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Cet ouvrage aborde une question incontournable dans le débat sur l’immigration aux États-Unis, soit la présence considérable d’immigrants clandestins sur le territoire américain. Depuis les années 2000, cet enjeu qui monopolise toute l’attention du gouvernement fédéral et des États a poussé des États frontaliers à adopter des mesures controversées en matière de surveillance et de contrôle des flux migratoires et des frontières. L’auteure nous invite ici à découvrir une perspective méconnue, soit celle des inter-actions entre deux sociétés, l’américaine dans le sud de l’Arizona et la mexicaine dans le comté de Sonoma. L’originalité de cette recherche est de proposer une analyse de la frontière et des politiques restrictives d’immigration de nature à dévoiler une toile complexe de relations entre les migrants, les trafiquants, les forces de sécurité et des acteurs de la société civile. Sur un plan géographique, la frontière du désert devient une zone habitée et traversée par des êtres humains. Elle est investie par des groupes se portant à la défense des immigrants clandestins. Trois associations font l’objet de l’étude de terrain, soit Human Borders, No More Death et Minuteman Civil Defense Corps. Ces acteurs interviennent sur un ensemble d’enjeux, soit la sensibilisation des populations locales, l’aide aux migrants, la définition des enjeux politiques.

Dans cette perspective, le rôle des médias devient crucial, car il permet de faire entendre une histoire différente, celle de la frontière et des enjeux humains. La thèse de l’auteure est que le travail des trois associations civiles a permis de susciter un débat public sur les enjeux sociaux et humains de frontières et d’ainsi transformer le discours et les attitudes à l'égard de l’immigration illégale.

Skogberg Eastman introduit une voix peu entendue dans le débat sur l’immigration, celle des individus militant dans des associations qui décident de venir en aide aux immigrants. L’étude proposée est originale du fait qu’elle interroge non pas le migrant ou le décideur politique, mais les volontaires au sein des trois associations civiles. Ces individus témoignent d’une réalité assez méconnue dans l’opinion publique américaine, marquée par une radicalisation à droite du débat public.

Une approche ethnographique guide ce travail et focalise son attention sur la parole des personnes engagées le long de la frontière. Certains individus vivent à proximité et connaissent bien la situation difficile des migrants. D’autres viennent de loin, attirés par l’engagement et le besoin de justice sociale. Au-delà de l’observation participante du travail des associations, l’auteure analyse la relation établie avec les médias. Elle produit une analyse de contenu systématique et des entretiens semi-dirigés avec des éditeurs et des journalistes.

Dans un premier temps, Skogberg Eastman trace un tableau historique et sociologique de l’immigration aux États-Unis et dans le sud de l’Arizona. À partir des années 1990, des parcours migratoires plus risqués se dessinent dans le désert de l’Arizona, ce que l’auteure explique par la militarisation de la frontière. Les migrants évitent les passages traditionnels pour tenter leur chance dans des lieux plus isolés, mais beaucoup plus dangereux. Elle souligne également que cette nouvelle dynamique modifie la relation entre les deux voisins habitués depuis des années à une gestion de l’immigration de travailleurs mexicains vers le nord. La fuite vers le désert a pour effet de bouleverser les règles du jeu. Le contexte de la globalisation vient brouiller les cartes. D’une part, l’État cherche à affirmer sa souveraineté et se lance dans une sécurisation massive de la frontière. D’autre part, par un effet paradoxal, la frontière se brouille, car elle est traversée par toute une variété d’individus impliqués dans des mobilités transnationales et illégales. Dans un deuxième temps, Skogberg Eastman analyse la couverture médiatique de l’immigration en Arizona. Par une analyse de contenu, elle souhaite démontrer une autre manière de cerner certains enjeux comme la frontière et l’appartenance. De façon sensationnaliste, les médias mettent l’accent sur l’insécurité et la division entre les forces de sécurité et les migrants, souvent dépeints comme des criminels et des trafiquants. Dans les chapitres suivants, l’auteure donne la parole aux individus engagés au sein de mouvements sociaux qui se portent à la défense des migrants. Dans son analyse de chaque association, l’auteure distingue des approches différentes mais un objectif commun, soit celui de transformer les lois sur l’immigration et d’influencer la couverture médiatique. En plaçant des réservoirs d’eau dans le désert, Human Borders souhaite humaniser l’épreuve de la migration dans un lieu inhospitalier. Ce groupe a été fondé par un pasteur de la First Christian Church de Tucson. No More Death est également une association fondée par un pasteur protestant. La médiatisation et la sensibilisation du public sont des moyens d’exposer le nombre élevé de décès dans le désert. Minuteman Civil Defense Corps joue le rôle d’une milice voulant protéger la sécurité du peuple américain et l’intégrité territoriale. Dans les trois cas étudiés, l’activité militante a pour effet de transformer la nature du débat sur l’immigration et la relation entre l’État et la société civile.

En somme, cet ouvrage fort intéressant a le mérite de nous présenter une perspective différente sur un thème bien connu au sein de la société américaine, en plus de nous aider à cerner la manière de capter l’attention des médias. Cette lecture s’avère aussi une façon concluante d’accompagner l’auteure dans son parcours militant.