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Les approches d’intervention en toxicomanie sont en perpétuel développement. Les drogues utilisées évoluent, les toxicomanies aussi. Conséquemment, les objectifs de traitement s’adaptent et évoluent. Aussi, bien que l’abstinence demeure, la réduction des méfaits est maintenant présente dans plusieurs centres de réadaptation. De plus, les professionnels des sciences humaines impliqués dans l’intervention possèdent bien souvent des formations et des valeurs différentes, utilisant donc des approches diversifiées ; dans ce contexte, le travail d’équipe devient souvent un art à développer. L’intervention en toxicomanie utilisant une médication de substitution place donc les intervenants devant un défi encore plus grand puisqu’il implique davantage de professionnels provenant de domaines d’intervention différents. Ainsi, en plus des professionnels offrant le volet psychosocial du traitement, des professionnels du domaine médical, médecins et infirmiers, et parfois même de la pharmaceutique se grefferont à l’équipe de travail. Dans le présent article, nous tentons de définir les paramètres du traitement de substitution avec méthadone au Québec et exposons certains des défis liés tant aux objectifs qu’aux approches.

Le médicament

Les traitements de substitution se sont multipliés au cours des dernières années dans le domaine de la toxicomanie. Le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a fait de l’accessibilité au traitement de substitution une priorité dans son plan d’action 1999-2001 (19). Il s’agit du traitement en toxicomanie le plus documenté en ce qui concerne les drogues illicites et l’on a démontré son efficacité dans plusieurs contextes culturels différents (17, 18). Sa popularité a aussi été rehaussée par l’intermédiaire de l’approche de la réduction des méfaits, et ce, surtout auprès des héroïnomanes. En effet, le traitement réduit les risques infectieux en entraînant une diminution de la toxicomanie et une amélioration des comportements d’injection (17, 32, 37, 39).

La substitution consiste à proposer un produit de remplacement qui pénètre progressivement dans l’organisme, qui ne produit pas de sensation euphorisante et qui maintient le consommateur dans un état fonctionnel. Le médicament de substitution le plus connu est certainement la méthadone, un opioïde synthétisé par les Allemands durant la Deuxième Guerre mondiale et utilisé alors comme analgésique pour les soldats blessés (18). La méthadone sert de produit de substitution pour les opiacés depuis plus de 40 ans (23, 37).

Les pionniers dans l’utilisation de la méthadone comme médicament de substitution furent Dole et Nyswander en 1965, qui définissaient la toxicomanie comme un problème métabolique (15). Le phénomène de la dépendance aux opiacés est simple à expliquer : souvent utilisés sous la forme d’héroïne dans le contexte de la consommation illicite, ils procurent une sensation d’euphorie et de bien-être. Lorsque ces substances occupent les récepteurs d’opiacés dans le cerveau, les endorphines naturelles ne jouent plus leur rôle, le cerveau cesse d’en fabriquer, et ce, en l’espace de quelques semaines. L’arrêt des opiacés entraîne donc des symptômes de sevrage qui persistent jusqu’à ce que les cellules cérébrales synthétisent de nouveau leurs endorphines (12, 18, 37). Ces symptômes de sevrage disparaissent si l’on réadministre des opiacés, d’où le recours à des médicaments de substitution.

Les opiacés ne sont pas les seules drogues pour lesquelles un médicament de substitution peut être proposé, mais ils semblent actuellement les plus populaires en traitement de substitution (17). La méthadone est un médicament qui est ingéré par voie orale ; sa demi-vie à l’état stable est de 24 à 36 heures, elle ne procure généralement pas d’euphorie et diminue beaucoup le désir de consommer en occupant tous les récepteurs cérébraux, bloquant ainsi les effets euphorisants des opiacés (8, 11, 12, 18).

Ce médicament est très souvent prescrit à un dosage hautement individualisé afin de contrôler les manifestations du manque et de bloquer les effets euphorisants de l’héroïne (8, 18, 32) ; il vise à diminuer le désir de consommer sans pour autant provoquer de la somnolence ou de la léthargie (2, 12). Un dosage trop élevé entraînera d’abord une légère euphorie, puis de la somnolence et des nausées (2). Les effets secondaires tels que la constipation, les sueurs abondantes, le gain de poids, la rétention d’eau, l’impuissance chez l’homme et l’anorgasmie chez la femme sont courants chez les utilisateurs (2, 11, 12, 18, 30). Puisqu’une grande majorité des personnes bénéficiant de ce traitement semble incapable de se sevrer de la méthadone sans rechuter dans les drogues illicites (18, 37), la dépendance à la méthadone est devenue acceptable. Il n’y a pas de contre-indication à utiliser la méthadone pendant une longue période de temps. Plusieurs recherches scientifiques insistent sur le fait que les traitements de substitution avec méthadone obtiennent de meilleurs résultats à plus long terme (18, 30, 37).

Le médicament de substitution sera considéré de façon bien différente dépendant du contexte dans lequel il est utilisé. Certains traitements inspirés d’un modèle européen seront davantage axés sur la réduction des méfaits et sur la médicalisation des problèmes sociaux (37). D’autres traitements, conçus selon un modèle plus américain, seront particulièrement conservateurs et proposeront un cadre d’intervention plus rigide accompagné d’une réglementation restrictive davantage axée sur l’abstinence (35, 37).

Au Québec, plusieurs modalités de traitement de substitution seront disponibles, s’inspirant tantôt du modèle européen, tantôt du modèle américain, selon les choix des professionnels et leur conception de la toxicomanie ; le contexte de réadaptation actuel soutient davantage une définition multifactorielle de la toxicomanie (19). Les définitions du traitement de substitution diffèrent donc largement de la définition métabolique de la toxicomanie aux opiacés que supportaient ses fondateurs, Dole et Nyswander (37). Par exemple, Mino (1995) décrit la méthadone comme un médicament « permettant aux patients de tirer un profit maximal des appuis psychosociaux qui font partie intégrante du traitement » (p. 238). D’autres auteurs parlent de l’effet de déconditionnement associé à l’usage du médicament de substitution par l’absence d’effet de l’héroïne (21). Ce médicament fournit l’espace pour « nommer le ressenti comme autre chose que lié à la drogue » (Gibier, 1997, p. 32). Le médicament à lui seul ne fait rien pour découvrir les motifs du début de la toxicomanie. Il ne fait pas disparaître de façon permanente les symptômes de sevrage ; il ne fait que remplacer un produit par un autre (23, 37). Si une personne utilise un médicament de substitution mais qu’inconsciemment, elle recherche l’arrêt de la mentalisation (craving), ou si elle souffre d’une psychopathologie, la substitution sera peu efficace (22). Les soins éducatifs et psychiques demeurent donc importants.

Les professionnels impliqués

Les centres de réhabilitation en toxicomanie sont majoritairement composés de professionnels des sciences humaines offrant principalement des services psychosociaux. Les traitements de substitution avec méthadone ont comme particularité de faire appel à l’intervention de plusieurs acteurs de professions différentes, où les porteurs du volet psychosocial n’occupent pas nécessairement la place centrale.

C’est évidemment le volet médical qui est au coeur du traitement puisque celui-ci implique d’abord la prescription d’un médicament. Les professionnels de ce volet, les médecins et les infirmiers, retiendront donc plus souvent l’attention du toxicomane en début de traitement, car ils fournissent l’objet principal de la demande, la méthadone. Ils profitent de ces contacts avec le toxicomane pour lui offrir aussi différents soins de santé.

Avec le temps, le patient perçoit généralement les limites de la méthadone, et la demande se transforme et se façonne tranquillement avec l’aide du professionnel du volet psychosocial (18, 28). Il arrive également que le médecin se serve de l’alliance qu’il a développée avec le patient autour de la méthadone pour l’inviter à communiquer avec un intervenant psychosocial même s’il n’en éprouve pas le besoin (41). Les tâches de cet intervenant sont variables : des rencontres informelles ou régulières, des prises en charge strictement sociales ou de type psychothérapeutique, du travail de groupe ou individuel, constitueront l’arsenal de ce professionnel. Plusieurs recherches scientifiques soulignent les résultats positivement significatifs entourant la diminution de la consommation de l’héroïne et de la cocaïne ainsi que de la diminution des actes criminels, lorsque les services psychosociaux interviennent dans le traitement (17, 18, 31, 32, 39). Malheureusement, la présence de ce volet augmente les coûts reliés au traitement et diminue par le fait même son accessibilité (25), laquelle est déjà amplement réduite par un manque notoire de médecins prescripteurs (11). Il est important de souligner que conformément à l’article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, une exemption du ministre fédéral de la Santé est nécessaire pour prescrire la méthadone (11).

Un quatrième professionnel participant au traitement et qui, au Québec du moins, se situe à l’extérieur du centre de traitement, est le pharmacien. Son rôle ne se limite pas à la préparation et à la dispensation de la méthadone ; il est en contact quotidien avec le patient et participe ainsi, parfois malgré lui, au maintien du cadre thérapeutique (20, 28).

Tous ces professionnels travaillent ensemble autour des mêmes patients afin d’optimiser les effets bénéfiques du traitement de substitution (23, 27). En effet, le traitement se révèle plus efficace lorsque le volet psychosocial est présent et offert sur le même site que le volet médical, lorsqu’une philosophie de traitement à long terme est proposée, que les doses de méthadone sont adéquates et que les équipes de professionnels sont stables et chaleureuses (32, 33). Plus les conditions de vie et de santé du patient sont détériorées, plus les chances qu’il bénéficie du traitement sont mitigées (22, 33).

Ces professionnels partagent la responsabilité de l’efficacité du traitement et participent selon leurs compétences à une démarche visant un objectif commun. Le travail d’équipe permet une approche beaucoup plus fine de la réalité du patient. Les recherches scientifiques ne remettent plus en question l’efficacité en soi du traitement avec méthadone ; l’enjeu est maintenant de savoir quelle modalité de traitement est nécessaire et suffisante, et pour qui, comment et à quel moment (33).

Les modalités d’intervention

En 1966, la disparition progressive de l’influence des représentants de la religion en toxicomanie au Québec a cédé la place à la mise sur pied de l’OPTAT (Office de la prévention et du traitement de l’alcoolisme et des toxicomanies) (5). L’OPTAT projetait d’unifier les ressources privées et publiques engagées dans le domaine et travaillait à promouvoir le traitement des toxicomanies en matière de traitement, de prévention, d’éducation et d’information. L’avènement des CLSC et le désir du gouvernement de ne pas coexister avec une structure parallèle amenèrent le démantèlement de l’OPTAT en 1975. La disparition de l’OPTAT créa un vide, particulièrement chez les médecins, qui sont restés par la suite étrangers aux développements du secteur des toxicomanies (5). Les modalités d’intervention en vogue étaient alors l’approche psychosociale ainsi que le mouvement des Alcooliques Anonymes (5, 28).

Les modalités d’intervention du traitement avec méthadone se sont ensuite particulièrement développées au Québec dans les années 1980 dans le cadre de ce que Rosenbaum appelle une « entreprise de démédicalisation du processus de traitement » au profit d’arguments moraux (6, 28, 37). La méthadone n’avait jusqu’alors été prescrite que pour un nombre infime d’usagers, par un petit nombre de médecins pratiquant en clinique privée ou en établissement public (28). C’est ainsi qu’en 1985, la première clinique publique offrant un traitement à la méthadone, le Centre de recherche et d’aide aux narcomanes (CRAN), ouvrait ses portes (5, 6, 28). Aucun des centres de réadaptation publics au Québec ne proposaient de services pour intégrer les héroïnomanes sous méthadone au reste de leur clientèle, leur conception de la toxicomanie et de la réadaptation ne laissant aucune place à l’utilisation de médicaments de substitution (4, 28). La méthadone était alors perçue comme une autre drogue que l’on fournit aux toxicomanes, et non comme un médicament permettant de réduire les méfaits (6, 37).

Les modalités d’intervention avec méthadone se sont donc développées à l’extérieur du réseau des centres de réadaptation pour toxicomanes. Ces traitements avec méthadone proposaient souvent des modalités d’intervention de durée limitée, à l’intérieur de normes de pratique très restrictives (6, 28, 37). De nombreux efforts ont été déployés par la suite afin de freiner l’épidémie du sida en donnant accès au traitement à un nombre optimal de toxicomanes au moyen d’une variété de modalités d’intervention.

Cousineau et Gariépy (2000) différencient d’abord les modalités de sevrage des modalités de maintien avec méthadone. Le sevrage avec méthadone est présenté comme un outil thérapeutique intéressant puisqu’il permet de retenir la clientèle en traitement ambulatoire pendant quelques semaines. Il repose sur la présomption que le patient pourra rester abstinent à la fin du traitement (4). Il est également offert aux personnes pour qui un maintien serait plus approprié, mais qui refusent cette option ou n’y ont pas accès. Bien que cette intervention brève ne semble pas susceptible d’induire une abstinence prolongée, elle diminue la détresse associée à l’usage chronique d’opiacés et procure un répit à l’usager ainsi qu’à son entourage (4, 28). En ce qui concerne les modalités de maintien, elles reposent sur l’hypothèse que la production d’endorphines devient déficiente dans le cerveau pour une période de quelques semaines, voire quelques années (12).

Gibier (1997) présente deux modalités de maintien avec méthadone qu’il nomme haut seuil et bas seuil. Les deux modalités incluent une délivrance et une prise de la méthadone contrôlées. L’auteur définit la première par une prescription individualisée, une prise quotidienne de la médication, plusieurs dépistages urinaires et une équipe pluridisciplinaire visant des objectifs de soins. Le bas seuil d’exigences se distingue par une prescription standardisée, une prise de la médication qui n’est pas nécessairement quotidienne, un seul dépistage urinaire en début de traitement et une équipe dite « de contact » visant des objectifs de gestion du manque. Au Québec, le bas seuil permet d’obtenir une prescription individualisée, mais il se démarque du haut seuil par l’absence de gestion de la médication ; les usagers doivent se procurer leur médication à la pharmacie tous les jours, et ce, pendant toute la durée du traitement (9).

Le bas seuil demeure pertinent dans la mesure où s’il n’existe pas, il se crée dans l’illégalité (21). Les différences entre le haut et le bas seuil sont d’abord techniques, mais se retrouvent également dans l’intentionnalité du prescripteur et dans les besoins de la clientèle. Ainsi, le bas seuil visera une prise en charge en vue de la réduction des méfaits, et le haut seuil, en vue de l’abstinence ou de son intentionnalité, ou à tout le moins d’une intention de changement (21).

Le tableau suivant illustre les différentes modalités de traitement utilisées au Québec ainsi que quelques-unes de leurs caractéristiques (3).

Les modalités d’intervention

Les modalités d’intervention

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Différentes modalités sont disponibles selon le moment et les circonstances de toxicomanie dans lesquelles les patients se trouvent, ainsi que les projets immédiats qui les habitent (26, 28). D’autres auteurs proposent la prescription d’héroïne ou d’autres produits pour les clientèles non intéressées par les traitements de substitution avec méthadone ou chez qui ces traitements ont échoué (18). Le défi lié à ces différentes modalités d’intervention est de les intégrer dans une même continuité de services thérapeutiques, de faire en sorte qu’elles se complètent et non qu’elles s’opposent en bonne et mauvaise substitution.

Les objectifs de santé publique et la réadaptation

Développer une vision commune avec d’autres personnes par rapport à des orientations et des objectifs implique souvent de modifier sa pratique habituelle. Trouver un accord sur les objectifs de travail relève donc davantage des concessions que des consensus (40). Par exemple, chacun des professionnels constituant l’équipe d’un traitement de substitution possède sa propre culture, sa propre conception de la toxicomanie et des problématiques associées. Le terme même de « toxicomanie » sera abordé de différentes façons selon l’appartenance des professionnels. Ceux du volet médical la définiront comme une maladie chronique récidivante, une pathologie cérébrale (24) ; le but de leurs interventions sera donc d’éliminer le symptôme de dépendance à une substance psychotrope. Les professionnels du volet psychosocial aborderont plutôt la toxicomanie comme une difficulté d’adaptation ; leur but sera de travailler autour du symptôme qu’est la dépendance. Des conceptions aussi différentes du phénomène de la toxicomanie influenceront éventuellement la façon de l’analyser et de le traiter. Le travail d’équipe interdisciplinaire relatif au traitement de substitution exige donc de concilier de grandes divergences idéologiques (40).

Le choix d’objectifs relevant davantage de la santé publique que de la réadaptation constitue une autre exigence. Les traitements de substitution avec méthadone qui adoptant des objectifs de réadaptation sont davantage centrés sur la psychothérapie, la réinsertion sociale et professionnelle (10). Ils sont reconnus pour augmenter la fidélité au traitement, améliorer la santé des usagers, diminuer la consommation de drogues illégales, et réduire, de façon moins significative, les activités criminelles (vol, fraude, prostitution) (1, 17, 27). Il a été démontré que la méthadone seule n’est efficace que pour un nombre minimal de patients et que la présence d’une intervention psychosociale augmente les aboutissements du traitement, peu importe la modalité de traitement offerte et la trajectoire du patient (31, 33). L’effet sida des années 1990 a renversé les priorités et les objectifs des traitements en priorisant la lutte contre la propagation de la maladie auprès des héroïnomanes avant de chercher à les soigner de leur toxicomanie (13, 37, 41). Les professionnels du volet psychosocial travaillant dans les centres de réadaptation ont de ce fait appris à moduler leurs interventions en fonction des besoins particuliers de cette clientèle très hétérogène et de la modalité de traitement dans laquelle elles s’insèrent (33). Ainsi, les traitements de substitution avec méthadone ont été intégrés dans un modèle hygiéniste de santé publique qui défendait de nouvelles politiques axées sur une réduction des méfaits.

La santé publique vise des objectifs de prise en charge des intérêts sanitaires et sociaux des populations (14, 16). Ainsi, par des traitements avec méthadone, la santé publique vise une humanisation de la prise en charge sociosanitaire des héroïnomanes. Plus largement, la santé publique adopte toute mesure visant à offrir aux toxicomanes une alternative à la seringue (13). Les traitements avec méthadone comportant des objectifs de réadaptation atteignent largement les objectifs de santé publique, puisque la baisse de la consommation entraîne la diminution, sinon l’abandon de l’usage de la seringue, donc la prévention de la séroconversion au VIH parmi les toxicomanes et, par conséquent, dans l’ensemble de la population (1, 17, 37).

Les objectifs semblent donc complémentaires dans le sens que la réadaptation devient en quelque sorte l’extension de la santé publique. Si, dans ce dernier cas, la santé publique vise à limiter l’incidence d’un problème par la prévention spécifique de celui-ci, elle se joint à la réadaptation en tentant de limiter la prévalence et les conséquences de ce problème (7). Les différentes modalités de traitement avec méthadone se retrouvent donc sur un continuum d’interventions où chaque modalité a sa place et son importance. Ainsi, sans être en opposition, les interventions des professionnels sont simplement différentes selon l’objectif privilégié.

Parmi les professionnels en cause, ceux du volet médical du traitement de substitution sont probablement les plus concernés par les objectifs de santé publique. Les personnes dépendantes des opiacés possèdent un risque de mortalité 12 fois plus élevé que le reste de la population, et les mortalités reliées aux opiacés sont 9 fois plus élevées qu’il y a 20 ans (23). Le traitement de substitution avec méthadone devient donc un choix intéressant pour le médecin ou l’infirmier qui désirent cette problématique. L’avantage des traitements comportant des objectifs de santé publique est d’apporter des réponses concrètes aux usagers et de donner des résultats incontestables et facilement évaluables (16). Les structures adoptant de tels objectifs peuvent également se prévaloir de toucher un nombre considérablement plus important d’usagers que les institutions de réadaptation.

Les intervenants psychosociaux impliqués dans ces traitements se transforment habilement en distributeurs de tout genre de matériel tel que seringues, préservatifs, dépliants et café. Leurs modes d’action tendent généralement à se diversifier au profit d’autres besoins qui dépassent le domaine de la santé publique et qui sont tout aussi importants. Il apparaît que les difficultés des usagers s’accompagnent presque toujours de problèmes sociaux qui doivent être pris en charge simultanément et même parfois préalablement à ceux touchant leur santé (16, 36). Les difficultés de la clientèle s’expliquent souvent par la marginalisation, par des comportements irréfléchis ou des situations de crise. Les intervenants psychosociaux doivent favoriser et multiplier les occasions d’être en contact afin de soutenir les liens établis et d’offrir leur aide. Les services d’accompagnement dans le milieu de vie, de promotion sociale et de référence vers les ressources appropriées sont personnalisés et permettent de créer une ouverture vers la réintégration sociale (38).

Le traitement de substitution avec méthadone apporte des bénéfices tant dans le domaine de la santé publique que chez la personne toxicomane elle-même (17). Le choix d’élaborer, en équipe multidisciplinaire visant l’interdisciplinarité, des objectifs de travail précis, relève certainement de la négociation et de la patience.

La réduction des méfaits

L’approche de réduction des méfaits est définie comme une approche centrée sur la diminution des conséquences néfastes de l’usage des drogues plutôt que sur l’élimination de leur usage (Brisson, 1997). Elle implique une attitude de tolérance à l’endroit de la consommation des drogues illégales plutôt qu’une philosophie de l’abstention (10, 29). Son efficacité repose sur une continuité des soins ainsi que sur la variété d’interventions disponibles et proposées (16, 29). Si, pour une grande majorité de professionnels, la réduction des méfaits n’est qu’un ensemble d’actions à visée pragmatique destiné à améliorer la santé et les conditions d’existence des toxicomanes, elle représente également une véritable philosophie d’intervention en toxicomanie (6, 16).

Les traitements de substitution avec méthadone s’insèrent parfois avec difficulté dans l’approche de la réduction des méfaits. Idéalement, dans un premier temps, le toxicomane pourrait tranquillement renoncer à l’injection même s’il n’est pas prêt à renoncer à la drogue (34). Le traitement aurait alors l’avantage d’aider l’usager à réduire les risques, tout en modifiant son rapport au produit et en lui laissant le temps de construire les supports affectifs et sociaux nécessaires au changement. Malheureusement, certains usagers utilisent les traitements de substitution avec méthadone comme un moyen d’accès à un produit qui leur permet de continuer à consommer de l’héroïne d’une manière raisonnable, contrôlée, sans danger et de manière sanitaire (17, 26). Est-ce un échec du traitement de substitution ? Est-ce un échec de l’approche de la réduction des méfaits ? Est-ce un échec de l’encadrement proposé ? Est-ce un échec ?

Lorsqu’elle est distribuée sans contrôle et sans assistance médico-psycho-sociale suffisante, lorsque l’aspect multidisciplinaire du service est abandonné, la méthadone seule ne donne que peu de résultats (23, 25, 31, 36). En effet, des traitements sans encadrement et sans logique de soins partagés par les professionnels peuvent donner une réponse passive et standardisée qui minimise la relation interpersonnelle entre l’usager et le soignant (16). Si la réduction des méfaits amène de nouvelles perspectives ainsi que des méthodes de travail plus souples et indulgentes, elle n’aura par contre aucune portée si elle ne s’insère pas dans une logique de soins intégrant l’ensemble des services offerts par les professionnels (23). Cette logique de soin doit valoriser le lien avec la personne, un lieu pour réfléchir, pour faire confiance, pour développer le désir d’un changement. C’est souvent par un lien qu’a débuté la souffrance du toxicomane ; c’est souvent par un autre qu’il pourra développer l’espoir d’un mieux-être. La question n’est sans doute pas d’être pour ou contre la réduction des méfaits, mais de se demander ce que l’on fait avec un patient plus enclin à se faire quelque chose qu’à faire quelque chose pour lui (Nominé, 1995).

La réduction des méfaits soulève également une autre difficulté dans son application puisqu’elle peut être envisagée en tant que moyen et en tant que finalité. Toutes les actions entreprises en toxicomanie ont nécessairement comme finalité la réduction des méfaits, c’est-à-dire une action contre les conséquences négatives associées à l’usage des drogues (6). La réduction des méfaits en tant que moyen fait référence aux actions prises dans un contexte où la consommation est maintenue, se poursuit, est tolérée (6, 29). Des moyens de réduction des méfaits n’empêchent pas d’avoir l’abstinence comme objectif à long terme.

Dans ce sens, un organisme visant des objectifs de santé publique devrait adopter la réduction des méfaits en tant que finalité et viser principalement à réduire les conséquences négatives de l’usage. Les stratégies de réduction des méfaits adoptées par la santé publique sont développées pour les personnes qui continuent de consommer (29). Par contre, un centre de réadaptation offrant un traitement de substitution devrait privilégier l’approche de réduction des méfaits en tant que moyen et adopter une attitude de tolérance face à la consommation tout au long de la démarche du patient. L’approche de réduction des méfaits inclut ainsi plusieurs modalités d’intervention pouvant viser ou non une finalité d’abstinence.

Synthèse

Les centres offrant des traitements de substitution avec méthadone au Québec ont su développer une expertise et des services de qualité durant les dernières années. Bien que le problème de l’accessibilité à ce type de service persiste, toutes les conditions semblent réunies pour qu’on puisse envisager un développement des traitements de substitution sur une plus grande échelle. Si l’efficacité des traitements de substitution avec méthadone est reconnue, il restera toujours à définir localement les conditions optimales et les objectifs des différentes modalités d’intervention. Les objectifs de santé publique visant une accessibilité maximale au traitement de substitution avec méthadone ont leur place, tout comme les objectifs spécifiques et plus coûteux de la réadaptation. L’intégration des différentes modalités de traitement sur un même continuum de services demeure une nécessité, particulièrement en ces temps de pénurie d’accessibilité. L’actualisation des concepts de la réduction des méfaits dans le cadre du traitement avec méthadone se poursuit et laisse entrevoir des innovations créatrices et prometteuses. Le développement d’une approche interdisciplinaire mieux définie, regroupant davantage l’expertise des divers professionnels impliqués dans le traitement de substitution, devrait permettre de diminuer le rapport coût/efficacité d’une duplication des services, tout en générant une approche beaucoup plus fine et mieux adaptée à la réalité de l’usager.