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CONTEXTE ET PROBLÉMATIQUE

Dans la foulée de sa stratégie de croissance démographique, la province du Nouveau-Brunswick (2014) s’est dotée d’un plan d’action pour favoriser l’immigration francophone. Plusieurs initiatives promotionnelles à cet effet ont été mises en oeuvre à l’étranger. La province s’est donnée comme objectif d’augmenter la venue d’immigrants et d’immigrantes francophones de 33 % jusqu’en 2024 (Province du Nouveau-Brunswick, 2019). En conformité avec cette orientation, le Conseil multiculturel du Nouveau-Brunswick (2021) prévoit que le nombre d’élèves immigrants et immigrantes (systèmes scolaires francophone et anglophone confondus) augmentera de 7 % par an au Nouveau-Brunswick. La province doit relever le défi de trouver suffisamment de personnes qui peuvent enseigner dans les écoles francophones de la province en faisant appel au recrutement de personnes enseignantes formées à l’étranger. De plus, les élèves issus et issues de l’immigration peuvent vivre des défis identitaires et scolaires (Niyubahwe et al., 2019) et les enseignants et enseignantes eux-mêmes issus de l’immigration joueraient un rôle de médiation culturelle auprès d’eux pour favoriser leur réussite scolaire, leur intégration sociale et les relations école-famille immigrante (Claret, 2018; Niyubahwe et al., 2019).

La présence et le vécu des personnes enseignantes formées à l’étranger[1] et oeuvrant dans le système scolaire francophone du Nouveau-Brunswick restent toutefois peu documentés par la recherche. Pourtant, ces personnes doivent relever des défis et des ajustements par rapport à eux-mêmes et à leur enseignement (Rufin et Payet, 2017) pour jouer pleinement leur rôle dans le système éducatif. Il leur faut s’adapter à une nouvelle culture et à un marché de l’emploi souvent très différents de ceux en vigueur dans leur propre pays (Bangali et al., 2021). Leur insertion professionnelle est complexe; il ne s’agit pas seulement de vivre la transition entre leur formation et l’enseignement en salle de classe (Larochelle-Audet, 2017), mais aussi la transition entre la formation et l’enseignement en salle de classe dans le pays d’origine, et l’enseignement en salle de classe dans le pays d’accueil. Cette transition passe nécessairement par des démarches de recrutement dans le système scolaire du pays d’accueil et au Canada, avec comme conséquence que les personnes enseignantes formées à l’étranger rencontrent des difficultés d’accès à l’emploi (Niyubahwe et al., 2013, 2014).

Dans le cadre de notre recherche, c’est ce moment de l’insertion professionnelle qui a retenu notre attention et que nous avons nommé « expérience de recrutement ». Nous entendons par cette expression l’idée que les démarches pour s’informer, préparer un dossier, passer une entrevue d’emploi et intégrer un nouvel environnement de travail influencent la manière dont une personne construit ses impressions sur l’emploi auquel elle s’intéresse (Solus et Engel, 2017). On doit se demander si un recrutement mieux anticipé et coordonné ne serait pas un aspect important d’une insertion professionnelle réussie, et n’aurait pas d’effet sur l’engagement et la rétention d’une personne enseignante formée à l’étranger.

OBJECTIF DE RECHERCHE

L’objectif de notre recherche consiste à étudier l’expérience de recrutement de six personnes enseignantes formées à l’étranger et qui ont choisi d’enseigner dans les écoles du système scolaire francophone du Nouveau-Brunswick. Nous cherchons à identifier les incitations et les défis rencontrés par ces personnes enseignantes formées à l’étranger lors de leur embauche, ainsi que les pratiques en matière de recrutement qui, selon elles, appuient leur insertion professionnelle.

CADRE CONCEPTUEL

La personne enseignante formée à l’étranger, lors de son expérience de recrutement pour enseigner au Nouveau-Brunswick, se trouve à l’une des étapes de son insertion professionnelle, un processus qui est multidimensionnel (Mukamurera, 2011; Mukamurera et al., 2013; Niyubahwe, 2015). La première dimension de l’insertion professionnelle renvoie aux conditions d’accès à l’emploi et aux caractéristiques de celle-ci. Cette dimension concerne tout particulièrement notre étude du fait qu’elle s’intéresse à l’expérience de recrutement. Elle inclut des éléments tels que le délai d’attente, le salaire, la stabilité de l’emploi et les démarches à suivre pour l’obtenir. La deuxième dimension porte sur les tâches qui doivent être effectuées et les conditions de travail qui les entourent (Mukamurera, 2011). La troisième dimension concerne la socialisation organisationnelle, « le type d’organisation et de culture dans lesquels le nouvel enseignant est appelé à travailler et à s’intégrer […] afin d’y participer en tant que membre » (Mukamurera et al., 2013, p. 16). La quatrième dimension touche les compétences à développer ou à consolider depuis la formation initiale pour maitriser son rôle d’enseignante ou d’enseignant. La cinquième dimension touche les éléments psychologiques de l’insertion : les émotions, les sentiments et les affects que ressent une personne enseignante formée à l’étranger, ainsi que l’identité de celle-ci. L’expérience de recrutement qui concerne les conditions d’accès à l’emploi (première dimension) présente plusieurs composantes à considérer pour comprendre les enjeux de celle-ci. Il s’agit, selon leur ordre de manifestation : 1) du désir d’immigrer, 2) des démarches pour s’informer; et 3) des démarches à suivre pour être recruté ou recrutée.

Désir d’immigrer

Plusieurs facteurs mènent au choix d’immigrer afin d’enseigner dans un pays différent de son pays d’origine. Selon Brown et Schulze (2007), des raisons économiques et personnelles mènent à la décision d’immigrer. Celles-ci comprennent : 1) des facteurs d’incitation de la part du pays d’origine, comme le manque d’avantages sociaux, les mauvaises conditions de travail, le salaire insatisfaisant et le manque de ressources au travail; et 2) des facteurs d’attraction de la part du pays de destination, comme la demande élevée de personnes enseignantes, les bonnes conditions de travail, le salaire satisfaisant, le besoin d’aventure culturelle, les meilleurs avantages familiaux, la valorisation de son travail dans le système scolaire et le partage des valeurs entre le système scolaire et les personnes enseignantes. Ces dernières sont attirées par des systèmes scolaires qui ont des valeurs auxquelles elles s’identifient. Dans le cas plus spécifique du Nouveau-Brunswick, plusieurs choisissent d’y immigrer en raison des possibilités d’emplois ou d’études (Traisnel et al., 2020).

Démarches pour s’informer

Avant d’immigrer au Canada, notamment au Nouveau-Brunswick, les personnes enseignantes formées à l’étranger doivent consulter plusieurs sites gouvernementaux pour se renseigner au sujet des procédures d’immigration du pays d’accueil, comme celui du gouvernement du Canada, mais aussi certains sites qui varient selon les différentes provinces afin d’obtenir les politiques d’immigration locales et certains renseignements au sujet des exigences pour y enseigner. De plus, les personnes enseignantes formées à l’étranger qui souhaitent enseigner au Nouveau-Brunswick doivent consulter les sites de différents systèmes éducatifs, comme celui de l’Association des enseignantes et des enseignants francophones du Nouveau-Brunswick.

L’une des complexités du recrutement des personnes enseignantes formées à l’étranger concerne les démarches nécessaires afin de s’informer au sujet du processus de mise en candidature en enseignement, au sujet de la carrière d’enseignement et au sujet de la vie dans le pays d’accueil (valeurs pédagogiques et sociétales, culture et système éducatif) (Datta-Roy et Lavery, 2017; Jabouin et Duchesne, 2018). Datta-Roy et Lavery (2017) ont démontré, dans leur étude effectuée en Australie, que les ressources en ligne, dont les sites gouvernementaux, les sites des différents systèmes éducatifs et les sites d’immigration communiquent souvent de mauvaises informations aux personnes enseignantes au sujet du système éducatif et de la vie dans le pays d’accueil. La complexité de la navigation des sites afin d’obtenir les renseignements nécessaires serait un autre défi observé (Datta-Roy et Lavery, 2017).

Démarches pour être recrutée ou recruté

Les démarches pour être recruté dans un système scolaire au Canada sont multiples pour les personnes enseignantes formées à l’étranger. Celles-ci doivent consulter plusieurs documents ou sites qui les informent au sujet des exigences selon les différentes provinces canadiennes – notamment sur les connaissances et les compétences nécessaires pour enseigner dans la province ciblée. Au Nouveau-Brunswick, les personnes candidates doivent obtenir un certificat d’enseignement[2] de la province, en plus de passer une entrevue d’emploi.

Un défi lors des démarches pour être recruté est la non-reconnaissance des diplômes non canadiens (Cheng et al., 2012; Gagnon, 2007; Marom, 2017; Walsh et Brigham, 2007) et la complexité du processus de demande d’emploi en enseignement (Datta-Roy et Lavery, 2017; Jabouin et Duchesne, 2018). Par ailleurs, les personnes enseignantes formées ailleurs qu’au Canada trouvent, en général, que cette procédure est assez complexe et pénible en raison du besoin d’envoyer de multiples documents comme les diplômes, les relevés de notes, les résultats aux évaluations linguistiques et la vérification des casiers judiciaires (Datta-Roy et Lavery, 2017; Jabouin et Duchesne, 2018). D’autre part, le recrutement peut être sujet à une discrimination défavorable aux personnes racisées (Jabouin et Duchesne, 2018). Dans certains cas, c’est la méconnaissance de l’expérience des personnes enseignantes acquise dans leur pays d’origine qui explique que certains milieux du pays d’accueil voient ces expériences précédentes comme minées par des lacunes pédagogiques et culturelles (Larochelle-Audet, 2017).

MÉTHODOLOGIE

Nous avons opté pour une approche qualitative – type de démarche qui a pour objet la compréhension et l’interprétation des pratiques et des expériences, et qui vise à en extraire le sens (Fortin et Gagnon, 2015; Paillé et Mucchielli, 2016) – pour analyser le vécu de personnes enseignantes formées à l’étranger en recueillant leur point de vue. Il s’agit d’admettre que le point de vue d’autrui est significatif, compréhensible et peut être rendu explicite (Patton, 1990).

Pour accéder au vécu des personnes enseignantes formées à l’étranger au Nouveau-Brunswick, l’instrument de collecte de données a été l’entrevue semi-dirigée individuelle. Considérée comme une interaction verbale « sur un mode qui ressemble à celui de la conversation » (Savoie-Zajc, 2009, p. 340), l’entrevue semi-dirigée a permis de construire conjointement, avec la personne interviewée, une compréhension plus exhaustive du sujet étudié. Pour aider à la compréhension du parcours de chaque personne participante, l’entretien était divisé en cinq sections en lien avec les éléments recensés dans les écrits :

  1. Le vécu pédagogique dans le pays d’origine (formation à l’enseignement et expérience d’enseignement à l’extérieur du Canada, notamment du Nouveau-Brunswick);

  2. Les démarches pour s’informer pour enseigner au Canada;

  3. Les démarches pour être recruté ou recrutée (incluant l’équivalence de diplômes et la demande d’emploi);

  4. Le processus d’insertion professionnelle (incluant l’expérience initiale en enseignement);

  5. Les réflexions pour l’amélioration du processus de recrutement.

Les questions ont permis aux personnes enseignantes formées à l’étranger de s’exprimer sur leur expérience, sur les évènements qui ont influencé leur parcours, et sur leurs opinions, réflexions et recommandations sur le processus de recrutement.

L’entrevue semi-dirigée a été d’une durée d’une heure à une heure et demie. Pour s’assurer que les personnes interviewées se sentaient en sécurité par rapport à la confidentialité des informations partagées lors des rencontres, conduite au moyen du logiciel Teams, l’entretien a été enregistré localement avec une enregistreuse portative par les hautparleurs de l’ordinateur du chercheur principal. Les six entrevues ont eu lieu entre octobre et novembre 2021.

Recrutement des personnes participantes à l’étude

Les trois districts scolaires francophones (sud, nord-est et nord-ouest) du Nouveau-Brunswick ont été contactés par courriel afin de les informer de la recherche et de solliciter une lettre d’autorisation pour accomplir celle-ci sur leurs territoires. À la suite de l’approbation éthique, un courriel de sollicitation a été acheminé, par l’intermédiaire des directions d’écoles, aux personnes enseignantes formées à l’étranger. Trois personnes enseignantes ont été recrutées par ce système. Conformément à la procédure d’échantillonnage par réseaux (Fortin et Gagnon, 2015), les personnes contactées avaient l’option de nous indiquer d’autres personnes pouvant répondre aux critères de sélection. Si nous obtenions le nom et le courriel d’une personne, le courriel de sollicitation lui était envoyé. Trois autres personnes enseignantes ont été recrutées par ce système. Pour chaque réponse positive, un rendez-vous a été pris pour l’entrevue en ligne.

Tableau 1

Profil des participants et participantes[3]

Profil des participants et participantes3

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Les six personnes participantes étaient des personnes enseignantes dans une tranche d’âge de 25 à 65 ans. Elles répondaient aux deux critères choisis pour étudier le cas particulier de l’expérience de recrutement de personnes enseignantes formées à l’étranger, soit : 1) avoir obtenu une formation à l’enseignement en dehors du Canada; et 2) avoir vécu le processus de recrutement pour enseigner au Nouveau-Brunswick. Ces personnes habitaient déjà au Nouveau-Brunswick au moment de l’étude. Pour connaitre les incitations lors de l’expérience de recrutement qui ont appuyé l’insertion professionnelle postembauche des participantes et participants, une expérience d’enseignement de six mois au Nouveau-Brunswick était exigée (l’un des participants, François, faisait de la suppléance). Un regard a aussi été posé sur une différence possible de l’expérience de recrutement selon le pays d’origine de l’enseignante ou de l’enseignant. Nous avons pu interviewer trois personnes originaires d’un pays africain et trois personnes originaires d’un pays européen, dont la langue d’enseignement était le français. De plus, deux de nos participants, Damien et François, sont venus au Canada pour parfaire des études supérieures et ont décidé d’y rester en tant qu’enseignants. Deux de nos participants, Édouard et François, ont entrepris des études en éducation au Canada.

Analyse des données

Après avoir été transcrites, les entrevues ont été analysées en suivant les procédures de l’analyse thématique (Paillé et Mucchielli, 2016). Il s’agissait de représenter le contenu des entrevues (corpus des données) par des thèmes représentatifs (Paillé et Mucchielli, 2016, p. 232). Les thèmes ont été identifiés en continu, et combinés au besoin pour former les thèmes principaux. L’objectif de l’analyse était d’élaborer une représentation au sein de laquelle « les grandes tendances du phénomène à l’étude vont se matérialiser » (Paillé et Mucchielli, 2016, p. 232), et de voir comment l’expérience de recrutement se déploie. Les questions posées lors de l’entrevue ont servi de premier niveau de classement, plus abstrait par rapport au contenu analysé. Par la suite, nous avons dégagé des « unités de signification » (Paillé et Mucchielli, 2016), déterminé les thèmes principaux et produit une synthèse sous forme de récit de l’expérience de recrutement de chaque participant et participante. Avec l’aide du logiciel NVivo, deux outils ont été utilisés, soit le « relevé de thèmes », un espace où ont été catalogués les thèmes et leurs caractéristiques, et le « journal de thématisation », un espace où ont été inscrits les réflexions et le travail sur les thèmes (Paillé et Mucchielli, 2016).

PRÉSENTATION DES RÉSULTATS

Notre analyse a produit cinq thèmes principaux : 1) la différence des préoccupations selon l’origine de la personne enseignante formée à l’étranger; 2) l’expression de l’expérience positive des personnes enseignantes formées à l’étranger au Nouveau-Brunswick; 3) la valeur perçue de la certification pour enseigner; 4) le processus d’embauche; et 5) les éléments postembauche qui influencent l’adoption d’une carrière d’enseignant dans le pays d’accueil.

Thème 1 : la différence des préoccupations selon l’origine de la personne enseignante formée à l’étranger

Un premier phénomène qui se dégage des entretiens est la différence des préoccupations des personnes enseignantes formées à l’étranger selon leur lieu d’origine en ce qui a trait au processus de recrutement. Pour les trois personnes participantes originaires de l’Europe francophone, l’étape qui semble avoir laissé le plus de traces d’une expérience négative est celle de l’équivalence des diplômes et du niveau de certification qui en découle au début de leur parcours pour enseigner au Nouveau-Brunswick. Ces personnes parlent d’un sentiment d’injustice, d’incompréhension ou de déception de ne pas avoir été suffisamment outillées pour obtenir la certification adéquate. On voit donc chez elles, dans la dimension qui a trait aux conditions d’accès à l’emploi, une attention toute particulière portée à la juste valeur de leur formation dans leur pays d’origine et du besoin que cette formation soit équitablement évaluée. Pour Édouard et François, deux des trois participants originaires d’Afrique, il s’agit surtout d’un sentiment d’injustice et d’incompréhension par rapport au silence des services de recrutement lors des demandes d’emploi pour des entretiens d’embauche, et ce, malgré le fait d’avoir suivi une formation en éducation au Canada. Le choix d’avoir voulu suivre une formation canadienne est d’ailleurs directement lié à leur expérience de recrutement, puisque c’est à la suite d’un nombre important de demandes d’emploi infructueuses qu’ils se sont inscrits, dans l’idée d’obtenir un poste. Le sentiment d’injustice pour eux est associé à une discrimination systémique pendant le processus d’embauche de personnes racisées. Édouard, par exemple, a passé des entrevues pendant environ un an, mais n’a eu aucune réponse. Selon lui, c’est seulement après qu’une école a reçu un nombre important d’élèves issus de l’immigration qu’il a été appelé pour une entrevue et retenu pour un poste d’enseignement. François, pour sa part, n’a fait que de la suppléance depuis son arrivée au Nouveau-Brunswick.

Thème 2 : l’expression de l’expérience positive des personnes enseignantes formées à l’étranger au Nouveau-Brunswick

Un élément qui peut être retenu pour un recrutement réussi est l’expression de l’expérience positive des personnes enseignantes formées à l’étranger de ce qu’implique le fait d’être enseignant ou enseignante au Nouveau-Brunswick. Pour Abigaïl et Bertin, l’enseignement en milieu minoritaire francophone est plus proche de leurs valeurs que celui de leurs pays d’origine. Abigaïl mentionne : « [On] sent vraiment un esprit de communauté et d’entraide entre tous les francophones. Et c’est vrai que c’est quelque chose qui me plait énormément et que j’apprécie beaucoup. […] Ici, on se sent bien! » Claudine parle des relations plus respectueuses et décontractées entre les élèves et les personnes enseignantes, ce qu’elle remarque maintenant en comparaison aux relations de ce type dans son pays d’origine. Pour les personnes originaires de l’Afrique, Édouard parle de son engagement dans l’avenir de l’Acadie, un milieu minoritaire francophone, et de l’importance de penser au bienêtre des personnes apprenantes plutôt qu’exclusivement à l’enseignement du contenu (comme il devait le faire dans son pays d’origine). Édouard mentionne : « [J’ai] découvert l’Acadie et je me suis dit que je serais leur allié. […] Ça, c’est un combat, je peux m’engager dans ça. […] Je trouve l’idée super qu’on pense au bienêtre de l’apprenant. Je n’ai pas grandi dans un système comme ça. »

Thème 3 : la valeur perçue de la certification pour enseigner

Touchant la dimension qui a trait aux conditions d’accès à l’emploi, la compréhension des équivalences des diplômes donnés par les organismes concernés[4] pour obtenir une certification pour enseigner au Nouveau-Brunswick reste ambigüe pour les personnes enseignantes formées à l’étranger. Abigaïl et Bertin ont exprimé leur mécontentement vis-à-vis des résultats de leurs équivalences actuelles, lesquels ont mené à un certificat d’un niveau plus bas que dans leurs attentes. Claudine a regretté de ne pas avoir su ce qu’il fallait faire avant d’immigrer au Canada, compte tenu des documents à préparer (par exemple, les diplômes d’études secondaires et postsecondaires, les relevés de notes, les plans de cours). Toutes les personnes participantes ont d’ailleurs souligné l’importance, pour la personne voulant enseigner au Canada, de s’informer sur le processus de certification (les exigences en matière de formation, le système de crédits, les documents nécessaires et l’échelle salariale). Le processus de certification le plus efficace pour enseigner au Nouveau-Brunswick est celui où les participants et les participantes ont reçu de l’aide lors de leur démarche. Pour Abigaïl et Bertin, c’était l’aide des personnes recrutrices lors de leur entretien d’embauche dans un salon de l’emploi dans leur pays d’origine. Pour Damien, l’aide est venue des services aux étudiants étrangers et aux étudiantes étrangères de son université lorsqu’il était étudiant.

Malgré ses 15 ans d’enseignement au secondaire dans son pays d’origine et ayant été mal conseillée à son arrivée au Nouveau-Brunswick, Claudine s’est dirigée vers l’enseignement collégial et a suivi une formation pour avoir une certification pour enseigner aux adultes. Édouard et François, en dépit de leur niveau de diplomation (doctorat) et leur expérience en enseignement dans leur pays d’origine, ont senti le besoin de suivre une formation en éducation au Canada pour augmenter leur chance d’y enseigner, malgré le fait qu’ils avaient les exigences demandées pour un certificat d’enseignement.

Thème 4 : le processus d’embauche

Il ressort du processus d’embauche l’importance des salons de l’emploi, lesquels offrent la possibilité de passer des entrevues. Cinq des six personnes participantes y ont décroché un contrat d’emploi. C’est lors d’un salon d’emploi pour le Canada dans leur pays d’origine qu’Abigaïl et Bertin ont non seulement reçu une offre d’emploi conditionnelle, mais y ont aussi postulé pour l’immigration et y ont obtenu la documentation pour l’équivalence des diplômes. Toutes les personnes participantes en parlent d’ailleurs comme d’une expérience positive. Bertin mentionne :

Je me suis rendu compte que je pouvais avoir un poste au Canada en allant voir les recruteurs, passer un entretien et potentiellement obtenir un contrat d’emploi sur place. […] J’avais du mal à réaliser tout ça, qu’on me propose un emploi, ça faisait trois ans que je cherchais et que je ne trouvais rien.

De leur côté, Damien, Édouard et François ont aussi obtenu un contrat d’emploi lors des salons de l’emploi au Canada. De plus, Damien nous a indiqué que le district scolaire qui l’a embauché participait au programme gouvernemental de recrutement des immigrants et des immigrantes[5]. C’est donc ce district qui a parrainé sa candidature afin que sa famille puisse immigrer au Canada, ce qui, pour lui, était d’une importance primordiale.

À l’opposé, répondre à une offre d’emploi a été une démarche difficile pour Édouard et François, deux personnes racisées, qui en sortent avec l’impression qu’il y a de la discrimination envers les personnes racisées lors du processus de recrutement dans les écoles francophones de la province. Un malaise persiste chez eux, tout particulièrement dans le cas de François, qui a ses diplômes en éducation au Canada, mais qui ne trouve aucun poste adéquat. Il mentionne : « [Le] problème, [c’est], qui va m’ouvrir les portes pour trouver un poste permanent? »

Thème 5 : les éléments postembauche qui influencent l’adoption d’une carrière d’enseignant ou d’enseignante dans le pays d’accueil

Selon ce que nous ont dit les personnes enseignantes formées à l’étranger de notre étude, une fois embauchées, celles-ci peuvent vivre des situations qui influencent leur décision de poursuivre leur carrière en enseignement. Ces situations ciblent la dimension qui touche aux tâches devant être effectuées et aux conditions de travail qui les entourent, et la dimension de la socialisation organisationnelle (Mukamurera et al., 2013). Pour Abigaïl et Damien, l’encadrement était insuffisant et les personnes enseignantes formées à l’étranger devraient avoir accès à une formation d’appoint sur le plan pédagogique et organisationnel. Bertin estime de son côté avoir été bien encadré, ayant reçu l’aide d’un pair pendant environ trois mois, toutes les deux semaines pendant une demi-journée. Il explique toutefois que son manque d’expérience avec des enfants de six à onze ans aurait joué sur la décision de son école de lui offrir cet appui pédagogique. Cette pratique ne semble pas généralisée, puisqu’il est le seul des six participants à l’avoir reçu.

DISCUSSION

Notre étude avait pour objectif de comprendre l’expérience de recrutement afin d’identifier les incitations et les défis rencontrés dans l’embauche, et de cerner les pratiques en matière de recrutement qui, selon les personnes enseignantes formées à l’étranger, appuient leur insertion professionnelle.

Notre analyse a permis d’observer tout d’abord une différence des préoccupations selon l’origine de la personne enseignante formée à l’étranger. Ces préoccupations suggèrent que l’amélioration du processus de recrutement peut toucher non seulement un problème perçu concernant une étape précise (comme celle de la demande de l’équivalence des diplômes pour la certification), mais aussi un problème qui touche l’expérience de recrutement dans sa globalité comme la discrimination de personnes racisées.

À l’égard de l’équivalence des diplômes pour la certification, il ressort des entrevues le souhait d’être mieux renseigné, d’avoir toute l’information requise avant de s’engager dans le processus de recrutement. Les personnes participantes nous ont souligné l’importance d’être informé des critères d’équivalence des diplômes afin de mieux connaitre le salaire prévu selon l’échelle salariale et les possibilités d’une formation supplémentaire pour obtenir la certification désirée. Ces recommandations se retrouvent d’ailleurs dans certaines recherches canadiennes (Cheng et al., 2012; Walsh et Brigham, 2007). Une solution complémentaire pourrait être la création de différents espaces de discussion en ligne, notamment entre les nouvelles personnes enseignantes et les plus anciennes (Bowlby-Holt, 2015).

La discrimination systémique pendant le processus d’embauche de personnes racisées a été démontrée par diverses recherches (Amadieu et Roy, 2019; Jabouin et Duchesne, 2018). Plusieurs spécialistes ont d’ailleurs proposé des pistes afin de rendre les pratiques de recrutement justes et équitables pour les personnes racisées. Les pratiques principales identifiées sont les suivantes : les formations pour sensibiliser le personnel responsable du recrutement des nouveaux employés et des nouvelles employées (Amadieu et Roy, 2019; Waxin et Panaccio, 2004) ainsi que l’utilisation du curriculum vitae anonyme qui ne comprend pas les renseignements pouvant associer le postulant à une personne racisée et, ainsi, provoquer une réaction discriminatoire (Amadieu et Roy, 2019). Il faut toutefois ajouter qu’une étude effectuée par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (2020) a montré que les personnes enseignantes en milieu minoritaire qui estimaient leur situation professionnelle moins enviable que celle de leurs pairs étaient presque toutes des personnes racisées. Ce constat laisse entendre que des recherches sur la discrimination de personnes racisées dans la profession elle-même (et non seulement dans le processus de recrutement) sont nécessaires. On doit aussi souligner la surdiplomation chez les participants originaires du continent africain, qui ont tous un doctorat. Malambwe (2014) explique d’ailleurs que ce phénomène est très fréquent chez les personnes immigrantes au Canada. On remarque aussi que les années d’enseignement dans le pays d’origine ne semblent pas être un élément favorable à une personne enseignante formée à l’étranger quant à la possibilité d’obtenir un entretien d’embauche.

Deux des participants et participantes qui avaient entre neuf et quinze ans d’expérience en enseignement au secondaire dans leur pays d’origine n’ont pas obtenu de poste au secondaire dans un système scolaire francophone. L’un de ces participants fait de la suppléance et l’autre a obtenu un poste au collège où son expérience d’enseignement à l’étranger n’a pas été reconnue. Doit-on faire un parallèle avec le milieu des entreprises et se demander si des compétences personnelles et relationnelles des candidates et candidats (Dubé, 2014), qui touchent entre autres la dimension de la socialisation organisationnelle, seraient des critères privilégiés dans la prise de décision des personnes recrutrices ? Une étude sur le sujet permettrait d’éclaircir ce point.

L’expression de l’expérience positive que retiennent les personnes enseignantes formées à l’étranger nous permet d’apprécier l’importance de mettre en valeur un discours qui résonne avec leurs valeurs dans l’information véhiculée pour recruter. Lors de leurs démarches pour s’informer, ce discours aiderait les personnes enseignantes formées à l’étranger à faire leur choix de carrière en milieu minoritaire francophone. De plus, on retrouve, dans ce que les personnes enseignantes formées à l’étranger nous ont communiqué, des éléments soulignés par la recherche, comme : 1) les relations saines avec les collègues; et 2) l’attraction de systèmes scolaires qui prônent les mêmes valeurs qu’elles (Brown et Schulze, 2007; Sharma, 2012).

Le mentorat est l’élément postembauche qui, selon les participantes et participants de notre recherche, influencerait le plus l’adoption d’une carrière d’enseignant ou d’enseignante dans le pays d’accueil. Cet élément est en concordance avec la littérature, selon laquelle un accompagnement pédagogique (et tout particulièrement, le mentorat ou le mentorat interculturel) est l’une des propositions pour obtenir une insertion professionnelle réussie les plus fréquentes (Block, 2012; Collin et Camaraire, 2013; Ewart, 2009; Gagnon et Duchesne, 2018; Guo, 2009; Jabouin et Duchesne, 2012, 2018; Niyubahwe et al., 2013). Pourtant, cette pratique ne semble pas généralisée, puisqu’un seul des six participants estime avoir reçu un appui pédagogique adéquat en bonne et due forme.

CONCLUSION

L’expérience de recrutement pour les personnes enseignantes formées à l’étranger est une situation de transition souvent intense, où ces personnes traversent différentes étapes leur demandant d’altérer de façon significative le sens de leur carrière. Nous avons pu observer que certaines incitations et pratiques en matière de recrutement, comme le salon d’emploi qui offre la possibilité de passer des entrevues sur place, et des programmes pour soutenir l’insertion professionnelle des personnes immigrantes, semblent porter ses fruits. Toutefois, certains défis déjà répertoriés dans les écrits sont persistants au Nouveau-Brunswick, comme la non-reconnaissance des diplômes non canadiens, la complexité du processus de demande d’emploi en enseignement et une discrimination possible envers les personnes racisées.

Lors de notre recherche, nous avons été confrontés et confrontées à une limite méthodologique par rapport au nombre de personnes enseignantes formées à l’étranger interviewées (six), ce qui ne nous a pas permis d’atteindre le critère de saturation (Paillé et Mucchielli, 2016) lors de notre analyse. De plus, l’expérience de recrutement d’un participant, Édouard, ayant eu lieu depuis quelques années, nous a obligés de tenir compte des effets du temps sur la mémoire (Abichou et al., 2020). Nous avons donc dû analyser notre corpus en mettant l’accent sur la signification de l’expérience (Mays et Pope, 1995). Notre recherche, dont l’objectif était de comprendre l’expérience de recrutement de six personnes enseignantes formées à l’étranger, n’a pas pu par ailleurs présenter un portrait objectif des pratiques de recrutement dans leur ensemble, puisque cela demanderait de recueillir aussi le point de vue des recruteurs et des recrutrices.

Néanmoins, les personnes enseignantes formées à l’étranger venaient de deux continents différents, soit celui de l’Afrique et celui de l’Europe. Cela nous a permis d’identifier une expérience de recrutement différente selon le lieu d’origine, ainsi que selon le vécu de personnes racisées ou qui ne le sont pas. Notre recherche a aussi touché un phénomène peu étudié en milieu francophone minoritaire au Nouveau-Brunswick. Par les recommandations que nous ont faites les personnes enseignantes formées à l’étranger et qui sont appuyées par la littérature, nous pouvons toutefois envisager des recherches et des actions ciblées qui permettraient le retrait de certaines barrières, telles que la lourdeur administrative, l’opacité de l’équivalence des diplômes ainsi que la perception d’une discrimination envers les personnes racisées. Ces actions permettraient aussi un accueil plus personnel, lequel pourrait comprendre l’aide pour se renseigner sur la reconnaissance des diplômes et pour s’engager dans le processus de recrutement avec toute l’information requise. Une formation sur le plan pédagogique et culturel sur le milieu minoritaire francophone serait aussi pertinente au Nouveau-Brunswick.