Article body

Depuis l’abandon de la convertibilité or du dollar en 1971, le système monétaire international est caractérisé par une instabilité qui nourrit chez d’aucuns une certaine nostalgie du système stable érigé à Bretton Woods, au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Marc Uzan, fondateur et Directeur du Reinventing Bretton Woods Commitee a réuni dans cet ouvrage volumineux vingt-quatre spécialistes venant d’horizons divers, d’académiciens, de responsables du secteur privé et des banques centrales, qui essayent d’identifier les tendances majeures susceptibles de modeler le système monétaire international dans les années à venir. À la lumière des crises financières des années 1990, l’ouvrage nous offre une première réflexion sur les débats autour de l’état actuel du système international, pour envisager ensuite les scénarios futurs. Comme en témoigne l’histoire, l’évolution du système monétaire international est un processus lent. Cependant, les auteurs prédisent que l’on est en train d’entrer dans une ère nouvelle, caractérisée par la combinaison de facteurs ayant des conséquences durables sur le fonctionnement du système monétaire international et le rôle futur du Fonds monétaire international (fmi).

L’ouvrage est composé de dix-sept chapitres dont la quasi-totalité est présentée à l’International Monetary Convention réunie à Madrid en mai 2003 (à l’exception du chap. 15). Le plan se présente en six parties constituées de deux à quatre chapitres chacune. Les sujets traités sont successivement l’évolution future du système monétaire et financier international (1ère part.) ; les sources de financement éventuelles du monde en développement et l’avenir du marché des dettes souveraines (2e part.) ; l’évolution du débat sur la libéralisation du compte de capital (3e part.) ; le régime des changes et les arrangements monétaires futurs (4e part.) ; les conséquences du mécanisme de restructuration de la dette souveraine et de la clause d’action collective et le concept d’un code de bonne conduite (5e part.) ; et enfin, la gouvernance du système financier international (6e part.).

Le premier chapitre rédigé par Marc Uzan qui se penche sur les principaux éléments d’un nouvel équilibre du système monétaire international, est suivi par les deux chapitres de la première partie dont le premier s’intéresse à la situation du fmi face au défi de la mise en place d’une architecture financière internationale cohérente. L’apparition de nouveaux centres de décisions comme le G7, le G20 ou le secteur privé fait apparaître une architecture dans laquelle le fmi serait amené à coopérer, à consulter. Le chapitre suivant envisage un système de plus en plus centralisé déjà à l’oeuvre avec la constitution de zones monétaires au niveau régional.

Les trois chapitres de la deuxième partie livrent des réflexions sur la situation du monde en développement, tout d’abord, à partir des crises survenues sur les marchés émergents, puis à travers les implications de la dette souveraine des pvd pour les institutions internationales, en particulier pour le fmi. La typologie établie tend à affirmer que si les pays asiatiques qui suivaient des politiques orthodoxes ont réussi à rebondir avec l’aide du fmi, les performances des pays les plus endettés comme la Turquie et l’Argentine sont en revanche loin d’être satisfaisantes. Les suggestions du fmi seraient erronées dans la mesure où elles visent à remédier à la crise de la balance courante, alors que les difficultés viennent des mouvements de capitaux à court terme très volatils. Le traitement de la problématique de la dette souveraine est poursuivi dans un dernier chapitre avec le cas argentin.

La troisième partie qui traite les controverses sur la libéralisation du compte de capital est constituée de trois chapitres. Le premier s’interroge sur la faisabilité du contrôle des flux de capitaux. Le deuxième chapitre intitulé La démocratie est-elle incompatible avec la stabilité économique internationale ? livre une analyse originale en s’inspirant du triangle d’incompatibilité dû à Mundell (1961). La mobilité croissante des capitaux qui réduit substantiellement l’autonomie des États-nations en matière monétaire, pose en effet la problématique de la participation politique des populations aux prises de décisions économiques dans un cadre démocratique. Le troisième chapitre revient sur le contrôle de la mobilité des capitaux. La problématique des taux de change et le contrôle des capitaux dans les pvd sont traités dans le quatrième chapitre, dans une perspective historique originale qui relate les déterminants géostratégiques du débat.

Les deux chapitres de la quatrième partie se penchent sur la problématique du taux de change dans le contexte de globalisation pour les économies développées et pour l’Afrique du Sud en particulier. Qu’ils soient fixes ou flexibles, les régimes de change présentent des avantages et des inconvénients. Cependant, les auteurs font remarquer qu’actuellement les problèmes posés par la fixité sont exagérés, alors que les avantages de la flexibilité sont amplifiés et ses inconvénients ignorés. Aussi, une analyse coûts-avantages ferait-elle pencher la balance en faveur de la fixité, même pour les grands pays. Pour les auteurs de ce chapitre, une crise financière ou géopolitique pourrait persuader les États-Unis à abandonner leur unilatéralisme financier.

La cinquième partie traite des sujets brûlants comme la conséquence du mécanisme de restructuration de la dette souveraine suggéré par Ann Krueger de la Banque mondiale ou la clause d’action collective ou encore le concept d’un code de bonne conduite. Le fmi a certes été créé pour éviter l’expérience douloureuse de l’entre-deux-guerres caractérisée par les escalades protectionnistes et les dévaluations compétitives, mais le monde a changé font remarquer les auteurs. Il convient par voie de conséquence, soulignent-ils, de définir les nouvelles règles du jeu parmi lesquelles figure le mécanisme de restructuration de la dette souveraine. Les interventions du fmi pendant les crises posent en effet la problématique de l’aléa moral et de la sélection adverse, dans la mesure où elles récompensent les créanciers ayant pris des risques élevés et les gouvernements qui ont une gestion économique laxiste. Peut-on envisager que les États puissent déclarer leur faillite, comme le secteur privé, afin d’éviter ce type de comportements ? La question reste ouverte et promet la poursuite d’un débat intéressant.

Les deux chapitres qui composent la sixième partie se penchent sur la problématique de gouvernance mondiale dans le domaine monétaire. Le premier chapitre attire l’attention sur les problèmes de légitimité et d’efficacité du fmi, pour offrir des pistes de réflexions sur les réformes à engager. Tandis que le second chapitre recense une série de problèmes comme l’effectif pléthorique du Conseil exécutif lequel est loin de représenter les réalités économiques, notamment avec une surreprésentation des pays européens, le pouvoir excessif des États-Unis au sein de l’institution, la primauté du politique sur l’économique dans les prises de décisions qui font du fmi un club de « riches ». Aussi, la mise en place d’une gouvernance mondiale susceptible d’assurer un système stable passe-t-elle par des réformes modifiant profondément le fonctionnement du fmi.

Cet ouvrage qui fournit une vision d’ensemble stimulante sur les controverses autour des perspectives futures du système financier international sera accueilli avec intérêt par les universitaires et les économistes professionnels spécialisés en économie monétaire et finances internationales.