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Introduction

Depuis quelques années, l’utilisation de produits à effets psychoactifs pour améliorer la performance intellectuelle et physique s’est beaucoup accrue dans notre société (Copeland et Potwarka, 2015 ; Levy et Thoër, 2008 ; Mazanov, Dunn, Connor et Fielding, 2013). Cette croissance s’explique surtout par le fait que nous vivons dans une société où les notions de performance, d’efficacité, de rendement et de réussite sociale occupent une place primordiale (Laure, 2000). Selon Ehrenberg (1991), la réussite sociale passe par la performance. En d’autres termes, pour être reconnu socialement, il faut être performant. Ce dépassement de soi peut pousser l’individu à vouloir utiliser des produits dopants, soit une substance dont l’effet pharmacologique ou l’expérience a le potentiel d’améliorer la performance, mais peut en même temps présenter un risque avéré ou potentiel pour la santé (Agence mondiale antidopage, 2015).

Certains sportifs propulsés par le goût du dépassement et de la victoire (Girard, 2007) sont à la recherche de performance physique et utiliseront une variété de produits pour y parvenir (Lisha et Sussman, 2010) en fonction de la discipline (Lorente, Petteri-Watel et Grelot, 2005 ; Lisha et Sussman, 2010) et du niveau de compétition dans lesquels ils évoluent (Veliz, Epstein-Ngo, Zdroik, Boyd et McCabe, 2016). A contrario, certaines études démontrent que le sport peut être un facteur de protection pour les adolescents et les jeunes adultes quant à l’usage de ces produits (Veliz, Bold et McCabe, 2016 ; Vidot et al., 2019).

Les étudiants et les professionnels optant pour une carrière enrichissante peuvent également être en quête de performance. Ces derniers adoptent ces conduites pour acquérir des habilités et des capacités intellectuelles leur permettant de faire face aux multiples contraintes académiques et professionnelles auxquelles ils sont confrontés. C’est donc pour eux une façon de réagir à leurs divers engagements scolaires et sociaux (Thoër et Robitaille, 2011).

Selon Lorente, Petetti-Watel et Grelot (2005), la consommation d’alcool et d’autres drogues semble être endogène : « la consommation de cannabis pour améliorer le rendement sportif conduit à la consommation de cannabis afin d’améliorer la performance non sportive et réciproquement ». Ainsi, l’usage d’une substance psychoactive, peu importe la raison, peut entraîner son usage en lien avec les diverses facettes de la vie d’un individu.

En règle générale, la conduite dopante englobe une multitude de pratiques consistant à la consommation de produits, quels qu’ils soient, pour améliorer les performances physiques, intellectuelles, sexuelles ainsi que le contrôle des humeurs et de l’image corporelle afin d’affronter ou de surmonter un obstacle réel ou ressenti (Laure, 2000 ; Lévy et Thoër, 2008). Ces pratiques peuvent aller de l’abus de produits en vente libre à la consommation de produits illicites et de drogues, incluant le détournement de produits médicamenteux de leur usage médical (Arria, Caldeira, Bugbee, Vincent et O’Grady, 2017 ; Vrecko, 2015). Dépendamment des circonstances et des effets recherchés, les amateurs de conduites dopantes ont recours à diverses substances, notamment les stimulants (amphétamine, cocaïne, etc.), les anabolisants, les dépresseurs (alcool, gamma-hydroxybutyrate, etc.), les perturbateurs (cannabis, psilocybine, ecstasy, hallucinogène, etc.) et les suppléments de vitamines et de créatine.

Une autre pratique qui gagne de plus en plus en popularité est la consommation de comprimés de caféine, de boissons énergisantes (à haute teneur de caféine) et de mélanges d’alcool et de boissons énergisantes pour améliorer les performances cognitive et académique (Brand et Koch, 2016 ; Cheung et Keller-Olaman, 2017 ; McIlvain, Noland et Bickel, 2011 ; Wolff, Baumgarten et Brand, 2013). Au Canada, il n’existe actuellement aucune mesure réglementaire visant à restreindre l’accès ou la consommation de ces produits par les jeunes (Santé Canada, 2013). Santé Canada a cependant émis plusieurs avertissements sur les risques d’une telle consommation pour la santé et la sécurité personnelle (Santé Canada, 2010, 2012). Malgré ces avertissements, les adolescents et les jeunes adultes ont de plus en plus recours à la consommation de ces produits (Brache, Thomas et Stockwell, 2012 ; Cheung et Keller-Olaman, 2017). Selon Brache et Stockwell (2011), 23,0 % des étudiants de l’Université de Victoria ont reporté avoir consommé des boissons alcoolisées caféinées au cours des 30 derniers jours. La consommation de ces boissons vendues prémélangées ou mélangées par le consommateur est liée à certains comportements à risque, en particulier la consommation excessive d’alcool, la consommation de cannabis, le fait de conduire avec les facultés affaiblies, de commettre une agression sexuelle ou d’en être victime, et de s’engager dans des batailles (Arria, Caldeira, Bugbee, Vincent et O’Grady, 2017 ; Azagba, Langille et Asbridge, 2013 ; Brache, Thomas et Stockwell, 2012 ; Larson, Laska, Story et Neumark-Sztainer, 2015 ; Peacock, Bruno, Jason Ferris et Winstock, 2017). Plusieurs auteurs s’entendent pour dire que l’effet stimulant de la caféine pourrait aussi masquer certains effets dépresseurs de l’alcool sur le système nerveux central de l’individu, ce qui l’encouragera à boire plus longtemps et à rester plus actif sans reconnaître les signes d’intoxication à l’alcool (Brache, Thomas et Stockwell, 2012 ; Marczinski, Fillmore, Henges, Ramsey et Young, 2013).

Une autre pratique courante est le recours aux stéroïdes anabolisants sans raison médicale (Chant, 2019 ; Cook, Radford et Durham, 2018 ; Erickson, Stanger, Patterson et Backhouse, 2019) et l’usage non médical de stimulants sur ordonnance (King, Benoit, Repa et Garland, 2020 ; Teter, DiRaimo, West, Schepis et McCabe, 2020 ; Thoër et Robitaille, 2011 ; Vrecko, 2015) chez les étudiants canadiens et américains dans le but d’améliorer, entre autres, la concentration, la mémoire, la capacité à rester alerte ou l’apparence physique. Certains étudiants utilisent les stimulants sur ordonnance aussi pour des raisons récréatives, pour socialiser, pour avoir du fun durant les fêtes, pour perdre du poids et pour combattre la fatigue (Benson, Flory, Humphreys et Lee, 2015 ; Jeffers, Benotsch et Koester, 2013). Selon le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS, 2018), le taux d’usage non médical de stimulants sur ordonnance chez les étudiants universitaires est plus élevé que celui des adultes en général. On note de plus une augmentation de la prévalence de cette consommation chez les étudiants canadiens au postsecondaire. Cette dernière est en effet passée de 3,7 % en 2013 à 4,5 % en 2016 (American College Health Association, 2013 ; American College Health Association 2016 ; CCDUS, 2019). Les étudiants abusent ou utilisent illégalement des médicaments stimulants comme des amphétamines et du méthylphénidate surtout pendant les périodes stressantes, comme la période des examens, pour rester éveillés et concentrés afin de réviser leurs matières et obtenir de bonnes notes (Moore, Burgard, Larson et Ferm, 2014), et ce, bien que des études aient démontré que les étudiants qui font l’usage des stimulants sans ordonnance ont habituellement de moins bonnes notes (Arria, O’Grady, Caldeira, Vincent et Wish, 2008 ; CCDUS, 2018 ; Teter et al., 2020). Les mêmes constats sont également tirés d’études menées dans les universités australiennes (Mazanov et al., 2013).

La tendance à recourir à diverses substances combinées est également signalée. Les étudiants qui ont eu recours aux médicaments stimulants à des fins de performances signalaient en effet la consommation d’autres substances telles que l’alcool, le tabac, le cannabis, l’ecstasy et la cocaïne (Benson et al., 2015 ; Teter et al, 2020). Les mêmes constats ont aussi été établis chez les étudiants prenant des stéroïdes anabolisants à des fins de performance (McCabe et Teter, 2007).

En d’autres termes, les conduites dopantes en milieu postsecondaire sont complexes et peuvent être motivées par divers facteurs. Parmi ces nombreux facteurs déclencheurs, le facteur contextuel et l’attitude individuelle demeurent les déterminants principaux. L’étude de Desantis et Hane (2010) sur la justification de l’utilisation illégale de médicaments stimulant chez les étudiants américains a révélé que ces derniers perçoivent cette pratique, bien qu’étant modérée et occasionnelle, comme étant non offensive et moralement acceptable vue le caractère compétitif de l’environnement. De même, certains jeunes adultes québécois perçoivent les médicaments stimulants « comme des produits efficaces et relativement sécuritaires, et leur utilisation pour améliorer la performance est jugée légitime, puisqu’elle vise la réussite académique ou professionnelle » (Thoër et Robitaille, 2011, p. 144). Ils considèrent aussi leurs effets plus stables, plus prévisibles et souvent plus puissants que ceux des drogues illégales (Thoër, 2014, p. 16). Forlini et Racine (2009) ont démontré que les étudiants, leurs parents et les professionnels de la santé partagent les mêmes convictions concernant la pratique dopante des étudiants. Tous s’accordent sur le fait que cette pratique est « une décision qui relève de la liberté individuelle et qui s’inscrit dans un contexte où les étudiants sont soumis à d’immenses pressions sociales pour réussir et performer » (Thoër et Robitaille, 2011, p. 149). Bien que la possession illégale et l’obtention d’ordonnances multiples de stimulants soient illégales et passibles d’emprisonnement au Canada (Gouvernement du Canada, 2013 ; CCDUS, 2019), l’étude de Petersen et Petersen (2019) montre d’ailleurs que les étudiants ne sont pas préoccupés par cette illégalité, car les pratiques des autorités face à ce problème sont assouplies et ne reflètent pas toujours la loi. Ces auteurs se demandent « si les zones grises entre les pratiques des autorités et la loi réelle pourraient, à certains égards, être considérées comme coercitives » (Petersen et Petersen, 2019).

La consommation des produits psychoactifs par les jeunes adultes est aussi associée à certaines variables socioéconomiques comme l’âge et le sexe et à des variables psychosociales dont le niveau d’anxiété et de stress (Sattler et Wiegel, 2013). Par exemple, selon le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (2018, avril), l’usage non médical des stimulants sur ordonnance est souvent associé au fait d’être un homme, d’être Caucasien, d’avoir des résultats scolaires plus faibles, de même qu’à un niveau de stress et de mauvaise humeur plus élevé.

Bien que le premier objectif du dopage soit connu (rechercher la performance physique, la performance intellectuelle ou le modelage de l’apparence physique), les finalités ne sont pas en soi indépendantes les unes des autres. Les conséquences du dopage sont nombreuses aussi bien sur le plan de la santé physique et mentale que sur le plan social (Gagnon et al., 2010). La liste de conséquences est longue, dépendamment des produits consommés, de leur quantité et qualité ainsi que des caractéristiques du consommateur (ex. : l’âge, le sexe, le poids). Les effets les plus communs des produits dopants comprennent la dépendance, l’insomnie ou les troubles de sommeil, l’anxiété, l’irritabilité, l’agressivité, la diminution de l’appétit, la tachycardie, l’augmentation du seuil de tolérance, les hallucinations, les cancers du foie et de la prostate, les troubles sexuels, l’hypertrophie ventriculaire et les problèmes cardio-vasculaires (Abelman, 2017 ; American Addiction Centers, 2017 ; Bird, Goebel, Burke et Greaves, 2016 ; CCDUS, 2019 ; Seifert, Schaechter, Hershorin et Lipshultz, 2011.). Les effets de certains de ces produits sur le système nerveux central peuvent également varier et, selon le cas, être néfastes.

Quoique plusieurs études aient été menées auprès de jeunes adultes ailleurs dans le monde en ce qui a trait à la consommation de stimulants (King et al., 2020), de cannabis (Docter et al., 2020), de mélanges d’alcool et de boissons énergisantes (Verster et al., 2018), peu d’études canadiennes se rapportent à la consommation de ces produits et encore moins à la consommation de l’ensemble de substances psychoactives utilisées pour améliorer la performance physique ou intellectuelle en milieu universitaire (CCDUS, 2016, juillet ; Pulver, Davison et Pickett, 2014). Or, les jeunes de ce groupe d’âge sont particulièrement à risque en ce qui a trait à ce genre de comportement. Ces pratiques dopantes représentent même un défi particulier pour les autorités universitaires et sportives, les enseignants ou professeurs et les professionnels de la santé, car trop souvent, les étudiants banalisent ces comportements qu’ils croient répandus sur leur campus (Thoër, 2014). Une meilleure connaissance des produits dopants les plus utilisés et des facteurs socioéconomiques associés à l’usage de ces produits et une compréhension de la motivation derrière cette utilisation sont donc essentielles pour mettre au point des stratégies d’informations, d’éducation, de prévention et d’intervention efficaces (Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, 2007 ; CCDUS, 2016, juin) auprès des jeunes en milieu postsecondaire. Avant de mettre en place des programmes de prévention et de sensibilisation, il importe en effet de connaître l’ampleur de l’usage de ces produits, surtout les plus utilisés dans son contexte local, et les motivations derrière cet usage. Ainsi, le premier objectif de cet article est de décrire l’utilisation des produits dopants par les étudiants universitaires et collégiaux d’un établissement postsecondaire au Manitoba. Le second objectif sera d’analyser les motivations des jeunes par rapport à l’utilisation de ces produits. Le troisième objectif sera de mesurer l’influence de certaines variables comme le sexe, l’âge, l’appartenance à une ligue de sport, le groupe ethnolinguistique (Francophones du Manitoba, Francophones d’un autre pays francophone et Anglophones du Manitoba) et les motivations, en ce qui concerne l’utilisation de ces produits.

Méthodologie

Dispositif et échantillon

L’étude a été menée auprès de la population étudiante des programmes universitaires et collégiaux de l’Université de Saint-Boniface (USB). Cette dernière est le seul établissement postsecondaire francophone au Manitoba, province où la population anglophone est majoritaire. L’USB comptait en 2018-2019 environ 1 400 étudiantes et étudiants, dont approximativement 69,0 % étaient des femmes et 16,0 % détenaient un permis d’étude (étudiants internationaux). Les étudiants provenaient principalement des écoles de la Division scolaire franco-manitobaine et des écoles d’immersion française du Manitoba. Les étudiants internationaux provenaient principalement de pays francophones africains, dont le Sénégal et le Maroc.

Une approche quantitative a été utilisée pour mesurer le profil socioéconomique et académique des étudiants et des étudiantes, l’utilisation de produits dopants et les raisons associées à leur utilisation.

L’approbation éthique de l’étude a été accordée par le Comité d’éthique en recherche de l’Université de Saint-Boniface.

Un échantillonnage de convenance a été utilisé pour la collecte des données. Une sélection des cours a cependant été faite pour assurer la représentation adéquate des étudiants de différentes années d’études, différents programmes et différents groupes ethnolinguistiques. Le sondage a été effectué par les assistantes de recherche durant les heures de cours. Les participants ont pris connaissance d’une explication claire et concise de la nature de la recherche et du rôle du participant ; le consentement libre et éclairé a été obtenu des participants avant qu’ils complètent le sondage. La collecte des données s’est effectuée à l’automne 2015. Ce sondage a été distribué à 605 étudiants de tous les âges, et seulement 12 étudiants ont refusé de le remplir. Ceci représente un taux de réponse de 98,0 % comparé aux autres études réalisées auprès des étudiants de premier cycle, où le taux varie de 32,0 % à 38,0 % (Chinneck et al., 2018 ; Thomson et al., 2017). Cela dit, seules les données des 469 étudiants âgés de 18 à 24 ans ont été considérées dans ce présent article afin de limiter l’analyse aux jeunes adultes.

Variables et instruments de mesure

Les participants ont rempli un questionnaire portant sur leur situation socioéconomique et académique, sur leur consommation d’alcool et de tabac, leur consommation de produits psychoactifs pour améliorer la performance intellectuelle ou physique, ainsi que sur les motivations et les attitudes associées à leur consommation.

Variables socioéconomiques et académiques

Les variables socioéconomiques et académiques incluant l’âge, le sexe, le programme d’études, la moyenne scolaire rapportée, le revenu, le nombre d’heures de travail en moyenne par semaine, la satisfaction de la vie en général et d’autres caractéristiques descriptives tirées du questionnaire de l’Enquête sur les campus canadiens de 2004 (Adlaf, Demers et Gliksman, 2005) ont été mesurées. L’appartenance à un groupe ethnolinguistique (Francophone du Manitoba, Anglophone du Manitoba et Francophone d’un autre pays francophone) et le fait d’être inscrit ou non dans une ligue de sport figuraient également aux nombre des variables mesurées.

Consommation de produits psychoactifs pour améliorer la performance physique ou intellectuelle

Les participants ont répondu à une série de questions portant sur leur fréquence de consommation de dix-sept produits légaux ou illégaux comme le cannabis, les boissons énergisantes et les stimulants sur ordonnance, au cours de leur vie ou au cours des 12 derniers mois précédant le sondage, par des questions comme « Au cours des 12 derniers mois, à quelle fréquence avez-vous fait usage des substances, méthodes et produits suivants dans l’intention d’améliorer votre performance physique ou intellectuelle ».

Deux questions portant sur la consommation de mélange d’alcool et de boissons énergisantes ou encore de mélange d’alcool et de drogues au cours de la vie ont été également posées.

Motifs de consommation des produits psychoactifs

Treize questions fermées de type « oui/non » ont été posées pour mesurer les motivations derrière l’usage de ces produits. Ces motivations étaient, par exemple, pour améliorer la concentration, rester éveillé, réduire le stress, avoir une meilleure mémoire, etc. L’option « Autres » comme choix de réponse était aussi proposée.

Analyses statistiques

Les données ont été analysées avec le logiciel de statistiques SPSS version 21 (Inc., Chicago, IL) et ont été présentées selon le sexe (Poole et Greaves, 2007). Les statistiques descriptives (moyennes et écarts-types ou proportions) ont été utilisées pour décrire les caractéristiques socioéconomiques et académiques, la prévalence de l’utilisation des produits au cours de la dernière année et les motivations des participants et des participantes quant à l’usage de ces produits. Les comparaisons de ces variables selon le sexe ont été faites au moyen d’un test de Chi-deux ou test exact de Fisher. Pour étudier les effets des variables socioéconomiques et académiques et les motivations au regard de l’utilisation de ces produits, des régressions logistiques multiples avec la sélection « Stepwise » et un critère de seuils d’inclusion de 0,15 et d’exclusion de 0,20 (Lee and Koval, 1997) ont aussi été réalisées. Les variables indépendantes significatives à 10,0 % dans les analyses univariées ont été retenues dans les modèles de régressions logistiques multivariées. Les variables dépendantes, codifiées chacune selon l’utilisation ou non au cours de la dernière année, sont la consommation de cannabis, de comprimés de caféine et de boissons énergisantes ainsi que la consommation d’alcool, de mélange d’alcool et de drogues et de mélange d’alcool et de boisson énergisante. Ce choix de produits comme variables dépendantes s’explique par le fait que ces produits, en plus d’être nocifs pour la santé, sont les plus consommés par les jeunes pour améliorer leurs performances physiques ou intellectuelles.

Résultats

Descriptifs de l’échantillon

L’échantillon était composé de 469 étudiants et étudiantes âgés de 18 à 24 ans dont les deux tiers étaient des femmes. La description de l’échantillon selon le sexe est présentée au Tableau 1. Les variables statistiquement significatives à 5,0 % pour comparer les hommes et les femmes sont l’âge, le nombre d’heures de travail, les personnes avec lesquelles ils vivent, l’appartenance à un groupe ethnolinguistique et le fait d’être inscrit ou non à une ligue de sport. On note que les hommes étaient, en moyenne, légèrement plus âgés que les femmes (20,3 ans versus 19,8 ans), moins nombreux à avoir un travail rémunéré de plus de 10 heures (36,8 % versus 50,0 %) et à habiter avec leurs parents (49,7 % versus 68,2 %). Ils étaient aussi plus nombreux que les femmes à être inscrits dans les ligues de sport (43,4 % versus 33,4 %). Par ailleurs, une grande majorité (94,6 %) des répondants au sondage prenait des cours à temps plein et plus de 80,0 % disaient avoir une moyenne scolaire allant de très bonne à excellente. Une proportion non négligeable d’étudiants et d’étudiantes se disaient en outre insatisfaits (19,8 %) ou incertains (10,8 %) de leur vie en général.

Tableau 1

Profil socioéconomique et académique selon le sexe

Profil socioéconomique et académique selon le sexe

Tableau 1 (continuation)

Profil socioéconomique et académique selon le sexe

Notes : Les données sont rapportées en pourcentages, sauf pour l’âge, où la moyenne et l’écart-type sont rapportés ;

1 : test de chi-carré ou test exact de Fisher ;

2 : test T a été utilisé ;

* : test statiquement significatif à 5,0 %

Université 1 : programme de première année universitaire ;

FAFS : Faculté des arts et Faculté des sciences ;

FÉÉP : Faculté de l’éducation et des études professionnelles ;

ETP : École technique et professionnelle.

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Utilisation des produits psychoactifs

La plupart des étudiants ont indiqué avoir consommé de l’alcool au cours de leur vie (78,4 %) et au cours du mois précédant l’étude (66,0 %). En outre, les prévalences de consommation d’alcool excessive, c’est-à-dire au moins cinq verres d’alcool en l’espace de deux à trois heures, sont aussi très élevées, soient 59,2 % au cours de la vie et 36,9 % au cours du mois précédant l’étude. Par ailleurs, un étudiant sur quatre a déjà consommé du tabac (cigarette, cigares, cigarillos, tabac à mâcher, tabac à priser nasal ou oral) et un sur dix a déjà fumé de la cigarette au cours de la dernière année. De plus, 25,9 % des étudiants ont consommé un mélange d’alcool et de boisson énergisante et 16,6 % un mélange d’alcool et de drogues au cours de leur vie.

Les trois quarts des participants de l’étude reconnaissaient avoir fait usage, dans les 12 mois qui ont précédé le sondage, de l’un ou plusieurs produits dopants (listés dans le Tableau 2). Parmi ces substances, ce sont principalement le cannabis (24,5 %), les boissons énergisantes (38,3 %), les boissons de récupération (53,8 %), les suppléments de vitamines (38,9 %), les suppléments de protéines et de créatine (21,9 %) et les comprimés de caféine (13,0 %) qui sont utilisés. De plus, 27,0 % des hommes et 14,0 % des femmes avaient utilisé au moins quatre de ces produits à des fins de performance intellectuelle ou physique au cours de la dernière année. La consommation de certains produits par les étudiants, comme les amphétamines, le GHB, les substances volatiles, le méthylphénidate, les produits anabolisants et les opioïdes, était cependant très faible, voire inexistante pour les opioïdes.

La comparaison entre les hommes et les femmes par rapport à l’utilisation de ces produits montrent que les prévalences de consommation des boissons énergisantes (49,7 % versus 32,6 %) et des suppléments de protéines et de créatine (28,0 % versus 18,9 %) au cours de la dernière année sont plus élevées chez les hommes que chez les femmes. Les autres variables n’étaient pas statistiquement significatives à 5,0 % sauf pour la psilocybine (2,3 % pour les femmes et 7,3 % pour les hommes), les amphétamines (0,0 % pour les femmes et 2,0 % pour les hommes) et la cocaïne ou crack (1,3 % pour les femmes et 5,3 % pour les hommes), avec de faibles prévalences (mais non négligeables).

Tableau 2

Utilisation des produits psychoactifs pour améliorer la performance physique ou intellectuelle au cours de la dernière année, par sexe

Utilisation des produits psychoactifs pour améliorer la performance physique ou intellectuelle au cours de la dernière année, par sexe

Note : Les données sont rapportées en pourcentages et le Test de chi-deux ou le test Exact de Fisher est utilisé pour comparer homme/femmes ;

a : Vente libre ;

b : Médicaments en vente sur ordonnance (substances réglementées par le Gouvernement du Canada en vertu de la Loi sur les aliments et drogues ;

c : Drogue illégale ;

1 : Test de chi-carré ou test exact de Fisher

* : statistiquement significatif à 5,0 %

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Motivations de l’utilisation des produits dopants

En règle générale, quel que soit le sexe, les raisons évoquées en lien avec l’utilisation des substances psychoactives sont les mêmes, mais à des degrés variés (voir Tableau 3). Les principales motivations rapportées étaient pour : combattre la fatigue physique (31,9 %), rester éveillé (29,4 %), réduire le stress (24,2 %), passer de longues heures à étudier (22,4 %), améliorer la concentration ou briser la distraction (21,1 %), avoir de meilleures performances sportives (15,8 %), améliorer l’apparence physique (12,8 %) et obtenir de bonnes notes aux examens (12,2 %).

Les comparaisons quant aux motivations, en utilisant le test de chi-deux ou le test exact de Fisher, montrent que les hommes étaient plus nombreux que les femmes à évoquer les motivations en lien avec la performance et l’apparence physique : avoir de meilleures performances sportives (27,7 % versus 10,2 %), améliorer l’apparence physique (23,3 % versus 7,8 %) et être le meilleur de sa discipline sportive (15,4 % versus 5,9 %). Les autres variables n’étaient pas statistiquement significatives à 5,0 %.

Tableau 3

Motivations d’utilisation des produits dopants selon le sexe

Motivations d’utilisation des produits dopants selon le sexe

*Significatif à 5,0 %

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Régressions logistiques multiples liées à l’usage de produits dopants

Les résultats présentés dans le Tableau 4 révèlent que la consommation d’alcool et la consommation excessive d’alcool (consommation de cinq verres d’alcool ou plus dans l’espace de deux ou trois heures au moins une fois par mois) étaient positivement associées à l’âge (OR = 1,25 et OR = 1,35) et négativement associées au groupe des étudiants francophones d’un autre pays francophone (OR = 0,06 et OR = 0,12). La consommation d’alcool était aussi positivement associée au fait d’être inscrit à une ligue de sport (OR=2,51) et au nombre d’heures de travail rémunéré. Cependant, les étudiants qui utilisaient des produits pour être meilleurs dans leur discipline sportive étaient respectivement 4,55 (OR =1/0,21) et 4,76 (OR = 1/0,22) fois moins susceptibles de consommer de l’alcool et d’en consommer de façon excessive. Cela dit, les hommes étaient respectivement 1,75 fois et 2,6 fois plus à risque de consommer excessivement de l’alcool et des mélanges d’alcool et de drogues que les femmes. Les consommations de mélanges d’alcool et de boissons énergisantes ou des mélanges d’alcool et de drogues étaient pour leur part positivement associées au revenu annuel. Les étudiants insatisfaits de leur vie en générale et ceux incertains de leur vie en générale étaient respectivement 2,09 fois et 2,42 fois plus susceptibles de consommer les mélanges d’alcool et de boissons énergisantes. Tandis que les étudiants se définissant comme des Francophones d’un autre pays francophone étaient moins à risque de consommer les mélanges d’alcool et de boissons énergisantes. La motivation à réduire le stress était quant à elle associée à une consommation d’alcool (OR = 4,36), à une consommation excessive d’alcool (OR = 2,7), à de mélanges d’alcool et de boissons énergisantes (OR = 3,29) ainsi qu’à des mélanges d’alcool et de drogues (OR = 7,93).

Tableau 4

Régressions logistiques multiples de la consommation d’alcool et de mélange d’alcool

Régressions logistiques multiples de la consommation d’alcool et de mélange d’alcool

OR : Odd Ratio (Exp(B))

IC : intervalle de confiance à un niveau de confiance de 95,0 %

BE : boisson énergisante

Réf : groupe de référence

* : statistiquement significatif à 5,0 %

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Les résultats sur les associations entre la consommation de cannabis, de comprimés de caféines et de boissons énergisantes sont présentés au Tableau 5. On note que les étudiants plus jeunes (OR = 0,73) et qui s’identifiaient comme des Anglophones du Manitoba (OR = 5,15) étaient plus susceptibles de consommer les comprimés de caféine, tandis que les étudiants plus âgés (OR=1,83), de sexe masculin (OR = 1,78), avec un revenu de plus de 10 000 $ (OR = 3,08), qui travaillaient 20 heures ou plus par semaine (OR = 3,14) et se définissant comme des Francophones d’un autre pays francophone (OR=3,30) étaient plus à risque de consommer les boissons énergisantes. Les étudiants se définissant comme des Francophones du Manitoba, inscrits à une ligue de sport (OR = 2,00), ayant un revenu de plus de 10 000 $ et incertains de leur satisfaction à la vie en général étaient par ailleurs plus à risque de consommer du cannabis. De façon générale, la consommation de cannabis était associée à la motivation de réduire le stress (OR = 4,10), tandis que la consommation de boissons énergisantes (OR = 2,51) et la consommation de comprimés de caféine (OR = 12,12) étaient associées à la motivation de rester éveillé. Il importe cependant de noter que la longueur de l’intervalle de confiance du rapport de cotes (odds ratio) ajustés de cette dernière association était large et que ces données doivent par conséquent être considérées avec prudence.

Tableau 5

Régressions logistiques multiples des produits dopants

Régressions logistiques multiples des produits dopants

Tableau 5 (continuation)

Régressions logistiques multiples des produits dopants

OR : Odd Ratio (Exp(B))

IC : intervalle de confiance à un niveau de confiance de 95,0 %

Réf : groupe de référence

* : statistiquement significatif à 5,0 %

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Discussion

Cette étude tente de mesurer la fréquence de consommation de produits psychoactifs par les étudiants et les étudiantes de premier cycle d’une petite université en contexte linguistique minoritaire dans l’Ouest canadien. Outre la consommation d’alcool, de tabac, de mélanges d’alcool et drogues ou de mélanges d’alcool et de boissons énergisantes, les produits psychoactifs, qu’ils soient en vente libre, en vente sur ordonnance ou des drogues illicites, étaient consommés dans le but d’améliorer la performance intellectuelle ou physique. Il importe de souligner que la consommation de tels produits par les jeunes adultes canadiens est peu documentée et mal cernée (Reid et al., 2017 ; Thoër et Robitaille, 2011).

Prévalences de consommation de produits psychoactifs

Les prévalences de consommation de produits psychoactifs chez les étudiants, que ce soit l’alcool, le cannabis, le tabac et les boissons énergisantes, sont très élevées. Ce constat confirme les conclusions d’autres études canadiennes démontrant que les prévalences de la consommation de ces substances sont beaucoup plus élevées chez les jeunes adultes, dont les étudiants de premier cycle, que dans les autres groupes d’âge de la population canadienne (Ialomiteanu, Hamilton, Adlaf et Mann, 2016 ; Rotermann et Macdonald, 2018 ; Statistique Canada, 2016). Ces jeunes sont aussi plus à risque de consommer des mélanges d’alcool et de boissons énergisantes (Brache, Thomas et Stockwell, 2012). Autre similitude avec le corpus de recherche existant, environs le tiers des étudiants de notre échantillon rapportent une consommation excessive d’alcool. Ce taux est semblable aux données québécoises recueillies dans le cadre de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2009 à 2012 auprès des jeunes âgées de 14 à 35 ans (Tessier, Hamel et April, 2014).

Par ailleurs, les taux de consommation de drogues illicites (cocaïne ou crack, LSD ou PCP, ecstasy), de boissons énergisantes et de suppléments de protéines ou de créatine au cours de la dernière année sont plus élevés chez les hommes que chez les femmes. D’après l’Enquête canadienne sur le tabac, l’alcool et les drogues (2019), le taux de consommation des drogues illicites dans la population de 15 ans et plus au cours de la dernière année était deux fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes. Ces premiers sont aussi plus nombreux à consommer des boissons énergisantes que les femmes (Reid et al., 2017 ; Vercammen, Koma et Bleich, 2019). Les résultats de cette présente étude viennent donc appuyer ces constats.

La prévalence au cours de la dernière année de l’usage des stéroïdes anabolisants qui est de 0,4 % est aussi comparable aux données canadiennes (Cook, Radford, et Durham, 2018). La consommation de stimulants vendus sur ordonnance est cependant moins prévalente (0,9 % au cours de la vie) dans cette présente étude que dans les études recensées au Canada. Le fait qu’il y ait très peu d’études sur le sujet auprès des jeunes étudiants rend difficile la comparaison avec d’autres études au niveau national. De plus, le nombre de stimulants considérés dans les études varie d’une étude à une autre. Selon les données de l’Enquête canadienne sur le tabac, l’alcool et les drogues (ECTAD) de 2017 (Statistique Canada, 2019), la prévalence d’utilisation des stimulants sur ordonnance est de 5,0 % chez les jeunes âgés de 15 à 19 ans et de 6,0 % chez les jeunes adultes âgés de 20 à 24 ans. En ce qui concerne les étudiants postsecondaires, la prévalence au cours de la dernière année de l’usage non médical des stimulants sur ordonnance varie de 3,7 % (American College Health Association, 2016) à 6,0 % (Chinneck et al., 2018). L’écart entre ces prévalences et celle de notre étude peut être expliquée par des variations régionales, la formulation des questions et les caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon dans ces différentes études (CCDUS, 2018). La composition de notre échantillon, où un quart des étudiants sont des immigrants ou des étudiants internationaux provenant presque tous de pays d’Afrique de l’Ouest, est effectivement différente de celle des autres universités. Cette différence peut être aussi expliquée par le faible taux de diagnostic du trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) au Manitoba. Une étude transversale rétrospective, menée par l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (2017), sur dix médicaments stimulants prescrits pour le TDAH montre en effet que la prévalence de l’usage des stimulants sur ordonnance chez les jeunes adultes de 18 à 25 ans est plus faible au Manitoba (2,11 %) et en Saskatchewan (2,04 %) qu’ailleurs au Canada (5,36 % au Québec et 3,11 % pour le Canada).

En ce qui concerne la consommation combinée d’alcool et de boissons énergisantes, même si Santé Canada a émis des mises en garde sur les dangers de cette consommation (Santé Canada, 2010, 2012), il n’en demeure pas moins qu’un étudiant sur quatre a admis avoir consommé un tel mélange au cours de l’année précédant cette étude. Au Canada, la prévalence de la consommation de ces boissons vendues prémélangées ou mélangées par le consommateur varie beaucoup d’une étude à une autre. Elle varie, par exemple, de 17,3 % à 20,0 % au cours de la dernière année selon la revue de la littérature systématique et méta-analyse de Verster et ses collaborateurs (2018) réalisée sur les étudiants du secondaire (9e à 12e année) et se situe à 23,0 % au cours des 30 derniers jours selon l’étude de Brache et Stockwell (2011) réalisée sur les étudiants de l’Université de Victoria. Cette tendance de consommation devra être observée de près, étant donné les campagnes publicitaires dans les médias sociaux visant en particulier les jeunes (Simon et Mosher, 2007).

La prévalence de consommation de comprimés de caféine pour améliorer la performance intellectuelle ou physique dans cette étude était de 13,0 % au cours de la dernière année et de 16,7 % au cours de la vie. Ces prévalences sont cependant moindres chez les étudiants allemands, qui rapportent respectivement des taux de consommation de 3,8 % et 13,4 % (Franke et al., 2011). Il faut noter que très peu d’études portent sur la consommation de comprimés de caféine.

Autre information intéressante, un pourcentage non négligeable (17,0 %) de répondants ont utilisé quatre produits ou plus, excluant l’alcool, le tabac, les boissons de récupération et les suppléments de vitamines, pour améliorer leurs performances intellectuelles ou physiques. Ce constat est préoccupant, car plus « le nombre de substances utilisées est grand, plus les problèmes pouvant en découler risquent d’être nombreux » (Gagnon et al., 2010).

Motivations de consommation des produits dopants

Les motivations poussant à la consommation des produits dopants tels qu’avancés par les participants dépendent des produits utilisés. Comme indiqué dans d’autres études, les produits dopants sont souvent utilisés pour combattre la fatigue physique, rester éveillé, réduire le stress, passer de longues heures à étudier, obtenir de bonnes notes aux examens et améliorer la concentration (Bennett et Holloway, 2017 ; Benson et al., 2015 ; Mazanov, Dunn, Connor et Fielding, 2013 ; Teter et al., 2020 ; Reid et al., 2017). Sur le plan physique, les motivations évoquées sont en lien avec l’atteinte de meilleures performances sportives, avec le fait d’être le meilleur dans sa discipline sportive ou encore d’améliorer son apparence physique (Ballistreri et Corradi-Webster, 2008 ; Reid et al., 2017 ; Oteri, Salvo, Caputi et Calapai, 2007). Il importe de noter que les hommes consomment plus de produits dopants pour améliorer leur performance physique et sportive (Beck, Legleye et Peretti-Watel, 2002), ce qui explique pourquoi la consommation de boissons énergisantes, de suppléments de protéines et de créatine, d’hormones de croissance et de stéroïdes anabolisants est plus élevée chez les hommes que les femmes.

L’Influence des variables sociodémographiques et des motivations

Une contribution importante de cette étude est d’avoir pu faire des associations entre la consommation de comprimés de caféine, de boissons énergisantes, des mélanges d’alcool et de boissons énergisantes ou encore d’alcool et de drogues avec le groupe ethnolinguistique (Franco-manitobains, Anglophones ou Francophones d’un autre pays francophone). L’étude a notamment démontré que les étudiants francophones d’un autre pays francophone, principalement originaires de l’Afrique, sont plus à risque de consommer des boissons énergisantes que les Francophones et Anglophones du Manitoba. La popularité des boissons énergisantes auprès de cette population peut être expliquée par l’introduction récente de ces produits dans le marché africain avec des publicités très agressives qui ciblent les jeunes (Buxton et Hagan, 2012 ; Stacey et al., 2017). Une étude réalisée auprès des étudiants d’une université zambienne en 2019, a d’ailleurs révélé que 51,0 % des participants consommaient plus d’une boisson énergisante chaque mois (Mutabazi et al., 2019). On note également un manque d’encadrement de ces produits de la part des gouvernements dans certains pays africains et occidentaux (Buxton et Hagan, 2012). Une sensibilisation accrue auprès de cette clientèle, tant ceux qui habitent maintenant au Canada que ceux dans ces pays, est nécessaire. Notons toutefois que les étudiants anglophones étaient plus susceptibles de consommer des comprimés de caféine et des mélanges d’alcool et de boissons énergisantes ou d’alcool et de drogues que les deux autres groupes. En plus des défis liés à la pression académique en milieu universitaire, ces derniers font face à un autre défi, celui d’étudier dans une langue seconde. Il est possible que la consommation de ces substances soit associée à une insécurité linguistique. Des recherches supplémentaires seront nécessaires pour étudier la cause précise de ce comportement.

Des associations ont aussi pu être établies entre le fait d’être inscrit dans une ligue de sport et la consommation d’alcool et de cannabis. Les étudiants inscrits dans une ligue, qu’elle soit communautaire, universitaire ou nationale, étaient en effet plus susceptibles d’avoir consommé de l’alcool au cours du dernier mois et du cannabis au cours de la dernière année que les étudiants qui ne fréquentaient pas de ligue. Récemment le Canada et certains états aux États-Unis ont légalisé l’usage récréatif du cannabis. Il serait donc intéressant de comprendre comment ces changements vont influencer le sport et les athlètes (Docter et al., 2020). Les différentes organisations sportives doivent adopter des règlements tenant compte de cette nouvelle réalité. Des campagnes de sensibilisation sur les risques associés à la consommation de ces produits doivent être renforcées sur le campus et auprès des populations vulnérables, tels les athlètes. À cet effet, les ligues sportives, tant communautaires que professionnelles, ont un rôle important à jouer dans la prévention des comportements associés à la consommation de substances psychoactives. Elles doivent sensibiliser les athlètes à l’égard des méfaits associés à l’usage de ces substances et prôner des comportements sains pour améliorer la performance. Des comportements qui favorisent une bonne nutrition, suffisamment de sommeil et un état de santé mental équilibré ne pourront en effet qu’être bénéfiques pour les étudiants engagés dans une quête de performance physique et intellectuelle.

Implications pratiques

Le milieu postsecondaire a longtemps été considéré comme étant un endroit où on adopte des comportements à risque. Nous savons que la majorité des étudiants et des étudiantes universitaires nord-américains consomment de l’alcool (American College Health Association, 2013, 2016) et que d’autres comportements à risque tels que la consommation excessive d’alcool, de cannabis, de boissons énergisantes, de mélanges d’alcools avec des drogues ou des boissons énergisantes, donnent lieu à des conséquences dommageables telles que l’absence des cours, les agressions sexuelles et physiques, les grossesses non voulues, les maladies transmises sexuellement, la conduite en état d’ébriété ainsi que d’autres problèmes de santé (Adlaf, Demers et Gliksman, 2005 ; Bewick et al., 2008 ; Kypri et al., 2009 ; White et Hingson, 2014). Par conséquent, il importe de réfléchir à la gestion de ces comportements afin d’enrayer ceux-ci et mettre en oeuvre des stratégies qui favorisent une bonne santé. Il est crucial d’inclure les étudiants lors des discussions qui portent sur leur santé et les stratégies déployées pour les informer, les éduquer et les aider. Vu sous cet angle, l’adoption d’une approche du genre « nothing about us without us » (Jürgens, 2005) permettrait à la fois un dialogue ouvert, authentique et bien-fondé entre étudiants et professionnels et l’exploration des stratégies intelligentes en matière de bonne santé.

Limites

Bien que cette étude présente beaucoup de points forts, certaines limites doivent tout de même être mentionnées. Les variables portant sur la consommation des produits ont été mesurées en même temps que les facteurs « supposés » les influencer. Ce devis transversal ne nous permet pas d’établir des relations causales. Seule une étude longitudinale pourrait nous permettre de déterminer les facteurs de risque et les prédicteurs de la consommation de produits dopants. Même si les mesures autodéclarées de consommation de substances psychoactives ont démontré des niveaux acceptables de fiabilité et de validité, il se peut qu’il y ait un biais de désirabilité sociale. Il est possible en effet que certains étudiants aient minimisé leur consommation de produits pour la présentée sous un angle socialement acceptable. Par ailleurs, même si la population a été sondée de manière à obtenir un échantillon représentatif de certaines caractéristiques, il n’en demeure pas moins que ce sondage n’était pas probabiliste.

Futures recherches

La suite de cette recherche serait de s’engager dans un sondage probabiliste national représentatif des étudiants canadiens en séparant la consommation pour améliorer la performance cognitive de celle liée à la performance sportive. Il serait aussi important de mesurer d’autres comportements à risque comme les comportements sexuels à risque et la conduite d’un véhicule motorisé dangereuse afin de faire les liens entre la consommation de produits dopants et ces comportements à risque. La réalisation d’une étude longitudinale nationale représentative serait également souhaitable.

Conclusion

Cette étude appuie d’autres recherches qui démontrent que les pratiques de consommation de produits à des fins d’amélioration de la performance intellectuelle ou physique sont très répandues dans les milieux universitaires. Plus encore, le cannabis, étant maintenant légalisé et facilement accessible, les étudiants semblent en banaliser la consommation et les effets néfastes sur leur santé. Il en va de même pour d’autres produits psychoactifs, telles les boissons énergisantes, qui sont en vente libre sur les campus. Les établissements postsecondaires doivent-ils jouer un rôle plus actif afin de réduire les comportements à risque des étudiants ? Peuvent-ils, par exemple, réduire l’accès à ces produits sur le campus ou du moins afficher à proximité des points d’achat les effets néfastes à court, moyen et long terme de l’usage de ces produits ? Dans la même logique, devraient-ils faire la promotion auprès des étudiants d’alternatives plus saines pour améliorer leur performance et leur permettre ainsi de cheminer plus efficacement dans leur parcours universitaire ? Répondre à ces questions exige de réfléchir davantage à la responsabilité des universités et des collèges à l’égard de la santé de leurs étudiants et étudiantes. Si les études collégiales et universitaires servent de tremplin pour d’autres occasions professionnelles, il nous semble que l’acquisition de connaissances ne devrait pas se limiter à une discipline précise. Nous croyons que les établissements d’enseignement devraient considérer les étudiants et les étudiantes comme des personnes à part entière et par conséquent, les former à réfléchir aux conséquences éventuelles de leurs décisions en matière de santé. Le rapport de l’administratrice en chef de la santé publique du Canada en 2018 porte d’ailleurs sur la prévention, axée sur l’équité et le respect des valeurs culturelles, de la consommation problématique de substances chez les jeunes (Tam, 2018). Comme quoi les campagnes de sensibilisation portant sur les risques associés à la consommation de produits dopants s’avèrent plus qu’indispensables de nos jours.

Sources de financement

Le financement pour cette étude a été obtenu du Consortium national de formation en santé par l’entremise de Santé Canada.