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L’ouvrage dirigé par Dorval Brunelle est constitué d’une sélection de dix-huit communications présentées en 2010 lors du colloque international de l’Institut d’études internationales de Montréal (ieim) sous le thème « Repenser l’Atlantique » ; colloque dont l’un des objectifs était de proposer un regard alternatif sur les interactions complexes entre différents acteurs coexistant à l’intérieur de l’espace atlantique dans un contexte de redéfinition de la géopolitique et de la géoéconomie à l’échelle internationale. En d’autres termes, l’ouvrage s’inscrit dans une perspective de renouvellement de la connaissance au sujet de la vision atlantiste d’hier qui ne serait plus adaptée au contexte géostratégique, politique et économique actuel. Les facteurs en cause sont notamment la montée en puissance de la Chine et de l’Asie du Sud-Est ainsi que la démultiplication des échanges entrecroisés Nord-Sud/Sud-Sud qui se seraient ajoutés ces dernières années aux échanges transatlantiques et à ceux effectués le long des deux bordures orientale et occidentale. L’ouvrage propose ainsi une approche résolument tricontinentale fondée sur une zone atlantique globalement élargie qui serait bordée à l’ouest par les Amériques et à l’est par l’Afrique. Cette orientation permet d’envisager d’autres possibilités alternatives de réflexion sur la transversalité atlantique, laquelle recèle des synergies insoupçonnées et offre des opportunités de codéveloppement particulièrement adaptées à la conjoncture actuelle et à des questions globales comme la cohésion sociale, le développement durable, les changements climatiques, la biodiversité, la sécurité maritime, les migrations, le terrorisme et les trafics de tous genres (p. 1). À cet égard, l’un des principaux mérites de l’ouvrage est de proposer une approche épistémologique fondamentalement originale en ce sens qu’elle permet de dépasser les clivages Est-Ouest/Nord-Sud ainsi que les paradigmes idéologiques qui les ont longtemps entretenus en recourant à une approche multidisciplinaire qui privilégie le dialogue entre diverses disciplines, telles que la sociologie, le droit, l’économie, la science politique et l’histoire.

L’ouvrage est divisé en trois parties. La première est consacrée au commerce, plus spécifiquement aux enjeux et aux défis des accords commerciaux négociés ou en cours de négociation dans l’espace atlantique. Sont analysés en profondeur ici les accords préférentiels Nord-Sud, les accords commerciaux en vigueur ou en cours de négociation – notamment entre l’Union européenne (ue) et le Maroc, l’ue et le cariforum, le Canada et l’ue –, de même que les facteurs explicatifs de la fragilisation des relations transatlantiques du Mexique dans le contexte de la signature de l’Accord de libre-échange nord-américain (aléna). La politique africaine du Brésil ainsi que les déterminants systémiques des nouvelles politiques de développement économique du Canada et du Québec y sont également abordés.

La deuxième partie de l’ouvrage analyse la problématique des flux migratoires dans un contexte de reconfiguration et de reconceptualisation de la notion de frontière. Les auteurs y prêtent une attention particulière aux incidences politiques et socioéconomiques des migrations internationales autant sur les pays d’accueil que sur les pays d’origine. El Mouhoub Mouhoud y propose d’ailleurs trois axes de réflexion – l’exclusion des pays du Sud, les effets de transfert d’argent et la fuite des cerveaux – qui permettent d’analyser systématiquement les effets sociaux et économiques des migrations internationales sur les pays d’origine et, surtout, de dresser un bilan précis de l’apport de celles-ci dans la construction du nouvel ordre atlantiste. Une perspective explorée également par Charles-Emmanuel Côté qui s’intéresse en particulier à l’entente France-Québec de 2008 relative à la reconnaissance de la qualification professionnelle ainsi qu’à son impact sur le renouvellement de la façon de penser l’immigration transatlantique. Selon lui, si l’impact de cette entente sur la politique d’immigration québécoise semble pour le moment difficile à observer, son impact sur certaines catégories d’immigrants et sur leur intégration à la société québécoise est bien réel. Il en veut pour preuve les immigrants qualifiés venus de France – qu’il s’agisse de professionnels ou de gens de métier – qui voient réellement leur intégration sur le marché du travail facilitée par l’adoption des règlements de mise en oeuvre des Arrangements de reconnaissance mutuelle (arm) conclus par les ordres professionnels.

Quant à la dernière partie de l’ouvrage, elle est consacrée aux questions de sécurité et de défense. Elle s’articule autour de la notion de « communauté atlantique », qui a vu le jour en pleine guerre froide et qui désignait alors – ou désigne toujours – l’ensemble des valeurs partagées par les pays situés sur les deux rives de l’Atlantique Nord : les États-Unis et dans une certaine mesure le Canada, d’un côté, et l’Europe atlantique de l’autre. C’est bien cette notion qui a été à l’origine de plusieurs projets tels que la communauté économique européenne ou l’otan. On comprend dès lors aisément l’idée défendue par Jean Dufourcq lorsqu’il écrit que repenser l’Atlantique c’est également repenser l’otan dans un monde « zéro polaire », c’est-à-dire, pour reprendre l’explication de l’un des contributeurs de l’ouvrage (Simon Serfaty), un monde qui s’est substitué à l’unipolarité d’hier et qui prépare immanquablement le retour vers une multipolarité.

En somme, cet ouvrage riche et varié a su relever son pari épis- témologique : celui de repenser l’Atlantique en tenant compte de la nouvelle dynamique internationale, ce qui lui confère un intérêt réel. Toutefois, quelques réserves subsistent. La première a trait au déséquilibre apparent dans la structuration des grandes idées. Pour un ouvrage qui compte au total 441 pages, il est assez étonnant que 25 pages seulement aient été consacrées à un thème aussi crucial que celui de l’immigration. Pourtant, curieusement, les trois contributions liées à cette thématique reconnaissent chacune, à des degrés divers, le rôle important des migrations internationales en tant que vecteur ou catalyseur du nouvel ordre atlantiste. Ce malaise devient encore plus profond lorsqu’on constate qu’aucune étude n’a véritablement été consacrée aux conséquences culturelles des migrations internationales aussi bien sur les pays d’accueil que sur les pays d’origine. L’autre faiblesse de l’ouvrage réside dans son incapacité à analyser les logiques de construction et de déconstruction des identités culturelles à l’intérieur de cet univers relationnel de plus en plus « glocalisé ». Enfin, il aurait été plus intéressant de proposer une conclusion qui résume clairement les trois grandes articulations de l’ouvrage dans une perspective complémentaire, plutôt que de la centrer presque exclusivement sur l’enjeu sécuritaire. Cela dit, l’ouvrage garde sa pertinence et retiendra certainement l’attention des chercheurs intéressés par les nouvelles relations internationales à l’intérieur de cet espace géographique.