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La littérature rapporte déjà le lien entre l’usage de drogues et d’alcool et les agressions sexuelles. L’alcool constitue toutefois la substance la plus utilisée dans le contexte d’une agression sexuelle (Abbey et coll., 2006 ; Abbey et coll., 2005 ; Abbey et coll, 2001 ; Banyard et coll., 2005 ; Carr et VanDeusen, 2004 ; Fisher et coll., 2003 ; Foubert et Newberry, 2006 ; Maxwell et coll., 2003 ; Silverman et coll., 2001 ; Sochting et coll., 2004 ; Tyler et coll., 1998 ; Ullman et coll., 1999 ; Wechsler et coll., 2000). Et c’est la consommation excessive qui constituerait le lien entre l’alcool et l’agression sexuelle (White et coll., 2002).

D’une part, le lien peut s’expliquer par la sévérité d’une agression selon la consommation d’alcool (Ullman, 2003). D’autre part, la relation fréquemment observée entre l’alcool et l’agression sexuelle peut aussi s’expliquer par d’autres facteurs tels les effets de l’alcool sur les interactions sociales (entraînant par exemple une mauvaise perception de l’intention sexuelle), la diminution de l’habileté à résister devant une situation d’abus potentiel ou encore la justification d’un comportement d’agression (Abbey, 2002 ; Abbey et coll., 1996). Ces aspects sont importants dans la mesure où ils contribuent à expliquer la présence ou non d’une relation sexuelle sans consentement.

Au Québec, selon les orientations gouvernementales en matière d’agression sexuelle, un geste à caractère sexuel, avec ou sans contact physique, commis sans le consentement de la personne visée, constitue une agression sexuelle : l’agression a lieu, quel que soit le geste ou encore le lieu où il a été posé, et ce, indépendamment du lien qui existe entre la victime et l’agresseur (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2001). Quant à la nature du geste, il peut être associé autant à des regards insistants et à des paroles qu’à des attouchements allant de baisers jusqu’à la pénétration (Pouliot, 2008).

Cependant, dans leur perception quant à la substance la plus associée aux « drogues du viol », les jeunes considèrent que le GHB est la substance la plus utilisée, même s’ils reconnaissent que l’alcool peut jouer un rôle similaire (Perreaut et coll., 2005 ; Perreault et coll., 2007, 2008).

De manière générale, la consommation de substances est la plus élevée chez les jeunes en transition vers l’âge adulte, âgés généralement de 18 à 24 ans (Arnett, 2000 ; Bachman et coll., 1997). Dans ce contexte, on observe un cumul de facteurs de stress propice à l’adoption de comportements à risque. En fait, les jeunes adultes jouissent d’une plus grande liberté que les adolescents tant sur le plan financier et des loisirs que du choix de carrière ou encore de la vie amoureuse, sans qu’ils aient pour autant à assumer des contraintes associées au rôle d’adulte (Arnett, 2000 ; Chassin et coll., 2000 ; Hansell et coll., 1999 ; Shifren et coll., 2003). En ce qui a trait à la consommation de substances, il semble alors que ces jeunes en phase de transition croient que les conséquences négatives qui peuvent y être associées ne les toucheront pas (Arnett, 2005).

Les raisons invoquées pour consommer changent également en fonction de la maturité acquise au fil des ans. Au Québec, l’Enquête québécoise sur le tabac, l’alcool, la drogue et le jeu (Dubé et Fournier, 2006), menée chez les élèves du secondaire, laisse déjà voir les changements à cet effet. D’une part, les plus jeunes (1re et 2e secondaire) croient que leurs pairs commencent à prendre de l’alcool parce que leurs parents en consomment ou encore parce que les jeunes qui sont populaires le font. D’autre part, les plus vieux (4e  et 5e  secondaire) affirment plutôt que la consommation mène à la relaxation, qu’elle sert de passe-temps ou encore qu’elle répond au besoin de s’enivrer. Les données de l’enquête indiquent également que la proportion de jeunes qui ont bu de façon excessive à cinq occasions ou plus (durant les 12 derniers mois) prend significativement de l’ampleur à chaque nouvelle année d’étude scolaire, témoignant ainsi de l’intention de plus en plus présente d’obtenir un effet découlant de la consommation.

Dans l’ensemble, parmi les problèmes les plus communs associés à la consommation d’alcool ou d’autres drogues, on retrouve les dommages à la propriété, les blessures (aux autres ou à soi-même) et une activité sexuelle problématique (Roberts et coll., 2001). À cet effet, l’étude de White et ses collaborateurs (2002) indique que le quart des jeunes participants s’étaient engagés dans une relation sexuelle sous l’effet d’une consommation excessive, et qu’une relation non désirée était rapportée par 6 % d’entre eux.

Les programmes visant à prévenir l’usage de drogues illicites connaissent, de manière générale, un certain taux de succès (Roberts, 2006 ; Tobler et coll., 2000). Par contre, en milieu scolaire, c’est surtout sur la consommation de substances licites (notamment le tabac et l’alcool) que les interventions ont porté : à cet effet, Soole et ses collaborateurs (2005) reconnaissent que ce milieu reste privilégié pour des interventions de nature préventive. De fait, l’effort de prévention porte sur une variété de thématiques comme la consommation de drogue, la criminalité et la délinquance, la sexualité chez les jeunes de même que sur des thématiques de santé comme l’exercice et la nutrition ainsi que sur les infections transmises sexuellement. De plus, le milieu scolaire permet d’atteindre une vaste population de jeunes et les programmes qui s’y déroulent sont plus faciles à implanter que ceux qui prennent place dans un milieu non institutionnel.

L’efficacité de la prévention tient, par ailleurs, à la présence de plusieurs facteurs : l’interaction entre les pairs et les professeurs est importante, à un tel point que l’on a observé que plus il y a d’interactions, plus les étudiants évitent la consommation de substances licites (Tobler et coll., 2000). Par contre, la simple présentation d’un matériel éducatif ou encore d’un lien possible entre la consommation et les émotions ne donne pas d’effet significatif sur la consommation de drogue.

Afin d’établir une liste des meilleures pratiques en éducation quant à la consommation de drogues, une recension de la littérature couvrant la période allant de 1995 à 2004 a permis de regrouper les éléments de succès et d’échec en tenant compte de la description d’interventions et des évaluations associées auprès de jeunes durant leurs premières années du secondaire (Roberts, 2006). Les meilleures pratiques portent notamment sur l’efficacité d’intervenir sur les effets associés à une seule substance plutôt que sur plusieurs, l’importance d’aborder les effets à court terme de la consommation, en particulier sur les conséquences sociales, plutôt que d’axer l’information sur les effets à long terme (par exemple, les problèmes chroniques de santé), et sur le lien existant entre la perception de l’utilisateur et le contexte d’utilisation d’une substance. Finalement, les messages doivent promouvoir la sécurité et la diminution d’effets nocifs associés aux substances, en mentionnant que l’absence de consommation constitue l’option idéale en matière de prévention.

Par ailleurs, chez les jeunes de niveau collégial, la prévention des agressions sexuelles obtient généralement un certain succès suite à une intervention portant sur la définition du consentement, le renforcement du soutien par les pairs dans la réduction des comportements à risque et la création d’un soutien par l’environnement pour aider les victimes d’agressions (Silverman et coll., 2001).

Dans la région montréalaise, une intervention a été explicitement développée afin de sensibiliser les jeunes de niveau collégial à la violence dans les relations amoureuses (PRÉAVI[1]). Entre autres, la consommation et la thématique des « drogues du viol » ont été abordées. Des informations quant aux substances pouvant être utilisées pour faciliter une agression sexuelle faisaient partie du contenu de la rencontre avec les étudiants, plus particulièrement quant au rôle de l’alcool dans une telle perspective. Le lien entre la consommation et l’état de vulnérabilité qui y est associé est abordé en fonction du risque accru d’être victime ou agresseur dans un contexte de relations sexuelles sans consentement ou forcées. Les données issues de l’évaluation des effets serviront à définir les éléments d’intervention les plus importants à conserver ou à modifier en fonction des apprentissages réalisés par les jeunes participants en cours d’intervention.

Objectifs

L’étude vise à examiner les changements de connaissances, quant aux substances pouvant faciliter une agression sexuelle, suite à une intervention préventive à portée plus générale visant à prévenir la violence dans les relations amoureuses des jeunes. Plus spécifiquement, les résultats de l’évaluation permettront de mesurer l’ampleur des changements au niveau des connaissances concernant la ou les substances pouvant faciliter une agression sexuelle (principalement en ce qui a trait à l’alcool), l’évolution de la perception quant à la substance la plus utilisée dans l’accroissement du potentiel d’une agression sexuelle et, finalement, les changements dans la perception du lien entre la consommation de substances en fonction de la vulnérabilité à subir une agression ou de la susceptibilité à commettre une agression.

Méthodologie

La présente étude s’inscrit dans le cadre plus large d’un projet sur la prévention de la violence dans les relations amoureuses chez les jeunes en milieu collégial (programme PRÉAVI).

Intervention

L’encadrement théorique du programme comprend, d’une part, l’approche écologique selon laquelle les caractéristiques de l’environnement physique et social peuvent servir de variables qui contribuent à l’émission de comportements agressifs ou encore à la victimisation qui s’ensuit. D’autre part, les stades du développement psychosocial, proposés par Erikson (Monte et Sollod, 2003), aident à décrire comment le jeune en milieu collégial arrive à la croisée des stades de l’identité (propre à l’adolescence) et de l’intimité (propre au jeune adulte), de même que les choix qui se posent selon les relations qu’il désire établir dans sa vie amoureuse. Finalement, l’intervention est dispensée selon une approche éducative, puisqu’elle se déroule en milieu scolaire, plus directement dans les classes où évoluent les étudiants. Les informations se transmettent selon un style didactique, alors que des échanges avec l’ensemble des étudiants ou encore en équipes permettent les discussions sur des énoncés hypothétiques permettant l’exploration des zones de tolérance face à certains comportements.

L’intervention PRÉAVI, d’une durée approximative de 2 h 30, porte sur les relations affectives et sexuelles saines, la négociation en situation de désaccord, les stratégies de l’abuseur, les facteurs de protection et l’aide possible en cas de besoin chez les victimes. L’activité intègre la thématique des drogues du viol dans le contexte plus large du thème touchant la violence sexuelle. L’information entourant l’utilisation de substances associées à l’agression sexuelle occupe environ 15 minutes de l’ensemble de l’intervention. Sur le plan de la consommation de substances, les informations transmises indiquent que l’alcool est la substance la plus utilisée afin de faciliter une agression sexuelle. Le phénomène des drogues du viol, tel que présenté dans les médias (drogue glissée dans le verre d’une victime potentielle à son insu), est mentionné, mais aussi démystifié. Le rôle possible d’autres substances ayant des effets sédatifs est aussi abordé. Enfin, la notion de consentement à une relation sexuelle en contexte de consommation est discutée.

Participants

Les participants, âgés de 16 à 25 ans, proviennent de dix cégeps francophones de la région montréalaise et étudient dans les secteurs d’études techniques ou préuniversitaires. Lors du prétest, 1 231 étudiants sont présents (310 dans le groupe contrôle et 921 dans le groupe expérimental). Finalement, 850 participants ont pris part à l’intervention et parmi ceux-ci, 623 ont complété le post-test deux semaines plus tard. Les participants au groupe contrôle ont également rempli le post-test. Le tableau 1 présente la répartition des participants selon l’âge et le sexe.

Tableau 1

Répartition des participants selon l’appartenance aux groupes contrôle ou expérimental, le sexe et l’âge

Répartition des participants selon l’appartenance aux groupes contrôle ou expérimental, le sexe et l’âge

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Procédure

Le recrutement des milieux a été effectué en contactant les coordonnateurs de plusieurs programmes d’études dans l’ensemble des cégeps francophones de la région montréalaise afin de les informer de la recherche en cours. Ensuite, l’information détaillée concernant la recherche a été remise aux enseignants qui se sont montrés intéressés. Des rencontres avec leurs étudiants ont alors été planifiées. L’intervention s’est déroulée lors de périodes de cours régulières de sorte que les enseignants ont eu à accepter de libérer deux périodes : ainsi, la répartition des étudiants dans les groupes expérimental et contrôle a tenu compte des classes qui étaient prêtes à accueillir l’animatrice et l’intervention PRÉAVI. Les participants volontaires ont signé un formulaire de consentement les informant des caractéristiques de l’étude et de la possibilité de cesser leur participation à leur gré. Tous ont été informés du caractère confidentiel de leurs réponses. Le protocole de recherche a été examiné par le comité d’éthique de la recherche de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal et a été jugé conforme aux normes établies en la matière.

Lors de la première rencontre, l’ensemble des étudiants ont répondu individuellement au questionnaire de prétest, qui comprend un volet sur l’agression sexuelle en présence d’une consommation de substances, et ceux du groupe expérimental ont ensuite participé à l’intervention PRÉAVI. Environ deux semaines plus tard, les questionnaires de suivi ont été administrés aux participants des groupes contrôle et expérimental.

Instruments

Dans la présente étude, seuls les items portant sur les drogues du viol sont rapportés. Le questionnaire d’ensemble comporte d’autres sections en lien notamment avec la violence dans les relations amoureuses chez les jeunes.

Les étudiants ont répondu au questionnaire à deux reprises, lors du prétest et en post-test.

Dans un premier temps, il a été demandé aux étudiants de cocher, parmi les 14 substances suggérées, celles qui, selon eux, peuvent accroître le potentiel d’une agression sexuelle. Les substances qui figurent à cette question ont été choisies en se basant sur la littérature de même qu’en consultant les jeunes lors de la phase d’implantation du programme PRÉAVI. Il s’agit de l’alcool en grande quantité (bière, cocktail, vin), des drogues du viol « classiques » (GHB, GHB et cocktail alcoolisé), des médicaments (tranquillisants, valium), des médicaments mélangés à de l’alcool (rohypnol et alcool, tranquillisants et vin) et des drogues (héroïne, marijuana, ecstasy, LSD). Pour chacun des regroupements de substances, un score total a été calculé : plus il est élevé, plus la fréquence de cotation de ces substances est élevée.

À l’item suivant, les participants doivent identifier la substance (parmi celles préalablement cochées) la plus fréquemment utilisée, selon eux, pour faciliter l’agression.

Deux autres items permettent aux étudiants d’indiquer à quel point ils croient que la consommation de drogue ou d’alcool rend une personne plus vulnérable 1) à commettre et 2) à subir une agression sexuelle. Ils répondent aux deux questions en utilisant une échelle de Likert en 5 points (« pas du tout vrai » à « totalement vrai »).

Résultats

Les analyses visent principalement à détecter les effets de l’intervention sur la nomination des substances pouvant être utilisées afin de faciliter une agression sexuelle et sur la perception du lien entre la consommation de substances et l’agression.

Dans un premier temps, pour chacun des regroupements de substances, des analyses à mesures répétées avec le temps de mesure comme facteur intra-sujets ainsi que le sexe (X2) et le groupe (contrôle ou expérimental (X2)) comme facteurs inter-sujets ont été effectuées. Toutefois, pour trois regroupements, on note la présence de différences entre les groupes au prétest. Ainsi, pour le regroupement alcool, le regroupement drogues du viol classiques, et le regroupement drogues, ce sont des analyses de covariance avec le score de prétest en covariable qui ont été conduites. Le tableau 2 présente les moyennes et écarts types à chacun des temps de mesure.

Alcool

L’analyse de covariance indique un effet de l’intervention sur les scores au post-test (F(1,718) = 16,56, p < 0,001). Ainsi, les étudiants du groupe expérimental nomment davantage ces substances que ceux du groupe contrôle.

Drogues du viol classiques

L’analyse de covariance montre un effet de l’intervention sur le score au post-test (F(1,718) = 57,85, p < 0,001). Les étudiants du groupe expérimental nomment plus ces substances que ceux du groupe contrôle. On observe également un effet principal du sexe (F(1,718) = 4,75, p < 0,05) indiquant que les filles nomment plus ces substances que les garçons au post-test.

Médicaments

L’analyse à mesures répétées indique un effet principal du temps de mesure (F(1,718) = 4,79, p < 0,05). L’ensemble des étudiants, qu’ils aient ou non reçu l’intervention, nomment davantage ces substances au post-test qu’au prétest.

Médicaments et alcool

L’analyse à mesures répétées indique un effet significatif du temps de mesure (F(1,718) = 16,02, p < 0,001) qualifié par un effet d’interaction du temps de mesure avec le groupe (F(1,718) = 5,01p < 0,05). Les analyses supplémentaires afin de localiser cet effet montrent que les étudiants du groupe expérimental nomment plus ces substances au post-test qu’au prétest alors que l’on ne note aucun changement pour ceux du groupe contrôle.

Drogues

L’analyse de covariance sur les scores au post-test ne montre aucun effet de l’intervention sur ces substances (F(1, 716) = 1,30, p = 0,25).

Tableau 2

Moyennes et écarts types des regroupements de substances pour les groupes contrôle et expérimental pour chacun des temps de mesure

Moyennes et écarts types des regroupements de substances pour les groupes contrôle et expérimental pour chacun des temps de mesure

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Une deuxième série d’analyses a été conduite sur la question concernant la substance la plus utilisée pour accroître le potentiel d’une agression sexuelle selon les participants. Encore une fois, ce sont les regroupements de substances qui ont été utilisés. Le tableau 3 indique les fréquences relatives (%) des groupes à chacun des temps de mesure. Afin de localiser les différences selon les temps de mesure, le test McNemar a été effectué séparément pour chacun des groupes (expérimental et contrôle). Les analyses révèlent que seuls les étudiants du groupe expérimental rapportent des changements significatifs quant à la substance identifiée comme étant la plus utilisée. À la suite de l’intervention, ils nomment davantage l’alcool (χ2 = 71,44, dl = 1, p < 0,001) et mentionnent moins les drogues du viol classiques (χ2 = 8,38, dl = 1, p < 0,005). Aussi, ils sont aussi moins nombreux à nommer les drogues au post-test qu’au prétest (χ2 = 43,86, dl = 1, p < 0,001).

Tableau 3

Fréquences relatives (%) quant à la perception de la substance la plus utilisée pour accroître le potentiel d’une agression sexuelle selon le groupe et le temps de mesure

Fréquences relatives (%) quant à la perception de la substance la plus utilisée pour accroître le potentiel d’une agression sexuelle selon le groupe et le temps de mesure

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Une dernière série d’analyses a été effectuée sur les items relatifs à la vulnérabilité à subir une agression et à la susceptibilité d’en commettre une en contexte de consommation.

À cet effet, une analyse de variance à mesures répétées sur la vulnérabilité à subir une agression avec le temps de mesure comme facteur intra-sujets ainsi que le sexe (X2) et le groupe (x2) comme facteur inter-sujets a été conduite. Un effet significatif du temps de mesure (F(1,780) = 13,90, p < 0,001) a été trouvé, qualifié par un effet d’interaction avec le sexe (F(1,780) = 5,82, p < 0,05) et un autre effet avec le groupe (F(1,780) = 5,87, p < 0,05). Des analyses supplémentaires permettant de localiser les effets de l’intervention suggèrent que les étudiants du groupe expérimental sont davantage en accord avec cet item au post-test qu’au prétest alors que ceux du groupe contrôle ne présentent pas de changement entre les deux temps de mesure. La figure 1 montre les moyennes des deux groupes pour chacun des temps de mesure.

Figure 1

Évolution de la perception du lien entre la consommation et la vulnérabilité à subir une agression

Évolution de la perception du lien entre la consommation et la vulnérabilité à subir une agression

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Par ailleurs, en raison des différences entre les groupes au prétest, une analyse de covariance a été réalisée sur les scores de post-test à la question sur la vulnérabilité à commettre une agression avec le groupe (X2) et le sexe (X2) comme facteurs et le score au prétest à cette question en covariable. L’analyse n’indique aucun effet significatif du groupe sur la mesure au post-test (F(1,650) = 0,02, p = 0,88). Ainsi, il n’y a pas d’effet de l’intervention observable sur cette variable.

Discussion

L’objectif général de la présente étude visait à vérifier les effets d’une intervention de prévention sur certaines connaissances reliées à la consommation de substances comme facteur de risque à l’agression sexuelle. L’intervention, qui portait principalement sur la prévention de la violence dans les relations des jeunes de milieu collégial, comportait un volet sur les drogues du viol. Compte tenu des informations dispensées sur cette problématique, il était prévu que, à la suite de l’intervention, les jeunes reconnaîtraient l’alcool comme étant la substance la plus liée aux agressions sexuelles.

Les résultats suggèrent un effet positif de l’intervention. Les étudiants qui ont reçu l’intervention se distinguent des autres en associant un plus grand nombre de substances avec l’agression potentielle, reconnaissant que plusieurs peuvent être considérées comme des drogues du viol. Ils sont également plus nombreux à reconnaître, à la suite de l’intervention, que l’alcool est la substance la plus utilisée pour faciliter une agression, ce qui est conforme aux attentes de l’étude. Toutefois, une large proportion de jeunes ne font pas ce lien et mentionnent d’autres substances que l’alcool après avoir reçu l’intervention PRÉAVI.

Certaines hypothèses peuvent être posées pour expliquer un tel résultat et témoignent de la complexité à intervenir préventivement en ce qui a trait à l’usage des drogues du viol. De manière générale, notre intention en abordant la thématique était de dédramatiser l’ampleur du phénomène véhiculé, car en fait, l’utilisation des drogues du viol « classiques » (GHB, GHB et alcool) dans la perspective de soumettre une victime potentielle inconnue à une relation sexuelle forcée, qui oubliera ensuite l’événement, reste peu fréquente. Une trop grande importance est accordée à ce phénomène, ce qui risque d’occulter la réalité : la consommation d’alcool mène plutôt facilement à la relation sexuelle sans consentement ou forcée, le plus fréquemment par une personne connue de la victime.

Dans cette perspective, nous voulions d’abord effectuer un bref survol des substances qui peuvent être utilisées comme « drogues du viol », en expliquant ensuite le rôle facilitateur et la grande disponibilité de l’alcool en tant que substance associée à l’agression sexuelle. En second lieu, nous voulions aborder l’agression sexuelle dans le même cadre général que celui de la violence dans les relations amoureuses chez les jeunes, en mettant en relief le fait que l’agresseur est, la plupart du temps, connu de sa victime. En somme, notre intention était de démystifier la consommation dans un contexte de violence sexuelle chez les jeunes. Or, le fait d’aborder la thématique des « drogues du viol » pourrait faire persister l’impression que le GHB reste la drogue utilisée et que le viol en serait la conséquence pour la victime.

À cet effet, à la suite de l’intervention, nos résultats indiquent une augmentation dans la perception des substances associées au viol dans la catégorie « médicaments et alcool ». La combinaison du rohypnol et de l’alcool ou encore des tranquillisants et du vin composait le regroupement. Ces résultats pourraient laisser présager, pour les participants à l’intervention, qu’il existe une médication ou une autre substance fréquemment utilisée qui pouvant générer un état de vulnérabilité à l’agression sexuelle.

L’information sur ces substances et leurs combinaisons possibles font l’objet de mises en garde au niveau des effets potentiellement nocifs de leur utilisation. Toutefois, ces données démontrent le besoin de cibler plus précisément notre information sur la consommation en lien avec le contexte de la relation sexuelle sans consentement ou forcée. Le fait d’aborder les effets de plusieurs substances crée peut-être une certaine confusion chez les jeunes. Si l’alcool représente la substance la plus utilisée, l’accent devrait avantageusement être mis sur ce type de consommation, sans nécessairement établir de comparaison avec d’autres substances licites ou illicites.

Bien que l’intervention dispensée aux étudiants ne cible pas directement la prévention de la consommation, mais plutôt celle de l’agression sexuelle en lien avec la consommation (comme facteur de risque de premier plan), il serait sans doute avisé de suivre les recommandations issues des meilleures pratiques en éducation à la consommation, où il est suggéré d’intervenir sur les effets associés à une seule substance plutôt que sur plusieurs (Roberts, 2006). En conséquence, si le message le plus important concerne le rôle de l’alcool en tant que substance la plus utilisée pour accroître le potentiel d’une relation sexuelle sans consentement ou forcée, l’intervention devrait se centrer sur cette substance uniquement sans recourir à l’appellation des drogues du viol et sans aborder d’autres substances pouvant être utilisées aux mêmes fins.

Par ailleurs, les réponses à la question sur la perception du lien entre la consommation et la vulnérabilité à subir une agression ont connu une amélioration à la suite de l’intervention. Cependant, ce ne sont pas tous les participants qui sont en accord avec l’existence de ce lien. Toutefois, précisons que la question ne fait pas mention du niveau de consommation, mais traite simplement de la consommation de substances qui peut rendre une personne plus vulnérable à subir une agression sexuelle. Il est plausible que les étudiants ne considèrent pas une consommation modérée comme un facteur de risque d’agression. D’ailleurs, ce serait bel et bien la consommation excessive qui caractérise le lien entre l’alcool et l’agression sexuelle (White et coll., 2002). Ce résultat suggère que les notions de degré ou de niveau de consommation et celle des effets de l’alcool devraient figurer dans ce type d’intervention.

Concernant la question de la consommation comme facteur de risque à commettre une agression, aucun changement dans les réponses des étudiants n’a été rapporté à la suite de l’intervention. Même si le contenu de l’intervention indique que, dans plusieurs cas, l’agresseur a préalablement consommé une ou des substances licites ou illicites, les mécanismes qui favorisent cet état de fait ne sont pas suffisamment expliqués. De plus, il se peut que les participants ne distinguent pas complètement la notion de consommation comme facteur de risque chez l’agresseur de celle de la consommation comme excuse à l’agression. De fait, l’intervention insiste sur le fait que l’alcool ne doit pas servir à excuser une agression. L’information relative au rôle de la consommation dans une relation sexuelle sans consentement devrait être amenée de façon plus nuancée et détaillée pour une meilleure correspondance entre la consommation et les expériences d’agressions rapportées par les jeunes.

Finalement, les meilleures pratiques en matière d’éducation dans le domaine de la consommation de drogues et d’alcool soulignent l’importance de maximiser les interactions entre les participants et les animateurs dans le cadre d’activités en milieu scolaire. Dans le contexte de l’intervention PRÉAVI, l’activité prenait place durant les heures de cours. En milieu post secondaire, le temps accordé par les enseignants dans leurs cours nous a amenées à développer une formule reliant une approche académique à une formule plus souple favorisant l’échange. Par contre, le temps était plutôt limité compte tenu de l’ampleur du contenu à livrer. Afin de permettre un maximum d’échanges, il serait important de limiter les éléments de contenu à transmettre pour soumettre aux participants certaines vignettes ou mises en situation à partir desquelles des discussions pourraient favoriser une meilleure intégration des connaissances.

En conséquence, les résultats de l’étude ouvrent la perspective d’une intervention mieux détaillée en ce qui a trait à la prévention des relations sexuelles sans consentement ou forcées chez les jeunes qui traversent la transition entre l’adolescence et la période de jeune adulte. Le fait d’aborder exclusivement le rôle de l’alcool dans les situations de relations ou de rencontres amoureuses permettrait d’approfondir les effets de l’alcool selon les quantités ingérées et les différences d’une même quantité selon le sexe, garçon ou fille. Le contexte de consommation, notamment les rassemblements de jeunes lors de certains événements tels que les fêtes de début où de fin de session, et ce qui entoure la séduction dans ces situations pourraient être davantage explorés. En somme, une intervention ciblant exclusivement la relation sexuelle sans consentement ou forcée dans un contexte de consommation d’alcool permettrait d’approfondir, auprès des jeunes concernés, toute la complexité de ce phénomène en fonction des caractéristiques associées à la transition qui s’amorce vers la vie adulte.