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Introduction

À l’image de ce que l’on peut observer dans la plupart des pays européens (Martin, 2014), les mesures de soutien à la parentalité occupent en Suisse une place croissante au niveau des politiques publiques de prévention et des actions de terrain qui en découlent. Au-delà de débats de conceptualisation, le soutien à la parentalité est aujourd’hui défini comme l’ensemble des « services et prestations organisés en vue d’influencer la manière dont les parents s’acquittent de leur rôle en leur donnant accès à une série de ressources qui visent à accroître leurs compétences en matière d’éducation des enfants »[1] (Daly, 2013 : 162). On y trouve à la fois des mesures de promotion du développement de l’enfant, de renforcement du bien-être de la famille, de prévention au regard de risques psychosociaux perçus et de sanction envers des parents considérés défaillants (Lamboy, 2009). Les enjeux scolaires liés à la préparation de l’entrée à l’école et au partenariat école-familles une fois la scolarité de l’enfant entamée y occupent une place souvent importante. À partir d’une recherche qualitative compréhensive conduite par entretien auprès des responsables d’organismes du soutien à la parentalité du canton de Fribourg en Suisse, cet article interroge comment ces derniers appréhendent le rôle de leur organisme vis-à-vis de ces enjeux scolaires et de l’école dans l’action de soutien mise en place auprès des parents. Les implications qui en découlent dans le travail mené avec les parents sont discutées de manière critique.

Cadre théorique

Une attention des politiques éducatives pour le rôle parental

Il est aujourd’hui attendu des parents qu’ils s’engagent fortement vis-à-vis de l’éducation, mais également de la scolarité de leurs enfants. D’une part, le rôle des parents se trouve au cœur d’une attention marquée à ce qui se joue dans les premières années de vie de l’enfant. Que l’on parle d’éducation et accueil des jeunes enfants ou, selon un terme de plus en plus mobilisé en Suisse, d’encouragement précoce (Hafen, 2014), la question de l’accompagnement socioéducatif des premières années de vie est devenue un enjeu crucial dans les discours et politiques publiques de la plupart des pays occidentaux. Cette mise à l’agenda se fonde sur les constats de la recherche quant à l’importance de l’éducation préscolaire de l’enfant en vue de son développement cognitif et socioaffectif, ainsi que de sa trajectoire scolaire future (Burger, 2010). L’intérêt actuel des politiques publiques pour l’encouragement précoce s’inscrit dès lors dans un objectif de lutte contre les inégalités socioéducatives et d’égalité des chances (Frazer et Marlier, 2014). D’autre part, les parents sont appelés à être des partenaires de l’école une fois leurs enfants devenus élèves, dans une relation où le registre de la séparation entre les contextes familial et scolaire n’est plus une alternative possible (Giuliani et Payet, 2014). Cette évolution de la division du travail éducatif entre l’école et la famille tient au constat du rôle essentiel des parents, ainsi que de la qualité de leur relation avec l’école, dans la lutte contre l’échec scolaire (Tardif et Levasseur, 2010). Là également, l’appel des systèmes éducatifs à ce que les parents soient des partenaires de l’école s’inscrit dans un objectif de lutte contre les inégalités de réussite éducative et scolaire touchant les enfants de certains contextes familiaux, socioéconomiquement défavorisés et/ou issus de la migration notamment (OCDE, 2019).

Des effets paradoxaux dans la lutte contre les inégalités

Cette attention accordée aux parents et à leur rôle vis-à-vis de la trajectoire scolaire de leurs enfants pose toutefois question, notamment quant à sa focale sur les parents de milieux défavorisés et/ou issus de la migration. D’abord, la recherche montre que l’appel au partenariat entre l’école et les parents est loin d’atteindre ses intentions annoncées d’égalité des chances. Dans la pratique, il favorise une proximité de l’école avec les parents proches du monde scolaire, qui maîtrisent les codes et usages du partenariat souhaité, au risque d’accroître l’écart avec les parents issus de la migration et/ou de milieux socioéconomiques défavorisés, souvent peu familiers de l’école (Conus, 2017). Il suscite des formes de mobilisation stratégique de la part des parents les mieux outillés pour saisir les implicites de l’école (Garcia, 2018) tandis qu’il renforce l’invisibilité des parents qui n’en saisissent pas les règles du jeu (Périer, 2019). De son côté, l’attention accordée à la période préscolaire tend à aller de pair avec un renforcement de la normativité des attentes que l’école fait porter sur l’enfant qui débute sa scolarité et sur ses parents (Dockett, 2014). L’accent mis sur ce qui se joue dans les premières années de vie entraine une tendance à évaluer l’enfant à son arrivée à l’école sous l’angle de son degré d’acquisition préalable d’aptitudes attendues (Ebersold, 2005). Il en résulte une pression normative sur les parents dans le champ de l’éducation préscolaire, par une assignation qui leur est faite à garantir un enfant jugé « scolarisable » (Glasman, 1992). Cette assignation prétérite plus particulièrement les parents dont les modèles éducatifs diffèrent des normes en vigueur (Conus, 2021). Globalement, tant au niveau du partenariat école-familles que de l’encouragement précoce, l’attention aujourd’hui portée sur le rôle des parents comme acteur clé dans la lutte contre les inégalités socioéducatives en général, et de réussite scolaire en particulier, engendre des effets paradoxaux d’accroissement d’inégalités en fonction des contextes familiaux.

Le soutien à la parentalité comme moyen d’outiller les parents dans leur rôle attendu vis-à-vis de l’école

Dans ces circonstances, les mesures de soutien à la parentalité, particulièrement lorsqu’elles ciblent les parents de groupes familiaux jugés à risque (Cardi, 2015), incluent régulièrement l’objectif d’outiller les parents de manière à leur permettre de remplir leur rôle attendu vis-à-vis de la scolarité de leurs enfants. Lors de la période préscolaire, les mesures de soutien à la parentalité se trouvent largement mobilisées en tant qu’instrument de sensibilisation des parents à l’enjeu de préparation des enfants à leur entrée à l’école (Garcia, 2021). Durant la période scolaire, elles sont vues comme une ressource afin d’instaurer le partenariat souhaité entre l’école et les parents qui en sont peu familiers (Monceau, 2017 ; Pothet, 2017). Par leur importance, ces enjeux scolaires liés à la préparation de l’entrée à l’école et au partenariat école-familles sont également susceptibles de jouer un rôle clé dans la manière les professionnel∙le∙s du soutien à la parentalité inscrivent leur action au cœur de la tension que Neyrand (2011) estime consubstantielle au champ du soutien à la parentalité entre logiques de soutien et de contrôle envers les parents, autrement dit entre logiques d’émancipation et d’encadrement des pratiques parentales (Pioli, 2006). On peut supposer que cette tension se trouve entretenue non seulement par les injonctions politiques et sociétales autour de la parentalité, mais aussi par une tendance de l’école à voir dans le soutien à la parentalité une ressource d’explication de ses attentes aux parents (Monceau, 2017), et au rôle que cela peut engendrer pour les acteurs du soutien à la parentalité.

Une emphase sur la responsabilité parentale qui pose question

La forte place accordée aux enjeux scolaires liés à la préparation de l’entrée à l’école de l’enfant et au partenariat école-familles vient alimenter une emphase actuelle sur la responsabilité parentale vis-à-vis de la trajectoire de l’enfant (Vandenbroeck et al., 2009). Divers travaux sociologiques portent un regard critique sur cette focalisation qui oscille entre incitation à l’autoresponsabilisation et injonction à la responsabilité des parents (Séraphin, 2013). L’injonction à la responsabilité entraine une tendance à ce que le soutien à la parentalité revête une forme prescriptive envers les parents (Furedi, 2008). Moins directement injonctive, l’incitation à l’autoresponsabilisation renvoie à une logique d’autogestion des forces et capacités aujourd’hui très présente au sein des métiers de la relation d’aide, dans laquelle l’intervention des professionnel∙le∙s tend à situer la solution des problèmes au niveau de l’individu – en l’occurrence le parent – sans prendre en compte les facteurs structurels, institutionnels et sociaux susceptibles d’y participer (Harper et Speed, 2012). Davantage encore que dans l’approche injonctive, Martuccelli (2010) souligne combien cette logique d’autogestion et d’autoresponsabilisation rend l’individu responsable de ce qui lui arrive, ou, dans notre cas, de la trajectoire de ses enfants. Qu’il s’inscrive dans une logique d’incitation douce à l’autoresponsabilisation ou d’injonction prescriptive à la responsabilité parentale, le soutien à la parentalité risque dans ces circonstances, en suivant le raisonnement de Martuccelli, de contribuer à la stigmatisation des parents plutôt qu’au développement de leur pouvoir d’agir, par une omission des variables contextuelles et structurelles dans lesquelles s’ancrent les rapports entre les parents et les professionnel∙le∙s appelé∙e∙s à les soutenir.

Contexte de la recherche

En vue de saisir plus finement ces dynamiques, il nous a paru pertinent d’interroger comment des responsables d’organismes du soutien à la parentalité appréhendent leur travail auprès des parents. Cela constitue l’objet d’une recherche conduite dans le canton de Fribourg en Suisse. Cet article se centre sur la manière dont ces responsables considèrent le rôle de leur organisme vis-à-vis des enjeux scolaires liés à la préparation de l’entrée à l’école de l’enfant et au partenariat école-familles.

Dans le fonctionnement fédéral suisse, les politiques scolaires dépendent des cantons. Elles sont rattachées aux départements cantonaux de l’instruction publique. Si chaque canton dispose de son système scolaire, des harmonisations ont été mises en place au début des années 2010, entraînant par exemple la fixation de l’âge d’entrée à l’école à quatre ans (CDIP, 2011). Tâche transversale, le soutien à la parentalité ne dépend pas des départements de l’instruction publique, mais des départements responsables des politiques sociales ainsi que des politiques de l’enfance, de la famille, de la santé et/ou de l’intégration (CDAS, 2017). À Fribourg, cela concerne les départements de la santé et des affaires sociales, auquel est rattaché le Service de l’enfance et de la jeunesse, ainsi que celui de la sécurité, de la justice et du sport, qui comprend le Bureau de l’intégration des migrant∙e∙s. L’école et le soutien à la parentalité touchent donc à des champs institutionnels distincts. Il faut signaler que les politiques et mesures du soutien à la parentalité dépendent pour partie du niveau des communes, contrairement aux politiques scolaires, ce qui complexifie encore la situation.

Dans le canton de Fribourg, les mesures de soutien à la parentalité sont majoritairement de la prérogative d’organismes associatifs reconnus et subventionnés – à des degrés divers – par le canton et parfois les communes. L’administration cantonale dispose tout de même d’une permanence téléphonique au sein du Service de l’enfance et de la jeunesse qui fournit des conseils aux parents. Il s’agit là d’un organisme étatique assurant une action directe de soutien à la parentalité. Néanmoins, cette permanence oriente les parents vers les organismes associatifs en cas de besoin de soutien plus intensif. À côté des organismes associatifs, on observe également, à l’image de ce que l’on observe ailleurs, la présence croissante d’acteurs libéraux contribuant à l’offre de conseil parental, sans toutefois que l’action de ces derniers ne soit reconnue comme faisant partie des politiques de prévention du canton.

Méthodologie

Les données mobilisées proviennent d’une recherche qualitative s’inscrivant dans une démarche compréhensive (Charmillot et Dayer, 2007), menée auprès de huit responsables d’organismes fribourgeois exerçant une activité directe et formalisée de soutien à la parentalité. Les organismes sélectionnés sont sept organismes associatifs ainsi que l’organisme étatique précédemment évoqué, prestataire de la permanence téléphonique. La collecte s’est faite au moyen d’entretiens semi-dirigés (Savoie-Zajc, 1997) conduits avec les responsables, ainsi que par la récolte des documents présentant les activités de leurs organismes. Une récolte du regard de parents et d’autres acteurs institutionnels, de l’école notamment, est prévue dans un second volet de la recherche. Le premier volet avait pour objectifs : 1) comprendre comment les responsables d’organismes du soutien à la parentalité du canton appréhendent leur mission auprès des parents ; 2) au travers du discours des responsables, saisir l’articulation de ces organismes en fonction de leurs spécificités et missions respectives ; 3) identifier les défis et tensions qui existent dans les relations entre ces organismes et les autres acteurs institutionnels, dont l’école. Dans cet article, nous nous concentrons sur le troisième objectif[2] en interrogeant le rapport à l’école et la place des enjeux scolaires liés à la préparation de l’entrée à l’école et au partenariat école-familles dans l’activité de soutien à la parentalité des divers organismes. Le tableau ci-après résume les caractéristiques des organismes concernés. La colonne des activités proposées souligne la diversité des mesures de soutien à la parentalité et des destinataires couverts.

Tableau 1

Caractéristiques des huit organismes du soutien à la parentalité

Caractéristiques des huit organismes du soutien à la parentalité

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Nous avons réalisé une analyse catégorielle thématique des données récoltées, dans une démarche mixte d’élaboration des catégories (Miles et Huberman, 2003). Dans le cadre de cet article, nous avons particulièrement approfondi les analyses des catégories en lien avec le rôle perçu vis-à-vis de l’école et les collaborations avec le monde scolaire.

Résultats

Une confirmation de la place d’enjeux scolaires

Aux dires de l’ensemble des responsables, les enjeux scolaires liés à la préparation de l’entrée à l’école et au partenariat école-familles occupent une place importante dans l’action de soutien à la parentalité menée par leurs organismes, particulièrement lorsque le soutien concerne des parents d’enfants en âge préscolaire. L’importance des enjeux scolaires se constate d’une part explicitement dans les activités offertes par plusieurs organismes. TSEDU-1 propose des ateliers de préparation à l’école et intervient dans des ateliers « Futurs écoliers » gérés par une association partenaire. INTEG organise des ateliers intitulés « Éducation : préparer mon enfant à l’entrée à l’école ». Au-delà de telles activités, les enjeux scolaires liés à la préparation de l’entrée à l’école et au partenariat école-familles occupent une place que les différents responsables disent conséquente dans les échanges individualisés instaurés avec les parents, ou lors d’activités collectives ne portant pas a priori sur ces enjeux, comme des espaces d’échanges avec les parents ouverts aux thématiques de leurs choix. Cela concerne alors autant les organismes intervenant dans le champ préscolaire que pour ceux dont l’activité de soutien s’adresse à des parents dont les enfants sont scolarisés.

L’existence de liens directs avec les professionnel∙le∙s de l’école n’est par contre mentionnée que par une moitié de responsables. Ainsi, les intervenant∙e∙s de l’organisme étatique ont des contacts directs avec des professionnel∙le∙s de l’école qui leur remontent certaines situations familiales, dans le but qu’un accompagnement puisse se mettre en place. Les intervenant∙e∙s d’un organisme associatif (TSEDU-1) ont régulièrement des contacts avec des enseignant∙e∙s dans le cadre d’organisation d’ateliers collectifs de préparation à l’entrée à l’école organisés au sein des établissements scolaires. Les acteurs de deux autres organismes associatifs sont fréquemment impliqués dans un travail de réseau susceptible d’inclure des professionnel∙le∙s de l’école (enseignant∙e, psychologue scolaire, logopédiste, etc.) : il s’agit de TSEDU-2 et SPECI. Ces deux organismes interviennent en soutien des parents dans des situations estimées déjà problématiques ou à risque avéré pour l’enfant, dans le premier cas du fait de difficultés familiales et éducatives (TSEDU-2), dans le second cas à cause d’un développement jugé inhabituel de l’enfant (SPECI).

Aux dires de leurs responsables, les intervenant∙e∙s des autres organismes n’ont généralement pas de tels liens directs avec les professionnel∙le∙s de l’école. Cela n’empêche pas leurs responsables de considérer également les enjeux en lien avec la scolarité comme essentiels dans l’action de soutien à la parentalité de leur organisme, particulièrement autour du moment de l’entrée à l’école de l’enfant. Pour les responsables de certains organismes intervenant spécifiquement sur la période préscolaire, par exemple les puéricultrices (PUER-1 et PUER-2), le moment de l’entrée à l’école est le point final à leur intervention. Il constitue dès lors un cap orientant l’action de soutien à la parentalité, notamment au niveau de conseils éducatifs transmis aux parents la dernière année avant l’entrée à l’école de l’enfant. Cependant, l’action de soutien à la parentalité de ces organismes ne revêt pas de dimension d’accompagnement de la transition de l’entrée à l’école de l’enfant, leur action s’arrêtant avec celle-ci. D’autres responsables soulignent au contraire que leur rôle de soutien à la parentalité vis-à-vis du moment de l’entrée à l’école ne se limite pas à la préparation des parents en amont, mais qu’il consiste à les accompagner dans la période de transition du début de scolarité de l’enfant.

« La [notre] mission, elle se limite aux familles qui ont des enfants de 0 à 7 ans. Maintenant, 0 à 7, c’est pour avoir là-dedans la transition de l’entrée à l’école. Souvent, il y a une coupure à 4 ans. Et ça, on aimerait pouvoir accompagner la transition, faire des liens ». (TSEDU-1)

Un organisme se distingue dans la place donnée aux enjeux scolaires liés à la préparation de l’entrée à l’école et au partenariat école-familles. Il s’agit de FORPA, l’association active dans le champ de la formation des parents. Certes, elle propose dans son offre un cours sur l’accompagnement des devoirs selon les principes de la discipline positive, dont le descriptif indique : « [g]uidez votre enfant dans son travail d’élève, afin qu’il développe plus d’autonomie et montre le meilleur de lui-même ». Ces enjeux scolaires occupent toutefois une faible place dans le programme de soutien à la parentalité de cet organisme. La personne responsable l’explique par le fait que les demandes des parents – plutôt de classes moyennes – qui fréquentent ses activités portent davantage sur d’autres thématiques.

Deux postures distinctes dans le rapport à l’école

Une posture médiatrice entre l’école et les parents

Nous relevons deux postures distinctes dans la manière dont les responsables rencontrés considèrent le rapport de leur organisme à l’école et aux enjeux scolaires liés à la préparation de l’entrée à l’école et au partenariat école-familles. Une minorité d’entre eux se positionnent comme un médiateur entre deux mondes, un constructeur de « ponts » entre l’école et les parents. On retrouve là l’un des organismes régulièrement impliqués dans un travail de réseau avec des professionnel∙le∙s de l’école, dont l’action s’inscrit dans le champ du travail social et de l’éducation familiale (TSEDU-2), ainsi que l’autre organisme associatif du champ du travail social et de l’éducation familiale (TSEDU-1).

« On aime là pouvoir accompagner la transition, faire des liens. On a des enseignants, on a des parents, et puis notre rôle c’est de faire des ponts ». (TSEDU-1)

Les responsables de ces deux organismes ont pour point commun de refuser de considérer le rôle de leur organisme uniquement sous l’angle de la préparation des parents à l’entrée à l’école de leur enfant ou du conseil à leur apporter quant à comment agir en tant que parents d’élève une fois leur enfant scolarisé. Pour ces responsables, le rôle de leur organisme est de favoriser l’interconnaissance et l’adaptation réciproque entre l’école et les parents, y compris en amenant les professionnel∙le∙s de l’école à mieux comprendre et prendre en compte la diversité des réalités familiales. Le « pont » à construire consiste à conduire chacun des acteurs, pas seulement les parents, à adapter ses pratiques en fonction des attentes et modes de faire de l’autre.

« C’est faire des ponts entre tout ça, ce n’est pas donner raison à l’un ou l’autre, mais comprendre en fait quel est l’enjeu […]. Les parents, est-ce qu’ils trouvent une solution, est-ce que l’école peut trouver une solution, comment on peut faire, quelle tolérance on a pour ça, par rapport au fait que ça ne va pas marcher du premier coup ». (TSEDU-2)

La posture médiatrice qu’ils prônent revêt une dimension éthique forte en termes de normes et valeurs associées à une intervention respectueuse des parents. On y retrouve une visée d’émancipation privilégiée à l’encadrement des pratiques parentales, et un principe de responsabilité partagée entre l’école et les parents préféré aux injonctions à l’autoresponsabilité et à l’autogestion parentales précédemment évoquées. Ces responsables se montrent aussi critiques du regard, à leurs yeux, très normé que porte l’école sur les parents, sans toujours chercher, selon eux, à comprendre la logique dans laquelle s’inscrivent les conceptions et pratiques parentales. Ils s’efforcent de favoriser l’intercompréhension qui leur semble nécessaire à la possibilité d’envisager un « fonctionnement commun ».

« C’est clair que la non-collaboration des familles, enfin ce qui est vécu comme non-collaboration des familles, il y a des écoles, il y a des enseignants qui ne supportent pas ça. Mais parfois il y a une explication très claire. Si je pense à ce père-là, il dit, mais moi l’école, si mon gamin il fait une connerie à l’école, qu’ils lui donnent une gifle. Je n’ai pas besoin de savoir. Il donne cette autorisation en fait à l’enseignant de gérer ce qui se passe à l’école, de A à Z, ce qui n’est pas dans notre logique, ce qui n’est pas acceptable, un enseignant qui le ferait il serait même punissable, mais dans sa logique c’était ça. Et tant qu’on n’arrive pas à comprendre qu’il est dans cette logique, mais que ça ne va pas fonctionner, et que l’école est dans une autre logique. […] Donc, à un moment donné, il faut pouvoir déjà se dire ça, et ensuite trouver un fonctionnement commun ». (TSEDU-2)

Une posture de relais des attentes de l’école

Les autres responsables positionnent davantage leur organisme en tant que relais auprès des parents des normes de l’école. Ce positionnement se retrouve particulièrement dans le regard porté par ces responsables sur les interventions touchant à la préparation à l’entrée à l’école. Leur objectif est d’amener les parents à développer chez l’enfant des aptitudes et comportements perçus comme attendus par l’école. La logique privilégiée est ici celle d’un encadrement des pratiques éducatives parentales en direction des normes attendues, plutôt que d’un soutien à la libre émancipation des parents. Empreinte des dynamiques injonctives à l’autoresponsabilité et à l’autogestion parentales, l’intervention de soutien à la parentalité s’inscrit dans une logique d’adaptation largement unilatérale des parents – et de l’enfant – au monde scolaire à venir.

« Un enfant qui ne tient pas en place, qui ne sait pas s’occuper un moment sur une activité, on essaie de rendre les parents attentifs, en leur disant dans six mois, une année, il rentre à l’école et on va lui demander de rester assis pendant un bon moment, d’avoir des consignes, etcétéra. Et donc là on revoit avec les parents quels types de jeux ils font avec leurs enfants, est-ce qu’ils arrivent à faire des activités plus programmées ». (PUER-1)

Cette posture de relais concerne avant tout les responsables d’organismes n’ayant pas de contacts directs avec les professionnnel∙le∙s de l’école. Elle est également adoptée par la personne responsable du second organisme régulièrement impliqué dans un travail de réseau avec des professionnel∙le∙s de l’école, dont l’action s’inscrit dans le champ de l’éducation précoce spécialisée. Dans ce cas, l’adoption d’un rôle de relais, y compris une fois que l’enfant a débuté sa scolarité, répond à un souci de délimitation des territoires, l’intervention devant rester centrée sur le contexte familial et ne pas empiéter sur ce qui se passe à l’école.

« Il peut y avoir vraiment une collaboration intéressante entre l’enseignante et la pédagogue. Pour l’organisation de la semaine par exemple, un enfant qui serait angoissé d’aller à l’école, j’imagine des trucs très concrets, faire un calendrier à la maison avec les photos des enseignantes, quels jours il a congé. Ou l’organisation pour la séparation avec la maman. Des petites choses comme ça où on peut collaborer, mais qui ont vraiment un lien avec la famille vis-à-vis de l’école ». (SPECI)

La manière dont les responsables de ces organismes-relais décrivent leur action de soutien à la parentalité, et ses objectifs vis-à-vis des enjeux scolaires évoqués, s’inscrit au service de l’enfant, des parents, mais aussi de l’école.

« Il y a un immense travail pour la première scolarisation de ces enfants, pour faciliter l’entrée en scolarité pour l’enfant, pour sa famille, mais aussi pour le corps enseignant ». (SPECI)

Au-delà de la seule question de la préparation à l’entrée à l’école, l’objectif de l’action de soutien mise en œuvre peut consister à amener les parents à « bien collaborer » avec l’école. Nous retrouvons cette vision de la part de la personne responsable de l’organisme étatique, qui cherche à utiliser les occasions d’avoir un contact avec les professionnel∙le∙s de l’école comme un moyen d’ajuster les conseils donnés aux parents.

« C’est souvent les questions qu’on pose à l’école, au niveau des parents, comment se passe la collaboration, dans les entretiens, comment ils réagissent aux remarques, aux observations de l’école, est-ce qu’ils peuvent entendre, se remettre en question ». (ETAT)

En consistant à outiller les parents en vue d’accompagner au mieux le travail scolaire de leurs enfants, le cours sur l’accompagnement des devoirs proposé par FORPA aux parents d’enfants scolarisés s’inscrit dans cette dynamique de relais de l’école.

Ce rôle de relais des attentes de l’école correspond à la manière dont une majorité des responsables rencontrés considère la façon d’intégrer les enjeux scolaires liés à la préparation de l’entrée à l’école et au partenariat école-familles dans l’action de soutien à la parentalité mise en œuvre par leur organisme. Cela ne les empêche pas de considérer de manière critique le regard selon eux étroitement normé porté par le personnel scolaire sur les parents et le rôle attendu de ces derniers. Pour certains, préparer les parents, et par là l’enfant, aux normes scolaires attendues apparaît d’autant plus nécessaire que l’école est perçue comme insuffisamment ouverte à la différence.

« On sait aussi que voilà, selon l’école, selon sa direction, selon l’enseignant, ça peut être assez différent. Vraiment, l’acceptation de la différence ». (SPECI)

Outre ce caractère normé des attentes scolaires, d’autres dénoncent le manque de ressources déployées, dans le champ de la petite enfance et du soutien à la parentalité en particulier, pour permettre aux enfants de développer les aptitudes attendues.

« Je trouve que c’est quand même le parent pauvre, la petite enfance, on l’oublie. Et puis après on arrive avec des plaintes à l’école, en disant ah, mais ce n’est quand même pas possible, ils ne savent pas faire ci, ils ne savent pas faire ça, et puis où sont les parents. Et je trouve que parfois le monde des enseignants est extrêmement jugeant du monde de la parentalité, et oublie un petit peu le fait que les parents sont aussi des employés qui travaillent, avec des pressions, ils arrivent à telle heure à la maison, etc. […] Et parfois on a l’impression dans le langage de certains professionnels que c’est comme si aujourd’hui les parents démissionnent, s’en foutent. Moi j’ai beaucoup entendu des parents débordés, mais je n’ai pas souvent entendu des parents démissionnaires ». (PUER-2)

Dans ces circonstances, le fait de relayer auprès des parents les attentes de l’école, et par là des normes scolaires pourtant critiquées pour leur rigidité, répond à une perspective pragmatique.

« On est dans un système, et ce système autant en avoir les codes. Après, on fait la révolution ou pas, hein ! Mais c’est un peu, on vous donne la carte quoi ». (INTEG)

Cette visée pragmatique est particulièrement défendue par la personne responsable de l’organisme qui travaille avec des parents issus de la migration, et dont l’action s’inscrit spécifiquement dans le champ de l’aide à l’intégration. À ses yeux, la concrétisation de la mission d’aide à l’intégration qu’a son organisme nécessite de favoriser une acculturation de l’enfant, et au-delà de la famille, aux attentes du monde scolaire, même si le caractère étroitement normé de ces attentes se trouve en même temps dénoncé. Cette logique pragmatique permet de répondre aux questionnements éthiques que soulève l’approche prescriptive adoptée dans la relation avec les parents.

« Moi ça m’habite, est-ce qu’on crée des bons petits modèles pour qu’ils puissent entrer dans le système, parce qu’il vaut mieux qu’ils soient dedans que dehors. Éthiquement des fois on peut se poser la question. Mais en même temps, on sait que c’est leur seule chance à quelque part ». (INTEG)

Ce positionnement pragmatique est parfois pris dans un paradoxe. Malgré ce regard critique sur l’école, certains responsables qui situent leur organisme dans la posture d’un relais de l’école expriment une vision également très normée des pratiques éducatives que les parents devraient adopter, au nom du bien de l’enfant.

« Je vais être dans le cliché, mais en même temps c’est une réalité, d’éviter ces petits enfants issus de la migration un peu trop gros, en training et couches à la rentrée de l’école, et qui ont plein de sucreries dans leur sac parce que leurs mamans ont besoin de les rassurer. C’est quand même un modèle qu’on connaît ! Donc de dire aux mamans apportez un fruit. Et non, vos Kinder, vos machins, vos compotes sucrées, vous repartez avec ». (INTEG)

Ce discours normatif n’est pas repéré chez les responsables positionnant leur organisme en tant qu’instance médiatrice entre l’école et la famille. On peut se demander si, du côté des responsables des organismes adoptant une posture de relais, la justification pragmatique de la transmission des normes scolaires attendues ne masque pas, parfois, une adhésion de valeurs, plus difficilement dicible, qui agit comme moteur du discours prescriptif adressé aux parents.

Globalement, une collaboration avec l’école qui ne va pas de soi

Au-delà de ces différences de postures, l’ensemble des responsables rencontrés fait part de difficultés plus ou moins importantes à collaborer avec l’école. L’absence de collaboration formelle avec le monde scolaire est principalement regrettée. Au travers de contacts institutionnels souvent limités, les responsables des organismes du préscolaire en particulier ont le sentiment que le monde scolaire est peu intéressé à créer des liens avec le champ du préscolaire et à s’engager vis-à-vis des actions de soutien à la parentalité qui s’y déroulent, même lorsque celles-ci s’inscrivent dans une logique de préparation à l’entrée à l’école.

« L’idée c’était de formaliser la préparation. Et on n’y arrive pas pour l’instant. Est-ce qu’on n’y arrive pas parce que chacun est dépassé, est-ce qu’il n’y a pas l’énergie et la volonté de créer ces liens, je n’identifie pas tout. Mais je constate que c’est compliqué, que la structure-école, ouais, enfin que ces ponts-là, c’est compliqué quoi ». (INTEG)

Nous avons précédemment souligné qu’une collaboration accrue existe, sous forme de travail en réseau impliquant des professionnel∙le∙s scolaires, dans les situations appréhendées comme problématiques pour l’école, à savoir celles concernant l’organisme du champ de l’encouragement précoce spécialisé et celui intervenant dans les situations familiales jugées problématiques ou à risque pour l’enfant. Néanmoins, leurs responsables évoquent également des difficultés à formaliser la collaboration avec l’école, en particulier au niveau institutionnel.

« Le deuxième rendez-vous avec la direction de l’enseignement obligatoire, il a eu lieu une année après mon premier contact. Alors voilà. Moi je trouve… je pense que c’est en lien avec l’organisation très hiérarchisée, et du coup c’est plus long, ça c’est clair. Mais c’est clair que ce n’était pas une priorité ». (TSEDU-2)

Les responsables rencontrés décrivent ainsi l’école et le champ du soutien à la parentalité comme deux mondes distincts. Ils regrettent cet état de fait, qu’ils imputent largement à un fonctionnement « en silo » de l’école.

« Moi je ne comprends pas bien l’école. Je ne sais pas comment ils fonctionnent, parce qu’il y aurait effectivement énormément à faire en amont, mais c’est compliqué. Je pense que l’école fonctionne encore beaucoup en silo, et n’a pas compris qu’elle était dans une société globale. […] L’école elle-même, je ne pense pas qu’elle est en lien vers l’extérieur. Elle essaie de fonctionner, et elle fonctionne un peu en vase clos ». (INTEG)

L’école apparaît aux responsables des organismes du soutien à la parentalité comme une forteresse difficilement pénétrable.

« L’école c’est un domaine très fermé. […] C’est comme une chasse gardée, il ne faut pas trop venir les envahir, pas trop, je ne sais pas s’il ne faut pas qu’ils se déconcentrent, mais enfin on a trouvé que ce n’était pas si simple l’accès aux écoles. […] C’est comme si c’est hermétique ». (PUER-2)

Dans ces circonstances, la possibilité de collaborer avec l’école revêt un caractère aléatoire. Des collaborations se mettent en place sur le terrain, mais elles apparaissent largement dépendantes de professionnel∙le∙s et de contextes scolaires perçus comme plus ouverts que d’autres. Leur possibilité est limitée par le fait qu’il s’agit, en l’absence d’une collaboration institutionnalisée, de convaincre individuellement les professionnel∙le∙s de l’école de son bienfondé.

« Il faudrait contacter chaque responsable d’établissement pour savoir s’il est d’accord. Et il est d’accord s’il nous a rencontrées, donc ça, pour du bénévolat, c’est un job titanesque ». (FORPA)

Dans une perception de l’école comme un vase clos, plusieurs responsables considèrent que cette faible collaboration traduit, de la part des professionnel∙le∙s de l’école, un manque de connaissance du monde du soutien à la parentalité.

« Le monde scolaire, je ne sais pas, c’est comme, alors maintenant ça change un petit peu avec les responsables d’établissements, mais avant c’est vraiment l’enseignant, sa classe, et puis c’est son monde, son univers, et il n’y a pas grand-chose autour qui se passe ». (PUER-2)

Cette méconnaissance est d’ailleurs aussi regrettée par la personne responsable de l‘organisme étatique. À son sens, la dimension préventive de l’action de soutien à la parentalité assurée par son organisme est trop souvent ignorée par les acteurs extérieurs, notamment de l’école, qui l’associent uniquement à la prise en charge de situations de maltraitance éducative impliquant une décision de justice.

« Je pense qu’il y a un gros travail à faire au niveau de se faire connaître auprès des acteurs extérieurs, ne serait-ce déjà qu’au niveau des écoles, pour faire connaître notre travail, qu’un suivi sans mandat officiel chez nous c’est possible ». (ETAT)

Au final, les responsables rencontrés ont le sentiment d’avoir à fortement intégrer les enjeux scolaires liés à la préparation de l’entrée à l’école de l’enfant et au partenariat école-familles dans l’action de soutien à la parentalité mise en place par leur organisme, tout en étant dans l’impossibilité de collaborer réellement et pleinement avec l’institution scolaire.

Se satisfaire de bribes de collaboration versus relayer un message incertain

Dans ces circonstances, les responsables des deux organismes du champ du travail social et de l’éducation familiale indiquent dépenser passablement d’énergie pour instaurer la collaboration minimale nécessaire au rôle d’entre-deux qu’ils veulent jouer entre l’école et les parents, et éviter de se trouver renvoyés par défaut à une posture de relais du message de l’école.

« On veut vraiment, quand on va dans une nouvelle école, qu’on prépare cette soirée [de rencontre avec les parents] ensemble avec les enseignants. Et ça demande vraiment une ou deux rencontres où on travaille ensemble sur la manière d’appréhender les parents. On ne peut pas arriver comme ça, parce que c’est vraiment divergent. Après, on a des situations parfois très spéciales, où des enseignants veulent sortir de la salle quand on parle aux parents. […] Mais en collaborant vraiment, échanger, communiquer, discuter, préparer ensemble, expliquer le pourquoi du comment, et aussi de voir ce qui marche finalement, alors après c’est possible, ça peut bien marcher ». (TSEDU-1)

Dans le souci de « grappiller » une place et d’instaurer ce qui ressemble à des bribes de collaboration avec l’école, ces responsables veillent à s’adapter au fonctionnement et aux attentes du monde scolaire. La « collaboration » se négocie dans un contexte caractérisé par une asymétrie relationnelle, doublée d’une inégale légitimité entre les acteurs de l’école et du soutien à la parentalité. Le territoire est celui de l’école, les responsables des organismes du soutien à la parentalité y quémandent davantage qu’ils n’y revendiquent une place.

« Ma motivation est que ça corresponde à leur culture institutionnelle, pour que ça passe bien. […] Avec la DICS [direction cantonale de l’école], j’ai vraiment la stratégie, comment je peux faire pour que finalement à la fin on puisse travailler au mieux pour les familles ». (TSEDU-1)

Malgré ces stratégies, ces responsables expriment une certaine frustration face au décalage constaté entre leur souhait d’être un constructeur de ponts entre l’école et les parents, notamment autour du moment clé de l’entrée en scolarité de l’enfant, et le fait de se sentir largement tenus à distance de l’école.

Cette « école-forteresse » n’est pas sans poser problème également aux responsables des organismes du soutien à la parentalité qui se positionnent comme un relais des attentes de l’école en direction des parents. En étant difficilement pénétrable, l’école leur offre peu de retours sur la pertinence de l’action de soutien à la parentalité mise en œuvre.

« Anticiper les besoins des enfants, ce n’est vraiment pas toujours facile. Et puis là, je pense oui des fois c’est bien d’avoir un retour, qu’est-ce que ça a donné. Ce serait intéressant d’avoir là aussi des retours ». (SPECI)

Les normes et attentes relayées par ces organismes-relais en direction des parents s’avèrent de fait très peu négociées avec l’école. Elles se fondent sur une certaine connaissance de ce qui est attendu des enfants et des parents dans le contexte scolaire. Dans une école qui évolue, cette connaissance n’apparaît cependant pas mise à jour conjointement. Alors qu’on pourrait la penser a priori davantage compatible avec la posture de relais, la tenue des acteurs du soutien à la parentalité à distance du monde scolaire entretient une part d’incertitude quant à l’alignement entre le message qu’ils relaient auprès des parents et les attentes réelles des professionnel∙le∙s de l’école.

Au final, ces caractéristiques d’une collaboration tantôt bricolée dans une asymétrie relationnelle marquée, tantôt lacunaire, sont à situer au sein d’un système institutionnel fribourgeois, et plus largement suisse, fortement divisé entre les champs du soutien à la parentalité et de l’école. Il existe certes quelques injonctions institutionnelles, plus rarement politiques, à favoriser la collaboration entre ces deux mondes. Toutefois, l’école dépendant d’un département distinct des départements auxquels se trouvent rattachées les politiques et mesures de soutien à la parentalité, il en résulte une très faible formalisation de la collaboration, qui participe à ce caractère difficilement pénétrable de l’école pour les acteurs du soutien à la parentalité.

Discussion

Des différences de postures révélatrices de la variété d’ancrages du soutien à la parentalité

Nous rejoignons Karsz (2004) quant au fait que toute action de soutien à la parentalité participe à la transmission de valeurs et idéaux dominants au sein d’une société. Dans ces circonstances, il est relativement aisé que le soutien à la parentalité glisse d’une aide à l’émancipation des parents à un encadrement de leurs pratiques éducatives (Pioli, 2006). Saisir les tensions dans lesquelles l’action de soutien à la parentalité se met en œuvre est néanmoins essentiel si l’on souhaite éviter qu’elle ne se transforme en un instrument normatif et normalisateur de politiques publiques visant à contrôler des parents qui seraient perçus en tant que cause et solution premières – voire uniques – aux inégalités éducatives et scolaires (Chauvière, 2008). Une de ces tensions concerne la manière dont les organismes du soutien à la parentalité et leur gouvernance situent leur action relativement à l’école et aux attentes du monde scolaire. Nos résultats montrent comment elle peut varier au sein d’un même contexte, entre des responsables considérant le rôle de leur organisme de soutien à la parentalité comme celui d’un médiateur cherchant à favoriser l’interconnaissance et l’adaptation réciproque entre l’école et les parents, et d’autres le positionnant en tant que relais en direction des parents des normes scolaires attendues, en vue qu’ils s’y adaptent unilatéralement.

Ces différences de positionnement nous paraissent renvoyer pour partie aux domaines de rattachement des responsables rencontrés. Les responsables issus des champs professionnels de la santé – ceux des services de puériculture – et de l’éducation précoce spécialisée inscrivent ainsi leur organisme dans une posture de relais des normes scolaires attendues. Cette posture apparaît en cohérence avec une approche transmissive de leur action de soutien à la parentalité, considérée sous l’angle d’un conseil spécialisé à fournir aux parents, sur la base d’une expertise professionnelle quant aux pratiques éducatives jugées susceptibles de garantir le « bon » développement de l’enfant. Nous la retrouvons également dans le discours des responsables des organismes étatique et du champ de la formation des parents. Dans le cas des responsables rattachés aux champs professionnels de la santé et de l’éducation précoce spécialisée, il nous semble que la posture transmissive qu’ils défendent est à comprendre au regard de l’approche de prévention prédictive, ou prévention du risque, qui prévaut aujourd’hui dans ces deux champs professionnels. Ancrée dans une visée de dépistage précoce, cette approche par le risque tend à transformer, de manière relativement déterministe, des possibilités en probabilités, sur la base de normes développementales étroitement définies, tenant souvent peu compte des situations individuelles (Lee, 2014 ; Parazelli, 2020).

Inversement, les responsables des deux organismes cherchant à adopter une posture médiatrice entre l’école et les parents se rattachent au champ professionnel du travail social. Il y est aujourd’hui attendu que l’action des professionnel∙le∙s s’inscrive dans une logique d’accompagnement des destinataires prenant la forme, non sans certaines contradictions, d’un travail AVEC ces derniers plutôt que SUR leurs pratiques (Séraphin, 2013). On peut penser que cet ancrage institutionnel participe au refus des responsables de ces organismes d’agir comme un relais transmissif des normes attendues de l’école en direction des parents. Néanmoins, le positionnement de la personne responsable de l’organisme dont la mission première porte sur l’aide à l’intégration souligne la complexité des facteurs en jeu. Bien qu’également rattachée au champ du travail social, la manière dont elle appréhende la mission d’intégration de son organisme comme légitimant une logique d’imposition aux parents des normes dominantes (Bouamama, 2003), teintée d’un assimilationnisme se voulant « pragmatique », l’amène à privilégier une posture de relais de l’école. Au final, en renvoyant conjointement aux domaines de rattachement des responsables, à leurs représentations de leur mission et aux idéaux dont ils sont porteurs, par exemple relativement à l’intégration (Unterreiner, 2022), les différences de positionnement des participant∙e∙s à notre recherche confortent les constats d’un champ du soutien à la parentalité traversé de luttes idéologico-institutionnelles (Martin, 2014) et de conflits d’interprétation (Neyrand, 2022).

Une posture de relais participant à surresponsabiliser les parents et dédouaner l’école

Au-delà de ces différences de postures, nos constats soulignent le rôle clé des enjeux scolaires liés à la préparation de l’entrée à l’école et au partenariat école-familles, et indirectement de l’école elle-même, dans le poids aujourd’hui mis sur les épaules des parents. Nos résultats montrent aussi comment la charge scolaire assignée aux parents tend à se reporter sur l’action des organismes du soutien à la parentalité. Chez certains d’entre eux, cela alimente une tendance à ce que le soutien prenne une forme prescriptive, normative et normalisatrice – dans le sens d’une entreprise de mise en conformité au regard d’une norme attendue – vis-à-vis des parents et de leurs pratiques éducatives (Furedi, 2008 ; Giuliani, 2009). Aux dires de leurs responsables, une majorité des organismes du soutien à la parentalité de notre contexte agit ainsi en relais auprès des parents des normes éducatives fondées sur les attentes du monde scolaire. Cette posture les situe régulièrement du côté de la logique de contrôle des pratiques éducatives des parents, dans la tension avec la logique de soutien que Neyrand (2011) décrit comme inhérente au champ du soutien à la parentalité. La logique de contrôle se trouve justifiée au nom d’un principe de pragmatisme. La dimension prescriptive de l’action de soutien à la parentalité est assumée au nom d’un objectif d’intégration et de lutte contre les inégalités, susceptible de masquer une adhésion de fond au bien-fondé des normes transmises en tant que seules à même de garantir le « bon » développement de l’enfant.

En se centrant unilatéralement sur l’action parentale, sans chercher à engager l’acteur-école comme cela est le cas dans la posture médiatrice, la posture de relais des normes scolaires court le risque de participer à la surresponsabilisation des parents régulièrement décrite comme l’un des risques du soutien à la parentalité (Neyrand, 2022 ; Séraphin, 2013). Elle contribue également à l’un de ses pendants, qui est le dédouanement de l’école de son propre rôle dans la construction et l’entretien des inégalités (Pothet, 2014). Pourtant, la recherche souligne que l’école tend à (re)produire certaines inégalités, ainsi que le montrent les travaux conduits en France par Rochex et Crinon (2011) ou Bautier et Rayou (2013). Dans la posture de relais des normes scolaires, le caractère normé – et par-là inégalitaire – des attentes que l’école adresse en direction des élèves comme des parents ne trouve nul espace pour être questionné, quand bien même il est critiqué. Par leur rôle de relais des attentes de l’école, ces organismes du soutien à la parentalité jouent, tantôt faute de mieux, tantôt par une adhésion sur le fond, le jeu d’une norme scolaire perçue comme injuste dans le regard et les attentes qu’elle entraîne vis-à-vis des parents. En relayant un discours focalisé sur les seuls parents, laissant de côté les facteurs structurels et institutionnels des inégalités socioscolaires, ces organismes risquent d’inscrire leur action – de manière pas forcément consciente – dans un modèle néolibéral en vogue, en éducation notamment, fondé sur une individualisation des responsabilités publiques (Roberts-Holmes et Moss, 2021). Ce modèle tend à dédouaner les acteurs institutionnels, dont l’école, de la responsabilité d’offrir les mêmes chances à tou∙te∙s, avec pour conséquence un immobilisme au niveau des aspects systémiques des inégalités (Goodall, 2021).

Une posture médiatrice se heurtant au principe d’externalisation de la difficulté scolaire

Les organismes du soutien à la parentalité soucieux de se situer dans une posture médiatrice entre l’école et les parents s’efforcent de résister à cette double logique de focalisation sur la responsabilité des parents et de dédouanement de l’école. Au-delà des seuls enjeux scolaires, cela se traduit par un discours moins prescriptif de la part de leurs responsables envers les parents, davantage ancré dans une logique de soutien que de contrôle (Neyrand, 2011). L’action de soutien à la parentalité s’inscrit dans une perspective s’apparentant à celle du développement du pouvoir d’agir de Le Bossé (2003), dans laquelle il s’agit de reconnaître chaque parent comme un agent autonome disposant d’une marge de manœuvre à renforcer, sans faire l’impasse de travailler sur les facteurs structurels derrière les difficultés rencontrées, y compris quand ils concernent une difficulté perçue de l’école à comprendre la diversité des contextes familiaux de ses élèves. Dans la logique d’entre-deux décrite, l’action de soutien à la parentalité vise à rapprocher réciproquement l’école et les parents. En l’occurrence, cette volonté médiatrice se heurte aux difficultés évoquées à instaurer une collaboration avec l’école. Alors qu’ils souhaiteraient jouer ce rôle d’entre-deux, ces organismes du soutien à la parentalité se trouvent régulièrement renvoyés à un rôle d’accompagnement délégué des parents dans le rôle attendu de ces derniers par l’école.

La difficulté décrite à collaborer avec l’école nécessiterait évidemment d’être confrontée au regard porté par les acteurs scolaires sur cette collaboration. Ce travail reste largement à faire. La recherche montre toutefois que les professionnel∙le∙s de l’école s’engagent eux-mêmes fréquemment dans un travail d’orientation prescriptif des pratiques éducatives des parents. Ils et elles mobilisent pour cela l’injonction au partenariat école-familles (Giuliani et Payet, 2014), tout en ne se sentant ni complètement en légitimité ni pleinement dans le rôle de devoir le faire (Conus, 2017). Dans ces circonstances, la tentation est grande de voir dans les organismes du soutien à la parentalité un instrument – un relais – susceptible d’assurer la mise en conformité considérée comme nécessaire des pratiques éducatives des parents relativement aux normes scolaires attendues (Fahrni et Ogay, 2022). Un tel fonctionnement par délégation répond à la fois au manque de légitimité perçu des professionnel∙le∙s de l’école à s’immiscer dans le champ de l’éducation parentale, et au fait qu’ils et elles estiment que ce n’est pas leur rôle de le faire.

La faible ouverture de l’école à la collaboration, regrettée par les responsables rencontrés, nous semble révélatrice d’une forme de considération du champ du soutien à la parentalité par les acteurs scolaires. Elle s’inscrit dans un principe plus large d’externalisation de la difficulté scolaire en direction à la fois de professionnel∙le∙s tiers et des parents (Deshayes et al., 2018 ; Durler, 2019). Face aux limites de l’école à offrir les mêmes chances de réussite à tous ses élèves, l’externalisation consiste à reporter sur d’autres acteurs, comme les parents et les professionnel∙le∙s du soutien à la parentalité, la responsabilité de remédier aux inégalités de réussite scolaire. Elle a pour corollaire le dédouanement précédemment évoqué de l’école de son propre rôle dans le traitement de ces inégalités, mises sur le compte d’inégalités socioéducatives sur lesquelles l’école n’aurait nulle prise. Ce principe d’externalisation vient empêcher ou compliquer la possibilité pour les organismes du soutien à la parentalité de pleinement s’inscrire dans le rôle de médiateur qu’une partie d’entre eux souhaite avoir. Il manque pour cela une vision partagée avec le partenaire scolaire sur le fait que l’action du soutien à la parentalité puisse constituer un levier pour favoriser non seulement l’adaptation des parents aux normes de l’école, mais également l’ouverture de cette dernière à la diversité des élèves et des familles. La prégnance de ce principe d’externalisation explique à notre sens un décalage entre le constat des participant∙e∙s à notre recherche de la faible ouverture des professionnel∙le∙s de l’école à collaborer avec eux, et les fortes attentes adressées en même temps par l’école au champ du soutien à la parentalité (Monceau, 2017). Enfin, ce principe d’externalisation se trouve selon nous entretenu et renforcé par le fait même qu’une part importante des organismes du soutien à la parentalité joue le jeu de la délégation, sans le remettre en cause.

Conclusion

La tension dans laquelle se trouve prise l’action des professionnel∙le∙s du soutien à la parentalité, entre volonté de soutenir les parents et risque d’encadrement normatif de leurs pratiques, a été régulièrement soulignée (Martin, 2014 ; Neyrand, 2011 ; Pioli, 2006). Plusieurs travaux l’ont mise en regard de la tendance actuelle des politiques publiques et des discours sociétaux à focaliser la prévention des risques sociaux sur la responsabilité parentale, et plus largement individuelle (Séraphin, 2013 ; Vandenbroeck et al., 2009). En revanche, le rôle spécifique des enjeux scolaires dans l’approche plus ou moins contrôlante de l’action de soutien à la parentalité instaurée a peu été exploré. Or nos résultats montrent non seulement que des enjeux scolaires occupent une place essentielle dans l’action de soutien à la parentalité mise en œuvre par les organismes de notre terrain, mais qu’ils tendent à entretenir une dynamique prescriptive dans leur intervention auprès des parents. D’une part, aux dires de leurs responsables, une majorité de ces organismes adoptent une posture pragmatique de relais des normes perçues comme attendues de la part du monde scolaire en direction des parents, même s’ils en critiquent parallèlement le caractère étroitement défini. D’autre part, la volonté d’une minorité d’organismes de se situer dans une posture médiatrice entre l’école et les parents se trouve entravée par la difficulté à collaborer avec des professionnel∙le∙s de l’école qui les considèrent comme un instrument d’action sur les parents. Pour éviter que les acteurs du soutien à la parentalité ne servent, à leur corps défendant ou au nom d’un pragmatisme à court terme, de levier à une externalisation en direction des parents des difficultés de l’école à offrir les mêmes chances de réussite à tous ses élèves, un positionnement déontologique clair et partagé de leur part, refusant l’endossement d’un tel rôle, nous semble nécessaire. Parallèlement, cela exige de la part de l’école de reconnaître et (re)penser son propre rôle dans la collaboration avec les parents et les acteurs du soutien à la parentalité, en vue de travailler conjointement à favoriser la réussite de tou∙te∙s.