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Introduction

Il est maintenant admis que l’exposition prénatale à l’alcool occasionne des troubles allant du syndrome d’alcoolisation foetale (SAF) à des effets plus subtils sur le développement du foetus et de l’enfant (Chudley et coll., 2005). En Amérique du Nord, la prévalence du SAF était estimée entre 0,5 % et 2 % en 2002, mais des études récentes réalisées dans des pays européens laissent croire qu’elle est peut-être plus élevée qu’on ne l’aurait cru (May et Gossage, 2001 ; May et coll., 2009). Au Québec, elle n’est pas connue. La consommation fréquente d’alcool et plus particulièrement la consommation de grandes quantités dans une même occasion comporterait le plus de risques pour le foetus (Streissguth et coll., 1994). Des effets de la consommation de quantités modérées d’alcool sur la grossesse et l’enfant à naître ont aussi été rapportés dans la littérature scientifique, notamment des troubles subtils du développement et de l’agressivité chez les enfants (Jacobson et Jacobson, 2002 ; Kesmodel et coll., 2002a, 2002b ; Lundsberg et coll., 1997 ; Sood et coll., 2001). Ces études comportent des difficultés méthodologiques qui en limitent la portée et leurs résultats demeurent controversés (Abel, 2009 ; Gray et Henderson, 2006 ; Gray et coll., 2009). En contrepartie, les études n’ont pas fait la preuve de l’innocuité de l’exposition à de faibles doses d’alcool.

Au Québec, la consommation d’alcool et la consommation excessive d’alcool chez les femmes (définie comme cinq consommations et plus dans une même occasion) ont augmenté dans les dernières années (Statistique Canada, 2000-2001, 2007). Pour ce qui est des femmes enceintes, Guyon et coll. (2002) ont rapporté que la grossesse motive fortement les femmes à réduire ou à cesser leur consommation d’alcool. Il demeure toutefois que certaines femmes continuent de consommer de l’alcool pendant leur grossesse. Une enquête canadienne sur l’expérience de la maternité a révélé que 62,4 % des Canadiennes et 67 % des Québécoises qui avaient été enceintes au cours des cinq dernières années avaient consommé de l’alcool dans les trois mois précédant leur grossesse (Agence de la santé publique du Canada, 2009). La même étude révèle que ces femmes ont considérablement diminué leur consommation d’alcool après avoir appris qu’elles étaient enceintes. Par contre, 10,5 % des Canadiennes ont indiqué avoir continué de consommer de l’alcool pendant leur grossesse ; cette proportion s’élève à 21,2 % chez les répondantes québécoises.

La consommation d’alcool chez les femmes en général et chez les femmes enceintes varie selon les groupes socioéconomiques. En 2003, parmi les femmes ayant eu une grossesse dans les cinq dernières années, près de 37 % de celles appartenant au groupe le plus aisé rapportaient avoir pris de l’alcool lors de leur dernière grossesse alors que cette proportion était de 17,5 % chez celles provenant du groupe le moins favorisé (Statistique Canada, 2005).

Puisque l’alcool est tératogène et que les troubles associés à l’alcoolisation foetale sont évitables, il est maintenant recommandé aux femmes de ne pas boire d’alcool pendant la grossesse. Malgré cela, les messages qui sont offerts aux femmes à ce sujet sont multiples et ne sont pas toujours harmonisés. Certains intervenants de la santé préconisent l’abstinence alors que d’autres acceptent la modération (April et Bourret, 2004).

Dans ce contexte en évolution, le sens donné par les femmes à leur consommation d’alcool pendant la grossesse est d’intérêt, mais demeure peu étudié. Une étude britannique a exploré, par une méthode qualitative, les attitudes des femmes enceintes au sujet de la consommation d’alcool (Raymond et coll., 2009). Cependant, à notre connaissance aucune n’a analysé les différences selon le niveau socioéconomique.

Objectifs

Dans le but de contribuer à améliorer les interventions destinées à prévenir la consommation d’alcool pendant la grossesse, cette étude visait à documenter les représentations [1] des femmes enceintes au regard de ce comportement, ainsi que leurs perceptions de la nature et de l’impact des messages qui leur sont transmis à ce sujet, et ce, en tenant compte de leur appartenance à des contextes socioéconomiques différents. Cette étude a aussi permis de rassembler des informations sur les représentations de l’usage de tabac pendant la grossesse ; ces résultats ont été publiés précédemment (Guyon et coll., 2007).

Méthodes

Une étude exploratoire a été menée auprès d’un échantillon de femmes enceintes en utilisant une approche qualitative.

Recrutement des participantes et procédure de collecte

Le recrutement des participantes s’est effectué à partir de deux centres de santé et de services sociaux (CSSS) de deux grandes villes du Québec, soient Montréal et Québec, par le biais des services qu’ils offrent aux femmes enceintes. Compte tenu de l’impact possible de l’environnement social et économique sur le développement des représentations et sur la consommation d’alcool, les participantes ont été sélectionnées en tenant compte de leur statut socioéconomique, de leur âge, du nombre de grossesses et de leur état civil (femmes vivant seules ou avec un conjoint). Plus précisément, elles ont été recrutées par le biais des cours prénatals offerts à toutes les femmes enceintes et d’un programme spécifique d’aide pour les femmes enceintes qui vivent avec un faible revenu (programme OLO).

Les intervenantes des CSSS ont sollicité les femmes pour leur participation à l’aide d’une feuille d’information décrivant les objectifs de la recherche. Ces intervenantes étaient invitées à n’exercer aucune forme de pression pour les inviter à accepter de participer à l’étude. Les coordonnées des femmes qui acceptaient étaient alors transmises à des membres de l’équipe de recherche qui les ont par la suite contactées pour prendre un rendez-vous.

Le discours des femmes a été recueilli au moyen d’entrevues individuelles, enregistrées sur bande audio puis transcrites sous forme de verbatim. Les entrevues étaient réalisées au moment et au lieu choisis par les participantes et leur durée variait de 30 minutes à 1 heure 45. La collecte des données a été réalisée entre avril et juin 2005.

Instrument de collecte

Un schéma d’entrevue a été construit à partir de questions pouvant amener les femmes à exprimer leurs points de vue et leurs perceptions, ainsi qu’à parler de leurs comportements au regard de la consommation d’alcool pendant la grossesse. L’entrevue se terminait par un court questionnaire fermé permettant de recueillir quelques données socioéconomiques (âge, suivi de grossesse, niveau de scolarité, occupation, état civil, revenu personnel et familial). Les sources d’information auxquelles elles avaient accès ont aussi été documentées.

Analyse des données

Les analyses ont été effectuées à l’aide du logiciel QSR NVivo 2.0, conçu pour le traitement de données qualitatives. Un cahier de codification a été construit sur une base thématique largement inspirée du schéma d’entrevue, offrant la possibilité d’ajouter des codes pour les thèmes non prévus initialement et ayant émergé des entrevues. Cette première étape consistait à organiser la somme des informations recueillies dans les entrevues. L’analyse du contenu des différents codes a ensuite été effectuée dans un processus itératif au cours duquel les informations contenues dans les codes les plus centraux à l’étude étaient résumées dans des matrices (Huberman et Miles, 1991).

Une première analyse a permis de faire ressortir de grands thèmes rassembleurs. Une autre étape de regroupement des propos des répondantes a été réalisée afin de dégager les points convergents et divergents ainsi que les similitudes et différences entre les deux grands groupes socioéconomiques, soit les femmes recrutées dans les cours prénatals ou dans le programme d’aide.

Aspects éthiques

Cette étude a reçu l’approbation du comité d’éthique de la recherche clinique du Centre hospitalier de l’Université Laval.

Résultats

Au total, 33 entrevues individuelles ont été réalisées par deux intervieweuses de l’équipe de recherche. Les propos de deux participantes n’ont pas été retenus lors de l’analyse, car elles ne représentaient pas le groupe auquel elles avaient été identifiées.

Portrait sociodémographique

Les répondantes recrutées dans les cours prénatals étaient âgées de 21 à 37 ans (moyenne 27,5 ans) et celles du programme d’aide avaient de 18 à 38 ans (moyenne 24,9 ans). Parmi les femmes recrutées dans le programme d’aide, six vivent seules alors que celles des cours prénatals ont toutes un conjoint. Les femmes recrutées dans les cours prénatals sont généralement à leur première grossesse, ce qui est cohérent avec le profil des participantes à ces cours. Les femmes des cours prénatals sont beaucoup plus nombreuses que celles du programme d’aide à avoir un niveau de scolarité universitaire, un travail à temps plein et un revenu personnel de 30 000 $ et plus.

Tableau 1

Caractéristiques sociodémographiques et de consommation d’alcool selon le groupe de recrutement

Caractéristiques sociodémographiques et de consommation d’alcool selon le groupe de recrutement

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Consommation d’alcool

Les femmes des cours prénatals ont un profil de consommation d’alcool différent puisque toutes ont consommé de l’alcool au moins une fois avant leur grossesse, ce qui n’est pas le cas pour les femmes du programme d’aide et cinq ont rapporté avoir consommé pendant leur grossesse alors que seulement deux femmes de l’autre groupe ont rapporté ce comportement.

Pour la majorité des femmes interrogées, le choix de ne pas prendre d’alcool pendant la grossesse va de soi. Les femmes des cours prénatals sont généralement fermes dans leur décision de ne pas boire pendant leur grossesse. Elles ont principalement cessé de boire au moment où elles ont appris qu’elles étaient enceintes. Quelques-unes ont choisi d’arrêter de prendre de l’alcool au moment où la décision d’avoir un enfant a été prise. Ce choix ne semble pas avoir été difficile pour autant. Dans la mesure où elles sont persuadées de faire ce qu’il y a de mieux pour leur enfant, l’abstinence ne leur apparaît pas très difficile, sauf à quelques occasions particulières. Par ailleurs, celles qui ont continué de consommer pendant leur grossesse le font de façon modérée. Selon elles, il est important de maintenir un rythme de vie stable, de « garder un juste milieu » surtout dans cette période de grossesse où il est fréquent de vivre plusieurs changements. Elles réclament le choix de « se garder quelques petits plaisirs », de « ne pas s’empêcher de vivre ». Elles rapportent qu’il est justifié de choisir « la modération » et de boire « de la façon permise ».

… C’est sûr que j’en prends vraiment plus beaucoup, peut-être un verre de temps en temps pour ne pas trop me priver là. Mais on sait que c’est la dose permise, en tout cas qui peut ne pas causer de problèmes au bébé. On fait attention

Rose, 27 ans [2]

La grande majorité des femmes recrutées dans le programme d’aide ont aussi choisi de ne pas consommer d’alcool pendant leur grossesse. Aucune de ces participantes n’a toutefois relaté avoir cessé de prendre de l’alcool au moment où elles avaient planifié avoir leur enfant. Pour elles, ce n’est pas très difficile de modifier leurs habitudes de consommation d’alcool : « Bien parce que ça ne me manque pas. Ce n’est pas un besoin que je ressens là puis euh !... Donc c’est quelque chose que je suis capable de me passer amplement » (Corine, 28 ans). Par ailleurs, la plupart des femmes de ce groupe rapportent ne pas consommer beaucoup d’alcool même lorsqu’elles ne sont pas enceintes. Quelques-unes mentionnent s’être fait offrir à boire depuis le début de leur grossesse. Pour certaines, la pression est un peu forte, mais elles disent toutes résister facilement à cette pression, car elles ont tout simplement décidé de ne pas prendre d’alcool.

Seulement deux femmes de ce groupe disent prendre une consommation d’alcool à l’occasion. Une a raconté avoir trouvé très difficile de diminuer la consommation d’alcool lors de sa première grossesse alors qu’elle vivait encore une vie de célibataire. Avec l’arrivée de son premier enfant, elle a changé considérablement son style de vie et il lui est maintenant plus facile de limiter sa consommation d’alcool pour sa deuxième grossesse :

Donc, à cette grossesse-ci, je ne trouve pas ça difficile… Tu sais j’ai vraiment pas envie, comment je pourrais dire ça ? Je ne suis pas attachée à ça. C’est sûr que prendre une bière sur la galerie quand t’arrives de travailler, c’est bien le fun, mais tu sais, il y en a des sans-alcools, complètement zéro là, fait que ça, j’en ai trouvé une que quand t’as le goût, puis même à ça, je n’en prends pas… 

Céline, 31 ans

Représentations sociales

La consommation fréquente et en grande quantité est inacceptable

Une représentation unanime se dégage des propos des femmes questionnées : boire beaucoup pendant la grossesse n’est pas acceptable. Par boire beaucoup, les participantes entendent boire régulièrement et plusieurs consommations dans une même occasion.

Les représentations de la consommation modérée d’alcool chez les femmes recrutées dans le programme d’aide

a) Toute consommation d’alcool est inacceptable

Une première représentation se dégage des propos des femmes recrutées dans le programme d’aide : il est inacceptable de consommer de l’alcool pendant la grossesse, même en faible quantité. Pour elles, il est clair qu’on ne boit pas pendant la grossesse, car cela représente « un gros danger ». En fait, « ce n’est pas pensable de boire enceinte » (Renée, 24 ans). Pourtant pour quelques femmes, il peut être difficile de s’abstenir dans certaines occasions : « Ah !, ça serait bon du vin, mais tu sais, je me dis : “Ça va aller à plus tard, puis c’est tout”, tu sais. C’est un petit sacrifice de rien du tout là » (Renée, 24 ans).

b) La consommation de temps en temps est sans danger

Toujours dans le groupe de femmes recrutées dans le programme d’aide, certaines croient que prendre de l’alcool de temps en temps peut être sans danger pour l’enfant à naître : « D’après moi, un verre dans une journée, de temps en temps, et de temps en temps je veux dire au…, espacé de quelques mois, il n’y aurait pas de problème... Mais régulier, non. Non, non, non » (Roxanne, 21 ans).

Les représentations de la consommation modérée d’alcool chez les femmes recrutées dans les cours prénatals

a) La consommation modérée d’alcool est acceptable tant qu’il n’y a pas d’excès

Un plus grand nombre de femmes des cours prénatals considèrent que la consommation modérée d’alcool pendant la grossesse est acceptable, « …tant qu’il n’y a pas d’excès… » affirme Jeanne, 25 ans. Cette représentation est soutenue par une argumentation selon laquelle la grossesse n’empêche pas une femme de « vivre », et que la grossesse n’est pas une maladie, mais plutôt une étape de la vie. En conséquence, il est justifié et acceptable de consommer de l’alcool à l’occasion :

Comme je te dis, tu sais, je ne considère pas comme être enceinte comme être une maladie. Je le considère plus comme une autre étape de la vie, tu sais, pour l’apprécier, puis je pense que pour l’apprécier, tu ne peux pas tout changer dans ta vie… Tu sais, je vais essayer de me garder quelques petits plaisirs pareils…

Christina, 28 ans

Certaines comparent la consommation occasionnelle d’alcool à d’autres modes de consommation et à d’autres habitudes de vie qui peuvent, selon elles, s’avérer plus dommageables que l’alcool. La fumée secondaire de tabac par exemple est perçue comme beaucoup plus dommageable que quelques gorgées d’alcool.

Plusieurs participantes de ce groupe ont soulevé la question du seuil minimum acceptable. En effet, le fait qu’il n’y ait pas de seuil minimum reconnu laisse place à interprétation. « Mais moi je pense qu’une fois par semaine, un verre une fois de temps en temps, puis après six mois, je ne pense pas que ça..., je n’ai pas de conviction... C’est sûr que des fois je vais me sentir un peu coupable, mais comme je te dis, nous autres on aime vivre » (Jeanne, 25 ans).

b) On peut facilement s’abstenir de boire

Une seconde représentation selon laquelle on peut s’abstenir de boire pendant la grossesse est décrite dans les propos d’un grand nombre de femmes des cours prénatals qui considèrent : « qu’il n’y a pas de quantité sécuritaire connue… c’est du poison » (Catherine, 27 ans). Par conséquent, il vaut mieux ne pas courir le risque et ne rien consommer. Ces femmes disent que le mieux est de s’abstenir afin de donner toutes les chances à l’enfant à naître. Elles ne prennent pas de risque même si quelques-unes pensent que prendre un peu d’alcool de temps en temps peut être acceptable. Comme on ne peut pas connaître l’impact de la consommation modérée, il faut se servir de son « gros bon sens » et s’abstenir : « Tu sais d’éviter de prendre de l’alcool pendant neuf mois dans ta vie, ça peut t’éviter bien des troubles après, là » (Paule, 24 ans). Pour elle, il est beaucoup plus simple de ne rien consommer pendant la grossesse, même si parfois cela demande des efforts, et ainsi éviter de mettre au monde un enfant pour qui la vie sera plus difficile.

Moi j’ai pour mon dire qu’on ne sait pas les effets que ça fait sur un enfant. Puis c’est quand même un... C’est de l’alcool, c’est quand même quelque chose qui est fort. Euh !, moi je me dis que “tant qu’à en prendre un une fois de temps en temps, regarde, prends-en donc pas”. Tu sais, je me dis : “Il te donne de quoi de plus ce verre-là. Il ne donne pas vraiment quelque chose de plus”

Madeleine, 31 ans

Chez les femmes des cours prénatals, la question du libre arbitre est très présente. Elles croient qu’il vaut mieux ne pas consommer, certes, mais quand une personne est bien informée, il lui revient de prendre sa décision, de faire ses choix. Pour plusieurs, la décision de consommer ou de ne pas consommer d’alcool relève de choix personnels et personne ne peut porter de jugement sur ces choix.

Facteurs d’influence

Les connaissances

Les femmes recrutées dans les cours prénatals sont toutes d’avis que l’alcool peut avoir un impact sur l’enfant à naître. L’alcool est dangereux, car « il s’en va directement dans le sang » (Monique, 37 ans) ; « qu’est-ce qu’on ingurgite, ça va directement au bébé. Euh !, le placenta filtre, mais ne filtre pas l’alcool […]. Donc c’est directement... C’est comme s’il prenait un verre de gin » (Madeleine, 31 ans). « Si une femme enceinte est intoxiquée, le foetus l’est aussi » (Catherine, 27 ans).

Les participantes de ce groupe connaissent l’existence du syndrome d’alcoolisation foetale (SAF). Elles peuvent le nommer, ce qui n’est pas le cas des femmes qui ont été recrutées dans l’autre groupe. En général, elles connaissent un peu mieux les conséquences de la consommation d’alcool sur le foetus, mais elles sont rarement en mesure d’en nommer plus d’une ou deux, certaines de façon plus précise que d’autres. Parmi les conséquences les mieux identifiées, les participantes ont énuméré les suivantes : bébé de petit poids, troubles d’apprentissage, hyperactivité, malformations au niveau du cerveau, troubles de concentration, prématurité, problèmes respiratoires, difficultés d’attention, possibilités de fausse-couche, problèmes cognitifs, retards de croissance physique, retards intellectuels. Très peu de femmes des cours prénatals se disent peu ou pas du tout informées sur les méfaits de la consommation d’alcool pendant la grossesse à l’exception d’une d’entre elles qui affirme n’avoir eu aucune information à ce sujet et d’une autre qui explique avoir appris l’existence du SAF la semaine précédant l’entrevue alors qu’elle est à son sixième mois de grossesse.

Ce qui ressort des connaissances qu’elles détiennent concernant la consommation d’alcool pendant la grossesse est l’absence de consensus sur la quantité minimale d’alcool sans danger et sur le seuil sécuritaire. Selon elles, ce n’est que lorsque cette information sera connue que les femmes qui continuent de consommer de l’alcool cesseront de le faire. Seuls des balises claires ou un message sans ambiguïté réussiront à convaincre ces femmes, croient-elles.

Quant aux femmes recrutées dans le programme d’aide, elles connaissent très peu les effets de la consommation d’alcool pendant la grossesse. Une seule d’entre elles mentionne le SAF dont elle a entendu parler dans un reportage à la télévision où on faisait part de déficience et de retards de croissance sur le plan mental.

À défaut de connaissances, les participantes du programme d’aide présument ou déduisent que l’alcool est probablement nocif pour leur enfant. Le sens commun leur suggère qu’il doit y avoir des impacts. En fait, comme l’explique l’une d’entre elles : « Bien ça ne donne sûrement pas des..., des bonnes vitamines, hein ! Fait que, non, peut-être, je ne sais pas, ça peut causer des carences ou des affaires de même. Je ne peux pas vraiment dire ce que ça fait. Mais je présume que ce n’est pas terrible... » (Élise, 28 ans). Différents impacts sont mentionnés par les femmes. Elles parlent de malformations, de problèmes de vue, d’hyperactivité, du fait que l’alcool « peut maganer le foie » (Roxanne, 21 ans) ou « brûler les vaisseaux » (Diane, 25 ans), ou que l’enfant « ne sera tout simplement pas en pleine santé » (Hélène, 23 ans).

En bref, les connaissances que les participantes de ce groupe détiennent, qu’elles soient profanes ou scientifiques, sont limitées et ne semblent pas influencer de façon marquée leurs perceptions de la consommation d’alcool pendant la grossesse. Les femmes présument que l’alcool peut être nocif pour l’enfant, mais une grande majorité d’entre elles sont incapables de nommer des effets potentiels. Par ailleurs, la plupart se sentent peu concernées par le sujet puisque, de toute façon, elles consomment peu d’alcool.

Le réseau social

Un nombre très restreint de femmes recrutées dans le programme d’aide a parlé de l’influence de leur réseau social en lien avec la consommation d’alcool pendant la grossesse. En général, ces femmes racontent que les membres de l’entourage vont les soutenir en ne leur offrant pas d’alcool. Certaines mentionnent que, devant leur refus de consommer, il arrive que des personnes leur suggèrent que l’alcool est acceptable pendant la grossesse. Le conjoint semble absent par rapport à cette question. Il n’est jamais mentionné sauf pour une personne qui raconte que ses beaux-parents lui offrent toujours à boire quand elle leur rend visite et que son conjoint la soutient dans son refus.

Le rôle du réseau social semble plus prépondérant chez les femmes recrutées dans les cours prénatals. En effet, ces participantes mentionnent davantage que les membres de leur entourage ont une influence sur leur comportement. Quelques participantes expliquent que les membres de leur famille respectent et comprennent leur choix de ne pas consommer. Une femme explique que tous les membres de son entourage la soutiennent, ses amis lui achètent des jus exotiques lorsqu’elle leur rend visite et personne ne lui offre d’alcool. Pour certaines, l’entourage de la femme enceinte joue un rôle capital durant la grossesse : « Ç’a vraiment un impact finalement, ce que ton entourage fait, ce que ton entourage pense » (Paule, 24 ans). Par contre, une femme se fait dire qu’elle « est bonne de ne pas boire d’alcool » (Clara, 25 ans) pendant sa grossesse, certaines personnes de son entourage ne comprenant pas comment elle peut réussir à s’abstenir. Elle n’est pas la seule à se sentir parfois obligée de se justifier et d’argumenter au sujet de son choix de ne pas prendre d’alcool ou encore de devoir maintenir fermement son refus de prendre de l’alcool devant des membres de l’entourage trop insistants. Elles se disent ennuyées par ces situations et préféreraient que cette décision soit comprise et respectée. D’ailleurs, quelques femmes sont étonnées que les membres de leur entourage soient si peu renseignés.

Le rôle des médecins

Pour les participantes recrutées dans le programme d’aide, le médecin a peu d’influence sur les perceptions de la consommation de l’alcool pendant la grossesse. Ce dernier questionne généralement les femmes en début de grossesse au sujet de leurs habitudes de vie. Si la consommation d’alcool de la femme enceinte n’est pas problématique à ses yeux, il ne va pas plus loin. La plupart des participantes affirment ne pas oser poser trop de questions à leur médecin à ce sujet.

Bien que les professionnels de la santé soient très peu présents dans le discours des femmes recrutées dans les cours prénatals, ils le sont davantage que pour l’autre groupe. Les commentaires les concernant sont de divers ordres : une femme mentionne que des médecins qu’elle fréquente professionnellement affirment qu’une consommation occasionnelle est tolérée et se dit en désaccord avec leur point de vue. Une autre rapporte que son médecin lui a dit de ne pas consommer d’alcool pendant la grossesse. Cette femme avait lu abondamment et avait retenu qu’une consommation modérée n’avait pas d’impact sur le foetus. Elle a tout de même choisi de ne rien consommer et est en accord avec son médecin qui parle d’abstinence plutôt que d’introduire l’idée d’une quantité minimale acceptable.

Dans l’ensemble, les participantes des cours prénatals ont plus à dire au sujet de leur relation avec le médecin, bien qu’elles souhaitent recevoir plus d’information de sa part et que les rendez-vous soient moins expéditifs. Elles obtiennent tout de même des réponses à leurs questions, mais elles abordent elles-mêmes les aspects qui les préoccupent. Tout comme les participantes recrutées dans le programme d’aide, les femmes des cours prénatals ont été questionnées en début de grossesse sur leur consommation d’alcool et le médecin n’est pas revenu sur ce sujet par la suite.

Les normes sociales entourant la consommation d’alcool pendant la grossesse

Les femmes recrutées dans les cours prénatals ont été plutôt muettes relativement à l’existence d’une norme possible concernant l’alcool. Parmi les quelques opinions émises, certaines ont l’impression qu’une femme enceinte qui prend de l’alcool ne suscitera pas de commentaires et que cette situation est habituellement mieux perçue que le fait de fumer par exemple. Certaines avancent que l’acceptation sociale de l’alcool en tant que produit de plaisir expliquerait pourquoi on tolère plus facilement une femme enceinte qui prend de l’alcool qu’une femme enceinte fumeuse.

Les femmes recrutées dans le programme d’aide ont très peu parlé des pressions sociales et du regard des autres concernant leur décision de consommer ou de ne pas consommer d’alcool pendant leur grossesse. Mis à part le fait que certaines rapportent qu’on veuille les inciter à boire, mais sans plus. Cette situation est très différente de celle du tabagisme où la pression sociale pour l’abstinence semble très importante (Guyon et coll. 2007).

Le contexte de la maternité

Seules les participantes recrutées dans les cours prénatals ont parlé du contexte dans lequel elles vivent leur grossesse actuellement. Elles ont parlé des multiples consignes qu’elles ont à suivre concernant leurs habitudes de vie, notamment la nutrition, la consommation d’alcool et de tabac ainsi que l’activité physique. Celles touchant la nutrition ont été très marquantes, car plusieurs ne savaient pas de prime abord qu’il pouvait y avoir autant d’interdits alimentaires pendant la grossesse. Cette impression d’avoir plusieurs choses à gérer et à surveiller pendant la grossesse était partagée par plusieurs.

Perceptions quant à l’impact des messages de prévention

Les femmes recrutées dans les cours prénatals ont été particulièrement loquaces sur la question des messages d’information et de prévention leur étant destinés. Deux tendances contradictoires se dégagent de leurs discours quant à l’efficacité des efforts d’information et de sensibilisation. D’une part, il y aurait encore trop peu d’information sur le sujet et la population en général est insuffisamment informée et sensibilisée. D’autre part, le message est « passé » et les gens savent qu’il ne faut pas consommer d’alcool pendant la grossesse.

Les participantes pour qui l’information sur la consommation d’alcool pendant la grossesse est insuffisante considèrent que l’on parle très peu des impacts de l’alcool sur le bébé à naître. Elles croient que l’information actuellement véhiculée n’est pas assez directe, qu’elle ne dit pas les choses comme elles sont et qu’elle ne nomme pas spécifiquement le SAF. Selon elles, il n’y a pas assez de publicités, d’annonces et d’informations à la télévision. Certaines disent entendre parler un peu du SAF, mais de façon insuffisante. D’autres considèrent qu’encore trop peu de personnes sont rejointes. De plus, elles trouvent essentiel de faire connaître les impacts de la consommation d’alcool à toutes les femmes enceintes et pas seulement à celles qui ont des problèmes de dépendance.

Bien que certaines croient que le message soit passé, de façon unanime les participantes croient qu’il faut encore informer et faire de la sensibilisation à ce sujet. Certaines soutiennent que le message doit être clair et destiné à toute la population. Ainsi, les femmes seraient informées de la nocivité de l’alcool avant de devenir enceintes et les femmes enceintes seraient mieux soutenues par leur entourage qui serait mieux sensibilisé.

Par ailleurs, quelques femmes soulignent des incohérences dans les divers messages actuels sur le sujet. Par exemple, les messages donnés aux femmes qui ont pris de l’alcool avant de se savoir enceintes porteraient à confusion. En effet, certaines femmes sont inquiètes parce qu’elles ont bu avant d’apprendre qu’elles étaient enceintes. Les rassurer pourrait être interprété comme si ce comportement était sans danger.

L’absence d’indications claires quant à la quantité d’alcool à faible risque pendant la grossesse pose problème. De l’avis des femmes du programme d’aide, le fait que la quantité minimale d’alcool acceptable pendant la grossesse ne soit pas établie entrave la sensibilisation à la consommation d’alcool pendant la grossesse. Ces femmes ont mentionné qu’il vaudrait mieux être conscientisées au fait qu’il est préférable de ne pas consommer pendant la grossesse.

Enfin, parmi les femmes recrutées dans le programme d’aide, plusieurs mentionnent ne pas avoir lu ou même aperçu de l’information portant sur l’alcool pendant la grossesse. Certaines avouent ne pas avoir lu sur le sujet parce qu’elles ne se sentent pas concernées par celui-ci ou encore parce qu’elles ne lisent de toute façon pas beaucoup sur la grossesse. Elles suggèrent que davantage de prévention soit effectuée sur une base individuelle notamment par les médecins.

Discussion

Cette étude visant à explorer les représentations sociales des femmes enceintes au sujet de la consommation d’alcool pendant la grossesse s’est appuyée sur une méthodologie qualitative. Elle comporte donc des limites inhérentes à ce type de recherche et il n’est pas possible de généraliser les résultats obtenus. L’échantillon en est un de convenance. Le recrutement dans les cours prénatals introduit un biais de sélection puisque ceux-ci s’adressent surtout à des primipares, ce qui n’est pas le cas de celles recrutées dans le programme d’aide. Bien que des biais de désirabilité sociale ne puissent être éliminés, les entrevues individuelles, réalisées en personne, ont l’avantage de créer un climat de confiance favorisant des réponses franches de la part des femmes.

Les modes de consommation d’alcool des deux groupes de femmes ayant participé à cette étude diffèrent sensiblement. Alors que les femmes issues de milieux socioéconomiques plus faibles ne consomment généralement pas d’alcool, son usage fait partie de la vie sociale et des habitudes de vie des femmes plus favorisées. Ce constat est concordant avec une étude américaine réalisée auprès de femmes enceintes issues de divers milieux socioéconomiques qui affirme que les femmes plus aisées et plus instruites sont plus nombreuses à rapporter prendre de l’alcool au cours de leur grossesse (Copelton, 2003).

Pour l’ensemble des femmes rencontrées, prendre beaucoup d’alcool pendant la grossesse n’est pas acceptable. C’est davantage concernant la consommation modérée d’alcool que les propos des femmes diffèrent selon leur niveau socioéconomique. Ces différences résident au niveau de la construction de ces représentations. En effet, les femmes recrutées dans le programme d’aide semblent se baser sur leur sens commun et non sur des connaissances qu’elles auraient pu acquérir par la lecture de documentation ou par des contacts avec leur réseau social. Ces représentations sont plutôt arrêtées lorsqu’elles affirment par exemple que la consommation d’alcool pendant la grossesse est inacceptable, quelle qu’en soit la quantité. Quant aux femmes de milieux plus aisés, leurs représentations de la consommation modérée sont davantage nuancées. Elles ne parlent pas d’un comportement inacceptable, mais plutôt du fait qu’il soit préférable de s’abstenir afin de donner les meilleures chances au bébé. D’autres croient qu’il est acceptable de consommer de façon modérée si on évite l’excès. Ces deux représentations sont appuyées sur des connaissances acquises, notamment au moyen de la lecture et non sur le seul sens commun. Cette interprétation de ces connaissances influence leur perception de la consommation modérée d’alcool pendant la grossesse et probablement leur comportement à cet égard.

Deux principaux facteurs influencent ces représentations que les femmes se font de la consommation d’alcool pendant la grossesse : les normes sociales et l’état des connaissances.

L’environnement social de la consommation d’alcool est en évolution au Québec et il devient de plus en plus fréquent, notamment chez les groupes plus aisés de la société, de consommer de l’alcool de façon régulière (Statistique Canada, 2003). L’alcool, contrairement à d’autres produits comme le tabac, n’est pas perçu négativement dans la société. Boire de l’alcool de façon modérée ne pose pas problème et ne fait généralement pas l’objet de jugement ou de contrôle social. En fait, comme les femmes l’ont rapporté, ce sont davantage les personnes qui choisissent de ne pas consommer d’alcool qui, dans certaines situations, peuvent subir des pressions ou faire l’objet de commentaires.

L’incertitude scientifique quant à une quantité d’alcool qui ne comporterait pas de risque a aussi une influence sur les perceptions des femmes concernant la consommation d’alcool pendant la grossesse. Ainsi, le fait qu’il n’y ait pas de seuil minimum de risque connu peut être interprété différemment par les femmes selon qu’elles souhaitent ou non cesser de prendre de l’alcool pendant la grossesse. Branco et Kaskutas (2001) ont d’ailleurs constaté dans une étude menée aux États-Unis que sans des connaissances claires sur les effets potentiels de la consommation d’alcool, les femmes peuvent difficilement faire des choix éclairés quant à l’usage de l’alcool.

Les participantes à l’étude considèrent que les informations qu’elles reçoivent ne sont pas toujours cohérentes. Celles-ci proviennent de diverses sources : entourage, professionnels de la santé incluant les médecins, cours prénatals. À ces voix s’ajoutent toutes les formes écrites de documents que ce soit les dépliants, les livres sur la grossesse ou les ressources Internet. En l’absence de consensus sur la quantité d’alcool à risque, les femmes reçoivent ces informations et les classent en fonction de leurs croyances, de leurs valeurs et de la crédibilité qu’elles accordent à ces différentes sources d’information. Ainsi, pour les femmes sensibles à ce sujet, les informations portant sur la consommation d’alcool pendant la grossesse seront possiblement mieux prises en considération. Cependant, ces informations peuvent également être écartées ou banalisées par d’autres femmes qui ne se sentent pas concernées par le sujet ou pour qui la consommation d’alcool pendant la grossesse n’est pas perçue comme un comportement à risque.

Conclusion

De nos jours, la grossesse se vit dans un contexte très normalisé, tant sur les comportements à adopter que sur les exigences du suivi médical. Les femmes reçoivent de nombreux conseils, mais paradoxalement se sentent insuffisamment informées. Pour prendre des décisions éclairées, elles souhaitent recevoir des recommandations claires et précises sur la consommation d’alcool et désirent comprendre les motifs qui les sous-tendent. La question névralgique, tant pour les femmes que pour les organismes et professionnels qui font ces recommandations, demeure la quantité d’alcool sans risque pour le foetus. Or, d’ici à ce que les recherches éclairent cette question, le principe de précaution s’impose et le meilleur conseil à donner aux femmes enceintes est celui de ne pas boire d’alcool pendant la grossesse.

Cette étude a été réalisée auprès de femmes issues de la population générale et ne concernait pas celles qui éprouvent des troubles d’abus ou de dépendance à l’alcool. L’information à caractère préventif n’exclut aucunement la nécessité que toutes les femmes reçoivent, sur une base individuelle, des conseils et du soutien adaptés à leur situation spécifique. À cet égard, les médecins et les autres professionnels de la santé et des services sociaux peuvent jouer un rôle important pour questionner les femmes sur leur consommation d’alcool et pour leur donner des conseils ainsi que pour soutenir celles qui ont des difficultés à diminuer leur consommation.