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Cet ouvrage sur la transformation de mouvements de guérilla en partis politiques fonctionnels et « respectables » est le fruit d’un projet de recherche intitulé From Rebel Movements to Political Parties, organisé par l’Institut néerlandais des Affaires internationales (également appelé le Clingendael), financé par le ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas et ponctué par la tenue d’un séminaire en juillet 2006. Publié sous la direction d’un jeune chercheur ayant déjà à son actif deux ouvrages dirigés, il se donne pour objectif d’analyser en détail la transition démocratique de huit mouvements rebelles qui ont, avec un succès varié, abandonné la lutte armée pour les urnes et le jeu démocratique.

Souhaitant combler une lacune des études sur les transitions démocratiques qui traitent assez peu, selon De Zeeuw, de la façon dont les anciens groupes armés se comportent après les guerres civiles, l’auteur cherche à mettre en relief les facteurs qui font qu’un groupe armé se transforme en parti politique légitime. Dans son introduction, De Zeeuw soulève trois hypothèses : les mouvements prônant un programme de réformes ont en général plus de succès que les mouvements du type séparatiste ou de libération ; les groupes rebelles organisés en cellules indépendantes sont plus susceptibles de se transformer en partis politiques ; de manière correspondante, les groupes centralisés autour d’un leadership de type autoritaire ont moins de chances de se réformer. Logiquement, ces hypothèses mènent à la présentation d’un cadre d’analyse de la transformation qui met en relief deux changements structurels de type organisationnel, soit la démilitarisation de l’organisation et des structures ainsi que le développement d’une organisation de parti, de même que deux changements d’attitude, soit la démocratisation du processus décisionnel et l’adaptation des stratégies et objectifs du mouvement, comme étant les clés de la transformation pacifique des guérillas. Par la suite, De Zeeuw établit cinq critères précis qui permettent de qualifier la transformation du groupe rebelle en parti politique de succès, d’échec ou de transformation partielle. Les facteurs explicatifs sont très variés, à la fois à l’intérieur des mouvements et à l’extérieur, impliquant les organisations internationales ou des États interposés.

L’équipe réunie dans le cadre du projet néerlandais se concentre sur huit études de cas qui constituent les huit chapitres centraux de l’ouvrage. Les cas du Front Farabundo Marti de libération nationale (fmln) au Salvador et de la Résistance nationale du Mozambique (renamo) sont les deux exemples les plus réussis. Dans ces deux cas particuliers, l’efficacité de la transition s’explique à la fois par une volonté ferme de la part des mouvements d’abandonner la lutte armée, rendue plus facile par la fin de la guerre froide, et par l’intervention judicieuse des Nations Unies et de tiers États qui ont assisté logistiquement et financièrement des programmes de reconversion démocratique des anciennes guérillas. Par la suite, le chapitre sur le Revolutionary United Front (ruf) de la Sierra Leone exemplifie l’échec le plus total, alors que les cinq cas suivants appellent à des conclusions plus nuancées. En Sierra Leone, l’importance politique de la garde prétorienne du mouvement, l’échec de la constitution d’une base électorale rurale et l’intérêt des Nations Unies à appuyer le gouvernement central offrent peu de perspectives à court ou à moyen terme. Par ailleurs, trois mouvements, soit le Conseil national pour la défense de la démocratie–Forces pour la défense de la démocratie (cndd-fdd) du Burundi, le Hamas palestinien et la Sudan People’s Liberation Army (spla) au Soudan sont qualifiés sous la plume de Willy Nindorera, Pamela Scholey et John Young de transformations partielles, surtout à cause de blocages internes et idéologiques. Bien que le cndd soit le parti au pouvoir au Burundi, on ne peut lui attribuer une transformation efficace, tellement il a conservé sa structure originelle. Les deux derniers mouvements qui font l’objet d’une analyse approfondie, en l’occurrence les milices des seigneurs de la guerre afghans et les Tigres tamouls, sont caractérisés plutôt comme des transformations de façade, une catégorie qui reste tout de même sémantiquement assez proche de celle de l’échec. Ces huit exemples ont été choisis à la fois pour leur importance numérique et politique et pour la rareté des analyses approfondies de leur transformation en partis politiques. Le choix qui en résulte regroupe essentiellement des cas de pays en développement, dont les partis politiques sont fondamentalement différents de ceux du Nord selon De Zeeuw et qui ont l’autre caractéristique de constituer des exemples très contemporains. Le directeur aurait pu tout aussi bien faire le choix de se pencher sur les cas des sandinistes au Nicaragua ou de l’ira en Irlande du Nord. Toutefois, ce n’est rien de moins que la toute première analyse du processus de transformation politique des guérillas en partis qui nous est offerte ici.

On ne peut s’empêcher de conclure en s’interrogeant sur le choix des études de cas. Puisque les facteurs organisationnels et les attitudes propres aux groupes rebelles comptent pour beaucoup dans le modèle qui nous est proposé dans cet ouvrage, des doutes viennent immanquablement à l’esprit du lecteur devant la comparaison de groupes rebelles à la structure très centralisée comme le spla soudanais ou encore le fmln salvadorien avec les différentes milices et autres groupes armés afghans qui ont émergé dans le contexte de l’éviction des talibans et qui ne forment pas une, mais des guérillas. De plus, le choix de se pencher sur des groupes qui ont entamé, avec succès ou non, leur transition politique, mais qui n’ont pas accédé au pouvoir (à part le cas burundais), n’est pas justifié a priori.

Bien que plusieurs collaborateurs à l’ouvrage collectif aient publié antérieurement des études approfondies sur les régions qui y sont présentées, il n’en demeure pas moins que From Soldiers to Politicians finit par prendre un peu le ton d’une étude de consultants, avec des recommandations et des leçons pour chaque étude de cas, mais peu de réflexion soutenue sur les changements globaux qui ont marqué l’ère de l’après-guerre froide et qui ont permis ces transfigurations pacifiques. Cela est certainement attribuable à des choix éditoriaux et à un souci d’homogénéité, mais aussi à une délimitation extrêmement étroite du champ de recherche, qui pousse De Zeeuw à ne se positionner qu’à partir de la littérature traitant du destin politique des guérillas, assez pauvre par ailleurs, et à laisser de côté les travaux sur la constitution de la société civile ou des rapports entre civils et militaires dans les pays en développement. De même, la multiplicité des facteurs entrant en dernière analyse et le choix des exemples rendent le modèle théorique particulièrement élastique. Par exemple, la principale embûche à la transformation du spla soudanais reste sans conteste sa structure de leadership, alors que les Tigres tamouls et le Hamas sont ostracisés sur le plan international et peu susceptibles de susciter une implication de l’extérieur. Pour paraphraser les conclusions de De Zeeuw, il faut juste le bon dosage de réformisme interne et d’appui extérieur. Sans prédire que l’ouvrage fera école, il constituera néanmoins une bonne introduction aux problèmes de transition démocratique après les guerres civiles.