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En 2004, la Pologne a fait son entrée dans une Europe élargie à la suite d’une campagne intense qui verra le « oui » l’emporter avec 77,41 % des votes. Cette intégration a été qualifiée de succès par les médias, car elle a permis de mettre fin à l’influence soviétique et de passer à une nouvelle étape. Depuis 1989, le pays a connu une profonde évolution en raison de l’ouverture provoquée par la libéralisation de l’économie et la démocratisation de l’espace public. Ce livre est le résultat d’un colloque international tenu en novembre 2001 à l’Université libre de Bruxelles dans un contexte bien particulier de pré-adhésion européenne et sous toile de fond des élections parlementaires polonaises du 23 septembre 2001. Les études présentées par des spécialistes polonais font en effet état d’un plus grand scepticisme à l’endroit de l’Europe et d’une fracture grandissante au sein de la société polonaise entre les partisans et les opposants à l’aventure européenne. Il faut également souligner le succès d’un discours de type populiste à forte connotation anti-européenne. La Pologne illustre bien les enjeux considérables de l’intégration européenne des nouveaux États de l’ancien bloc soviétique. Ce pays apparaît en quelque sorte comme le baromètre du succès de l’Union européenne élargie à l’Europe centrale. D’une part, le pays symbolise l’origine de la contestation démocratique de l’ordre soviétique, notamment par la présence d’une opposition religieuse et syndicaliste. D’autre part, ce pays montre bien la difficile transition démocratique vers le pluralisme démocratique dans une société longtemps dominée par le joug du parti unique. La lecture de ce court ouvrage nous permet de saisir la situation polonaise à la veille d’une autre grande étape, soit l’adhésion à l’Union européenne. La question centrale de l’ouvrage se résume à l’attitude de la société polonaise devant l’Europe, soit une occidentalisation ou un attachement aux valeurs traditionnelles comme la religion et le nationalisme. L’ensemble des textes réunis dans cet ouvrage soulignent surtout les difficultés polonaises dans un avenir peu certain.

Une première partie de l’ouvrage s’intéresse à des questions de nature politique : les partis politiques, le Parlement, les regroupements extrémistes, la presse, le rôle de l’Église. Dans sa présentation du paysage politique polonais, Jean Michel De Waele précise certains éléments méthodologiques dans l’étude des systèmes partisans en Europe centrale. Il remarque le danger de vouloir européaniser le terrain d’enquête par l’application de grilles standardisées. Il est important d’adapter les outils, c’est-à-dire appliquer des outils. Il faut prendre en considération certains traits spécifiques de la réalité politique polonaise : le rôle de l’Église, la privatisation rapide de l’économie, le militantisme syndical. À l’approche de la date du référendum, les auteurs soulignent la montée de sentiments anti-européens : voir la composition du Parlement en 2001, environ 20 % des députés font partie du lobby anti-européen. Deux partis extrémistes font des gains considérables, soit la Ligue des familles polonaises (lpr) et le groupe Autodéfense (Samoobrana).

Un chapitre fort intéressant s’intéresse à l’évolution de l’Église dans la société polonaise, d’un rôle monopolistique du mécontentement et de la contestation durant les années du socialisme à un positionnement hésitant entre les nouvelles tendances idéologiques de la société, notamment les Libéraux et les nationalistes populistes. Selon l’auteur, l’Église semble se chercher. Est-elle polonaise ou universelle ? Elle souhaite surtout se trouver une place dans le discours européen des valeurs spirituelles : la question des valeurs permissives de l’Europe.

Une seconde partie de l’ouvrage explore des questions économiques liées à l’emploi et à l’enjeu de l’agriculture et de son arrimage aux politiques de l’Union européenne. Comme le souligne Wojciech Prazuch, l’agriculture se trouve « au centre du débat européen houleux » (p. 133). Quatre chapitres portent sur les enjeux agricoles et soulignent l’importance vitale de ce secteur pour l’économie polonaise. Premièrement, dans l’Europe élargie, la Pologne sera rapidement amenée à jouer un rôle important parmi les grands, ce qui inquiète certains observateurs. En ce qui concerne la surface des terres agricoles, le pays se situe derrière la France et l’Espagne. Deuxièmement, l’enjeu agricole canalise les nouveaux clivages partisans de la société polonaise, soit la libéralisation économique, la défense des paysans, le populisme agraire, le protectionnisme. Enfin, une nouvelle agriculture pose de sérieux défis au monde paysan polonais. Deux études soulignent cet aspect qui entraîne la disparition des derniers paysans ou une réorganisation de l’agriculture selon de meilleurs mécanismes.

En guise de conclusion, Katarzyna Gilarek propose une réflexion sur l’avenir de la Pologne à la veille de l’intégration européenne. Ce qu’il constate, c’est que la Pologne se voit placée malgré elle dans une « position semi-périphérique », position qui ne cadre pas avec l’histoire de la nation polonaise et la capacité compétitive de son économie, notamment agricole. L’auteur pose ici toute la question de l’intégration de nouveaux États à la famille européenne.

Ce court ouvrage est intéressant par la diversité des questions posées. La Pologne pose de sérieux défis à Bruxelles, mais également des perspectives d’avenir permettant à l’idée de l’Europe communautaire de progresser vers la reconnaissance de nouvelles réalités culturelles et religieuses à l’est et au sud de l’Europe.