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Les médias et la population pointent souvent du doigt les consommateurs de drogues pour les événements regrettables qui surviennent dans notre société, particulièrement ceux impliquant de la violence. Bien que ça ne soit pas la majorité, il est vrai que certains adolescents consomment des drogues et adoptent des comportements délinquants, dont ceux violents (Brochu et al., 2016 ; Tomlinson et al., 2016).

Les impacts que pourraient avoir la consommation et la violence dans la vie des jeunes ont suscité l’intérêt des auteurs pour conduire cette étude. Pensons aux risques de judiciarisation et de stigmatisation plus importants, lesquels peuvent entraîner des problèmes interpersonnels et d’employabilité, pour ne citer que ceux-ci (Abrah, 2019 ; Bérard, 2015).

Contexte

La dernière enquête de Santé Canada sur le tabac, l’alcool et les drogues réalisée en 2018-2019 montre que la substance la plus consommée par les élèves canadiens de la première à la cinquième secondaire est l’alcool, 44,1 % d’entre eux en ayant consommé dans la dernière année. Le cannabis représentait la SPA illégale la plus populaire auprès de ceux-ci, 18,1 % rapportant en avoir consommé[1]. Enfin, une proportion de 5,2 % de ces jeunes auraient consommé d’autres drogues (amphétamines, MDMA, hallucinogènes, héroïne et cocaïne) (Santé Canada, 2019).

Bien que les délits commis par les jeunes représentent habituellement des infractions mineures (Moreau, 2019)[2], les délits violents figurent parmi les conduites pouvant être adoptées par ceux-ci (Cazale, 2014 ; Ouimet, 2015). La dernière étude publiée de Statistique Canada (Moreau, 2019) menée auprès de jeunes ayant été accusés d’avoir commis[3] au moins une infraction au Code criminel en 2018 et étant âgés de 12 à 17 ans inclusivement révèle que, parmi ceux-ci (80 189), 31 463 (39,0 %) auraient été soupçonnés d’avoir commis des crimes violents. Les voies de fait simples et les menaces constituaient les infractions les plus commises par ces jeunes (Moreau, 2019).

Liens drogue et délinquance violente

Plusieurs études observent que les jeunes consommateurs commettent davantage de délits que les non-consommateurs (Bennett et al., 2008 ; Melotti et Passini, 2018). Aussi, les délits commis seraient de plus en plus graves à mesure que la consommation s’intensifierait (Brochu et al., 2010 ; DeLisi et al., 2015). Une étude réalisée en 2000 auprès d’étudiants américains de septième, neuvième et onzième année ayant pris part à l’étude longitudinale Toledo Adolescent Relationships Study (TARS) révèle que le fait d’avoir consommé au moins une fois au cours de la dernière année (toutes SPA confondues) augmenterait le risque de violence et de port d’arme d’environ 8,0 % (Seffrin et Domahidi, 2014).

Dans la dernière moitié du XXe siècle, des auteurs ont tenté de comprendre l’origine des liens drogue-délinquance (Goldstein, 1985, 1987 ; Salas-Wright et al., 2016). L’analyse des écrits permet de distinguer deux grandes conceptions de ces liens, notamment ceux entre drogue et délits violents. La première conception porte sur les éléments proximaux pouvant expliquer le fait que certains consommateurs ou vendeurs de drogues s’impliquent dans la délinquance violente et la deuxième renvoie aux éléments distaux qui seraient liés à l’adoption cooccurrente de ces conduites (Brochu et al., 2016 ; Skara et al., 2008).

Les éléments proximaux

Les auteurs qui s’intéressent aux éléments proximaux s’appuient sur une conception causale, tendant à expliquer une conduite par un élément qui la précède. Plus spécifiquement, le fait de vendre de la drogue ou d’en consommer expliquerait la commission de délits violents.

La vente de drogue

Pour expliquer les liens drogue-violence, certains auteurs mettent de l’avant le fait que l’implication dans le système de distribution et de vente de drogues occasionne des comportements violents chez plusieurs individus (DeLisi et al., 2015 ; Seffrin et Domahidi, 2014 ; Shook et al., 2013). Considérant que le contexte illégal d’approvisionnement et de distribution des drogues entraîne souvent une utilisation de la violence comme stratégie de gestion pour l’acheteur ou le vendeur, il n’est pas surprenant que les individus qui vendent des drogues soient plus susceptibles de commettre des délits violents (Brochu et al., 2010 ; Shook et al., 2013). La violence est utilisée par les trafiquants ou les vendeurs afin de recouvrer des dettes, protéger la drogue ou le butin de vente par exemple (Jacques et al., 2014). Il s’agit du modèle explicatif systémique (Goldstein, 1985, 1987).

Peu d’études réalisées auprès des jeunes permettent de démontrer le modèle systémique (Begle et al., 2011 ; Seffrin et Domahidi, 2014). Le fait de vendre la drogue augmenterait le risque de bataille (Shook et al., 2013), de violence sérieuse (Seffrin et Domahidi, 2014 ; Shook et al., 2013) et de port d’arme (Seffrin et Domahidi, 2014 ; Shook et al., 2013) chez des jeunes Américains.

L’étude de Brochu et ses collaborateurs (2010) réalisée au Québec auprès de garçons montréalais âgés de 14 à 18 ans admis en centre jeunesse montre que 31,0 % des contrevenants rapportaient que le geste le plus violent de leur vie avait été commis en lien avec une transaction illégale de drogues principalement. Mais il est aussi possible que les personnes commettant des actes violents dans le contexte de la vente de drogue aient aussi été intoxiquées au moment de commettre leur délit (Brochu et al., 2016).

La consommation

Une autre explication des liens drogue-violence va dans le sens que l’intoxication à des SPA, au moment de commettre des délits violents, peut en être la cause, correspondant au modèle explicatif psychopharmacologique (Goldstein, 1985, 1987).

Au-delà de ce modèle, plusieurs auteurs affirment que certaines SPA possèderaient des propriétés psychoactives qui agiraient sur le fonctionnement de l’individu (Rothman et al., 2012 ; Sutherland et al., 2015). Selon le type de substances qu’il consomme, un individu serait plus ou moins à risque de commettre des délits violents (DeLisi et al., 2015 ; Stoddard et al., 2015). L’alcool (Brochu et al., 2016 ; Stoddard et al., 2015) et les stimulants comme la cocaïne (Chermack et al., 2010 ; Moore et al., 2008) seraient les substances les plus souvent consommées au moment de commettre un délit violent. L’effet combiné des drogues pourrait aussi contribuer à expliquer les conduites violentes (Brochu et al., 2016).

Peu d’études récentes réalisées auprès des jeunes permettent de soutenir l’explication psychopharmacologique. Les résultats de l’étude de Brochu et ses collaborateurs (2010) montrent qu’au moment de commettre le geste le plus violent de leur vie, la majorité des jeunes Montréalais (67,1 %) ont déclaré qu’ils étaient sous l’influence d’au moins une drogue. Plus précisément, 27,4 % avaient consommé de l’alcool et du cannabis, 5,4 % de l’alcool et d’autres SPA et 11,4 % du cannabis et d’autres SPA. Certains Montréalais avaient plutôt consommé une seule SPA, soit de l’alcool (17,7 %), du cannabis (25,7 %), du crack/de la cocaïne (6,2 %), des hallucinogènes (4,4 %) et des amphétamines (1,8 %) (Brochu et al., 2010). Des enjeux méthodologiques permettent difficilement d’évoquer avec certitude que la personne était intoxiquée au moment de commettre son délit violent. Le recours aux sondages autorapportés est souvent utilisé et peut soulever le désir de déresponsabilisation ainsi qu’une désirabilité sociale (Delaney-Black et al., 2010 ; Sharma et al., 2016). Il devient difficile aussi de savoir si ce sont plutôt les attentes et les croyances des consommateurs à l’égard des effets des substances qui entraînent certains de leurs comportements (Brochu et al., 2016 ; Tremblay et al., 2007).

La majorité des études qui abordent les questions de consommation et de délinquance ne comportent pas de question spécifique sur l’intoxication au moment de la commission du délit. Néanmoins, plusieurs d’entre elles montrent que le fait d’être un consommateur constitue un facteur de risque de la délinquance (Le Blanc, 2010a ; Vitaro et al., 2007). Ces études sont toutefois menées majoritairement auprès de garçons délinquants ou en centre de réadaptation en dépendance. Également, elles distinguent rarement le type de délinquance ou de substances consommées, ce qui pourrait être utile dans une optique de prévention auprès des jeunes.

Les éléments distaux

Il est difficile de relier la consommation à la délinquance violente à l’aide d’une explication causale seulement. Cette conception tend à ne pas considérer que la personne peut être influencée par divers facteurs biopsychosociaux. Pour pallier à cela, des chercheurs en sont venus à s’intéresser aux éléments distaux généralement présents chez les individus dépendants aux drogues et violents (Haug et al., 2014 ; Monahan et al., 2014).

Cette conception serait en lien avec un syndrome général de déviance qui stipule que l’implication dans des comportements problématiques augmenterait les chances d’adopter d’autres comportements déviants qui seraient concomitants entre eux et qui représenteraient des manifestations reliées à la présence de facteurs de risque communs au cours du développement. Ces facteurs de risque contribueraient à prédisposer les individus à adopter des comportements déviants, dont la consommation et la délinquance (Corwyn et Benda, 2002 ; Le Blanc, 2010a). En lien avec cette théorie, des auteurs montrent que les conduites déviantes peuvent s’expliquer par un déséquilibre entre facteurs de risque et protection. Plusieurs facteurs sont étudiés dans la littérature (ex. : hérédité, condition de vie), mais peu d’études ont vérifié leur relation avec les liens drogue-violence, la majorité s’intéressant à leur relation avec diverses conduites prises séparément. Parmi les facteurs étudiés, les facteurs biologiques (ex. : sexe, hérédité), les facteurs psychologiques (ex. : troubles de la personnalité, niveau d’impulsivité), les facteurs contextuels (ex. : affiliation aux pairs, milieu familial) et les facteurs sociaux (ex. : revenu, conditions de vie) sont retrouvés (Bennett et al., 2008 ; Buu et al., 2009 ; Castellanos-Ryan et al., 2013 ; Farrington et al., 2012). Toutefois, dans le cadre du présent article, il a été choisi de s’intéresser plus spécifiquement au sexe et au niveau d’impulsivité puisque ces facteurs sont considérés comme étant importants dans la littérature et qu’ils ont été documentés dans l’étude plus large dont l’article est issu.

En somme, la conception distale se veut plus englobante que celle proximale. Elle se rapproche de la loi de l’effet qui est importante pour comprendre les situations impliquant drogue et délinquance, tenant compte d’éléments en lien avec la substance (ex. : la quantité), l’individu (ex. : le tempérament) et le contexte (ex. : l’endroit) (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2018). Dans un souci de prévention, il apparaît pertinent de s’attarder aux facteurs distaux.

Sexe

Parmi les facteurs de risque communs à la consommation et à la violence se trouve le fait d’être un garçon. Ceux-ci seraient plus à risque que les filles de faire usage d’alcool et de consommer ce produit en plus grande quantité, et ce, tant au cours de l’adolescence qu’à l’âge adulte (Fothergill et Ensminger, 2006). Les garçons seraient plus nombreux que les filles à consommer du cannabis et des drogues illégales (Laprise et al., 2012) et le feraient plus fréquemment (Johnston et al., 2010). Ils seraient aussi plus nombreux que les filles à manifester des problèmes de consommation en émergence ou déjà évidents (Laprise et al., 2012). Aussi, les facteurs de risque et de protection associés à la consommation de SPA différeraient en fonction du sexe (Kulis et al, 2010 ; Parsai et al., 2009). Par exemple, le fait de prendre les repas quotidiennement avec la famille représenterait un facteur de protection pour la consommation d’alcool des adolescentes (Fisher et al., 2007), alors que le fait de présenter une estime de soi élevée quant à la socialisation serait associé à un plus grand risque de débuter un usage d’alcool chez celles-ci. Pour les garçons, c’est plutôt le fait de présenter une estime de soi élevée en lien avec la pratique des sports qui serait associé à un risque plus élevé de commencer à consommer de l’alcool (Fisher et al., 2007). Concernant la délinquance, les garçons seraient plus nombreux à commettre des délits (Brennan, 2012 ; Lucia et Jaquier, 2012) et à être traduits en justice (Dauvergne, 2013). Également, ils débuteraient leur délinquance plus précocement que les filles (Gimenez et al., 2005), mais celles-ci montreraient toutefois une délinquance qui évolue plus rapidement que celle des garçons. Notamment, la violence atteindrait son apogée à un plus jeune âge chez les jeunes délinquantes que chez les jeunes délinquants et la désistance surviendrait de façon plus rapide chez celles-ci (Elliott, 2006). Enfin, les délits commis par les garçons seraient plus graves (Ouimet, 2015) et violents (Lucia et Jacquier, 2012).

Impulsivité

Un autre facteur de risque commun à la consommation et à la violence constitue le fait de présenter un niveau d’impulsivité élevé. La majorité des études s’y intéressant sont toutefois composées d’échantillons masculins. Bien qu’il existe plusieurs définitions de l’impulsivité, celle de S. B. Eysenck et Zuckerman (1978) sera utilisée. Ces derniers décrivent l’impulsivité comme étant un trait de personnalité pouvant s’observer par une tendance à agir sans anticiper l’impact de ses actions (Patton et al., 1995) ou par un engagement dans des conduites à risque (Shamosh et al., 2008). Le niveau d’impulsivité représenterait un facteur important pour l’initiation et la sévérité de la consommation chez les adolescents (Gullo et Dawe, 2008 ; Quinn et Harden, 2013), mais également en ce qui a trait à la prédiction de l’évolution de la consommation d’alcool, de tabac et de cannabis chez ces derniers (Quinn et Harden, 2013). De fait, de nombreux auteurs ont observé que les jeunes qui présentaient une consommation de SPA plus problématique montraient des niveaux d’impulsivité plus élevés, comparativement à leurs pairs qui en faisaient un usage moins problématique (Martínez-Loredo et al., 2015 ; Stautz et Cooper, 2013 ;). L’impulsivité aurait aussi une influence sur le développement de problèmes de comportement, de délinquance et d’agression (Maneiro et al., 2017 ; Zhou et al., 2014). D’ailleurs, il serait possible de différencier les délinquants juvéniles violents de ceux présentant une délinquance non violente en fonction de leur niveau d’impulsivité, ceux étant violents montrant des niveaux plus élevés d’impulsivité (Chan et Chui, 2012).

Constats

Bien que de nombreuses études portent sur l’explication des liens drogue-violence, peu de recherches récentes ont été menées auprès des jeunes du Québec. La majorité des écrits scientifiques sur ce thème ont été réalisés auprès d’adultes aux États-Unis. Les liens entre la consommation et la délinquance ont été particulièrement étudiés auprès d’échantillons de garçons judiciarisés ou en traitement de la toxicomanie, alors que les jeunes de la population générale, et surtout les filles, étaient souvent mises de côté. Aussi, la plupart des études ne distinguent pas les types de substances consommées et de délinquance. (Lacharité-Young et al., 2017). Enfin, les différents facteurs proximaux et distaux sont rarement abordés dans une même étude. Un apport est donc de considérer ces deux types de facteurs auprès de jeunes de la population générale.

Objectifs de l’article

Le présent article vise à : (1) dresser un portrait des habitudes de consommation, de la délinquance violente et du niveau d’impulsivité des participants ; (2) vérifier si la vente de drogue permet de prédire l’appartenance à un groupe ayant commis ou non des délits violents ; (3) vérifier si le type de SPA (alcool seulement, alcool et cannabis et polyconsommation) consommées permet de prédire l’appartenance à un groupe ayant commis ou non des délits violents ; et (4) vérifier le rôle modérateur du sexe et de l’impulsivité dans les relations drogue-violence.

Méthode

Cette étude s’insère dans le cadre d’un projet longitudinal nommé cyberJEUnes, mené par la professeure Brunelle (UQTR) et ses collaborateurs. Ce projet, réalisé de 2012 à 2017, comporte quatre temps de mesure à un an d’intervalle. Toutefois, seulement les données de 2014 (T2) ont été utilisées dans cette étude, car toutes les variables nécessaires n’étaient pas incluses au T0 et au T1 et les données du T3 n’étaient toujours pas disponibles au moment de débuter la rédaction de cet article.

Participants

Les participants ont été recrutés dans 11 écoles secondaires francophones publiques et privées situées dans les régions de Québec, de la Mauricie-Centre-du-Québec, de Montréal et de Chaudière-Appalaches. Les écoles ont été choisies sur la base du volontariat, correspondant à un échantillon de convenance (Babbie, 1990). L’indice moyen du milieu socioéconomique des écoles publiques (IMSE) se situe dans la moyenne (6,7). En conformité avec le Comité d’éthique de la recherche de l’Université du Québec à Trois-Rivières[4], celui de l’Université de Sherbrooke[5] et de l’Université de Montréal[6], une passation de questionnaires en groupes classes a eu lieu au T0 et au T1 parmi les élèves de secondaire III, IV et V des écoles participantes.

Au T2, 2 909 volontaires ont été sollicités pour participer à l’étude puisqu’ils avaient signifié par écrit, soit au T0 ou au T1, qu’ils étaient intéressés à être contactés pour une deuxième étude. De ce nombre, 1 656 participants (37,3 % garçons et 62,7 % filles) âgés de 15 à 21 ans ont rempli le questionnaire. Pour être fidèles aux objectifs de l’étude, les données de ceux âgés de 15 à 18 ans seulement ont été conservées (n = 1 440 ; 35,9 % garçons et 64,1 % filles)[7]. L’âge moyen était de 16,98 ans (ÉT = 0,80) et la majorité était en cinquième secondaire (55,3 %). Les autres étaient en quatrième secondaire (0,8 %), au DEP (2,6 %), au cégep (35,9 %), en première année d’université (0,2 %), avaient abandonné les études (4,2 %) ou autre (1,0 %).

Instruments

Un questionnaire sociodémographique et trois instruments de mesure ont été administrés afin de mesurer les habitudes de consommation, la délinquance violente ainsi que le niveau d’impulsivité.

Grille de dépistage de la consommation problématique d’alcool et d’autres drogues chez les adolescents DEP-ADO. Les habitudes de consommation ont été mesurées à l’aide de la Grille de dépistage de la consommation problématique d’alcool et d’autres drogues chez les adolescents DEP-ADO (version 3.2 : Germain et al., 2007). Ce questionnaire bref, développé pour les jeunes de 11 à 18 ans, permet de faire un dépistage de la consommation à risque ou problématique, en abordant des questions sur la fréquence de consommation au cours des 12 derniers mois, la précocité de la consommation régulière, la consommation par injection et la consommation excessive d’alcool, tout en tenant compte des différences de sexe et des impacts associés. L’échelle de fréquence de consommation a été utilisée afin d’explorer la relation entre le type de SPA consommées et la commission de délits violents. L’échelle de réponse originale est de type Likert, mais une dichotomisation a été effectuée en raison de la faible fréquence de consommation de certaines SPA. Pour un groupe âgé de 14 à 17 ans, l’échelle totale présente une bonne cohérence interne (alpha de Cronbach = 0,85) et un coefficient de fidélité test-retest élevé (r = 0,94) (Landry et al., 2004).

Mesures de l’adaptation sociale et personnelle pour adolescents québécois MASPAQ. La délinquance a été mesurée à l’aide du MASPAQ (Mesures de l’adaptation sociale et personnelle pour adolescents québécois ; Le Blanc, 2010b). Ce questionnaire comprend 36 items et pour chacun d’eux, les adolescents devaient mentionner s’ils avaient commis le comportement au cours de la dernière année sur une échelle de type Likert. Il y a eu dichotomisation de l’échelle par la suite compte tenu des faibles taux de commission de délits violents observés chez les jeunes de l’échantillon et des analyses qui prévoyaient l’appartenance ou non au groupe ayant commis des délits violents. Le MASPAQ comprend une échelle de violence relationnelle qui compte cinq items. Les activités délinquantes sont divisées en trois échelles, soit la délinquance grave (quatre items), les conduites déviantes clandestines (trois sous-échelles : la fraude qui compte deux items, les vols qui comprend six items et les vols de véhicules à moteur comprenant quatre items) et les conduites manifestes (deux sous-échelles : le vandalisme qui comprend trois items et la violence interpersonnelle comprenant 12 items). Les indices de cohérence interne (alpha de Cronbach) sont adéquats (0,70 à 0,82) pour trois échelles, soit la délinquance grave, vols et violences interpersonnelles, limites pour la violence relationnelle (0,64) et inacceptables pour trois échelles (0,41 à 0,54) qui ne sont pas utilisées dans cette étude, soit fraudes, infractions liées aux véhicules moteurs et vandalisme.

L’instrument de mesure d’Eysenck. Le niveau d’impulsivité a été mesuré à partir d’une version abrégée de l’instrument de mesure d’Eysenck (S. B. Eysenck et al., 1984 ; S. B. Eysenck et H. J. Eysenck, 1978), selon la définition de S. B. Eysenck et Zuckerman (1978) présentée ci-haut. La version originale comprend 23 items, desquels 5 items présentant la saturation factorielle la plus élevée ont été retenus. Ces derniers ont été traduits et validés par Vitaro et ses collaborateurs (1999) à partir d’une population d’adolescents québécois qui devaient se positionner sur une échelle dichotomique selon qu’ils soient en accord ou en désaccord avec les éléments proposés. Le total des points peut fluctuer de 0 à 5 points. Bien qu’aucun seuil clinique n’ait été validé, Vitaro et ses collaborateurs (1999) stipulent que les jeunes dont le score se situe au-delà du 70e centile montrent un niveau d’impulsivité élevé, ce qui correspond à un score de 3 points et plus parmi les jeunes de notre échantillon. L’indice de cohérence interne (alpha de Cronbach) de la version abrégée est acceptable (0,76) et cet instrument présente une bonne homogénéité (Tremblay et al., 2010).

Déroulement de la collecte

Plusieurs élèves rendus en secondaire cinq au T2 ont été rencontrés en groupe classe selon la collaboration des écoles (n = 457). Les autres élèves (n = 1 173) ont été sollicités par courriels, envois postaux ou appels téléphoniques. Leur questionnaire a été rempli par Internet à l’aide d’une plateforme sécurisée. Un chèque-cadeau de 15 $ (magasin Archambault, restaurant Subway ou Itunes) a été remis en guise de compensation.

Analyses statistiques

Trois catégories mutuellement exclusives ont été créées pour les analyses en lien avec la consommation, soit alcool seulement, alcool et cannabis ainsi que polyconsommation, qui implique d’avoir consommé de l’alcool et du cannabis, en plus d’au moins une autre drogue (cocaïne, colle/solvant, hallucinogènes, héroïne ou amphétamines). Ces catégories ont été créées selon les habitudes de consommation généralement observées chez les jeunes.

De plus, les délits violents passibles d’une accusation en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (LSJPA) ont été retenus pour les analyses en lien avec la délinquance. Seulement les items présentant une bonne validité et un alpha de Cronbach supérieur à 0,60 ont été conservés, totalisant 14 délits violents qui seront présentés plus loin. La vente de drogues a aussi été isolée pour certaines analyses. Chacun des participants s’est vu attribuer un score de zéro s’il n’avait commis aucun délit au cours des 12 derniers mois, et un score de un s’il en avait commis au moins un.

Des analyses descriptives ont d’abord été effectuées dans le but de brosser un portrait de l’échantillon et des différents phénomènes à l’étude. Ensuite, dans le but de vérifier les effets modérateurs des variables (sexe ou impulsivité) sur la variable dépendante (commission ou non de délits violents), des analyses de régression ont été réalisées en considérant les recommandations de Baron et Kenny (1986). De cette manière, les variables indépendantes (vente de drogues ou type de SPA consommées), modératrices et leurs interactions ont été introduites de manière hiérarchique. L’introduction des variables indépendantes de manière hiérarchique est basée sur le cadre théorique entourant la problématique drogue-violence et plus particulièrement sur les constats mis de l’avant par les différents auteurs s’intéressant aux éléments proximaux de cette relation, notamment ceux du postulat systémique (ex. : influence de la vente de drogues sur la commission de délits violents) du modèle explicatif de Goldstein (1985, 1987). Toutes les variables indépendantes et modératrices n’ont pas été introduites dans une même équation de régression, et ce, dans le but de mieux vérifier l’influence distincte de divers facteurs proximaux et distaux sur la commission de délits violents. La régression logistique vise à connaître les facteurs associés à un phénomène en élaborant un modèle de prédiction. Cette dernière est utilisée dans le cadre d’études ayant pour objectif de vérifier si des variables indépendantes peuvent prédire une variable dépendante (Tabachnick et Fidell, 2007). Une variable modératrice vient quant à elle influencer le sens ou la force du lien qui existe entre une variable indépendante et une variable dépendante. Elle renvoie à l’effet d’interaction où une variable indépendante peut avoir un effet différent selon qu’elle soit considérée de façon isolée ou combinée (Rascle et Irachabal, 2001). Pour ce faire, plusieurs variables composites ont été conçues pour représenter l’effet d’interaction entre les différentes variables, en multipliant deux variables ensemble. Ainsi, cela permettra de vérifier si l’effet de la vente de drogues et du type de SPA consommées sur la commission de délits diffère en fonction du sexe et de l’impulsivité, et donc, de voir si elles ont un effet modérateur sur la commission ou non de délits violents.

Il faut aussi préciser que dans les régressions logistiques, le point de coupure rattaché à la table de classification peut être spécifié à 50,0 %, correspondant au hasard. Toutefois, Meloche et Allaire (2007) mentionnent que « (…) ce choix d’un seuil à 50,0 % a un sens lorsque la prévalence de l’événement étudié est d’environ 50,0 % » (p. 30). N’étant pas le cas présentement, le seuil a été fixé à 16,0 %, selon le taux de prévalence de l’échantillon pour les délits violents. Un score de zéro est attribué aux garçons ainsi qu’aux élèves présentant un niveau d’impulsivité faible et un score de un correspond aux filles et aux élèves qui montrent un niveau d’impulsivité élevé.

Résultats

Parmi les jeunes de l’échantillon qui ont consommé dans la dernière année (n = 1 386)[8], 59,4 % (n = 843) ont consommé de l’alcool seulement. Les filles sont plus nombreuses (62,1 %) que les garçons (54,6 %) à n’avoir consommé que cette SPA, malgré que l’association soit de force très faible (X2(1, n = 1419) = 7,45, p ≤ 0,01, V = 0,07, voir Tableau 1). Une proportion de 22,1 % (n = 313) des jeunes ont consommé de l’alcool et du cannabis au cours de la dernière année et aucune différence de sexe significative n’a été observée pour la consommation de ces deux substances (X2(1, n = 1419) = 3,58, p = 0,06). Enfin, 5,9 % (n = 84) des jeunes présentent une polyconsommation, c’est-à-dire qu’ils ont consommé de l’alcool et du cannabis, en plus d’au moins une autre drogue (cocaïne, colle/solvant, hallucinogènes, héroïne ou amphétamines). Les garçons sont plus nombreux (7,9 %) que les filles (4,8 %) à avoir eu ce comportement, mais l’association est de force très faible (X2(1, n = 1419) = 5,50, p ≤ 0,05, V = 0,06).

Tableau 1

Description des types de SPA consommées dans les 12 derniers mois selon le sexe

Description des types de SPA consommées dans les 12 derniers mois selon le sexe

Notes. a nombre de participants variable considérant les observations valides.

*p ≤ 0,05, **p ≤ 0,01

-> See the list of tables

Chez l’ensemble de l’échantillon (n = 1 440), 15,6 % (n = 225) ont commis au moins un acte violent au cours de la dernière année, les garçons étant plus nombreux (25,0 %) que les filles (10,4 %) à en avoir commis (X2(1, n = 1439) = 53,09, p ≤ 0,001, V = 0,19). La relation entre le sexe et la commission ou non de délits violents est cependant de force faible. Le fait de se fâcher facilement ou d’avoir frappé lorsque taquiné/menacé constitue le délit le plus commis par les jeunes (voir Tableau 2) et des différences significatives liées au sexe sont observées pour 11 des 14 délits violents, les associations étant toutefois toutes de forces très faibles à faibles. Pour la vente de drogues, 3,6 % (n = 52) ont déclaré l’avoir fait et les garçons (5,1 %) sont significativement plus nombreux à avoir commis ce délit que les filles (2,8 %), l’association entre le sexe et la vente ou non de drogues étant cependant très faible (X2(1, n = 1431) = 4,75, p ≤ 0,05, V = 0,06).

Tableau 2

Description des délits violents commis dans les 12 derniers mois selon le sexe

Description des délits violents commis dans les 12 derniers mois selon le sexe

Tableau 2 (continuation)

Description des délits violents commis dans les 12 derniers mois selon le sexe

Notes. *nombre de participants variable considérant les observations valides.

*p ≤ 0,05, **p ≤ 0,01, ***p ≤ 0,001

-> See the list of tables

Parmi les jeunes de l’échantillon, 27,7 % (n = 394) présentent un niveau d’impulsivité élevé et aucune différence de sexe significative n’a été observée (X2(1, n = 1423) = 0,76, n.s.).

Concomitance de la consommation et de la délinquance violente

Avant tout, notons que l’hypothèse de la multicolinéarité entre les différentes variables a été explorée et rejetée, les corrélations V de Cramer étant de force très faible à moyenne (Vmin = 0,02 vs. Vmax = 0,23).

Analyse de régression logistique appliquée aux variables sexe et vente de drogues associées à la commission ou non de délits violents. Les mesures d’ajustement du modèle, soit celles du test de signification des coefficients (X2 = 86,47, p < 0,001) et le test de Holmes et Lemeshow (X2 = 0,00, p = n.s), indiquent que le modèle est adéquat. Le sexe (B = 1,06, Wald = 45,60, p < 0,001) et le fait d’avoir vendu de la drogue (B = 1,66, Wald = 15,91, p < 0,001) contribuent à prédire l’appartenance au groupe de jeunes ayant commis au moins un délit violent (voir Tableau 3). Les garçons sont pratiquement trois fois plus susceptibles d’avoir commis au moins un délit violent, en comparaison aux filles (Rapport de cote = 2,88, p < 0,001, IC95 % [2,12 ; 3,92]). Ceux qui ont déclaré avoir vendu de la drogue sont un peu plus de cinq fois plus susceptibles que ceux qui n’en ont pas vendu d’avoir commis un délit violent (Rapport de cote = 5,28, p < 0,001, IC95 % [2,33 ; 11,96]). Aucun effet d’interaction statistiquement significatif n’a été observé avec la vente de drogue et le sexe (Rapport de cote = 1,32, p = 0,64, IC95 % [0,42 ; 4,17]).

Tableau 3

Analyse de régression logistique appliquée aux variables sexe et vente de drogues associées à la commission ou non de délits violents

Analyse de régression logistique appliquée aux variables sexe et vente de drogues associées à la commission ou non de délits violents

Notes. Hosmer et Lemeshow : X2 = 0,00, p = 0,00

R2 de Cox et Snell = 0,059 ; R2 de Nagelkerke = 0,101 ;

log de vraisemblance -2 = 1159,649. N = 1,440

Variable dépendante : commission de délits violents

* p ≤ 0,001

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Analyse de régression logistique appliquée aux variables impulsivité et vente de drogues associées à la commission ou non de délits violents. Les mesures d’ajustement du modèle, soit celles du test de signification des coefficients (X2 = 85,04, p < 0,001) et le test de Holmes et Lemeshow (X2 = 0,00, p = n.s), indiquent que le modèle est adéquat. Le niveau d’impulsivité (B = 1,14, Wald = 50,93, p < 0,001) et le fait d’avoir vendu de la drogue (B = 1,90, Wald = 21,30, p < 0,001) contribuent à prédire la commission de délits violents (voir Tableau 4). Ceux qui présentent un niveau d’impulsivité élevé sont trois fois plus susceptibles d’avoir commis au moins un délit violent, en comparaison aux élèves présentant un niveau d’impulsivité faible (Rapport de cote = 3,13, p < 0,001, IC95 % [2,29 ; 4,28]).

Tableau 4

Analyse de régression logistique appliquée aux variables impulsivité et vente de drogues associées à la commission ou non de délits violents

Analyse de régression logistique appliquée aux variables impulsivité et vente de drogues associées à la commission ou non de délits violents

Notes. Hosmer et Lemeshow : X2 = 0,00, p = 0,00

R2 de Cox et Snell = 0,058 ; R2 de Nagelkerke = 0,101 ;

log de vraisemblance -2 = 1130,995. N = 1,440 Variable dépendante : commission de délits violents

* p ≤ 0,001

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Les élèves qui ont vendu de la drogue sont près de sept fois plus susceptibles que ceux n’en ayant pas vendu d’avoir commis au moins un délit violent (Rapport de cote = 6,66, p < 0,001, IC95 % [2,98 ; 14,90]). Aucun effet d’interaction statistiquement significatif n’a été observé avec la vente de drogue et le niveau d’impulsivité (Rapport de cote = 0,61, p = 0,41, IC95 % [0,19 ; 1,96]).

Analyse de régression logistique appliquée aux variables sexe et type de SPA consommées associées à la commission ou non de délits violents. Les mesures d’ajustement du modèle, soit celles du test de signification des coefficients (X2 = 112,54, p < 0,001) et le test de Holmes et Lemeshow (X2 = 0,99, p = n.s), indiquent que le modèle est adéquat. Le sexe (B = 1,23, Wald = 13,46, p < 0,001), le fait d’avoir consommé de l’alcool et du cannabis (B = 1,44, Wald = 16,79, p < 0,001) ainsi que le fait d’avoir présenté une polyconsommation (B = 2,10, Wald = 32,09, p < 0,001) contribuent à prédire la commission de délits violents (voir Tableau 5). Le fait d’avoir consommé de l’alcool seulement ne constitue pas un prédicteur statistiquement significatif de la commission de délits violents (B = 0,61, Wald = 2,49, p = n.s). Des analyses ont été effectuées pour évaluer si c’est le fait de consommer de l’alcool de façon excessive qui tendait à expliquer la commission de délits violents. Celles-ci ont mené à des résultats similaires, montrant que la consommation excessive d’alcool ne constituait pas un prédicteur statistiquement significatif de la commission de délits violents. Cela peut être expliqué en partie par une forte corrélation (V = 0,30) entre ces deux variables (type de SPA consommées et consommation excessive d’alcool). Les garçons sont pratiquement quatre fois plus susceptibles que les filles d’avoir commis au moins un délit violent (Rapport de cote = 3,43, p < 0,001, IC95 % [1,78 ; 6,63]). Les jeunes qui ont consommé de l’alcool et du cannabis sont un peu plus de quatre fois plus susceptibles que les non-consommateurs d’avoir commis au moins un délit violent (Rapport de cote = 4,23, p < 0,001, IC95 % [2,12 ; 8,44]), alors que ceux ayant eu une polyconsommation sont huit fois plus susceptibles d’en avoir commis (Rapport de cote = 8,15, p < 0,001, IC95 % [3,94 ; 16,83]). Aucun effet d’interaction statistiquement significatif n’a été observé avec le type de SPA consommé et le sexe (Rapport de cote = 1,14, p = 0,45, IC95 % [0,82 ; 1,58]).

Tableau 5

Analyse de régression logistique appliquée aux variables sexe et type de SPA consommées associées à la commission ou non de délits violents

Analyse de régression logistique appliquée aux variables sexe et type de SPA consommées associées à la commission ou non de délits violents

Notes. Hosmer et Lemeshow : X2 = 0,993, p = 0,911

R2 de Cox et Snell = 0,076 ; R2 de Nagelkerke = 0,132 ;

log de vraisemblance -2 = 1104,492. N = 1,440

Variable dépendante : commission de délits violents

* p ≤ 0,001

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Analyse de régression logistique appliquée aux variables impulsivité et type de SPA consommées associées à la commission ou non de délits violents. Les mesures d’ajustement du modèle, soit celles du test de signification des coefficients (X2 = 102,79, p < 0,001) et le test de Holmes et Lemeshow (X2 = 1,22, p = n.s), indiquent que le modèle est adéquat. Le niveau d’impulsivité (B = 0,87, Wald = 6,18, p < 0,05), le fait d’avoir consommé de l’alcool et du cannabis (B = 1,21, Wald = 12,93, p < 0,001) ainsi que le fait d’avoir présenté une polyconsommation (B = 1,76, Wald = 23,40, p < 0,001) contribuent à prédire la commission de délits violents (voir Tableau 6).

Tableau 6

Analyse de régression logistique appliquée aux variables impulsivité et type de SPA consommées associées à la commission ou non de délits violents

Analyse de régression logistique appliquée aux variables impulsivité et type de SPA consommées associées à la commission ou non de délits violents

Notes. Hosmer et Lemeshow : X2 = 1,220, p = 0,748

R2 de Cox et Snell = 0,070 ; R2 de Nagelkerke = 0,121 ;

log de vraisemblance -2 = 1114,246. N = 1,440

Variable dépendante : commission de délits violents

* p ≤ 0,05, **p ≤ 0,001

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Le fait d’avoir consommé de l’alcool seulement ne constituerait toujours pas un prédicteur statistiquement significatif (B = 0,42, Wald = 1,41, p = n.s). Les élèves présentant un niveau d’impulsivité élevé sont près de 2,5 fois plus susceptibles que ceux avec un niveau d’impulsivité faible d’avoir commis au moins un délit violent (Rapport de cote = 2,38, p < 0,05, IC95 %[1,20 ; 4,72]). Ceux qui ont consommé de l’alcool et du cannabis sont pratiquement 3,5 fois plus susceptibles que les non-consommateurs d’avoir commis un délit violent (Rapport de cote = 3,34, < 0,001, IC95 %[1,73 ; 6,46]) et les élèves ayant eu une polyconsommation sont près de six fois plus susceptibles d’en avoir commis (Rapport de cote = 5,84, < 0,001, IC95 %[2,86 ; 11,92]). Aucun effet d’interaction statistiquement significatif n’a été observé avec le type de SPA consommé et le niveau d’impulsivité (Rapport de cote = 1,04, p = 0,84, IC95 %[0,74 ; 1,46]).

Discussion et conclusion

Cet article visait à explorer les liens entre la consommation et la délinquance violente chez des adolescents et des adolescentes en milieu scolaire québécois. Les résultats appuient ceux des études qui montrent que la vente de drogue et le type de SPA consommé représentent deux facteurs de risque importants dans la délinquance violente (Delisi et al., 2015 ; Seffrin et Domahidi, 2014), même chez les jeunes en milieu scolaire qui présentent un profil de consommation et de délinquance généralement moins lourd que celui des garçons judiciarisés ou en traitement de la toxicomanie.

Les résultats montrent que le fait d’avoir vendu de la drogue au cours des 12 derniers mois, en comparaison au fait de ne pas en avoir vendu, tend à prédire la commission de délits violents. Ces résultats vont dans le sens du postulat systémique de Goldstein (1985, 1987) qui soutient que le contexte illégal d’approvisionnement et de distribution des drogues entraîne une utilisation de la violence comme stratégie de gestion. Le milieu de la drogue serait plus favorable aux délits violents liés à la protection du territoire, de la drogue et de l’argent. Il faut toutefois être conscient que les délits violents commis par les jeunes consommateurs qui vendent des drogues peuvent être reliés à différents motifs. Il se peut que ce soit l’adoption d’un style de vie délinquant qui ait mené à l’implication dans le système de distribution des drogues, lequel est propice à la consommation et à la violence (Brochu et al., 2016). Également, un motif pourrait être relié au fait d’avoir fait usage d’une ou de plusieurs SPA avant ou pendant une transaction de drogues.

Aussi, malgré que les jeunes qui présentent une polyconsommation soient les plus susceptibles d’avoir commis des délits violents, le fait de consommer de l’alcool et du cannabis de façon combinée augmente aussi les chances d’en commettre, en comparaison au fait de ne pas avoir consommé ces SPA. Les délits violents commis par les consommateurs peuvent être associés aux effets des SPA (Goldstein, 1985, 1987), mais aussi aux attentes entretenues quant aux effets des substances (Plourde et Brochu, 2003). Pour certains, la consommation peut donner le courage nécessaire pour commettre un délit violent ou encore les déculpabiliser (Brochu et al., 2016 ; Brunelle et al., 2005). Au-delà des effets des produits et des attentes envers ceux-ci, il y a aussi les coûts et les contextes de consommation dont il faut tenir compte.

Enfin, les résultats montrent que le fait d’être un garçon ou de présenter un niveau d’impulsivité élevé tend à prédire la commission de délits violents, bien que les résultats permettent de constater l’absence d’effet modérateur du sexe et de l’impulsivité dans les relations drogue-violence. Malgré cela, il a été possible de constater que les problématiques étudiées étaient bien présentes auprès des filles et des garçons d’un échantillon de la population générale en milieu scolaire secondaire. Afin que les conduites adoptées par ces jeunes n’en viennent pas à occasionner des impacts considérables sur leur vie (judiciarisation et stigmatisation), il est important qu’elles soient intégrées dans des activités de sensibilisation, de prévention ou d’intervention dans les écoles. Pour ce faire, il est crucial de considérer les différents facteurs proximaux (ex. : la vente de drogue et le type de SPA consommées) et distaux (ex. : le sexe et le niveau d’impulsivité) pouvant expliquer les liens drogue-violence. Il sera ainsi possible de mieux saisir la réalité des adolescents et des adolescentes en milieu scolaire secondaire et de les sensibiliser aux impacts de ces facteurs sur leur consommation et leur délinquance.

Apports

Comme les études antérieures sur le sujet portent majoritairement sur des jeunes judiciarisés ou en traitement de la toxicomanie, le fait de s’être intéressé à une population scolaire constitue un apport et peut être pertinent d’un point de vue préventif afin d’éviter que les conduites adoptées en viennent à occasionner des impacts considérables sur leur vie (ex. : stigmatisation, judiciarisation) ou celles des autres (ex. : entourage, victime). Cette étude permet d’accroître les connaissances sur les relations drogue-violence chez ces jeunes du Québec, mais aussi en fonction du type de SPA consommées et de délits commis. Les études qui s’intéressent à ces conduites distinguent rarement ces éléments et mesurent ces concepts de façon générale, en confondant les types de SPA consommées et les délits commis. Une attention a été portée à des éléments proximaux et à des facteurs distaux. Peu d’études s’attardent aux deux types de facteurs. Le fait de s’intéresser à l’effet modérateur possible du sexe et de l’impulsivité a permis d’approfondir la compréhension des liens entre ces comportements et de constater qu’ils ne viennent pas les modérer dans cet échantillon. Enfin, l’échantillon est composé de garçons et de filles et permet de mettre de l’avant, d’un point de vue descriptif, la situation des filles en termes de consommation, de vente de drogues et de commission de délits violents, ce que peu d’études font.

D’un point de vue clinique, il serait pertinent d’aller rencontrer les adolescents dans leur milieu scolaire afin de leur soumettre les résultats de la présente étude et de celles des autres recherches portant sur les liens drogue-délinquance chez les jeunes. Il serait ensuite possible d’interagir avec eux et de les questionner afin d’avoir leur avis, notamment en ce qui a trait aux hypothèses pouvant expliquer en partie ces résultats, à leurs propres observations par rapport à eux et aux autres jeunes de leur entourage, aux facteurs de risque qui peuvent influencer leurs conduites, etc. Cela permettrait d’ouvrir la discussion sur de nombreux sujets dont les effets potentiels des différentes SPA et les modèles explicatifs drogue-délinquance. Par le fait même, il serait possible de les sensibiliser au fait qu’en fonction du type de SPA qu’ils consomment ils sont plus ou moins à risque de commettre des délits, au fait que plus ils consomment plus ils sont à risque d’en commettre, aux impacts que peuvent avoir ces conduites sur leur vie, notamment au niveau du processus judiciaire et de l’employabilité, etc. L’objectif ici ne serait donc pas de mettre en place des mesures de contrôle, mais plutôt d’éduquer ces jeunes dans le but que cela puisse susciter un processus de réflexion qui leur permettra de faire des choix plus éclairés. À la suite de cette présentation, des petits groupes de discussion pourraient être formés au besoin en fonction des caractéristiques communes que les jeunes présentent. Entre autres, cela pourrait être en fonction de la gravité de leur consommation ou de la présence de facteurs de risque commun. Selon les éléments qui auront été abordés par ceux-ci, des stratégies d’intervention précoce correspondant à leur situation actuelle pourraient être adoptées. Par ailleurs, les approches motivationnelles et de réduction des méfaits seraient parmi les plus efficaces (Laventure et al., 2010). Il pourrait par exemple être pertinent de réaliser un exercice invitant les jeunes à discuter de l’état dans lequel il se trouve généralement lorsqu’ils commettent des délits. Cela pourrait contribuer à leur faire prendre conscience de leur situation et des impacts considérables sur leur vie. Ainsi, ces derniers seraient en mesure de tenir compte de ces divers éléments dans leur balance décisionnelle, un exercice motivationnel permettant d’examiner les coûts et les bénéfices associés à leur réalité.

De plus, selon les résultats obtenus, il ne serait pas nécessaire d’ajuster les interventions en fonction du sexe, du niveau d’impulsivité et du type de SPA consommées. Plus précisément, il serait impertinent d’exclure les jeunes filles des groupes de discussion puisque les données ont montré qu’elles étaient aussi touchées par les problématiques étudiées et que les relations drogue-délinquance ne différaient pas la plupart du temps chez les adolescents et les adolescentes. Le même constat peut être fait pour les élèves présentant un niveau faible ou absent d’impulsivité. Il ne serait pas non plus pertinent d’ajuster les interventions en fonction des substances consommées, sachant que certains jeunes consomment souvent plus d’une substance à la fois. Tout de même, il demeure nécessaire de porter une attention particulière à ces caractéristiques lors des interventions auprès de ceux-ci afin d’y être sensibles et de pouvoir s’ajuster lorsque nécessaire. Au-delà de ces caractéristiques, de nombreux facteurs (ex. : le milieu familial, les revenus, etc.) peuvent contribuer à expliquer les liens drogue-délinquance chez les jeunes et il est alors important de prendre cela en considération lors des interventions, dans le but d’arriver à bien saisir leur réalité, de tenir compte de l’unicité de chacun et de susciter davantage de motivation au changement chez ces derniers.

Limites

Les résultats proviennent de données secondaires qui ont engendré certaines limites, notamment en ce qui a trait au choix des instruments de mesure et du devis de recherche. Le devis quantitatif et les questionnaires utilisés ne permettent pas de savoir si les adolescents étaient intoxiqués au moment de commettre les délits violents ni de connaître les motifs de consommation et des délits. Ce type d’information aurait permis d’approfondir le sujet des relations drogues-violence. Des auteurs (Brochu et Parent, 2005 ; Brunelle et al., 2005) ont montré que ces motivations sont utiles pour comprendre la réalité des consommateurs et des délinquants et pour intervenir auprès d’eux. De plus, cette étude utilise des questionnaires autorapportés, pouvant diminuer la validité des réponses. Ils seraient toutefois de meilleurs indicateurs de comportements délinquants que les statistiques officielles (Aebi et Jaquier, 2008). Enfin, cette étude étant transversale, elle ne permet pas d’apprécier l’évolution des liens drogue-délinquance et les différentes trajectoires associées.

Recherches futures

Il serait essentiel de mener des recherches futures qui utiliseraient un devis longitudinal et mixte. Par exemple, il serait intéressant d’explorer le modèle intégratif drogue-crime le plus récent à l’aide d’un devis mixte, avec un échantillon de jeunes en milieu scolaire qui serait rencontré à plusieurs reprises. En conduisant des recherches qualitatives, il pourrait être possible de répondre aux questions auxquelles l’article ne répond pas : les adolescents disent-ils qu’ils ont consommé pour se sentir à l’aise de commettre un acte de violence ou la consommation a-t-elle provoqué spontanément de l’agressivité chez eux ? Les délits violents commis leur ont-ils donné le goût de consommer pour gérer le traumatisme que ça a provoqué de commettre ou d’être témoins d’une agression ? Finalement, il serait intéressant d’intégrer davantage d’éléments de la loi de l’effet afin d’avoir une meilleure compréhension des liens drogue-délinquance et des facteurs pouvant y être associés. Bien qu’il a été possible de couvrir certains éléments en lien avec la substance (types de SPA consommées), le contexte (vente de drogues) et l’individu (sexe et impulsivité), les adolescents peuvent être influencés par d’autres facteurs et il aurait été pertinent d’inclure, notamment, le contexte de consommation et de commission des délits.