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Au-delà de l’intérêt actuel de plus en plus fort pour la pratique de la gouvernance, on constate que ses multiples formes contemporaines en compliquent particulièrement l’appréhension. La gouvernance renvoie à la combinaison des actions stratégiques des acteurs sociaux pour influer sur le mode d’organisation d’un système. Dans The New Geo-Governance. A Baroque Approach, Gilles Paquet cible la géo-gouvernance en tant que « moyen d’assurer la coordination du système quand ressources, pouvoir et informations sont largement distribués dans l’espace géographique ». Ce type de gouvernance évolue selon une dynamique qui lui est propre et qui rend presque impossible toute tentative de proposer une description exhaustive ou prescriptive. Faute de pouvoir la décrire, l’auteur tente alors de « construire un modèle hybride de gouvernance fondé sur le métissage institutionnel » qui tient compte du postulat qu’il n’y a plus de maître de jeu qui puisse assurer la coordination efficace de nos sociétés. Ni le marché, ni l’État, comme grands mécanismes de gouverne ne peuvent prétendre aujourd’hui avoir le monopole des ressources, du pouvoir et de la connaissance. Dans le contexte de l’implosion des systèmes traditionnels sur les plans économique, politique, sociétal et technologique, l’auteur constate la nécessité d’établir un nouveau modèle de gouvernance qui soit compatible avec la « diffraction » (caractère changeant, évolutif, fluide) des structures du monde contemporain. Ni perspective libérale, ni perspective étatique sur la gouvernance mais une approche « baroque », polyphonique qui tente de proposer des formes de gouverne combinant la logique marchande, la coercition étatique et la réciprocité ou la logique du don.

Le livre est divisé en quatre parties. La première partie, A Framework, présente ce que l’auteur appelle l’outillage mental requis pour que le lecteur puisse appréhender les analyses proposées tout au long de l’ouvrage. Il s’agit précisément d’une synthèse d’idées, de concepts, de principes et de mécanismes qui « instituent » la gouvernance comme « nouvelle manière de voir le monde actuel ». Cette présentation est faite dans les premiers quatre chapitres du livre et comporte 1) un regard sur les dynamiques d’ensemble de l’ordre institutionnel actuel, 2) un aperçu du concept de régime de gouvernance distribuée (distributed governance), illustré à l’aide du triangle de Boulding qui synthétise l’ensemble des relations dans les sociétés actuelles où cohabitent la réciprocité, l’échange marchand et la contrainte étatique, 3) une ébauche du type de collaboration qui doit être mis en place pour supporter le régime de gouvernance distribuée, et 4 ) une présentation de ce que l’auteur appelle l’écologie de la gouvernance, c’est-à-dire une troisième voie entre l’hypercentralisation et l’hyperdécentralisation qui combine de façon efficiente les logiques de gouvernance du haut vers le bas et du bas vers le haut.

Dans la deuxième partie du livre, intitulée Territorial Connections, l’auteur explore les connections territoriales à trois niveaux. Il est d’abord question du régime de gouvernance hémisphérique en émergence dans les Amériques, qui selon l’auteur, ne peut connaître qu’une évolution de la base vers le haut. L’intégration hémisphérique se fera par morceau et lentement et impliquera des négociations avec les sous-régions qui composent les deux Amériques. On s’attaque ensuite à l’analyse des dynamiques du système de meso-innovation au Canada et à la façon dont celles-ci ont contribué à redéfinir les notions de milieux et proximités. Enfin, l’auteur examine les dynamiques internes aux villes-régions, dans le contexte où celles-ci se retrouvent au centre du processus de redéfinition du système de gouvernance.

La troisième partie Ocean Governance est dédiée à l’analyse de la gouvernance de ressources naturelles de propriété transnationale, en l’occurrence les océans, pour lesquelles les défis de la gouvernance sont encore plus imposants. L’auteur avance quelques propositions susceptibles d’être associées à un type de gouvernance efficiente en ce domaine et examine les fondations d’un régime de gouvernance distribué pour les océans.

Enfin, la quatrième partie, The New Stewardship, est centrée sur les transformations affectant l’ordre institutionnel qui découle des dynamiques de la gouvernance. L’auteur avance l’idée d’une forme de gouvernance baroque applicable particulièrement dans le cas du Canada, société dont l’habitus inclut « ironie et bricolage », c’est-à-dire « a certain denial and disingenuousnness at the rhetorical level, and a certain ad hocery at the pratical level » (chap. 11). On examine également dans cette partie (chap. 12) comment la notion de communautés quelconques se substitue à celle de citoyenneté. En dernier lieu, l’auteur analyse l’évolution de la notion de fédéralisme, considéré comme l’alternative la plus viable de gouvernance durable dans le nouveau monde en émergence. Tout au long du livre, l’auteur fait ressortir l’importance de la coordination et de la collaboration, de la résilience (l’aptitude d’un organisme ou d’une société à assurer sa pérennité et à résister à la pression et aux chocs) et de l’apprentissage et de l’innovation dans le temps, comme dimensions essentielles pour maintenir la capacité d’autorenouvellement de nos sociétés.

Paquet développe ses idées avec une sûreté d’analyse et une force de persuasion indéniables et cultive au plus haut niveau le mode de pensée et la profusion baroque : recherche non pas de solutions mais de réponses ingénieuses aux problèmes du monde contemporain à travers l’utilisation de concepts luxuriants, évocateurs, de métaphores qui enrichissent notre imagination. Ce baroquisme qui fascine le lecteur (mais qui peut également en rebuter certains) illustre en fait l’image des sociétés contemporaines, tiraillées entre les forces locales et les forces globales, entre la liberté et l’ordre. Somme toute, l’auteur offre une image optimiste des possibilités d’évolution future et évite les pièges des positions radicales. Face aux critiques étatistes de la gouvernance et à ceux qui crient à la dérive depuis une position néolibérale, Paquet est l’adepte d’une troisième voie dans l’analyse de la gouvernance, le promoteur d’un « paradigme en construction ».

À ceux qui s’intéressent à l’évolution de nos sociétés contemporaines, à la complexification du monde, aux défis que des pays comme le Canada ont à affronter dans l’avenir, The New Geo-Gouvernance offre une pluralité de pistes de recherche et de réflexion. Les étudiants et les chercheurs préoccupés par les nouvelles formes de régulation, mais aussi les décideurs des milieux organisationnels publics, privés et civiques y trouveront leur compte.