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La pauvreté étant un phénomène universel, des défis se posent quant à sa définition, sa conceptualisation et ses méthodes d’action. L’ouvrage de Serena Cosgrove et Benjamin Curtis, divisé en douze parties, propose un cadre conceptuel permettant d’appréhender cette notion dans ses différentes formes. La pauvreté y est définie comme un phénomène multidimensionnel qui dépasse la seule considération du revenu. En effet, selon les auteurs, plusieurs autres éléments d’ordre personnel, environnemental et institutionnel influencent la qualité de vie et le bien-être d’une personne. Dans cette perspective, l’ouvrage fait place à d’autres éléments liés à la pauvreté, tels que la santé, la géographie et l’espace, le genre, la gouvernance et les institutions étatiques, les conflits, l’éducation et l’environnement. La pauvreté est alors appréhendée comme étant la privation des droits de l’homme.

Cet ouvrage s’appuie systématiquement sur l’approche par les capacités non seulement pour incorporer de multiples éléments liés à la pauvreté, mais également pour placer l’humain au centre de son analyse. Cette approche renvoie à « ce que les personnes sont capables d’être et de faire ». Les capacités y sont vues comme liées aux choix et aux libertés d’un individu, mais également aux fonctionnements qui permettent de les réaliser. Bien que l’approche par les capacités soit généralement orientée vers une perspective individualiste, ce livre porte une attention particulière aux groupes désavantagés qui vivent de façon plus accentuée la pauvreté et ont moins de possibilités de développer leurs aptitudes et leurs capacités de fonctionnement. Il montre ainsi l’importance de considérer les inégalités sociales qui existent entre les pays, mais également à l’intérieur de chaque pays et entre les individus et les communautés, comme étant fondamentales dans la conception et l’analyse de la pauvreté.

En considérant la pauvreté comme un phénomène multidimensionnel, cet ouvrage révèle la difficulté de la mesurer. Pour identifier les personnes qui vivent avec la pauvreté et trouver des moyens de les aider à sortir de l’adversité, il semble important d’utiliser différents indicateurs et de tenir compte de multiples dimensions, comme le revenu, la santé, l’éducation et l’empowerment ou le statut d’emploi, la qualité du logement, la sécurité et les mesures subjectives du bien-être. En outre, les auteurs proposent l’utilisation de différentes méthodologies, qualitatives comme quantitatives, pour mesurer la pauvreté et examiner subséquemment les iniquités et la qualité de vie.

En s’ancrant dans l’approche par les capacités, l’ouvrage souligne l’importance d’encourager le débat et la délibération pour voir la pauvreté dans des perspectives différentes et compétitives. Par son propos, il invite le lecteur à s’interroger, à réfléchir aux actions menées contre la pauvreté et aux moyens d’agir contre cette dernière, tout en reconnaissant l’importance du contexte et de l’interprétation. Il s’inscrit dans une pensée du développement qui considère que la pauvreté est relative, sa définition pouvant varier d’un contexte à un autre. En plus, les auteurs de l’ouvrage préfèrent utiliser la notion de réduction de la pauvreté plutôt que celle de l’éradication qui semble utopique, car dans toutes les sociétés il y aura toujours des personnes avantagées et d’autres désavantagées. En s’inscrivant dans le paradigme de la réduction de la pauvreté et du développement humain, ce livre propose d’autres solutions que celles prônées par l’idéologie néolibérale en soutenant l’importance d’abandonner l’approche paternaliste qui prône que les pays du Sud doivent suivre le modèle de développement occidental pour sortir de la pauvreté. De ce fait, il serait important que les tentatives de réduction de la pauvreté s’éloignent de la vision dichotomique Nord/Sud, ou tout simplement de pays développés et de pays en développement, qui sous-entend que le progrès ou le développement correspond au passage d’un état de sous-développement à un état de croissance ressemblant au modèle des pays du Nord. Cette vision du développement est linéaire et déterministe et ne correspond pas nécessairement aux réalités des pays dits pauvres.

Cet ouvrage inscrit les actions de réduction de la pauvreté dans l’approche des droits de l’homme qui soutient des principes éthiques d’égalité et de justice pour tous les humains. Ainsi, les individus devraient avoir l’obligation de respecter et de protéger les droits de chacun. S’attaquer à la pauvreté n’est pas une tâche réservée aux organisations étatiques ou non étatiques, mais devient le devoir de tout individu.

Cet ouvrage a l’indéniable mérite de s’intéresser à la pauvreté dans différentes perspectives, non seulement en proposant une définition qui sort du cadre traditionnel de l’économie, mais aussi en osant relever le défi d’intégrer de nouvelles approches théoriques et éthiques comme celle des capacités ou celle des droits de l’homme pour l’analyser. Il est d’un grand intérêt pour tous les lecteurs, qu’ils soient professionnels, étudiants ou chercheurs de toutes disciplines, désireux d’approfondir la question de la pauvreté globale. De fait, en s’appuyant sur des exemples concrets pour expliciter leur propos, les auteurs rendent ce livre accessible et intelligible pour un public de différents domaines et de différents niveaux d’études. En dernière analyse, cet ouvrage livre au lecteur un puissant plaidoyer sur les principes éthiques d’agir contre la pauvreté et l’invite à avoir une réflexivité sur le propos soutenu. Cependant, on peut regretter que seulement les deux auteurs principaux aient rédigé l’ensemble des parties du livre et qu’une seule autre auteure (Paula E. Brentlinger) y ait participé. Il aurait été une plus-value pour cet ouvrage qui s’avance comme étant multidisciplinaire d’intégrer la vision de multiples auteurs issus de différentes disciplines.