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Introduction

Bien que l’utilisation du cannabis à des fins médicales ait été documentée depuis des millénaires, le Canada ne s’est intéressé à la recherche sur ce sujet que récemment. Le gouvernement canadien a signé une première convention des Nations Unies sur les narcotiques en 1961, puis une autre en 1971 (International Narcotics Control Board, 2003). Dans le cadre de ces conventions, le cannabis et ses dérivés sont inscrits sur la liste des narcotiques (liste 1), ce qui signifie qu’ils ne sont d’aucune valeur « acceptée » en médecine, qu’ils sont dangereux même sous supervision médicale et qu’ils ont une haute probabilité d’être utilisés comme drogues d’abus. Les choses n’en sont pas restées là puisqu’en 1999, lors d’un procès marquant en Ontario, un juge a décidé qu’un homme atteint du sida était dans son droit de réclamer l’utilisation de cannabis pour des raisons médicales (Wakeford vs The Queen, 1999). Le gouvernement canadien a alors été forcé de reconnaître que les utilisateurs de cannabis à des fins médicales ne devraient pas faire l’objet de poursuites, et il a utilisé une clause – l’article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances – qui confère au ministre fédéral de la Santé le pouvoir discrétionnaire d’accorder de telles exemptions à des fins médicales (Santé Canada, 1999b). La Cour d’appel d’Ontario a ensuite décrété que ce processus n’était pas adéquat et que c’était donner au ministre un pouvoir arbitraire qui devrait revenir au médecin du patient (R.v. Parker, 2000). Une année plus tard, le 30 juillet 2001, on a introduit le Règlement sur l’accès à la marijuana à des fins médicales (RAAM), qui permet au patient de faire appel à l’exemption de poursuites avec l’aide d’un ou de deux médecins (Santé Canada, 2002). En dépit de consultations publiques préalables, ces nouvelles décisions ont été jugées inacceptables par les patients, les médecins traitants et les organisations médicales professionnelles : le RAAM a certes permis d’échapper à des poursuites judiciaires, mais il n’a pas pris en considération le problème de l’approvisionnement en une marijuana contrôlée et de qualité. En janvier 2003, la Cour de l’Ontario a donné six mois à Santé Canada pour corriger un manque constitutionnel, à savoir l’absence d’approvisionnement légal de cannabis pour les utilisateurs autorisés. Santé Canada a répondu en juillet 2003 par une série de mesures intérimaires qui sont encore en application. Elles autorisent les patients à acheter de la marijuana auprès de Santé Canada ; la substance est envoyée au médecin traitant, qui la distribue aux patients. Ces mesures provisoires ont été prises sans consultation publique. De plus, en juillet, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la décision de janvier 2003 et a effectué d’autres modifications au RAAM. Des nouveaux règlements étaient mis en place en Décembre 2003 (Santé Canada, 2003). Ces règlements étaient changés pour permettre à la demande d’un patient atteint d’une maladie chronique, comme la douleur neuropathique, d’être accompagnée de la signature d’un seul médecin, au lieu de deux comme auparavant. Le gouvernement peut aussi distribuer la marijuana directement aux patients autorisés.

Au moment de la mise en place de l’article 56, un plan de recherche a été lancé à travers le Canada, selon lequel on rend disponibles 7,5 millions de dollars (répartis sur cinq ans) pour la recherche médicale sur le cannabis (Santé Canada, 1999a). Intitulé Programme de recherche sur l’utilisation de la marijuana à des fins médicales (PRUMFM), il a été pris en charge par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) en partenariat avec Santé Canada. De plus, en décembre 2001, Prairie Plant Systems Inc. recevait le mandat de produire du cannabis pour le gouvernement fédéral, un cannabis de haute qualité et standardisé, et ce, afin que l’on puisse mener des recherches (Santé Canada, 2000). Parallèlement, en juin 1999, un groupe de recherche de la communauté de Toronto recevait un fonds de subvention de 2,5 millions de dollars (réduits dans un deuxième temps à 840 000 $) pour analyser les effets du cannabis sur les personnes atteintes du sida (Santé Canada, 2001). Par la suite, en juillet 2001, 235 000 $ étaient accordés dans le cadre du PRUMFM à une étude pilote (Ware et coll.) évaluant les effets du cannabis fumé sur la douleur neuropathique chronique (McGill, 2001). En janvier 2003, Santé Canada a également lancé l’Initiative d’étude ouverte sur l’innocuité de la marijuana (IEOIM) pour encourager le suivi à long terme des usagers de cannabis à des fins médicales (Instituts de recherche en santé du Canada, 2003). Une étude multicentrique (sept centres) a reçu récemment du financement dans le cadre de cette initiative (Ware et coll., non publiée). Enfin, une proposition vient d’être faite en vue de la réalisation d’essais cliniques sous contrat plutôt que sous la supervision des agences de financement nationales.

Il y a donc clairement une volonté politique de voir se développer des recherches médicales sur le cannabis au Canada.

Les cannabinoïdes et le traitement de la douleur

Le rôle des cannabinoïdes dans le traitement de la douleur a fait l’objet d’une publication récente (Beaulieu et Rice, 2002) à laquelle le lecteur peut se référer. La première découverte pharmacologique dans le domaine a été l’isolement puis la synthèse du Δ9‑tétrahydrocannabinol (Δ9‑THC), qui est le constituant psychoactif le plus important du cannabis (Gaoni et Mechoulam, 1964). Durant les dix dernières années, on a assisté à une véritable révolution dans le développement des connaissances portant sur la pharmacologie du cannabis (Pertwee, 1997). Deux sous-types de récepteurs cannabinoïdes, CB1 et CB2, ont été identifiés et clonés. Les récepteurs CB1, qui se retrouvent essentiellement dans le système nerveux central, sont responsables des effets psychoactifs du cannabis tandis que les récepteurs CB2, retrouvés presque exclusivement dans le système immunitaire, participeraient aux propriétés anti-inflammatoires des cannabinoïdes. Les endocannabinoïdes, quant à eux, sont définis comme des substances cannabinomimétiques endogènes capables d’activer soit l’un, soit les deux sous-types de récepteurs cannabinoïdes (Di Marzo et Deutsch, 1998). Jusqu’ici, deux eicosanoïdes conformes aux critères de classification ont été identifiés : l’anandamide (ou arachidonyléthanolamide) et le 2-arachidonylglycérol (2-AG) ; mais d’autres endocannabinoïdes existent sûrement (tableau 1). Le palmitoyléthanolamide (PEA), par exemple, sans se lier aux récepteurs cannabinoïdes, possède des propriétés anti-inflammatoires.

Tableau 1

Principaux agonistes des récepteurs cannabinoïdes CB1 et CB2

Principaux agonistes des récepteurs cannabinoïdes CB1 et CB2

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L’intérêt du cannabis pour le traitement de la douleur reste important pour plusieurs raisons (Walker et coll., 2001) :

  1. il possède une action analgésique pour des douleurs réfractaires à d’autres analgésiques ;

  2. un cannabinoïde synthétique contrôlerait la douleur selon un mécanisme nouveau qui justifierait dès lors l’introduction d’une autre classe d’analgésiques ;

  3. on pense qu’un système cannabinoïde endogène pourrait jouer un rôle dans la régulation de la douleur.

Le potentiel analgésique des cannabinoïdes a conduit à des investigations très poussées. Ainsi, on a utilisé le Δ9‑THC ou d’autres agonistes cannabinoïdes dans de nombreux tests de la douleur chez l’animal. Il en a résulté un consensus sur l’efficacité du Δ9‑THC à bloquer les stimuli nociceptifs. En fait, les cannabinoïdes se sont révélés efficaces pour traiter la douleur dans pratiquement tous les modèles expérimentaux testés à ce jour, et ce, plus particulièrement dans les modèles de douleur neuropathique, mais aussi de douleur viscérale et inflammatoire (Walker et coll., 2002). Les deux types de récepteurs CB1 et CB2 semblent jouer un rôle important dans le processus analgésique (Hohmann, 2002 ; Malan et coll., 2002). Depuis la mise en évidence des récepteurs cannabinoïdes, plusieurs équipes de chercheurs ont étudié les mécanismes d’action de l’analgésie induite par les cannabinoïdes. Comme pour les opioïdes, ces mécanismes se situent à la fois aux niveaux central, spinal et, découverte plus récente, périphérique, tant pour les récepteurs CB1 que pour les CB2. L’action périphérique pourrait permettre le développement de dérivés cannabinoïdes possédant des propriétés analgésiques, mais dénués des effets centraux délétères reliés à leur administration.

Études cliniques sur l’analgésie liée aux cannabinoïdes

De nouveaux médicaments peu toxiques et efficaces pour traiter certaines douleurs mal contrôlées par la pharmacopée traditionnelle pourraient, utilisés seuls ou en association, venir compléter la panoplie des antalgiques disponibles. Cependant, très peu d’études se sont suffisamment intéressées au potentiel analgésique des cannabinoïdes. Souvent les auteurs ont rapporté que seuls les cannabinoïdes psychoactifs présentaient une activité analgésique. Ces résultats sont contestés notamment par Evans, dont le rapport stipule que le cannabidiol, également non psychoactif, est un analgésique puissant limité toutefois par un effet seuil (Evans, 1991). Deux composés synthétiques encore expérimentaux, le WIN 55,212-2 et le (-)-HU-210, présenteraient des activités cannabinomimétiques et analgésiques séparées, mais ils n’ont pas encore été testés chez l’humain. En effet, le nombre d’essais cliniques et de témoignages est encore limité et les résultats sont loin d'être univoques (tableau 2).

Tableau 2

Études sur les effets analgésiques du cannabis et des cannabinoïdes chez les humains

Études sur les effets analgésiques du cannabis et des cannabinoïdes chez les humains

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Il est possible que certains types de douleurs répondent mieux que d’autres aux cannabinoïdes. Ainsi, dans une enquête menée par Dunn et Davis, quatre répondants témoignent du soulagement de leur douleur dans le cadre du syndrome du membre fantôme, après avoir pris du cannabis (Dunn et Davis, 1974). Finnegan-Ling et Musty (1994) décrivent eux aussi le cas d’un patient soulagé par le Δ9‑THC. De leur côté, Notcutt et coll. (1999) rapportent les résultats d’une étude dans laquelle 60 patients d’une clinique de la douleur ont reçu de la nabilone. Environ un tiers des patients ont été satisfaits du traitement tandis qu’un quart d’entre eux ont exprimé un avis différent ou se sont plaints d’effets secondaires marqués. Le reste des patients rapportait n’avoir tiré aucun bénéfice de la médication. Selon les auteurs, un taux de succès de 30 % chez des patients souffrant de douleurs parmi les pires généralement rencontrées dans les cliniques de la douleur, resterait très satisfaisant. Enfin, les résultats d’un questionnaire adressé à des patients utilisant de la marijuana pour soulager leurs douleurs a fait l’objet d’une publication récente (Ware et coll., 2003) : les auteurs rapportent que 10 % des 220 patients souffrant de douleurs chroniques non cancéreuses utilisaient le cannabis pour traiter leur douleur et améliorer leur sommeil et leur moral.

Dans le futur, il serait pertinent de mener de plus amples recherches sur le THC et le lévonantradol utilisés dans le cadre des douleurs chroniques ou des douleurs postopératoires de chirurgies lourdes. De même, de nouveaux cannabinoïdes aux propriétés moins psychoactives devraient faire l'objet d'investigations. Les cannabinoïdes pourraient se révéler des substances très précieuses à utiliser soit comme médicament d’appoint, soit en association avec les analgésiques traditionnels dans les situations de douleurs chroniques et de soins palliatifs. Les établissements de soins de longue durée, les cliniques de la douleur et les services de chirurgie seraient des endroits idéaux pour poursuivre de tels projets de recherche.

Des essais cliniques bien adaptés sont toujours nécessaires, mais ils seraient pour l’instant prématurés. Il faudra d’abord trouver un dérivé cannabinoïde possédant un profil thérapeutique satisfaisant (en particulier en ce qui concerne les effets secondaires psychotropes) et une biodisponibilité appropriée selon une voie d’administration adéquate. En effet, l’utilisation de dérivés cannabinoïdes entraîne fréquemment une somnolence accrue, des troubles de l’humeur de type euphorie, une confusion, de l’anxiété, des altérations passagères des perceptions visuelles ou auditives, des rêves étranges ou des hallucinations. De plus, les essais cliniques devraient être réalisés dans un domaine où il existe un besoin thérapeutique réel – le traitement de la douleur neuropathique, par exemple –, mais aussi chaque fois que les propriétés anti-inflammatoires ou anti-émétiques des cannabinoïdes leur confèrent un avantage par rapport aux thérapies actuelles.

Domaines de recherche sur l’utilisation des cannabinoïdes

Cannabinoïdes et douleur neuropathique

Depuis longtemps, des patients souffrant de douleurs chroniques utilisent le cannabis pour soulager leurs symptômes. Bien que le cannabis soit fumé, les doses ont tendance à être faibles et sont souvent prises seulement le soir pour favoriser le sommeil (. En se basant sur ces observations très précieuses, on mène actuellement une étude pilote afin de déterminer les effets du cannabis fumé sur l’intensité de la douleur chez des patients atteints de douleurs chroniques à la suite d’un traumatisme ou d’une opération (Ware et coll.). Trente-deux sujets reçoivent des doses de 25 mg de cannabis (marijuana) trois fois par jour par l’intermédiaire d’une pipe. Les patients utilisent quatre doses différentes de THC (0 %, 2,5 %, 6 % ou 9,5 %) sur une période de deux mois en double insu et de façon randomisée. Cette étude évalue également les effets du cannabis fumé sur l’humeur et la qualité de vie.

Une autre étude est en train d’être mise sur pied. Elle portera sur l’innocuité du cannabis lors de son utilisation à long terme chez des patients souffrant de douleurs chroniques. Trois cent cinquante sujets qui utilisent du cannabis pour traiter leurs douleurs seront suivis pendant un an pour détecter d’éventuels effets indésirables liés à cette consommation et pour déterminer les effets du cannabis sur les poumons, la fonction endocrinienne et l’état neuropsychologique. Cette étude multicentrique (Ware et coll.), qui devrait durer trois ans, a reçu un financement des IRSC (COMPASS Study).

Cannabinoïdes et douleurs postopératoires

La douleur, les nausées et les vomissements sont les symptômes les plus dérangeants ressentis par les patients dans la période postopératoire immédiate. Ces symptômes sont loin d’être anodins. En effet, la prise en charge de la douleur postopératoire est considérée comme sub-optimale, 80 % des patients rapportant des douleurs d’intensité moyenne à sévère. Les cannabinoïdes et en particulier le Δ9‑THC ont été utilisés avec succès dans le soulagement des nausées et vomissements dus à la chimiothérapie anticancéreuse (Tramèr et coll., 2001). L’utilisation sublinguale de Δ9‑THC synthétique (dronabinol) a été efficace dans le traitement des nausées rebelles pendant la période postopératoire (Taylor, communication personnelle, 1991, citée par Watcha et White, 1992). Ainsi, les cannabinoïdes peuvent contribuer au traitement non seulement des douleurs, mais aussi des nausées et des vomissements postopératoires.

Une seule étude clinique s’est intéressée au rôle des cannabinoïdes dans le traitement de la douleur postopératoire (Jain et coll., 1981). Les auteurs ont étudié un total de 56 patients en orthopédie pendant les six heures suivant l’administration d’une dose unique (1,5 ou 3 mg, i.m.) de lévonantradol (un dérivé synthétique du Δ9‑THC). La douleur a été réduite de manière significative avec le lévonantradol, mais la somnolence était un symptôme courant, important à doses élevées.

Une étude financée par le « Medical Research Council » de Londres est en cours au Royaume Uni (Holdcroft et coll. ; Imperial College School of Medicine, London[3]). Cette étude multicentrique intitulée CANPOP (pour « Trial of Cannabis for Acute Post-Operative Pain ») porte sur des patients devant subir une chirurgie orthopédique majeure ou une chirurgie gynécologique de type hystérectomie. Répartis en quatre groupes, ils reçoivent une gélule contenant soit des extraits de cannabis, soit du Δ9‑THC, ou encore, un analgésique standard (non précisé) ou un placebo. D’autres analgésiques sont disponibles en tout temps, évidemment, au cas où les médicaments à l’étude se révéleraient inefficaces. L’objectif principal est l’évaluation de la douleur (par une échelle verbale analogique) dans les six heures suivant la chirurgie. Des résultats préliminaires de cette étude ont été présentés au Congrès européen des sociétés européennes de l’IASP (International Association for the Study of Pain) tenu à Prague en septembre 2003. Les premiers résultats semblent encourageants et l’on a pu démontrer que le Δ9‑THC était efficace à des doses de 10 mg, mais pas à des doses de 5 mg (Holdcroft, présentation orale).

Une autre étude, cette fois au Canada (Beaulieu), financée récemment par les IRSC, vient de débuter et porte sur le rôle adjuvant d’un agoniste cannabinoïde de synthèse, la nabilone (Cesamet®), dans le traitement de la douleur postopératoire. Les patients sont recrutés après une chirurgie majeure (orthopédie, chirurgie mammaire, gynécologique, urologique ou plastique) et reçoivent 1 ou 2 mg de nabilone toutes les huit heures pendant 24 heures. La nabilone est associée à une pompe à morphine (ACP ou analgésie contrôlée par le patient). L’objectif principal est d’évaluer la quantité de morphine utilisée pendant les premières 24 heures dans chacun des groupes (groupe placebo = seulement morphine, groupes nabilone = morphine + 1 ou 2 mg de nabilone toutes les huit heures). Les objectifs secondaires sont la mesure de l’intensité de la douleur au repos et pendant les mouvements, l’incidence des nausées et vomissements ainsi que l’innocuité du médicament à l’essai (somnolence, qualité du sommeil, hallucinations…). Cette étude prospective, randomisée et à double insu, porte sur 160 patients.

Projets de recherche en laboratoire

Il est urgent de réaliser des essais cliniques afin de déterminer l’efficacité et l’innocuité du cannabis ou de ses dérivés dans le traitement de la douleur aiguë ou chronique. Des études en laboratoire sont toutefois encore nécessaires afin de résoudre divers problèmes, que nous décrirons maintenant.

En premier lieu, il est important de prendre en considération le fait que l’utilisation d’une cigarette de marijuana est très différente de celle de dérivés synthétiques du Δ9‑ comme le dronabinol, la nabilone ou le lévonantradol. Dans le cas de la cigarette, le patient inhale plus de 400 composés chimiques, dont environ 60 cannabinoïdes, alors que la prise d’un dérivé synthétique l’expose à un seul cannabinoïde. Un important défi pour les chercheurs soucieux d'exploiter pleinement les propriétés analgésiques des cannabinoïdes dans la pratique clinique sera de mettre au point une stratégie visant à diminuer ou à annuler les effets indésirables centraux des cannabinoïdes sans pour autant réduire les effets cliniques recherchés (Pertwee, 2001). Comme les effets secondaires centraux sont largement, voire entièrement, reliés aux récepteurs CB1 localisés au niveau du cerveau, une des possibilités serait de se concentrer sur les cannabinoïdes responsables de l’analgésie en utilisant des cibles biologiques autres que les récepteurs CB1. Ainsi, les récepteurs CB2, localisés essentiellement dans le tissu immunitaire et dont les agonistes sont dépourvus d’action centrale, pourraient être utilisés comme cible. Une autre stratégie envisageable pour minimiser les effets indésirables centraux des cannabinoïdes serait d'exploiter les augmentations du tonus de base du système endocannabinoïde qui semblent accompagner les processus inflammatoires ou les lésions nerveuses périphériques. Une troisième approche consisterait à exploiter les interactions synergiques qui existent entre les cannabinoïdes et les opioïdes dans le cadre de l'analgésie. Compte tenu de la présence de récepteurs CB1 sur les neurones nociceptifs de la moelle épinière et du fait que l'administration intrathécale d’agonistes des récepteurs CB1 produit une action antinociceptive chez l'animal, une autre possibilité très intéressante serait d’administrer des agonistes des récepteurs CB1 par cette même voie. Enfin, il pourrait être pertinent de mettre au point des cannabinoïdes qui ne traverseraient pas directement la barrière hémato-encéphalique, tout en conservant leur capacité d'activer les récepteurs CB1 situés en dehors du système nerveux central (Pertwee, 2001).

Chez l'humain, le développement de cannabinoïdes dotés d'une biodisponibilité jugée satisfaisante selon un mode d'administration acceptable (autre que la cigarette) est une étape majeure à considérer, avant même la mise en évidence des propriétés analgésiques des cannabinoïdes. Ainsi, de nouvelles voies de recherche en laboratoire consisteraient à développer des formes galéniques (gélules ou comprimés, aérosols, préparations sublinguales, vaporisateurs nasaux, timbres transdermiques, solutions pour injection intramusculaire ou intraveineuse) qui comprendraient l’ensemble des cannabinoïdes retrouvés dans la cigarette de marijuana. Certains laboratoires ont déjà réussi à développer un spray à base d’extraits de cannabis[4]. L'introduction d'une nouvelle molécule hydrosoluble, analogue du Δ9‑THC (O-1057), à la fois agoniste des deux types de récepteurs cannabinoïdes et douée de propriétés cannabinoïdes incluant l'analgésie, représente une percée importante (Pertwee et coll., 2000). De plus, dans une étude récente, on a évalué la pharmacocinétique des cannabinoïdes administrés en aérosol chez la souris comme nouvelle méthode d’administration (Lichtman et coll., 2000). Selon les auteurs, cette méthode serait tout a fait envisageable chez l'humain. Le développement de ces voies d’administration pourrait ainsi nous permettre une utilisation thérapeutique du cannabis sans nous soucier des effets délétères que provoque l’administration de marijuana.

Obstacles

En dépit de la disponibilité de sources de financement, d’un climat politique favorable et d’un potentiel réel pour l’utilisation des cannabinoïdes à des fins médicales, seulement deux petites études pilotes et une grande étude d’innocuité ont reçu un soutien financier au cours de cette période de quatre ans pendant laquelle le Canada proposait des subventions. Il est raisonnable de se demander pourquoi l’on a entrepris si peu de recherches. Selon des estimations non officielles, 19 demandes de subventions ont été faites dans le cadre du PRUMFM, mais seulement une a été couronnée de succès. Il est possible que plusieurs de ces demandes n’aient pas été suffisamment méritoires sur le plan scientifique pour obtenir un financement, mais il est également possible que des obstacles à la conduite de telles recherches continuent d’exister. Santé Canada a longtemps insisté pour que les subventions de recherche soient utilisées pour l’étude de la marijuana fumée en se basant sur les deux principes suivants :

  1. il s’agit de la forme courante utilisée par les Canadiens ; et

  2. toute présentation autre que fumée pourrait (ou devrait) être la responsabilité de l’industrie pharmaceutique qui, ainsi, financerait ces projets cliniques avec ses propres budgets de recherche et de développement.

Néanmoins, certains problèmes comme l’estimation de la dose appropriée sont difficiles à résoudre en dehors d’un cadre de recherche conventionnel utilisé par l’industrie pharmaceutique : études d’innocuité de phase I, études de recherche de doses de phase II, études d’efficacité de phase III et études de surveillance post-marketing de phase IV. Essayer de lancer des études de phase III sans disposer d’études d’innocuité ou de doses est une cause perdue d’avance.

Conclusion

La recherche sur les propriétés du cannabis dans le traitement de la douleur en est encore à ses débuts malgré l’utilisation de ce produit à cette fin depuis des millénaires et en dépit des progrès récents réalisés dans la pharmacologie de cette substance. Néanmoins, on note un certain regain d'intérêt pour l'analgésie induite par les cannabinoïdes. Les agonistes des récepteurs cannabinoïdes sont actifs dans les modèles animaux de douleur. De plus, certaines données recueillies chez l'humain laissent croire que les cannabinoïdes seraient efficaces contre les douleurs postopératoires ou cancéreuses ainsi que celles du membre fantôme, de même que celles associées à la sclérose en plaques et à des lésions de la moelle épinière. Des études cliniques portant sur des dérivés cannabinoïdes ou le cannabis lui-même administrés par inhalation ont été financées par l’industrie pharmaceutique et sont en préparation ou en cours. Un des choix à faire sera de privilégier soit des extraits complets de la plante, soit un des nombreux principes actifs (principalement le Δ9‑THC) contenus dans le cannabis. Les problèmes liés à ces essais cliniques sont ceux d’une formulation galénique et d’une voie d’administration adaptées. Il faudra également tenter de dissocier les effets analgésiques potentiels du cannabis de ses effets secondaires. Les résultats des diverses études en cours au Canada et ailleurs sont très attendus. Ils aideront à connaître la place que prendront les cannabinoïdes dans l’arsenal thérapeutique contre la douleur.