enquête sur une période plus longue, et non seulement auprès de participantes et de participants volontaires. Enfin, il faut reconnaître que nous avons misé dans ce programme sur les futures enseignantes et les futurs enseignants et le cadre scolaire, mais la question du développement de compétences culturelles va bien au-delà de l’école et touche l’ensemble de la société, des familles et des communautés.

Cela dit, quand une université, une institution d’enseignement, s’engage de différentes façons en arts et en culture (par des politiques, des stratégies, du financement, la création d’un poste de vice-doyen intégrant la culture, etc.), quand elle est en mesure de développer des partenariats avec des organismes de la communauté (Ministère, diffuseurs culturels, centres de services scolaires, etc.), des retombées positives tant pour les personnes étudiantes que pour les membres du personnel oeuvrant en éducation sont alors possibles. Pour ce faire, il faut des actrices et des acteurs engagés, conscients que pour donner du sens à l’école il est nécessaire de contextualiser les apprentissages par des dimensions culturelles ancrant dans un espace-temps pertinent les contenus à enseigner. C’est ainsi que ce projet-pilote a donné suite au projet des Partenaires culturels du Centre de services scolaire de la Région-de-Sherbrooke en collaboration avec l’Université de Sherbrooke, un projet impliquant cette fois des enseignantes et des enseignants en exercice.

Conclusion

Notre étude démontre que la fréquentation de spectacles, la participation à des activités de médiation culturelle et l’intégration de ces expériences esthétiques dans le cadre de cours de la formation initiale des futures enseignantes et futurs enseignants contribuent, lorsque bien articulées, à développer le sentiment de compétence à intégrer les sorties culturelles avec des élèves chez la majorité des participantes et participants au projet-pilote. Chez les futures enseignantes et les futurs enseignants plus assidus du programme, ce sentiment de compétence est encore plus développé, ce qui démontre que les expériences sensibles vécues comme spectatrices et spectateurs peuvent contribuer à les outiller à jouer leur rôle de passeurs culturels auprès de leurs élèves. Les étudiantes et les étudiants assidus sont plus confiants parce qu’ils ont des expériences plus variées et nombreuses, et ce sont ces expériences qui leur permettent de se sentir compétents à la fois pour intégrer les éléments organisationnels d’une sortie culturelle et pour exploiter le spectacle comme un repère culturel signifiant auprès de leurs futurs élèves. Le rôle des universités, dans un tel contexte, nous apparaît névralgique : c’est le moment tout désigné, en cours de formation initiale à l’enseignement, pour transformer le rapport à la culture de futures enseignantes et de futurs enseignants.

Le projet-pilote Passeurs culturels a donc réellement contribué au sentiment de compétence de plusieurs futures enseignantes et futurs enseignants quant à leur capacité d’intégrer la sortie culturelle en classe. Certaines et certains tissent des liens explicites entre ces sorties et la construction de leur première compétence professionnelle, en identifiant des bénéfices observables sur leur ouverture d’esprit, le développement de leur curiosité, l’importance d’être en contact avec différentes manifestations culturelles et d’en faire profiter les élèves. Toutefois, la majorité des réponses se limite au rapport pédagogique à la sortie et à la connaissance des procédures. Nous ne pouvons donc pas affirmer que le projet-pilote a permis de développer globalement leur première compétence professionnelle, mais il a stimulé des dimensions précises de cette compétence, en lien avec le rôle de passeurs culturels de toutes les futures enseignantes et de tous les futurs enseignants. En effet, la fréquentation de spectacles à elle seule ne suffit pas pour outiller les futures enseignantes et les futurs enseignants à jouer leur rôle de passeurs culturels, il faut y adjoindre des occasions de réflexion et d’informations concrètes, par des expériences de médiation culturelle autour des spectacles, mais aussi dans des cours ciblés pour que ces diverses « influences croisées » (Octobre et Jauneau, 2008) soient les plus porteuses de sens possible.