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Ce numéro rassemble des contributions francophones qui abordent la consommation de substances psychoactives chez des personnes qui ont des relations sexuelles avec des personnes de même sexe/genre ou qui s’identifient comme gaies, lesbiennes, bisexuelles ou non exclusivement hétérosexuelles. Issus du Québec et de la France, ces travaux permettent notamment de cerner les substances les plus consommées dans ces populations hétérogènes. L’étendue des substances discutées dans ces articles est vaste, incluant autant le tabac ou l’alcool, des médicaments pour réguler l’anxiété ou augmenter les performances sexuelles (obtenus par ordonnance ou autrement), que des substances psychoactives couramment utilisées à des fins récréatives.

Reflet de la préoccupation à l’égard des risques pour la santé sexuelle que peut représenter la consommation, notamment en matière d’infections transmissibles sexuellement, en particulier le VIH, les travaux rassemblés ici se concentrent principalement sur les hommes gais, bisexuels et ceux ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes. Les sources auxquelles ils puisent montrent l’existence de profils distincts de consommation dans les populations étudiées ainsi que l’évolution de la consommation des substances au cours de la dernière décennie. Alors que certains profils relèvent de la consommation occasionnelle de substances d’usage répandu (tabac, alcool), d’autres présentent une consommation régulière de substances psychoactives susceptible de se révéler problématique à en croire les indices de santé sexuelle et mentale qui y sont associés. La consommation à des fins récréatives et la consommation avant ou pendant les rapports sexuels, incluant le chemsex, sont également des thèmes abordés.

Ce numéro permet aussi d’identifier des facteurs associés aux trajectoires de consommation, comme les enjeux relatifs à la stigmatisation et à l’acceptation de l’orientation sexuelle ou encore la fréquentation de certains lieux de socialisation gais, permettant ainsi de formuler des recommandations pour le dépistage et l’intervention. Les lecteurs trouveront également des informations sur les conséquences des différents patrons de consommation, notamment sur les comportements sexuels à risque d’infection par le VIH ou sur le bien-être personnel, relationnel et social.

Le numéro commence par l’article de Velter et ses collaboratrices. S’appuyant sur les données d’une enquête française, les auteures démontrent notamment que différentes définitions de l’orientation sexuelle, basées sur l’auto-identification ou sur le sexe ou le genre des partenaires, révèlent différents portraits de consommation et sont susceptibles de moduler la taille des effets entre la consommation et différents facteurs associés. L’article révèle une consommation plus importante de substances chez les personnes qui ont des partenaires à la fois masculins et féminins, sans que les caractéristiques sociodémographiques, des éléments du mode de vie, de la détresse psychologique ou de la discrimination vécue n’expliquent cette élévation. Il reste donc nécessaire d’approfondir notre compréhension du vécu des personnes ayant des partenaires de plusieurs genres.

Par la suite, Flores-Aranda, Bertrand et Roy illustrent comment les trajectoires addictives des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes sont intimement reliées à leur vécu homosexuel. Dans les trajectoires qu’ils analysent suivant une approche qualitative, ils identifient des moments critiques durant lesquels les patrons de consommation sont particulièrement susceptibles de se transformer : lors de la découverte et de l’acceptation des désirs homoérotiques ; lors de la rencontre d’un partenaire sexuel ou affectif ou dans le cadre d’une relation de couple ; lors de l’expérimentation sexuelle ; ou lors de la socialisation dans le milieu gai, notamment dans des espaces de socialisation sexualisés. L’une des contributions originales des auteurs est de décrire la relation d’influence bidirectionnelle entre ces moments critiques du vécu homosexuel et les patrons de consommation.

Léobon, Dussault et Otis présentent, pour leur part, une analyse de données d’enquête portant sur le phénomène du chemsex en France et les profils de santé associés chez des hommes qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes. Ils décrivent trois groupes de répondants : ceux qui ont consommé au moins une substance dans les douze derniers mois, excluant les substances liées au chemsex, les consommateurs occasionnels des substances associées au chemsex et leurs consommateurs réguliers. La comparaison de ces trois groupes révèle que la consommation des substances associées au chemsex est associée à des indicateurs de bien-être personnel, interpersonnel et social qui suggèrent une grande vulnérabilité, incluant à l’égard des infections transmissibles sexuellement.

À partir des données colligées dans un centre communautaire de dépistage rapide du VIH à Montréal, Blais et ses collègues décrivent l’évolution, entre 2009 et 2016, de la consommation de substances en contexte sexuel chez des hommes séronégatifs pour le VIH ou de statut inconnu qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes. Ils montrent notamment que si la plupart des substances à l’étude ont décliné entre 2009 et 2014-2015, elles ont par la suite recommencé à augmenter légèrement. Leurs analyses montrent aussi que la consommation des substances à l’étude est associée à une probabilité plus élevée d’avoir des relations sexuelles à risque d’infection par le VIH, réaffirmant ainsi le rôle important de cette consommation dans l’épidémie du VIH au sein de ce groupe.

Finalement, Dumas et ses coauteurs abordent la formation des intervenants en santé sexuelle et en dépendance. Reposant sur un devis mixte, leur recherche vise à identifier les besoins et les attentes des utilisateurs potentiels afin d’orienter le développement d’une communauté de pratique virtuelle. Les auteurs montrent que les communautés de pratique en ligne sont jugées pertinentes, entre autres, pour parfaire la formation et le développement des compétences des intervenants impliqués, pour améliorer la qualité des services proposés et pour développer des collaborations intersectorielles et interdisciplinaires. Cet article est aussi l’occasion de présenter un outil d’évaluation des besoins de formation des intervenants en santé sexuelle et en dépendance susceptible d’inspirer les travaux futurs en la matière.

En rassemblant ces différentes contributions, ce numéro offre un aperçu de la recherche actuelle au Québec et en France sur la consommation de substances chez des personnes qui ont des relations sexuelles avec des personnes de même sexe/genre ou qui s’identifient comme gaies, lesbiennes, bisexuelles ou non exclusivement hétérosexuelles. Il met à la disposition d’un lectorat francophone des données récentes sur le sujet et présente des pistes susceptibles de guider le développement d’interventions susceptibles de soutenir ces populations hétérogènes, mais marginalisées et vulnérables.