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Lorsque l’école révisionniste fit son apparition aux États-Unis dans les années 1970, quand la guerre du Vietnam battait son plein, Gabriel Kolko était parmi les analystes de la politique étrangère américaine qui souscrivaient à la thèse selon laquelle la responsabilité de la guerre froide et de ses crises incombait davantage à Washington qu’à Moscou en vertu de la politique étrangère et de la doctrine militaire du gouvernement américain. L’auteur offre dans cet essai une explication historique de cette politique étrangère qui non seulement renforce cette thèse mais qui attribue surtout au gouvernement américain la grande part de responsabilité de la plupart des conflits qui ont marqué la scène internationale depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Selon Kolko, les États-Unis, comme toute grande puissance, ont des intérêts partout dans le monde et la politique étrangère qu’ils ont adoptée est basée sur l’hypothèse que tout problème peut être résolu par la force des armes, y compris par la menace d’utiliser les armes nucléaires, même après que la guerre de Corée ait clairement démontré « qu’une guerre conventionnelle n’était plus plausible ou le fait évident que la ‘dissuasion’ nucléaire était trop dangereuse ». Si, par la suite, les interventions militaires américaines ont parfois eu des résultats positifs, les États-Unis ont, selon l’auteur, néanmoins perdu avec chacune un peu de leur crédibilité, à tel point que le pays se trouve aujourd’hui incapable de résoudre tous les problèmes auxquels il fait face, en particulier ceux liés à la menace terroriste. Ainsi, ce que Kolko propose dans cet ouvrage, c’est la thèse que Washington a adoptée au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale pour une politique définie par « une posture belligérante et un engagement sans limites en contradiction totale avec une politique diplomatique et militaire cohérente et régularisée. » Il ajoute : « Une telle prise de position était destinée à engendrer des surprises monumentales ». Ce sont ces surprises qu’il offre au lecteur dans le reste de l’ouvrage.

L’essai est divisé en six chapitres et chaque chapitre analyse les divers aspects de la thèse de Kolko. Le premier porte sur la guerre comme instrument principal de politique étrangère dont il présente l’utilisation dans la période d’après-guerre, auquel ont été subordonnées toutes les agences gouvernementales, en particulier les services de renseignement, instrument indispensable dans la mise en oeuvre d’une politique étrangère qui se veut viable et réussie. La guerre du Vietnam, dont Kolko est reconnu comme un de ses principaux historiens révisionnistes, fut, selon lui, la démonstration la plus claire de l’échec de l’instrument militaire : « La guerre du Vietnam était le conflit quintessenciel dans la longue histoire de la guerre au vingtième siècle, un conflit où les dimensions sociales, économiques et organisationnelles de la guerre éclipsèrent les dimensions militaires pour en déterminer les résultats ». L’auteur suggère que la leçon ne semble pas avoir été apprise.

Dans le deuxième chapitre, Kolko examine les raisons de l’apparition de ce qu’il appelle les « crises permanentes » contemporaines. Il fait un tour d’horizon rapide des événements depuis 1945 qui ont eu des conséquences sur la politique mondiale et plus particulièrement sur la politique américaine. On y trouve une brève analyse des changements dans le tiers-monde, la chute du communisme, le Moyen-Orient, l’Iran, l’Afghanistan, tous des foyers qui ont provoqué l’imprévisibilité et l’instabilité. C’est toutefois dans les trois chapitres qui suivent que l’auteur analyse comment, avec la chute du communisme, le monde est devenu imprévisible et instable, et aussi pourquoi le terrorisme est devenu la menace principale. Selon l’auteur, ceci est dû au fait que toutes les administrations américaines depuis la chute du communisme ont refusé d’accepter le fait que la puissance américaine n’était pas à la hauteur de tous les défis et qu’il y avait des limites à l’utilisation de la force armée dans la résolution des problèmes. Dans ces chapitres, le lecteur trouvera une présentation de la politique étrangère américaine depuis 1990, y compris celle du président George W. Bush, présentation qui est parfois troublante mais qui reste toujours dans la logique de l’auteur.

Peut-on accepter la thèse de Kolko ? Dans le giron des critiques actuelles de la politique du président Bush, cet essai tombe sans doute bien et peut certes alimenter avec ses arguments historiques l’opposition grandissante à la politique américaine, en particulier en Irak. L’argument est cependant trop unilinéaire, voire simpliste et ne tient pas suffisamment compte de la responsabilité des autres pays dans les situations internationales difficiles. Certes les États-Unis ont cherché à intervenir dans le passé, mais il n’est pas clair que toutes les interventions furent principalement des interventions militaires, ni toutes des échecs. Or, actuellement, il est évident que l’administration Bush a un ordre du jour fort bien défini qui met l’accent sur une solution militaire en premier lieu et que ses chances de succès ne sont pas du tout certaines. Il se peut, par contre, que les administrations futures tireront les leçons de la politique actuelle et que la politique américaine tiendra davantage compte de l’importance des instruments non militaires, instruments dont ils furent souvent les créateurs, voire les principaux promoteurs. Kolko a tout à fait raison de nous mettre en garde contre le fléau de la guerre, contre la tentation de croire que l’utilisation de la force militaire est la seule façon de résoudre les problèmes internationaux ; il devrait par contre reconnaître que les États-Unis ne sont pas la seule puissance à s’en servir, ni les seules responsables de son utilisation. Le bilan américain n’est pas aussi négatif qu’il le propose et à beaucoup d’égards c’est grâce à la politique américaine que la situation internationale n’a pas pris un virage dangereux dans le passé.