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Cadre théorique

Désir et motivations à devenir parent

La parentalité est motivée par une constellation de facteurs plus ou moins conscients, qui fluctuent selon les cultures et les époques (Lacharité et al., 2015). Ce désir de devenir parent n’est pas étranger aux personnes lesbiennes et gaies (LG) qui, depuis plusieurs décennies, s’engagent dans des projets homoparentaux planifiés dans l’ensemble de l’Occident. Bien que les couples de mères soient plus nombreux et existent depuis plus longtemps, le nombre de couples gais qui deviennent parents a connu une telle croissance au cours des dernières années au Québec qu’on parle parfois de Gaybyboom (L’Archevêque et al., 2009).

Une étude auprès d’un échantillon de presque 300 américain.e.s révèle que le désir d’enfant chez les homosexuel.le.s est toutefois plus faible que chez les hétérosexuel.le.s (Riskind et Patterson, 2010), bien que les personnes LG reconnaissent la valeur de la parentalité tout autant que les hétérosexuels (Badgett, 2001). Par contre, la recherche montre que les parents adoptifs en général expriment un fort désir de parentalité, plus élevé que celui des parents hétérosexuels non adoptants (Bos et al., 2003). Le dernier recensement canadien indique également que les couples lesbiens vivant avec des enfants étaient 4 fois plus élevés que les couples gais, soit 80 % des couples de même sexe (Statistique Canada, 2016). Ces données ne révèlent pas nécessairement un manque de désir des hommes gais à avoir des enfants, mais une plus faible intention à réaliser un tel projet (Francoeur, 2015). En effet, les familles homopaternelles font face à des défis supplémentaires pour accéder à la parentalité, ce qui peut amener leurs intentions parentales à péricliter. En plus des contraintes biologiques, les hommes doivent surmonter plusieurs obstacles tels que l’incompatibilité perçue entre l’identité parentale et l’identité homosexuelle, la désapprobation sociale ou la crainte d’élever un enfant dans un environnement hétérosexiste. L’hétérosexisme se définit comme l’ensemble des discours et des pratiques, individuels ou institutionnels, qui situent l’hétérosexualité et la famille biparentale biologique comme les normes les plus acceptables socialement tout en infériorisant les autres sexualités et les autres types de familles (Chamberland, 2006). Les hommes gais peuvent craindre l’hétérosexisme qui accorde traditionnellement le rôle de donneur de soins aux femmes, remet en cause leurs compétences parentales et augmente les risques que leurs enfants vivent de la discrimination (Berkowitz et Marsiglio, 2007 ; Herbrand, 2009). De plus, la communauté gaie se définit souvent en dehors des responsabilités parentales. Pour certains membres de la communauté gaie, la paternité homosexuelle s’inscrit en faux avec le « style de vie gai » et apparaît dérangeante, car elle appuie les institution hétérosexuelles (Bédard, 2013). Enfin, les pères gais adoptifs doivent vivre avec une autre forme de double stigmatisation en raison de leur orientation sexuelle et la valeur associée à la famille adoptive jugée inférieure à celle de la famille traditionnelle (Fortin, 2011).

La documentation scientifique a mis en évidence plusieurs facteurs motivationnels et contextes de vie associés à la concrétisation du projet parental des couples d’hommes. Certains sont communs aux hétérosexuels : se sentir à une bonne étape de sa vie, être avec le bon partenaire, la naissance d’un enfant dans son entourage ou la mort d’un être cher (Berkowitz et Marsiglio, 2007). D’autres sont propres à leur statut de minorité sexuelle comme le fait d’avoir rencontré des personnes homosexuelles qui ont réalisé un projet parental ou l’émergence de plusieurs changements sociaux, légaux et politiques (Touroni et Coyle, 2002 ; Goldberg et al., 2012).

Choix de l’adoption

Malgré une diversité de moyens d’accès à la parentalité pour les homosexuel.le.s, plusieurs chemins restent particulièrement ardus pour les couples d’hommes. La gestation pour autrui (GPA), bien que plus souvent choisie par les hommes gais (Francoeur, 2015), est très coûteuse (entre 60 000 $ et 100 000 $ au Canada) (Jacob-Wagner et al., 2016) et son encadrement juridique au Québec est déficient puisqu’il n’existe pas de contrat légal garantissant les droits du père d’intention (non biologique) (Greenbaum, 2015). La procréation assistée, avec l’aide d’une femme porteuse ou dans un projet de coparentalité, soulève des questionnements éthiques et confrontent les deux pères au dilemme de choisir le donneur de gamètes et de révéler ou non son identité à l’enfant. Par ailleurs, aucun pays étranger avec qui le Secrétariat à l’adoption internationale a signé des ententes n’autorise l’adoption par les conjoints de même sexe. Une forte proportion de couples d’hommes au Québec se tourne vers l’adoption locale, via la Banque Mixte (BM) de la Direction de la Protection de la Jeunesse (DPJ) (Francoeur, 2015). Ce programme consiste à placer, pour une durée indéterminée, un enfant qui en a besoin dans une famille d’accueil avec une éventuelle possibilité d’y être adopté. L’enfant continue souvent de voir ses parents biologiques dans le cadre de visites supervisées et l’adoption peut prendre quelques mois à plusieurs années pour être finalisée. Ces familles d’accueil ne bénéficient d’aucune garantie de pouvoir adopter l’enfant, bien que seulement 3 % de ces enfants retourneront vivre dans leurs familles biologiques. Les autres resteront jusqu’à leur majorité dans leurs familles d’accueil ou seront adoptés sur ordonnance d’un juge (Greenbaum, 2015 ; Bédard, 2013).

Préférence pour l’âge, le sexe et l’origine ethnique des enfants

La BM permet à ses postulants de choisir plusieurs caractéristiques de l’enfant qui leur sera confié telles que l’âge, le sexe et l’origine ethnique. Concernant l’âge, la recherche montre que les adoptants, en général, semblent avoir une préférence pour les jeunes enfants. Une étude française de Frechon et Villeneuve-Gokalp (2009) révèle que neuf candidats sur dix souhaitent avoir un enfant le plus jeune possible et un candidat sur trois fixe l’âge maximal à 3 ans. Selon une étude américaine d’Ishizawa et Kubo (2013), plus de la moitié des adoptants au privé et à l’international considèrent important le fait d’avoir un nourrisson. Malgré cette préférence pour un enfant plus jeune chez les parents adoptants, une étude américaine a trouvé que les couples homosexuels qui adoptent localement ont plus de chance d’avoir des enfants plus vieux que les couples adoptifs hétérosexuels (Brodzinsky, 2003). Il n’existe pas, à notre connaissance, de données québécoises.

En ce qui a trait au sexe, il semble également y avoir une préférence chez les adoptants. L’étude française de Frechon et Villeneuve-Gokalp (2009) révèle que 80 % des candidat.e.s à l’adoption était indifférent.e.s par rapport au sexe, mais parmi les 20 % ayant exprimé une préférence, le désir d’avoir une fille était trois fois plus fréquent (15 %) qu’un garçon (5 %). Dans l’étude de Baccara et al. (2014), une fille était préférée par rapport à un garçon dans un processus d’adoption par 51,6 % des femmes seules, 51,9 % des couples hétérosexuels, 57 % des couples gais et 57,25 % des couples lesbiens. Les couples homosexuels seraient ceux souhaitant davantage avoir des filles. A contrario, une autre étude de Goldberg (2009a) indique que les couples hétérosexuels étaient plus susceptibles de désirer avoir une fille. Les hommes hétérosexuels étaient toutefois moins susceptibles d’avoir une préférence pour le sexe de l’enfant et les hommes homosexuels étaient les plus susceptibles d’en avoir une. Les minorités sexuelles expliquent leur préférence pour un sexe donné par des considérations en lien avec la socialisation de genre (ils se perçoivent moins compétents pour socialiser un enfant du sexe opposé) et leur préoccupation par rapport à l’hétérosexisme (certains hommes gais aimaient mieux avoir des filles parce qu’ils croyaient qu’un garçon serait plus prompt à vivre du harcèlement). On constate un consensus dans les écrits scientifiques pour dire qu’il y a une légère préférence à adopter des filles. Cependant, une préférence claire pour un sexe ne semble pas se dégager en fonction du sexe et de l’orientation sexuelle des candidat.e.s.

L’origine ethnique fait aussi l’objet d’une préférence chez les adoptants, mais elle est moins claire que pour l’âge et le sexe. Dans l’étude de Frechon et Villeneuve-Gokalp (2009), 22 % des candidats souhaitaient que l’enfant provienne du même continent. Une étude américaine a révélé au contraire qu’une majorité de personnes optaient pour l’adoption internationale plutôt que l’adoption nationale (Zhang et Lee, 2011). Les auteurs suggèrent que les candidats voient l’adoption internationale comme un défi plus intéressant (apprendre et enseigner les différences culturelles à l’enfant) tandis que les caractéristiques des enfants appartenant à une minorité raciale mis en adoption au niveau national, comme l’alcoolisme ou la maltraitance d’un parent, sont perçues comme pouvant nuire au développement de l’enfant. Une autre étude américaine a trouvé que les parents de race minoritaire ont plus de chance d’adopter un enfant de la même race qu’eux comparativement à des parents blancs (Ishizawa et al., 2006). Enfin, Raleigh (2012) a trouvé que les familles nontraditionnelles (les couples homosexuels et les personnes seules) sont plus susceptibles d’adopter un enfant non blanc. Face à ces résultats épars, il n’est pas clair si les hommes ayant adopté au Québec, blancs pour la plupart, ont une préférence marquée pour l’origine ethnique de leurs enfants.

Malgré les obstacles précédemment cités à l’accès à la parentalité pour les hommes gais, certains couples d’hommes québécois sont déterminés à faire aboutir leur projet d’enfants. Le présent article s’intéresse à comprendre la genèse de ce désir et particulièrement les motivations à adopter via la BM versus un autre mode d’accès à la parentalité (GPA, coparentalité, etc.). Bien que les résultats de recherche ne soient pas univoques, la documentation scientifique suggère que les parents homosexuels adoptifs semblent préférer des enfants plus jeunes, de sexe féminin et être plus enclins à adopter un enfant non blanc. Afin d’éclaircir ces questions, les préférences des hommes gais au regard de l’âge, du sexe et de l’origine ethnique de leur enfant adoptif sont également examinées. Cet article vient enrichir le corpus d’études qui s’intéressent au profil des couples d’hommes qui adoptent à la BM.

Méthodologie

Les données de cet article proviennent des résultats qualitatifs d’une étude à devis mixte menée de janvier 2015 à décembre 2018 auprès de pères gais ayant adopté (ou en voie d’adopter) des enfants issus du programme de la BM. Cette recherche a été financée par le CRSH et a reçu l’approbation du Comité institutionnel d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’UQAM en mars 2015 (certificat no 703919).

Le recrutement de participants a été effectué par téléphone avec la collaboration des Centres Jeunesse de Montréal, de Québec, de Lanaudière, de l’Outaouais et des Laurentides et des travailleuses sociales, et par Internet (liste d’envois et pages Facebook) de nos partenaires [nom anonymisé] et [nom anonymisé]. L’échantillon final comprend 69 pères se considérant comme cisgenres et gais (33 couples et 3 autres pères séparés). La moyenne d’âge de l’ensemble des répondants était de 39,4 ans. La plupart des pères sont blancs (93,3 %), originaires de la province du Québec (67 %) et presque toutes les familles (94 %) vivaient dans les grandes villes (Montréal, Québec, etc.) ou en banlieue à proximité des grandes villes. Les pères sont très instruits (76,8 % avec un diplôme universitaire) et la plupart (92,8 %) étaient employés à temps plein, un père était au chômage et un autre en congé de paternité. Le revenu des pères était sensiblement plus élevé (revenu individuel annuel médian entre 60 000 $ et 69 999 $) que celui de la plupart des Québécois, dont le revenu médian au moment de l’étude était de 39 312 $ (Institut de la statistique du Québec, 2014). Les parents étaient ensemble depuis 9,8 ans en moyenne avant d’accueillir leur premier enfant, et près de la moitié des familles (49,3 %) n’avaient qu’un seul enfant. Pour la collecte de données, des entrevues semi-structurées d’environ 30 minutes ont été réalisées par un interviewer au domicile des pères. Les deux membres des 33 couples ont été interviewés individuellement ainsi que 3 pères séparés. Bien que plusieurs sujets aient été abordés, seule la section portant sur le désir de paternité, le choix de l’adoption locale et la préférence pour le sexe, l’âge et l’origine ethnique des enfants a été conservée pour les analyses de ce présent article. Au total, environ 11,5 heures ont été recueillies et le verbatim des entretiens a été effectué par deux assistant.e.s de recherche. Ces verbatim ont fait l’objet d’une analyse de contenu thématique, un processus qui permet d’identifier et d’analyser des thèmes et sous-thèmes à travers un processus de codification des données bottom up, à l’aide du logiciel NVivo (Release 1.0, 2020). Les six étapes proposées par Braun et Clarke (2006) ont été suivies : (1) familiarisation avec les données, (2) codification, (3) identification des thèmes, (4) révision des thèmes émergents, (5) définition des thèmes, (6) synthèse et rédaction des résultats. Afin d’assurer la validité interne de la thématisation, l’arbre thématique a été révisé à la suite de discussions entre le chercheur principal et les assistant.e.s de recherche.

Présentation des résultats

Un désir de paternité variable, mais souvent marqué par une première étape de renoncement

À la lumière de nos analyses, le désir de paternité chez les hommes gais s’est révélé fluctuant sur le plan de son intensité, mais également au niveau de son émergence dans le temps. Tandis que certains pères ont exprimé un puissant désir, parfois viscéral, qu’ils situent du plus loin qu’ils ne s’en souviennent, d’autres ont déclaré que leur désir de devenir parent s’est construit très progressivement, au gré de circonstances facilitantes ; 60 % d’entre eux désiraient être père depuis toujours ou très longtemps et 40 % ont vu leur désir apparaitre plus tardivement. Ni le revenu ni le niveau de scolarité des pères ne semble être en lien avec l’appartenance à l’un de ces deux groupes.

Nombreux sont ceux qui ont exprimé avoir vécu une période de deuil de leur paternité au moment de la prise de conscience de leur orientation sexuelle. Ce deuil a été laborieux pour certains et a retardé l’intégration de leur homosexualité. Parce que la majorité des répondants font partie de la génération X ou Y (nés entre 1965 et 2000), les dispositions légales permettant l’adoption pour les couples de même sexe n’existaient pas au moment où ils ont fait leur coming out.

« Mon désir de paternité a toujours été là. C’est un peu sur le tard, c’est à vingt-trois ans que j’ai assumé mon orientation sexuelle pis ça faisait un peu partie des raisons pour lesquelles, au départ, je ne m’assumais pas pleinement parce que, pour moi, ce n’était pas nécessairement compatible, à cette époque-là, d’être parent puis d’être homosexuel. » (québécois, 33 ans)

« Ce qui m’a chagriné c’était de me dire “mon dieu, je n’aurai pas d’enfant”. Ça me faisait mal, dans le fond, je me demandais si j’allais vivre mon homosexualité ou si j’allais la refouler parce que je voulais avoir des enfants. C’est un truc que j’ai toujours voulu. » (français, 33 ans)

« Quand j’ai réalisé que j’étais gai au secondaire, que j’ai fait mon coming out, j’avais des craintes par rapport à ça parce que, je pensais que ça ne serait peut-être pas possible d’avoir des enfants… […] J’avais eu de la difficulté à accepter mon homosexualité entre autres à cause de ça parce que je me disais “ah… c’est plate, je pourrai peut-être pas avoir d’enfants […] Pis mes parents trouvaient ça triste lorsque je leur ai annoncé que j’étais gai parce qu’eux autres ils faisaient ce lien là aussi. Ils se disaient « ah ben… On n’aura pas de petits enfants. » (québécois, 33 ans)

Ainsi, plusieurs ont renoncé ou mis en sourdine leur désir d’être père, faute d’être en mesure d’envisager une voie facile vers la parentalité. La légalisation du mariage gai en 2005 et la loi 84 de 2002 ont réactivé un désir tapi dans l’ombre chez plusieurs de ces hommes.

« Je ne pensais pas du tout à ça. Et c’est revenu après quand on était marié. […] Au moment où on s’est marié le mariage gai venait de passer et donc on se disait que tout le restant devenait possible. » (québécois, 38 ans)

Au-delà des avancées légales, plusieurs répondants ont momentanément réprimé leur souhait de devenir parent par crainte de désapprobation sociale, notamment en lien avec l’origine culturelle des pères.

« J’avais mis ça de côté. Différences de cultures et peut-être un peu de génération… D’où je venais, ça ne se faisait pratiquement pas d’être gai et d’avoir des enfants. Donc j’avais comme mis une croix là-dessus et j’étais passé à autre chose. Et quand j’ai rencontré [mon conjoint] petit à petit, on y croyait plus… étant à Montréal aussi. » (québécois d’origine américaine, 46 ans)

Quatorze répondants ont confié s’être fait convaincre par leur conjoint dont le désir était plus fort. Cinq pères ont clairement exprimé qu’initialement, ils n’aspiraient pas du tout à devenir parent et que l’enthousiasme et l’initiative de leur conjoint ont fini par les faire changer de position. Un répondant racisé, lui-même adopté, a témoigné que son désir d’être père était d’abord inexistant, mais que de nombreuses discussions avec son conjoint et avec les travailleuses sociales qui voyaient en lui le parfait candidat (du fait de ses compétences, mais également de son profil de personne de couleur adopté) ont fini par faire naître en lui le désir.

« Quand on a été à des séances d’informations, on a rencontré les travailleurs sociaux. Quand on m’a dit que j’étais un bon candidat, que je ferais un parent potentiellement efficace et compétent… Là, j’ai plus embrassé le projet, mais ça a pris beaucoup de temps, vraiment. » (québécois d’origine haïtienne, 39 ans)

A contrario, beaucoup de parents ont exprimé un désir lointain, remontant parfois à l’enfance ou à l’adolescence, avant même d’intégrer leur orientation sexuelle ou d’être dans un couple stable. Certains ont d’ailleurs envisagé de concrétiser, ou ont même entamé, leur projet parental seul avant de finalement s’établir en couple. La vigueur de ce désir a poussé plusieurs répondants étrangers à immigrer au Canada pour pouvoir accéder à leur rêve d’être parent. Un nombre important d’immigrants d’origine française ont abordé les obstacles légaux et la désapprobation de l’homoparentalité par l’opinion publique en France qui les ont amenés à déménager outre-Atlantique.

« Moi je suis né en 68 donc je vivais en France quand j’avais 20 ans, c’était fin des années quatre-vingt en France. Ça ne devait pas être comme au Québec où ici ils sont un peu en avance par rapport à la France. Donc, chez nous en étant homo, avoir une famille, avoir des enfants, c’était impensable, à moins de vivre une double vie cachée. » (français, 46 ans)

Treize des 69 répondants nous ont dit que les discussions autour du désir de fonder une famille ont pris part très tôt dans la relation, parfois même dès les premières semaines :

« Quand on s’est rencontré [mon conjoint] et moi en 2000, le premier soir qu’on s’est rencontré c’est arrivé comme sujet de discussion. “Oui… veux-tu des enfants ?”, faut dire qu’on est 2 ingénieurs, mais lui il est encore plus structuré que moi. Il avait quasiment sa liste de questions ! » (québécois, 42 ans)

« Dans le premier mois qu’on a commencé à se fréquenter, on a juste vérifié “Ok, toi, est-ce que tu veux des enfants un jour ?” Puis ça, c’était ben important pour tous les deux. » (québécois, 39 ans)

L’exposition à des modèles familiaux positifs, l’avancement en âge et le désir de transmission comme principales motivations à devenir père

Le fait d’être issu d’une grande famille (proche et élargie) dans laquelle évolue beaucoup d’enfants a été la motivation à devenir père la plus fréquemment mentionnée.

« Ça fait longtemps que je veux avoir des enfants, probablement depuis le secondaire. Ça vient sans doute du fait que moi, je suis né dans une grande famille. J’ai un frère, puis une demi-sœur, mais ma famille élargie, mes oncles, mes tantes, mes grands-parents… Tout le monde a eu des enfants […] Pis t’sais les partys de Noël quand j’étais plus jeune, les rassemblements de famille, on était toujours très nombreux. Je m’occupais beaucoup des petits cousins, on jouait ensemble. Je me souviens que j’aimais vraiment ça le contact avec les autres enfants. Je pense que c’est venu naturellement le fait de vouloir des enfants. Parce que dans ma famille, ça a toujours été ça. » (québécois, 33 ans)

« Moi j’ai toujours eu des enfants autour de moi… J’avais des frères, ils ont eu des enfants. Cousins, cousines, enfants des amis. Si on prend des photos de moi quand j’avais quatorze, quinze ans jusqu’à aujourd’hui j’ai toujours des photos avec des enfants. » (québécois, 50 ans)

Le deuxième facteur le plus cité est le fait d’être exposé à des modèles homoparentaux positifs dans son réseau ou dans les médias. Simplement côtoyer des parents, quel que soit leur orientation sexuelle, était aussi associé à un renforcement du désir de fonder leur propre famille. Certains parents ont vécu la rencontre d’autres familles homoparentales comme un véritable catalyseur de leurs démarches auprès des services d’adoption.

« Pis en fait, c’est quand on est allé chez des amis, pis qu’eux avaient fait le processus BM […] Quand je suis sorti de là, j’ai dit à [mon conjoint] c’est sûr qu’on fait ce projet-là. Ça a été un déclencheur. » (québécois, 43 ans)

« On voyait aux États-Unis et au Canada, de plus en plus de couples d’hommes et de femmes qui avaient des enfants et qui vivaient… normalement. On s’est dit, tiens, il y a des couples du même sexe qui ont des enfants… Ça donne envie c’est sûr […] Finalement, on n’a peut-être pas besoin de renoncer à… à soi-même ou à nos envies. » (français, 46 ans)

L’avancement en âge (dans la trentaine chez la plupart des répondants) et/ou la longévité de leur couple étaient aussi perçus comme des facteurs précipitant vers la parentalité comme s’il s’agissait d’une certaine suite logique : « moi pis [mon conjoint] ça faisait 13 ans qu’on était ensemble puis comme unité familiale, on était rendu là, on était rendu là dans notre vie presque 9 ans plus tard » (québécois, 37 ans). Un autre facteur mentionné concernait le sentiment de compétence parentale. De nombreux pères œuvrent dans le domaine de l’éducation ou de la santé (28 %) et voyaient dans l’exercice des rôles parentaux un moyen de mettre à profit leurs compétences. « J’ai toujours pensé que je serais un bon parent et que j’avais de belles choses à transmettre » (québécois d’origine française, 40 ans).

Enfin, des raisons concernant justement la transmission ont été mentionnées comme le désir de ne pas vivre une vie égoïste, ainsi que de faire passer ses connaissances et sa culture. Un participant ayant bâti un certain patrimoine matériel a évoqué l’importance d’avoir quelqu’un à qui léguer ses biens. Conscients de leurs privilèges, certains ont ressenti le besoin, voire le devoir, de redonner à la société en prenant soin d’enfants dont le début du parcours de vie avait été plus malchanceux que le leur. « On se trouve très privilégié dans la vie. On a de la chance, donc on s’est dit, il faut partager cette chance-là. Il y a des enfants qui ont besoin de nous » (québécois, 37 ans). Au contraire, certains ont évoqué des raisons plus autocentrées comme l’espoir de ne pas vieillir seul.

L’adoption domestique perçue par les pères comme une option reconnue socialement, mieux encadrée juridiquement et altruiste

Si l’adoption en BM était une évidence pour certains, d’autres ont longuement réfléchi aux diverses méthodes, entamant parfois plusieurs démarches en parallèle. Les arguments en faveur de l’adoption étaient nombreux. Par exemple, plusieurs pères sont allés chercher le soutien et l’approbation de leur famille et de leurs amis avant de faire les démarches d’adoption pour être confortés dans leur décision. Le fait de penser que l’adoption est valorisée socialement était une source de motivation pour certains. D’autres raisons plus marginales ont émergé comme ce père ayant accueilli un enfant plus âgé qui s’estimait heureux de ne pas avoir vécu le pouponnage des premiers mois de la vie ou cet autre père qui voyait d’un bon œil l’adoption ayant lui-même une mère adoptée. De plus, l’encadrement juridique de l’adoption domestique au Québec était vu comme rassurant par beaucoup. Un certain nombre de répondants (10) ont affirmé avoir opté pour l’adoption domestique parce qu’ils avaient le sentiment de pouvoir aider des enfants dans le besoin. Mettre au monde un enfant dans un contexte de surpopulation a été évoqué et le fait de venir en aide à des enfants locaux plutôt qu’étrangers était aussi porteur de sens pour plusieurs pères.

« On a fini par réaliser… des enfants qui ont besoin, il y en a pleins ici. Donc, pourquoi est-ce qu’on tiendrait à avoir un enfant génétique ou à aller le chercher à l’autre bout du monde ? » (québécois, 34 ans)

« Il y a tellement d’enfants dans le besoin au Québec ; moi je veux bien là l’international, mais je ne donnerai jamais un sou à Haïti, tant qu’il y aura des gens qui ne mangent pas dans mon quartier […] Puis je comprends que quand il y a un homme, une femme et qu’un soir, on s’aime, et de ça nait un enfant, c’est facile, mais comme société, je pense qu’on pourrait prendre un peu plus soin de nos enfants collectivement. » (québécois, 30 ans)

Par ailleurs, un des éléments marquants ressortant du discours de nombreux pères adoptifs concerne l’absence de deuil de l’enfant biologique. Ils ont été particulièrement prolixes sur le fait qu’ils considèrent ces enfants comme les leurs, à part entière, et qu’ils n’ont pas ressenti le besoin de transmettre leurs gènes ou de se reconnaitre physiquement à travers leurs enfants pour parvenir à s’attacher à eux.

Les pères se sont aussi exprimés sur les autres modalités d’accès à la parentalité comme la GPA, l’adoption internationale et la coparentalité. Concernant la GPA, si certains y sont fermement opposés, d’autres l’ont envisagée avant d’y renoncer pour des raisons pécuniaires ou les obstacles légaux qui perdurent au Québec. Le coût élevé a été largement mentioné. Certains ne voulaient pas prendre le risque de transiger avec une tierce personne, de peur que cette dernière ne se rétracte ou change d’idée au cours de la grossesse. Des considérations d’ordre plus pragmatique ont été évoquées comme le dilemme de décider lequel des deux partenaires serait le donneur de gamètes. Enfin, beaucoup de pères ont exprimé un inconfort face à la GPA, parfois sans souhaiter élaborer davantage sur les raisons de leur malaise, mais parfois en invoquant clairement un dilemme éthique à avoir recours à une femme porteuse. Pour certains, c’est surtout le narratif transmis à l’enfant sur les origines de sa vie qui importe, comme l’exprime très explicitement ce père :

« [o]n a parlé 4 secondes à peu près de l’option de la mère porteuse. […]. C’est une histoire de valeurs, je pense. Quand [mon enfant] va me poser des questions à 8, 12, 15 ans pis je vais lui dire “Ta mère, elle t’aimait, mais elle n’était même pas capable de s’occuper de toi, puis nous, on voulait un enfant, donc c’est nous qui t’avons accueilli chez nous.” Je trouve ça beau comme histoire, et je ne doute pas que sa mère biologique l’aimait, c’est juste qu’elle n’était pas capable et n’avait pas les outils pour en prendre soin, mais de dire à mon enfant tu m’as coûté 100 000 $, puis quelque part dans le monde il y avait une femme qui voulait juste de l’argent pis qui a accepté de te porter… Je ne juge pas les gens, mais je n’arrive pas à la rendre poétique et bien vivre avec cette histoire-là. » (québécois, 30 ans)

Le recours à l’adoption internationale était également perçu comme un chemin plus complexe vers la parentalité par 13 pères pour des raisons financières mais aussi parce qu’aucun pays n’accepte officiellement de confier ses enfants à des couples de même sexe. Le seul moyen pour les hommes gais d’accéder à l’adoption internationale est de se faire passer pour des hommes hétérosexuels célibataires et les répondants refusaient de camoufler leur situation conjugale.

« C’est sûr qu’il y a la possibilité d’aller à l’international mais honnêtement payer pour aller chercher l’enfant et le prendre dans un autre pays, changer de langue… Ça ne me tentait pas, j’m’y voyais pas. » (français, 36 ans)

« On a alors regardé à l’international et puis là, on voyait qu’on ne peut pas dire qu’on est gai, il faut dire qu’on est célibataire. Non, on ne peut pas partir ça sur une menterie. » (québécois, 49 ans)

Enfin, certains répondants ont songé à la coparentalité avant d’y renoncer, considérant que la multiplication des figures parentales et la garde partagée n’étaient pas l’idéal pour le bien-être de l’enfant.

« Il y a eu cette possibilité d’offrir à mes copines d’avoir un enfant avec. Au début, j’avais l’impression qu’avoir des enfants à quatre, ça serait plus facile. Tout de suite à la naissance, l’enfant serait en garde partagée, mais avec du recul je me rends compte que ce n’est pas sain… En fait c’est pas idéal. Déjà les enfants quand ils viennent de familles d’accueil ont déjà des défis, donc si en plus ils sont dans une garde partagée, c’est compliqué. » (québécois, 42 ans)

Les enfants de moins deux ans majoritairement préférés

La majorité des parents qui se sont exprimés spontanément sur ce critère souhaitait avoir un enfant le plus jeune possible et la limite d’âge la plus fréquemment mentionnée a été deux ans. Pour ces parents, un jeune âge minimise la quantité de négligence et/ou de maltraitance et limite les souvenirs traumatiques. La plus grande difficulté à adopter un enfant plus âgé a aussi été nommée pour expliquer la préférence pour de jeunes enfants. Enfin, il semble que l’âge soit parmi les critères les plus importants pour les pères, au même rang que l’absence de maladie ou de handicap graves.

« Ce qu’on souhaitait c’est qu’il soit le plus jeune possible à notre arrivée, pour qu’il n’ait pas vécu trop de traumatismes. » (québécois, 43 ans)

« Un an et demi c’était notre maximum. On sait qu’après un an et demi il commence à avoir des souvenirs. On dit que la mémoire, la vraie mémoire, c’est à partir de trois ans, mais entre un an et demi et trois ans il y a quand même de la mémoire. » (québécois d’origine française, 42 ans)

Pas de préférence pour le sexe de leur enfant chez la moitié des pères

La majorité des pères (39,4 %) ont déclaré ne pas avoir de préférence. D’autres (10,6 %) ont simplement exprimé une préférence pour le sexe opposé dans le cadre d’un deuxième projet lorsqu’il avait déjà un enfant à la maison, mais la plupart de ces pères étaient ouverts à n’importe quel genre. Seulement deux couples ont souhaité avoir à nouveau un enfant du même sexe pour leur deuxième projet. Ce choix prenait en compte la préférence de leur garçon déjà adopté pour un petit frère.

« Si on ouvre la porte à un 2e enfant, il faut que [notre 1er enfant] se sente à l’aise là-dedans. On ira avec ce dont il a envie lui aussi parce qu’on ne veut pas non plus… bousculer l’équilibre familial, que lui perdre sa place. Et pour lui c’était vraiment important, [il] veut être le grand frère et avoir ce rôle-là. » (français, 26 ans)

« C’était le fun qu’il puisse jouer avec un autre garçon parce qu’il est très actif et il aime bien jouer à la bataille des trucs comme ça. Il va s’amuser davantage avec un autre garçon. » (québécois d’origine libanaise, 47 ans)

Les préférences pour le sexe basées sur des craintes pour le futur, des stéréotypes de genre et le sentiment de compétence

Seize pères ont quant à eux déclaré préférer avoir un garçon et quinze une fille. La raison première de vouloir une fille est la peur qu’un garçon de pères gais soit plus intimidé à l’école (9 personnes), et de ne pas savoir outiller un garçon face à cette victimisation potentielle (4 personnes).

« [On avait] peur des préjugés, peur que le petit garçon soit traité de tapette dans la cour d’école parce que ses deux parents sont gais. On s’est dit : plus facile avec une petite fille… il me semble qu’à l’école, ses amies de fille vont avoir peut-être plus tendance à dire “Ah chanceuse ! Tu as deux papas.” » (québécois, 37 ans)

« Les gars, ça s’écœure plus ; quand t’es gai, tu te fais plus écœurer. Et puis moi, j’avais peur… J’aurais aimé avoir un gars, [mon conjoint] aurait vraiment aimé ça. Mais je pensais toujours, j’me suis déjà fait écœurer au secondaire, parce que… j’étais maniéré. Je me rappelle en secondaire 1, secondaire 2 que j’étais un enfant sensible. J’étais comme très innocent dans mes émotions, puis c’est un milieu rough de bataille pis je me rappelle combien ça me faisait mal de me faire traiter de fif, sans savoir que moi j’étais fif à ce moment-là. Fait que je me disais, si j’ai un petit gars pis que les autres à l’école, ils savent qu’il est guidé par 2 pères, je ne sais pas si je vais être capable d’affronter ça, la peine qu’il va avoir lui. Je me sentais plus à l’aise avec des filles. » (québécois, 58 ans)

Quatre pères ont fait part de leur croyance qu’une fille avec deux pères sera mieux acceptée sans préciser davantage leur pensée. Deux parents ont par ailleurs mentionné explicitement leur crainte qu’un amalgame entre pédophilie et homosexualité les amène à vivre des attitudes hostiles de la part d’autrui.

« On a eu une préférence parce qu’on se disait ça va être plus facile peut être plus tard, les petites filles acceptent mieux ce fait-là […] Les femmes sont plus ouvertes à ça… à l’homosexualité et la différence, alors on s’est dit bon, ça va être plus facile et elle va accepter mieux. » (québécois d’origine péruvienne, 37 ans)

« Comme je suis un gars puis comme je suis aux hommes, forcément… des gens pourraient se dire… ah il veut avoir un garçon parce que c’est un pédophile mais… Cette association-là, dans certaines familles elle peut être assez forte… » (québécois, 42 ans)

Les autres motivations invoquées sont davantage reliées au réel désir d’avoir une fille plutôt que le souhait de ne pas avoir de garçon par crainte de vivre plus de difficultés. Parmi ces raisons, le fait d’avoir beaucoup de femmes et de filles dans son entourage a été mentionné « je me sentais plus à l’aise avec des filles parce que j’ai une petite sœur et pis ma sœur avec qui je suis le plus proche a eu trois filles. Donc j’ai plus l’habitude de m’occuper d’enfants ou de bébés filles » (français, 33 ans).

Enfin, des croyances plus stéréotypées en lien avec les rôles de genres ont émergé dans le discours de certains pères telles que : « [j]e trouve ça plus facile les filles […] Elles communiquent mieux, moins bagarreuses » (québécois, 38 ans) ; « mon petit gars il va vouloir jouer au basketball, au football, toute le kit, pis peut-être que là… Moi je ne serai pas dans cette gestion-là » (québécois, 35 ans) ou encore :

« J’avais quand même mis la préférence d’avoir une fille parce que je savais que… je visais d’en avoir deux et j’aimais le fait d’avoir une fille en ainé parce que… C’est des gros clichés, mais je trouve que les filles sont plus studieuses, tout ça donc pour tracer la voie c’est peut-être mieux. Bon, c’est peut-être parce que je recopie mon schéma personnel. » (français, 33 ans)

Des justifications stéréotypées en lien avec la préférence pour un garçon faisaient aussi partie du discours de certains parents : « Moi, je suis enseignant au secondaire, puis quand je pense aux différentes étapes de développement, je préfère le garçon. Je pense que c’est plus facile […] T’sais, discuter avec un gars et rentrer dedans. On est direct et tout ça. J’aime mieux ça » (québécois, 30 ans) ; « [j]’ai toujours envie de jouer au hockey, au baseball. Fait que… Je trouvais qu’un petit gars, c’était intéressant » (québécois, 43 ans).

Onze des seize pères ayant manifesté une préférence pour un garçon ont avancé que c’était le modèle qui leur était le plus familier et par conséquent avec lequel ils se sentaient le plus à l’aise et compétents. Quelques pères ont expliqué qu’ils étaient majoritairement entourés d’enfants de sexe masculin et étaient plus à l’aise d’élever un garçon. En complète opposition avec les parents précédemment cités qui percevaient l’éducation d’un garçon comme plus difficile, plusieurs pères avaient l’impression qu’il serait plus facile d’élever un garçon et particulièrement durant l’adolescence. Les inquiétudes soulevées en lien avec les adolescentes concernaient fréquemment la sexualité et les menstruations :

« [l]a gestion de l’adolescence nous semblait peut-être plus complexe. On était moins bien outillés, on s’est dit tant que tant qu’à offrir un lieu de résidence et une famille à un enfant, aussi bien qu’on soit le plus outillé possible, donc, à choisir, on était plus utile pour élever un garçon qu’une fille. » (québécois d’origine française, 40 ans)

« La sexualité, des choses comme ça… Par exemple, juste avoir ses règles ou quoi que ce soit, c’est un truc que moi je n’ai jamais vécu. Mais bon, on est entouré de femmes, donc elles lui expliqueront… » (français, 30 ans)

« Pis, des fois, je regarde l’attitude, pis je sais pas… Il y a des affaires quand arrive la puberté, les menstruations…T’sais, toutes ces affaires-là, nous les gars, on vit ça plus vieux la puberté. Mais avec une fille, je sais pas… puis des fois les réactions d’une fille, c’est pas comme je m’attends donc je sais pas… Je vais vous dire avec 4 gars, c’est une bonne dynamique. » (québécois, 51 ans)

La préférence pour l’appartenance raciale et ethnique de l’enfant liée au désir de lui ressembler et à la crainte de l’intersectionnalité

La grande majorité des pères (68,75 %) n’avaient pas de préférence quant à l’origine ethnique de leur enfant. Un quart des répondants ont demandé à la DPJ à avoir un enfant de la même couleur qu’eux (blanc) et un couple (blanc) souhaitait des enfants de couleur différente (noir). Un couple ne désirait pas d’enfant asiatique parce qu’il n’avait aucune personne asiatique dans leur entourage ou de références. Enfin, 3 pères n’avaient pas de restriction sauf pour un enfant autochtone et tous 3 ont justifié ce choix par la crainte qu’il y ait des risques accrus d’alcoolisme chez ces enfants. Les deux principales raisons avancées par les pères blancs ayant une préférence pour un enfant blanc sont 1) l’importance de la ressemblance physique et 2) le fait que l’intersectionnalité soit perçue comme un défi.

« On se disait ben deux papas gais, on ne souhaite pas en plus qu’il y ait une différence de plus à assumer. Parce qu’ils nous ont posé la question. […] Si au moins il nous ressemble physiquement… Pis je me fais facilement dire qu’il me ressemble. Moi je ne trouve pas qu’il me ressemble, mais on me le dit souvent. » (québécois, 43 ans)

« Ça facilite un peu les discussions. T’sais, les personnes qui t’arrêtent dans la rue, qui te posent des questions pis tout ça […] On se disait par contre que ce serait plus facile si c’était un blanc […] On a laissé la porte ouverte à avoir un Haïtien ou un petit asiatique. On était intéressé aussi, mais on leur avait laissé savoir qu’on avait une légère préférence pour un enfant blanc, un enfant québécois, parce que on se disait, t’sais… Étant gais c’est sûr qu’on va être victime de discrimination peut-être à un moment ou à un autre […] Lui aurait pu être discriminé ou intimidé parce qu’il a des parents homosexuels, mais en plus parce qu’il vient d’une minorité ethnique. » (québécois, 33 ans)

« On s’était dit 2 papas gais, en plus il est noir, ça fait beaucoup de choses à accepter pour les familles. » (français, 33 ans)

Discussion

Relativement peu de recherches ont investigué la naissance ou l’identification du désir d’enfant chez les hommes gais. Les résultats qualitatifs de notre étude font ressortir que la plupart des pères gais adoptifs de notre échantillon nourrissent depuis très longtemps un fort désir de paternité. Bien que les motivations invoquées par les pères soient plurielles, elles restent conformes à celles déjà recensées dans les écrits scientifiques sur le désir de paternité aussi bien des hommes gais qu’hétérosexuels. Nous développerons tout d’abord la pluralité de ces motivations et le fait qu’elles font parfois l’objet d’un processus de rationalisation. L’impact de l’hétéronormativité sur le désir de paternité et le choix de l’adoption sera ensuite discuté et nous analyserons enfin les raisons entourant les préférences des pères pour les caractéristiques sociodémographiques de leurs enfants.

Des motivations plurielles, rationalisées et similaires à celles des autres pères

Le désir de paternité exprimé par les participants de notre étude s’est avéré conforme à un modèle proposé par Gratton (2006 ; 2008) qui classifie le désir d’enfant chez les pères selon trois axes : l’axe de la transmission, l’axe de l’alliance et l’axe existentiel. L’axe de la transmission fait référence « au prolongement de soi, à l’inscription dans une généalogie et à une participation à la communauté des hommes » (Gratton, 2006 : 300). Parmi les motivations mentionnées par les pères qui s’inscrivent dans cet axe figurent : le fait d’être issu d’une famille nombreuse, accorder de l’importance aux valeurs familiales, ne pas vivre une vie égoïste, transmettre ses connaissances, sa culture, son patrimoine matériel ainsi que de redonner à la société en prenant soin d’enfants dans le besoin.

L’axe de l’alliance se comprend à travers un projet commun dans lequel deux hommes voulant devenir pères construisent une famille ensemble (Gratton, 2006 ; 2008). Le désir de plusieurs des pères de notre échantillon, d’abord erratique, s’est actualisé en raison de l’avancement en âge (maintenant ou jamais), la maturité, la longévité et la solidité de leur couple ainsi que la stabilisation professionnelle. Il semble que l’arrivée de la trentaine et le passage à la vie de couple soient deux facteurs déterminants pour beaucoup dans l’apparition de ce désir d’enfant. Toutefois, Gianino (2008) rappelle que de façon générale, chez beaucoup, ce désir était fortement présent au moment de la rencontre du couple et qu’il s’agissait déjà d’un projet discuté au préalable. Certains pères interrogés dans cette étude insistent sur le fait qu’adopter un enfant n’est pas toujours né d’un désir partagé équitablement dans le couple, ce qui doit mener à une période de négociations (Wells, 2005). La temporalité est importante dans l’axe de l’alliance, car l’adoption d’un enfant survient progressivement lorsque le couple gai est prêt à amorcer le processus. Le désir d’enfant est ici identifié comme une étape de la vie, une étape postérieure à l’épanouissement personnel et professionnel et réfère à un projet commun renforçant ou modifiant un lien conjugal.

Finalement, Gratton (2006 : 307) définit l’axe existentiel comme étant « l’expression d’une paternité qui procure des émotions, des sentiments recherchés dans le cadre d’une expérience personnelle, d’une nouvelle relation, et qui met donc en jeu un déplacement identitaire ». Pour les pères se situant principalement sur cet axe, expérimenter la parentalité et s’épanouir à travers un enfant sont importants. La force du désir est parfois telle que la concrétisation du projet parental devient vitale. Ce désir de paternité est la plupart du temps apparu très tôt dans l’enfance, avant même le dévoilement pour soi de l’homosexualité, et constitue une évolution normale de la vie. Certains parents de notre échantillon dont le désir était si fort nous ont affirmé qu’ils auraient envisager tous les scénarios possibles pour accéder à la paternité, y compris avoir des enfants seuls, se faire passer comme homme célibataire dans le cadre d’une évaluation pour l’adoption internationale ou immigrer.

Les motivations des pères gais sont similaires à celles de la plupart des pères. La quasi-totalité des motivations dans le discours rationalisé des pères est socialement acceptable, occultant peut-être une pression implicite à reproduire des modèles hétéronormés. Ce discours pourrait cacher des motivations plus inconscientes d’avoir des enfants, comme le fait de vouloir réparer son enfance en la rejouant avec de nouveaux dés ou encore assurer ses vieux jours.

L’impact de l’hétéronormativité sur la paternité gaie et le choix de l’adoption

Tel que déjà relevé par Gross (2012), la plupart des hommes rencontrés ont d’abord fait le deuil de la paternité et refoulé leur désir d’enfant lorsqu’ils ont pris conscience de leur orientation sexuelle. Leur expérience commune est celle du renoncement. Ces pères ne pouvaient pas concilier identité homosexuelle et parentale faute d’avoir des modèles ou des voies faciles d’accès à la parentalité (Touroni et Coyle, 2002 ; Berkowitz et Marsiglio, 2007) et en raison des préjugés véhiculés au sujet de leur orientation sexuelle (Herbrand, 2009). Dès que les modifications législatives et davantage de modèles homoparentaux sont apparus, le désir de paternité, alors relégué aux oubliettes a ressurgi chez ces hommes. Être exposé à des modèles homoparentaux positifs dans son réseau ou dans les médias ou simplement côtoyer des parents en général semblent avoir agi comme des catalyseurs. Cette exposition a permis à ces hommes de se projeter comme pères et de développer ce que Murphy (2013) nomme leur « conscience procréative ». Toutefois, la paternité gaie reste marquée par les représentations hétéronormatives de la parentalité. L’hétéronormativité renvoie à une idéologie normative qui postule la binarité des sexes (masculin/féminin), des genres (homme/femme), des rôles sociaux (père/mère) et des orientations sexuelles (hétérosexuelle/homosexuelle) et à l’alignement de ces dimensions (sexe féminin/femme/mère/hétérosexuelle ; sexe masculin/homme/père/hétérosexuel) (Bastien Charlebois, 2011). Selon cette conception essentialiste, les rôles de genre traditionnels du père et de la mère sont spécifiques et non interchangeables. Par exemple, la maternité constitue l’un des symboles absolus de l’affirmation de la féminité alors que le désir masculin d’enfant et la paternité ne sont pas vécus comme une étape nécessaire dans la construction de l’identité masculine dans la culture occidentale (Fine, 2001). Les hommes gais, dont le désir de paternité est relativement nouveau dans l’espace et dans le temps, doivent parvenir à dépasser cette prescription sociale des rôles sexués : exprimer un désir d’enfant n’est pas que féminin ou maternel. Ils doivent s’armer contre l’hétérosexisme de notre société qui parfois doute de leurs capacités parentales ou entretient même des préjugés associant l’homosexualité à la pédophilie (Armesto, 2002 ; Benson et al., 2005), comme cela a été mentionné par certains pères de notre échantillon. Patterson et Riskind (2010) rappellent que les pères gais sont susceptibles de rencontrer des réactions négatives de leur famille, leurs amis hétérosexuels, leurs collègues de travail, les professionnels de la santé, ainsi que d’autres personnes LG. Pour se libérer du poids de la stigmatisation, les hommes gais ont besoin de soutien socioémotionnel et de la reconnaissance sociale de leur capacité à être de bons pères, mais aussi de leur position de parenté qui ne passe plus par la complémentarité sexuelle. Tel que l’explique Cadoret (2007), ils ne nient pas la différence de sexe ; ils refusent plutôt de la prendre comme seule base du désir, de la sexualité, de la famille, de l’alliance et de la filiation.

L’adoption est souvent considérée comme « la » voie vers la parentalité (Goldberg, 2010) pour les hommes gais. Elle permet d’atténuer chez certains hommes gais l’impression de déroger à un ordre social et symbolique par le caractère altruiste de l’adoption (Gratton, 2013), souvent mentionné dans le discours des pères de notre échantillon. Le désir d’adopter un enfant en BM et non à l’internationale est encore plus symbolique. Tel que rapporté par certains pères, il s’agit d’une manière de faire la différence dans la vie d’un enfant qui vivait déjà une situation difficile dans leur propre pays (Braun et Clarke, 2006). Toutes ces raisons, éminemment louables, pourraient résulter d’un processus de rationalisation pour légitimer un projet qui est aujourd’hui mal perçu par toute une frange de la société qui souhaite discréditer les hommes gais voulant devenir parents. Le choix de l’adoption est facilité par le fait que la parentalité biologique est inaccessible à plusieurs de ces hommes gais, en raison de son coût élevé (Berkowitz et Marsiglio, 2007). Bien que la plupart de ces pères soient à l’aise financièrement, il est possible qu’ils le soient moins que les hommes gais optant pour la GPA. Le statut social de ces hommes a autant à voir avec leur expérience d’adoption que leur identité gaie. Leur choix du moyen d’accès à la parentalité ne peut être compris isolément de leurs identités croisées. De façon plus marginale, il arrive que l’adoption soit privilégiée pour pouvoir choisir l’âge et l’origine ethnique de l’enfant (Ishizawa et Kubo, 2013) et assurer un équilibre des sexes dans la fratrie (Gibby et Thomas, 2018).

Préférences pour les caractéristiques sociodémographiques des enfants

L’historique des enfants en BM comme motivation à adopter de jeunes enfants

La majorité des pères dans la présente étude préféraient qu’on leur confie des enfants aussi jeunes que possible et la limite d’âge la plus fréquemment mentionnée était 2 ans. Ce résultat n’est pas surprenant compte tenu de la vaste documentation scientifique qui montre que les enfants adoptés tardivement (après 7 mois) présentent de plus grands risques dans leur développement socioaffectif (Guédeney et Dubucq-Green, 2005), et tout particulièrement au regard de l’attachement. Les pères semblent très conscients que plus un enfant a subi de négligence et/ou de maltraitance parentale (ce qui est courant chez les enfants de la banque mixte), plus le développement de relations d’attachement sécurisantes subséquentes devient difficile (Cyr et al., 2010).

L’homopaternité perçue comme une menace à la masculinité des garçons et les stéréotypes de genre liés à la préférence d’un sexe

Environ la moitié des pères n’avait pas réellement de préférence pour le sexe de leur enfant. En revanche, 16 pères désiraient avoir un garçon et 15 une fille. Dans les faits, deux tiers des pères (46) de notre échantillon avaient des garçons et un tiers (23) des filles. Cette disproportion ne peut être expliquée par une préférence marquée des parents pour des garçons, mais peut-être par un plus grand nombre de garçons disponibles en BM. On constate tout de même une très légère préférence pour les garçons, alors que les écrits scientifiques semblent suggérer que les couples de même sexe désirent davantage avoir des filles (Baccara et al., 2014). Plusieurs pères craignaient qu’un garçon subisse plus d’intimidation, préoccupation qui a déjà été relevée auparavant (Goldberg, 2009a). Cette perception soulève la question de la réelle différence de victimisation entre les filles et les garçons de familles homopaternelles et lesboparentales qui, jusqu’à présent, n’a pas été clairement démontrée empiriquement (Bos et Van Balen, 2008). Dans une étude qualitative de Goldberg (2007), certains hommes adultes élevés dans des familles homoparentales ont déclaré qu’il leur semblait que la société accepte davantage qu’une fille ait des parents de même sexe alors qu’avoir des mères lesbiennes et particulièrement des pères gais, en tant que garçon, remettait en question la masculinité d’un homme. Ainsi, les garçons de parents LG, plus susceptibles d’intérioriser de l’homophobie (Herek, 2002), pourraient être plus à risque de victimisation. Les pères gais de notre échantillon paraissent très conscients de la manière dont l’homosexualité continue de représenter une menace pour la masculinité (Kane, 2006), de sorte que certains pères ont préféré élever des filles. Finalement, certains pères ont justifié leur préférence pour un sexe donné en se basant sur des stéréotypes de genre (par exemple, vouloir un garçon pour pouvoir jouer au soccer avec lui ; préférer une fille parce qu’elle sera plus calme, etc.). Les hommes gais doivent déconstruire les normes de genre pour parvenir à assumer leur rôle de pères gais, mais il n’en demeure pas moins qu’ils ont grandi dans une société hétéronormative qui leur a appris des stéréotypes de genre qu’ils continuent parfois de perpétrer.

Le défi de l’intersectionnalité liée à la préférence de l’origine ethnique

Peu de pères avaient de préférence pour l’origine ethnique de leur enfant. Lorsqu’ils en avaient une, elle l’était le plus souvent pour des enfants blancs (ces pères étaient blancs également). Tel que l’explique Lewin (2009), la quête de la parentalité pour ces pères est liée à leur désir d’établir des unités familiales qui s’insérèrent facilement dans les récits de parenté biologique grâce à la ressemblance physique. La deuxième raison associée à la préférence pour des enfants blancs était que l’intersectionnalité est perçue comme un défi supplémentaire. L’intersectionnalité est le croisement des oppressions qu’une personne peut vivre à l’intersection des rapports sociaux de race, de classe et de sexe notamment (Crenshaw et Bonis, 2005). Ces inquiétudes ne sont malheureusement pas complètement sans fondement. Les expériences de victimisation homophobe sont fréquentes chez les jeunes de familles homoparentales biologiques, surtout à l’adolescence (Chamberland, 2011 ; Farr et al., 2016). Les personnes racisées sont par ailleurs plus susceptibles de vivre de la violence physique et sexuelle, et l’expérience de victimisation augmente avec le nombre de formes d’oppressions (Blais et al., 2018). Parmi les autres raisons d’adopter un enfant blanc, plusieurs pères ont mentionné la préoccupation des autres, en particulier des membres de la famille. Cette justification avait déjà été relevée dans une étude américaine (Zhang et Lee, 2011). Il est difficile d’établir à quel point cet argument constitue un mécanisme défensif consistant à se prémunir contre une accusation de discrimination ou d’une réelle préoccupation qu’un enfant de couleur différente soit moins bien accepté dans le système familial. Le statut de minorité sexuelle du parent, ici perçu comme un défi supplémentaire, peut être considéré comme une force pour l’adoption transraciale, comme cela a été relevé chez certaines mères lesbiennes adoptives dans une étude de Goldberg (2009b). Le confort interracial des mères était lié à la présence de diversité raciale et ethnique dans leur famille et leur communauté. Elles percevaient ainsi ces relations comme des ressources ou des références, ce qui contribuait à augmenter leur confort interracial (Emerson et al., 2002). Cette absence d’exposition à l’altérité ethnique pourrait aussi expliquer le fait que quelques pères ont mentionné ne pas vouloir d’enfants autochtones en invoquant la croyance qu’il y a plus de risques d’alcoolisme chez ces enfants (O’Bomsawin, 2011).

Les forces et limites de l’étude

Cette étude permet d’éclaircir la question assez peu traitée du désir de parentalité des hommes gais, tout particulièrement dans un contexte d’adoption locale au Québec. Compte tenu du faible bassin de cette population, les résultats présentés reposent sur l’analyse du discours d’un très grand nombre de répondants (69), recueilli à domicile dans le cadre d’entrevues semi-structurées.

Trois limites de l’étude sont à souligner. D’une part, notre étude se base sur un échantillon non probabiliste constitué de volontaires très majoritairement blancs, avec un statut socio-économique élevé et ayant été recrutés à travers les réseaux associatifs et les Centres Jeunesse. Par ailleurs, une minorité de parents n’avaient pas complété leur processus d’adoption et transigeaient encore avec la DPJ, ce qui a peut-être généré une forme de désirabilité sociale et influencé les réponses des participants concernés. Enfin, dû à une bonification du canevas d’entrevue en cours de route, un nombre plus important de données manquantes est à signaler pour le volet de l’entretien portant sur les préférences quant à l’âge et l’origine ethnique (n=49 au lieu de 69).

Conclusion

La contribution de cette étude est essentielle puisqu’elle vient pallier le peu d’études sur les pères gais adoptifs au Québec en montrant la pluralité des parcours et des réflexions ayant mené à la réalisation de leur projet parental. Le désir de parentalité prend racine dans plusieurs vecteurs de motivation comme le désir de prendre soin, de donner un sens à sa vie, de transmettre ainsi que de contribuer à l’avenir de la société. Cependant, le regard social porté sur la paternité et la maternité continue de différer, ce qui constitue, pour les hommes, un défi supplémentaire à la réalisation de leur projet familial. La plupart des hommes gais rencontrés ont communément vécu un sentiment de deuil dû au renoncement à devenir parent. Toutefois, la quête de parentalité de ces hommes et leur courage à transgresser les normes qui réservent les soins aux tout-petits aux mères nous force à redéfinir la paternité et plus généralement la vie familiale contemporaine. Bien qu’ils chamboulent les repères hétéronormatifs, quelques pères gais entretiennent, parfois à leur insu, des stéréotypes de genre ou raciaux. Cette étude met donc en évidence l’importance de proposer des modèles positifs et divers de la famille dans l’espace public afin d’inspirer les couples gais de tout horizon à devenir parents. Des recherches futures devraient inclure davantage les expériences de parents racisés et dont l’orientation sexuelle et l’identité de genre, et leurs différentes combinaisons, ne se conforment pas aux modèles hétéronormatifs.