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L’EXPRESSION « personnalisation des services » est citée de plus en plus dans les écrits scientifiques, dans les rapports de recherche, ainsi que dans les documents liés à l’évaluation. Il s’agit d’un cadre de référence qui est de plus en plus utilisé par les intervenants et gestionnaires du réseau de la santé et des services sociaux au Québec. Plusieurs acteurs et organisations agissant dans divers domaines et à différents niveaux du réseau de la santé et des services sociaux, s’approprient ce cadre et l’appliquent à leur manière. Par conséquent, un survol des écrits scientifiques et des expériences vécues directement sur le terrain nous permet de constater que le champ de la personnalisation des services a suivi une tangente bien différente que l’on soit dans le domaine de la santé ou dans celui des services sociaux.

Dans le domaine de la santé

La personnalisation des services est un concept central dans le domaine de la santé et pour la médecine moderne en général (USDHHS, 2013). Il s’agit cependant d’un concept pouvant signifier différentes choses selon les organismes ou les professionnels. Pour certains (p. ex. l’entreprise pharmaceutique notamment), la personnalisation des services fait référence à une médecine prédictive qui progresse au fur et à mesure que la génétique, la génomique et la bio-informatique avancent (Savard, 2013). Cette médecine « personnalisée » fait appel à des traitements particuliers en fonction de caractéristiques spécifiques de patients ou de maladies. Pour d’autres (p. ex. professionnels de la santé, patients, proches-aidants), la personnalisation des services désigne plutôt l’ensemble des interactions entre prestataires de services et usagers (Abrahams & Silver, 2010). Les attentes exprimées par les patients et les professionnels dans les établissements de santé n’étant, en effet, pas tant centrées sur l’avancement de la science et de la technologie, que sur la volonté de recevoir des services qui tiennent compte de la santé physique, mentale, spirituelle et de la qualité de vie restante plutôt que la quantité de vie disponible.

Dans le domaine des services sociaux

Dans le domaine des services sociaux, la personnalisation des services s’est développée autour des effets que produisent les services dans la vie des gens (Carrier et coll., 2015; Christie, 2011; Cook & Miller, 2012). Malgré l’importance des ressources investies dans le secteur des services sociaux dans les dernières décennies, peu de données probantes existent quant aux changements que produisent les services reçus dans la vie des gens ou de leurs proches (Carrier, Morin, & Garon, 2012). Simultanément, beaucoup d’efforts sont placés sur les mécanismes de reddition de compte pour maximiser la production de services à partir des ressources existantes. Les acteurs ayant travaillé la personnalisation des services dans le secteur social se demandent s’il s’agit là d’une logique adéquate, car bien qu’elle soit utile à une saine gestion des ressources publiques, elle ne tient pas nécessairement compte des besoins des gens (Christie, 2011). Des approches centrées sur les effets des services reçus dans la vie des gens se sont développées en réponse à ce constat et sont complémentaires à l’offre de services existante (DH, 2009).

À la jonction du médical et du social: La 1re ligne du réseau de la santé et des services sociaux

À la jonction du médical et du social se déploie la 1re ligne du réseau de la santé et des services sociaux. C’est là que se heurtent diverses définitions et représentations du champ de la personnalisation des services. C’est aussi l’endroit où l’usager a habituellement son premier contact avec le système de services sociaux et de santé. Dans cet espace, chaque acteur s’approprie les enjeux de la personnalisation des services et souhaite développer un langage commun qui est le sien (c.-à-d. coproduction en service social, autonomisation en santé publique). La personnalisation des services y est décrite comme une façon de concevoir les services selon une approche globale et transversale aux différentes étapes de la vie humaine. Plutôt que de partir d’une offre de services déjà existante, la personnalisation des services inverse le rapport d’autorité et les logiques d’actions entre usagers et intervenants. L’objectif est d’inscrire l’usager comme un agent actif dans l’élaboration et la dispensation de services sociaux et de santé qu’il reçoit. L’objectif poursuivi est de donner plus de choix et de contrôle aux individus pour qu’ils répondent eux-mêmes à leurs besoins en mobilisant leurs ressources et savoirs expérientiels pour atteindre leurs objectifs personnels.

Les limites de ce champ de recherche et d’intervention

Malgré l’effervescence caractérisant le champ de la personnalisation des services, peu d’approches sont développées pour tenir compte des besoins particuliers des communautés. Le champ de la personnalisation des services adopte plutôt une posture qui est davantage individuelle. Pourtant, les communautés ont également des besoins qui ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux des individus qui les composent. Ce constat est aussi celui de plusieurs éminences grises ayant fait carrière dans le domaine de la santé communautaire où il est établi que les facteurs qui influencent la santé des individus ne sont pas les mêmes que ceux qui influencent la santé de la population dans laquelle se trouvent ces individus (Evans, Barer, & Marmor, 1994; Syme, 2004). En épidémiologie, il ne fait pas non plus de doute que les causes de l’incidence d’un problème social ou de santé ne sont pas celles qui expliquent sa prévalence dans une population (Rose, 1985). À cet égard, le domaine de la santé publique fait office de leadeur et semble être une courroie de transmission pour que le champ de la personnalisation des services se fasse non seulement individuel mais aussi populationnel. La santé publique utilise, en effet, certaines approches personnalisées qui tiennent compte des besoins spécifiques des communautés. Tout comme c’est le cas des approches de personnalisation individuelle, leur logique est de donner plus de choix et de contrôle aux communautés (vs les individus) pour qu’elles puissent répondre elles-mêmes à leurs besoins de manière autonome.

Les objectifs de ce travail

Dans ce travail, nous souhaitons contribuer au champ de la personnalisation des services en (1) l’enrichissant d’une perspective communautaire et (2) en intégrant cette perspective communautaire au sein d’un modèle intégré de personnalisation des services qui tient compte des besoins individuels et communautaires.

Méthodologie

Vers cet objectif, nous avons utilisé une démarche méthodologique contenant trois étapes. Nous avons d’abord entrepris une recension narrative des écrits scientifiques pour identifier les principales approches employées dans le domaine de la santé publique et servant à identifier les besoins spécifiques des communautés. Nous avons ensuite, dans une 2e étape de notre démarche méthodologique, présenté les approches identifiées par cette recension narrative, en plus d’illustrer chacune des approches recensées au moyen d’une intervention locale de santé ou de services sociaux. Finalement, dans la 3e et dernière étape de notre démarche méthodologique, nous avons analysé les approches recensées au moyen d’un cadre théorique qui permet de réfléchir au champ de la personnalisation des services dans le réseau de la santé et des services sociaux au Québec (Carrier et coll., 2015).

1re étape: Recension narrative des écrits scientifiques

Des mots-clés (Tableau 1) caractérisant les domaines de la personnalisation des services et de la santé publique furent combinés en français et en anglais dans deux banques de références bibliographiques (c.-à-d. PsychInfo, Social work abstract) et dans deux moteurs de recherche (c.-à-d. Google, Google Scholar) pour les années de publication allant de 2000 jusqu’en 2016. Pour chaque combinaison possible de mots-clés (= 12), nous avons examiné les titres et résumés des documents obtenus. Nous avons conservé pour une lecture approfondie les documents faisant mention directe ou indirecte des expressions « personnalisation des services » et « perspective communautaire » dans le résumé et le corps du texte (= 32). Chacun de ces documents a ensuite été lu et discuté en équipe avant d’en arriver à une catégorisation des principales approches employées dans le domaine de la santé publique et servant à identifier les besoins spécifiques des communautés.

Tableau 1

Mots-clés utilisés lors de la recension narrative des écrits scientifiques

Mots-clés utilisés lors de la recension narrative des écrits scientifiques

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2e étape: Présentation des approches recensées servant à identifier les besoins des communautés

Dans cette seconde section de notre démarche méthodologique, nous présentons les principales approches utilisées en santé publique pour identifier les besoins des communautés (c.-à-d. les approches identifiées par notre recension narrative des écrits scientifiques). Nous avons de plus appuyé cette présentation en déclinant une intervention sociale ou de santé implantée à l’échelle locale pour chaque approche identifiée. Ces initiatives locales ont été sélectionnées par convenance et sont implantées dans la région administrative des auteurs de ce travail (c.-à-d. la région de l’Estrie). Ainsi, au-delà de la théorie, nous souhaitons démontrer comment ces approches qui tiennent compte des besoins des communautés se déploient sur le terrain et contribuent au développement d’une approche personnalisée qui intègre une perspective communautaire.

3e étape: Vers une approche personnalisée qui intègre les besoins individuels et communautaires

Dans cette dernière section de notre démarche méthodologique, nous avons ouvert un espace d’analyse pour réfléchir aux approches recensées et servant à identifier les besoins des communautés. Aux fins de cette analyse, nous avons employé le cadre réflexif de personnalisation des services de Carrier et collègues (2015) qui est appliqué au domaine de la santé et des services sociaux. Cette étape de notre travail vise à démontrer qu’une perspective communautaire peut être intégrée au sein d’un seul et unique modèle de personnalisation des services qui tient à la fois compte des besoins individuels et communautaires. Ainsi, les résultats issus de la recension narrative des écrits scientifiques sont réfléchis à travers le prisme d’un cadre théorique servant à guider le changement de culture qu’exige l’implantation d’approches personnalisées dans le domaine de la santé et des services sociaux. Ce modèle qui comprend trois dimensions (c.-à-d. valorisation des savoirs expérientiels, évaluation de la différence, coproduction) et trois logiques d’actions (c.-à-d. programmation, intervention, gestion; Carrier coll., 2015; Carrier et coll., 2013) stipule que pour personnaliser les services sociaux et de santé, un équilibre doit s’exercer au niveau de ses dimensions et logiques d’actions. Dans cette dernière partie de notre travail, nous avons donc situé les approches recensées par notre recension narrative des écrits scientifiques à l’aide de notes comparatives (c.-à-d. +, ++, +++) pour statuer sur la perspective communautaire à intégrer au modèle de personnalisation des services dans le réseau québécois des services sociaux et de santé.

Résultats

Nous avons identifié cinq approches employées dans le domaine de la santé publique et servant à répondre aux besoins des communautés: (1) l’approche populationnelle; (2) l’approche centrée sur les forces et atouts; (3) le développement communautaire; (4) les approches de recherche participative et (5) les approches par le milieu.

1ère approche: L’approche populationnelle

La notion d’approche populationnelle est énoncée dans une Loi au Québec pour la première fois en 2003. Elle est alors un fondement majeur de la réforme du système de santé et des services sociaux. L’objectif de cette réforme était d’améliorer la santé et le bien-être des populations par une meilleure accessibilité, continuité et qualité des services. Cette réforme visait à coordonner l’offre de services en fonction d’une population plutôt qu’en fonction d’individus qui consomment des services. La réforme de 2003 engendre la création de 95 territoires de centre de santé et de services sociaux (CSSS) par la fusion d’établissements locaux (p. ex. centres locaux de services communautaires, cliniques médicales, centres hospitaliers, centres d’hébergement et de soins de courte ou de longue durée) sous une même entité organisationnelle. Chaque territoire de CSSS relève alors d’une des 18 agences de santé et de services sociaux (ASSS) qui relèvent à leur tour du Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (ASSNAT, 2003).

L’approche populationnelle qui découle de cette réforme est circonscrite par quatre paramètres, un/une: (1) objectif ; (2) responsabilité; (3) stratégie et (4) gouverne (Breton, Lamarche, & Pineault, 2005). Elle s’opérationnalise à travers le concept de responsabilité populationnelle qui marque l’obligation légale des acteurs locaux et régionaux de maintenir et améliorer la santé et le bien-être de la population d’un territoire en rendant accessible une offre de services coordonnée répondant aux besoins exprimés et non exprimés d’une population, en assurant l’accompagnement des personnes nécessitant un soutien et en agissant en amont sur les déterminants de la santé. Cet exercice de responsabilité populationnelle est l’affaire de tous. Elle requiert une collaboration active des organisations publiques, privées et communautaires dans chaque secteur de la société. Ensemble, ces acteurs mettent à profit leurs leviers et compétences au bénéfice de leur population.

Les 95 CSSS du Québec ont récemment été fusionnés en 22 territoires de centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) ou de centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) par la Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales (ASSNAT, 2015). Cette nouvelle fusion élimine le palier régional (autrefois les ASSS) et devrait faciliter l’atteinte des objectifs poursuivis par la réforme de 2003 en favorisant l’approche populationnelle par une responsabilité populationnelle renouvelée.

Un modèle de concertation locale pour adapter l’offre de services sociaux et de santé

Dans le cadre de sa planification stratégique 2012-2017, le CSSS de la municipalité régionale de comté, MRC de Coaticook, souhaite adapter son offre de services aux besoins particuliers de sa communauté. Celui-ci a invité divers partenaires à poser un regard critique sur les modes de concertation en vigueur sur son territoire. L’exercice a regroupé plus de 80 partenaires et a servi à identifier des forces et faiblesses. Un groupe de travail a reçu comme mandat de proposer un nouveau modèle de concertation pour maximiser les forces reconnues et réduire les faiblesses notées (CSSS de Coaticook, 2014). Un nouveau modèle de concertation a ainsi été créé et implanté.

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Ce modèle contient cinq composantes: trois tables-réseaux structurées par groupe d’âge et une table-réseau transversale. L’ensemble de ces tables est supervisé par une table de gouvernance (CSSS de Coaticook, 2014). Chaque structure du nouveau modèle de concertation a sa mission. La table de gouvernance définit les modalités de concertation et veille à la coordination des processus. Les autres tables voient à l’amélioration de la santé et du bien-être de la population de son groupe d’âge, à l’exception de la table transversale qui le fait à travers le cycle de la vie. En plus d’être responsable des programmes-services qui lui sont spécifiques (c.-à-d. jeunes en difficulté pour la table 0-17 ans, soutien à l’autonomie des aînés pour la table 65 ans et plus), les tables-réseaux du nouveau modèle de concertation doivent se préoccuper des programmes-services qui touchent leurs clientèles et celles des autres (c.-à-d. santé publique, déficience physique, déficience intellectuelle, santé mentale/dépendance, services sociaux généraux). Les responsabilités des tables-réseaux sont (1) d’identifier les besoins prioritaires de son groupe d’âge; (2) d’élaborer un plan d’action visant ces besoins; (3) de rédiger un bilan des activités et résultats; (4) de créer des lieux d’échanges; (5) d’instaurer, appuyer et soutenir les initiatives visant l’amélioration de la santé et du bien-être et (6) de favoriser les maillages avec les partenaires intersectoriels pour répondre efficacement aux besoins sa population (CSSS de Coaticook, 2014).

2ième approche: Les approches centrées sur les forces et atouts

Les approches centrées sur les forces et atouts capitalisent sur les ressources, les capacités et les habiletés des communautés pour enclencher des changements positifs, durables et signifiants. Ces approches sont apparues dans les années ’80 et ont été formalisées par des professeurs, professionnels et étudiants de l’école de service social de l’Université du Kansas aux États-Unis (Rapp, 1998). Bien que ces approches aient été développées pour intervenir avec des personnes vivant avec des troubles mentaux graves, elles sont de plus en plus utilisées dans une perspective communautaire pour produire de la santé, du bien-être et de la qualité de vie (Foot, 2012; Foot & Hopkins, 2010; Morgan, Davis, & Ziglio, 2010). Appliquées aux populations (et à la 1re du réseau de la santé et des services sociaux), elles permettent aux communautés de recevoir des services qui sont différents de ceux traditionnellement dispensés. Les communautés deviennent maître des services qu’elles souhaitent recevoir via une approche axée sur le développement du plein potentiel plutôt que sur l’élimination des facteurs de risques. La philosophie de ces approches n’est pas pour autant de nier la maladie, l’incapacité ou les limitations. L’idée est de prétendre qu’une communauté peut continuer à se développer malgré l’adversité et qu’elle dispose de ressources à cet égard.

L’intervention de quartier dans la ville de Sherbrooke

L’intervention de quartier est une pratique intégrée d’intervention communautaire visant à améliorer les conditions d’existence et la qualité de vie des citoyens de deux quartiers défavorisés de la ville de Sherbrooke. Dans chacun de ces quartiers, des intervenants sociaux, des organisateurs communautaires et d’autres professionnels du réseau local de services forment une équipe-quartier qui s’insère dans une équipe intersectorielle regroupant divers organismes et établissements. En allant à la rencontre des gens là où ils vivent, travaillent, jouent et aiment, les intervenants de quartier inscrivent les individus au sein de groupes et de réseaux formels et informels d’entraide. Les intervenants de quartier privilégient une approche intégrée où les interventions individuelles et collectives s’alimentent les unes les autres. Leurs rôles sont (1) d’acquérir des connaissances et une compréhension des besoins des citoyens et de leur communauté; (2) d’offrir un accueil psychosocial qui rejoint les résidents qui ne connaissent pas les ressources ou qui ne demandent pas d’aide, ainsi que du suivi psychosocial communautaire; (3) favoriser l’autonomisation, l’intégration sociale et la mise en réseau des gens dans leur quartier et (4) contribuer à développer une communauté d’intervention en mobilisant et soutenant les ressources formelles et informelles.

3ième approche: Le développement communautaire

L’expression « développement communautaire » est explicitement défini dans le 1er Programme national d’action en santé publique 2003-2012 (MSSS, 2003). Le développement communautaire y est défini comme étant le processus par lequel une communauté participe au façonnement de son environnement dans le but d’améliorer la qualité de vie de ses résidents. Il s’agit d’une démarche collective qui nécessite l’intégration des composantes économiques, sociales, culturelles, politiques et environnementales. Le développement communautaire est un phénomène humain où les projets et l’action, bien plus que les institutions et les politiques, mobilisent les intervenants et les membres d’une communauté.

Le rôle de la santé publique en regard du développement communautaire est de favoriser et soutenir la participation citoyenne dans tout processus visant à déterminer des enjeux jugés signifiants, ainsi que dans l’identification des solutions appropriées. Il s’agit de favoriser et soutenir les processus d’autonomisation en engageant les acteurs locaux et régionaux dans des partenariats sectoriels et intersectoriels favorisant la réalisation de projets issus des communautés et axés vers la poursuite d’une meilleure santé ou bien-être (MSSS, 2003).

L’observatoire estrien en développement des communautés

L’observatoire estrien du développement des communautés est né d’une démarche de mobilisation entre partenaires sectoriels et intersectoriels désirant s’outiller pour améliorer la qualité de vie des gens dans leurs communautés d’appartenances. Il regroupe une quarantaine d’acteurs en développement des communautés qui proviennent de divers secteurs de chaque MRC et des réseaux locaux de services en Estrie (p. ex. établissements de santé, milieu communautaire, entreprises d’économie sociale, coopératives, municipalités, ministères, milieu universitaire). Cet observatoire couvre 121 communautés et son objectif est de faciliter et favoriser la mobilisation des individus, groupes et milieux pour améliorer la qualité de vie des individus dans leur communauté. Le croisement des savoirs entre chercheurs et praticiens est une méthode couramment utilisée à cette fin. Selon trois objectifs interdépendants (c.-à-d. contribuer aux activités de recherche et d’évaluation, stimuler l’essor de pratiques partagées, outiller les acteurs et intervenants sur le terrain pour leur donner des leviers de développement communautaire et de participation citoyenne), les gens collaborant aux activités de l’observatoire deviennent des acteurs de développement communautaire.

4ième approche: Les approches de recherche participative

Les approches de recherche participative sont des lieux de rencontres où des chercheurs, intervenants, gestionnaires, usagers et leurs proches collaborent à la réalisation d’études provenant d’un besoin issu du terrain (Larivière, Briand, & Corbière, 2014). Ces approches de recherche peuvent prendre diverses appellations selon l’origine disciplinaire du chercheur (Cousins & Chouinard, 2012). Elles font cependant appel à un même principe fondamental, celui d’impliquer toutes les parties prenantes concernées par une recherche dans les décisions qui les affectent. Outre le partage du pouvoir qui découle de cette approche, les recherches participatives se caractérisent du fait que la résolution des problèmes est communautaire (Kemmis & McTaggart, 2008). La finalité de ces recherches est de produire des connaissances scientifiques qui sont le fruit d’une rencontre entre deux visions du monde, celles de la recherche et du terrain (Larivière et coll., 2014). Cette rencontre augmente les chances que les résultats des recherches se traduisent en données concrètes et signifiantes pour les gens concernés.

En tant qu’activité, les approches de recherche participative réduisent la disjonction entre les chercheurs d’une part et les bénéficiaires de la recherche d’autre part. Elles rassemblent les acteurs d’une recherche pour les faire travailler ensemble à l’amélioration de leurs conditions de vies. Elles offrent une manière d’analyser une problématique et de proposer des actions ciblées là où il est possible d’apporter des améliorations signifiantes et durables. La recherche participative est un processus continu qui ne prend pas fin à la présentation du rapport de recherche. Pendant que le processus se déroule, la recherche se développe. Elles permettent de maintenir l’interaction entre le chercheur et les autres acteurs pour améliorer le système de manière dynamique.

Le savoir expérientiel des locataires

À l’institut universitaire de première ligne en santé et en services sociaux du CIUSSS de l’Estrie - CHUS, des chercheurs s’intéressent aux savoirs expérientiels des locataires en habitation à loyer modique (HLM) à Sherbrooke et ailleurs (Morin, Leblanc, & Vachon, 2014). L’objectif de ces recherches est de mettre en évidence les savoirs dont sont porteurs les locataires, les processus d’apprentissage et de mobilisation de ces savoirs et la manière dont ils sont valorisés par les institutions publiques. L’accent est placé sur la prise en compte de ces savoirs et sur comment ils contribuent à améliorer les conditions de vie et la capacité d’agir des locataires. La démocratisation des savoirs expérientiels permet de briser le fossé entre ceux qui pensent et ceux qui sont objets de la pensée. Le secteur HLM québécois est concerné par ces dynamiques et constitue un terrain unique pour saisir la complexité des problématiques liées à la reconnaissance des savoirs issus de l’expérience. Les résultats de plusieurs de ces recherches démontrent que les locataires, par leur participation et implication, peuvent contribuer à faire de leur milieu de vie un milieu d’opportunités et de capacitation (Clapham, Franklin, & Saugères, 2000).

5ième approche: Les approches par le milieu

Les approches par le milieu réfèrent aux démarches et interventions visant un territoire circonscrit dans un temps et un espace (p. ex. villes et villages en santé, écoles en santé, entreprises en santé). Ce type d’approche vise à agir dans un milieu précis en mobilisant les ressources qui s’y trouvent. Il s’agit d’une approche grandement utilisée en santé publique et plus particulièrement, en promotion de la santé. Les approches par le milieu considèrent les milieux comme un univers de relations et de significations complexes qui peuvent être utilisées pour améliorer les conditions de vie d’une communauté (Poland, Green, & Rootman, 2000). Dans ce type d’approche, la communauté est non seulement responsable de ses membres les plus faibles, mais également de son développement global. L’action dans les milieux ne vise pas uniquement l’individu mais la communauté dans son ensemble (Régie régionale de la santé et des services sociaux de la Mauricie et du Centre-du-Québec, 2002). Elle s’appuie sur la capacité d’une communauté à agir sur son développement en réduisant sa dépendance envers les forces extérieures. Ce type d’approche fait appel à une volonté de concertation visant l’établissement de partenariats et de réseaux d’échanges et de réciprocité. L’action permet le redéploiement des valeurs démocratiques par une pratique participative et une responsabilisation collective (INSPQ, 2002).

Le plan d’action sur l’image corporelle dans les écoles primaires et secondaires de la commission scolaire de la région de Sherbrooke

En 2010, les partenaires de l’Alliance sherbrookoise pour des jeunes en santé ont réalisé un portrait des habitudes de vies chez 13 862 parents et jeunes enfants de 4 à 17 ans fréquentant les écoles primaires et secondaires de la Commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke (CSRS). Parallèlement, des études auprès des centres de la petite enfance de l’Estrie ont été effectuées pour suréchantillonner les 0 à 5 ans. Après analyse des données, 11 feux rouges ont été priorisés pour définir des actions à entreprendre dans divers milieux de la commission scolaire. Les feux rouges étaient considérés comme des problématiques inquiétantes et interpellaient à l’action immédiate. Un feu rouge était l’insatisfaction corporelle chez les jeunes. Le CSSS de la ville de Sherbrooke a donc conçu et implanté un Plan d’action concerté pour promouvoir une image corporelle saine et prévenir les problèmes reliés au poids et à l’alimentation. Ce plan d’action, dispensé par les équipes d’infirmières en milieu scolaire, les animateurs de vie spirituelle et d’engagement communautaire et les organismes communautaires (c.-à-d. Arrimage Estrie) dans les écoles primaires (4e, 5e et 6e année) et secondaires de la CSRS a permis de mettre en place diverses interventions sociales et de santé. Des feuillets d’information, des ateliers de formation, des clips audiovisuels sur les repas en famille, ainsi que des politiques visant à accroître les déplacements à pied vers l’école ont notamment été implantés en milieu scolaire sherbrookois.

Vers une approche personnalisée qui intègre les besoins individuels et communautaires

Maintenant que diverses approches servant à répondre aux besoins spécifiques des communautés ont été identifiées (c.-à-d. approche populationnelle, approche centrée sur les forces et atouts, développement communautaire, approches de recherche participative, approches par le milieu) et qu’elles ont été déclinées au moyen d’une intervention locale, nous souhaitons les analyser à travers le prisme d’un modèle de personnalisation des services appliqué au domaine de la santé et des services sociaux (Carrier et coll., 2015). Nous souhaitons ainsi ouvrir un espace de réflexion et contribuer au champ de la personnalisation des services en l’enrichissant d’une perspective communautaire et en statuant sur cette perspective à intégrer au sein d’un modèle unique de personnalisation des services sociaux et de santé au Québec.

En utilisant le modèle de Carrier et collègues (2015) pour réfléchir aux approches identifiées par notre recension narrative des écrits scientifiques, nous faisons différents constats (Tableau 2). D’abord, la perspective communautaire que nous souhaitons intégrer à un modèle unique de personnalisation des services sociaux et de santé aborde peu la dimension de l’évaluation de la différence (c.-à-d. la mesure des effets produits par les services dans la vie des gens). Seulement deux approches identifiées abordent cette dimension du cadre théorique utilisé. Par ailleurs, les approches qui traitent de cette dimension (c.-à-d. approches centrées sur les forces et atouts, développement communautaire) le font peu. Il faut donc encourager le développement d’une culture qui mesure les effets que produisent les interventions et services répondant aux besoins des communautés. Les équipes d’évaluation de programme dans les directions régionales de santé publique, ainsi que les unités d’évaluation des technologies et des modes d’interventions en santé et services sociaux dans les CISSS et CIUSSS du Québec sont à notre avis capables de contribuer à cet égard.

Tableau 2

Analyse des approches issues de la recension narrative des écrits scientifique et servant à identifier des besoins communautaires à travers les dimensions et logiques du modèle de Carrier et collègues (2015)

Analyse des approches issues de la recension narrative des écrits scientifique et servant à identifier des besoins communautaires à travers les dimensions et logiques du modèle de Carrier et collègues (2015)

Note. +++ = Dimension ou logique majeure de l’approche; ++ = Dimension ou logique moyennement concernée par l’approche; + = Dimension ou logique peu concernée par l’approche.

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Les dimensions du modèle de Carrier et collègues (2015) portant sur la coproduction et sur la valorisation des savoirs expérientiels sont beaucoup mieux représentées par les approches issues de notre recension narrative et servant à identifier les besoins des communautés. La considération des savoirs communautaires et l’implication active des communautés dans le développement d’interventions étant des caractéristiques du domaine de la santé publique. Ceci dit, nous pensons que la définition des besoins d’une communauté lors de l’élaboration d’une intervention sociale ou de santé reste trop teintée par l’analyse secondaire de données sociosanitaires quantitatives et individuelles. Une réelle perspective communautaire permettant de personnaliser les services sociaux et de santé doit pouvoir trouver le moyen de pondérer ces données individuelles de surveillance à l’échelle d’une communauté entière. Comme dans bon nombre de secteurs scientifiques, la perception de la réalité est souvent plus importante que la réalité elle-même. Y aurait-il lieu d’inclure des acteurs-terrain (c.-à-d. organisateurs communautaires, travailleurs sociaux) ou des représentants de tables de concertations locales dans les équipes de surveillance des directions régionales de santé publique ? Une telle expérimentation serait riche d’information et permettrait de rapprocher les acteurs de la santé publique et ceux des services sociaux.

Nous constatons que la perspective communautaire à laquelle nous réfléchissons en est surtout une d’intervention. Les logiques de gestion et de programmation (deux logiques d’actions du cadre théorique de Carrier et coll., 2015) étant moins présentes dans les approches identifiées par notre recension narrative. Bien qu’une logique d’intervention soit fondamentale à tout effort de personnalisation des services sociaux et de santé, il faut néanmoins trouver une solution pour mieux intégrer les logiques de gestion et de programmation dans la coproduction de services communautaires. Seule l’approche populationnelle semble aller en ce sens puisqu’elle est transversale aux programmes-services des CISSS et des CIUSSS au Québec. Les autres approches identifiées doivent aussi pouvoir intégrer l’ensemble des directions et organigrammes du réseau de la santé et des services sociaux. Bien que cela soit difficile dans un contexte post-réforme, il y a de belles opportunités à saisir. Les directions régionales de santé publique qui autrefois occupaient le palier régional de l’organigramme ministériel sont désormais situées au palier local dû à l’adoption de la Loi 10. Elles se retrouvent donc plus près des communautés qu’elles doivent desservir, en plus d’avoir accès aux ressources d’organisateurs communautaires autrefois gérées par les CSSS. Il s’agit là de deux leviers forts intéressant à exploiter. Deux leviers qui encore une fois pointent vers un rapprochement des intervenants qui travaillent dans le secteur du service social et dans le domaine de la santé publique.

Relier les individus à leur communauté d’appartenance dans un modèle intégré de personnalisation des services qui tient compte des besoins individuels et communautaires

La perspective communautaire dont nous traitons dans ce texte doit se superposer à la perspective plus individuelle du modèle de personnalisation des services de Carrier et collègues (2015). Le modèle 2.0 qui en découlera doit aussi prévoir un passage pour relier les individus à leur communauté d’appartenance. C’est ce vortex reliant les individus à leur communauté qui permettra l’intégration des perspectives communautaires et individuelles au sein d’un seul et unique modèle de personnalisation des services sociaux et de santé. Or, nous croyons qu’une fonction essentielle de la santé publique (c.-à-d. promotion de la santé) est naturellement équipée pour ouvrir ce passage de l’individuel au collectif. Les initiatives locales présentées dans ce texte et les approches qui y sont décrites cherchent, tout comme la personnalisation des services le fait à une échelle plus individuelle, à placer les communautés au centre d’un processus visant à augmenter le contrôle que celles-ci exercent sur leur environnement. En ce sens, l’autonomisation, le mécanisme fondamental de la promotion de la santé (Organisation mondiale de la Santé, 1986) devient un moteur de personnalisation des services reliant les individus à leurs communautés d’appartenance. Pour activer ce processus d’autonomisation et enclencher une culture de personnalisation des services à l’échelle communautaire, il faut que les individus, dans leurs communautés respectives, disposent de ressources et de leviers.

À cet égard, le modèle des actifs de santé de l’Organisation mondiale de la Santé (Morgan & Ziglio, 2007) est prometteur. Il soutient que le domaine de la santé publique est trop souvent basé sur des théories et concepts qui envisagent le bien-être par des déficits plutôt que des actifs. Bien qu’il s’agisse d’une manière adéquate pour identifier des problèmes (et donc des besoins), c’est aussi une démarche insuffisante qui implique un risque de dépendance à des services de plus en plus limités. Il faut rétablir l’équilibre entre les actifs et les passifs dans le réseau de la santé et des services sociaux. Morgan et Ziglio (2007) proposent de faire appel à la perspective salutogénique qui regroupe l’ensemble des approches positives en santé et services sociaux. Ces approches cherchent à comprendre pourquoi certaines personnes sont en santé alors que d’autres, dans de mêmes circonstances, ne le sont pas (Roy & O’Neill, 2012). À l’aide de ces approches positives qui visent l’utilisation de ressources, capacités et possibilités (c.-à-d. les actifs de santé et de bien-être), les individus, dans leurs communautés, activent un processus d’autonomisation qui est préalable à la personnalisation des services à l’échelle des communautés.

Encore faut-il que les communautés connaissent les actifs dont elles disposent. Voilà vers quoi les équipes de surveillance des directions régionales de santé publique, en collaboration étroite avec les professionnels du secteur du travail social, doivent se tourner pour enclencher un processus d’autonomisation communautaire et ouvrir le passage de l’individuel au collectif dans un modèle intégré de personnalisation des services sociaux et de santé. En faisant l’inventaire des actifs de santé et de bien-être dont disposent les individus, dans leurs communautés, une personnalisation des services communautaires pour répondre aux besoins spécifiques des communautés sera possible.

Conclusion

Dans ce texte, nous faisons le constat que le champ de la personnalisation s’est surtout développé autour d’une perspective individuelle de production de services sociaux et de santé. Une recension narrative des écrits scientifiques nous a permis d’identifier cinq approches utilisées en santé publique et servant à la co-production des services communautaires. Ces approches qui répondent aux besoins spécifiques des communautés contribuent au développement d’une perspective communautaire qu’il faut intégrer dans un modèle 2.0 de personnalisation des services sociaux et de santé. Ces perspectives individuelles et communautaires doivent aussi pouvoir communiquer au moyen d’un passage reliant les individus à leur communauté d’appartenance. Pour nous, la fonction promotion de la santé en santé publique semble être toute désignée pour activer le processus d’autonomisation préalable à une personnalisation des services sociaux et de santé à l’échelle des communautés.