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L’avenir de la revue

Jason Luckerhoff et François Guillemette

En 2012, nous avons fondé la revue Approches inductives : Travail intellectuel et construction des connaissances afin de favoriser la diffusion scientifique en français, de participer au mouvement de publication en libre accès et de valoriser les approches inductives en recherche scientifique et en pédagogie, en plus de proposer un regard transdisciplinaire sur la construction des connaissances. Après la publication de onze numéros de cette revue, de 2014 à 2019, nous avons élargi la mission éditoriale de la publication en procédant à un changement de nom en 2019 : Enjeux et société – Approches transdisciplinaires. Il était prévu, dès 2019, qu’elle soit sous la responsabilité de la toute nouvelle Université de l’Ontario français (UOF) et qu’elle soit éventuellement dirigée par des membres du corps professoral de cette institution en développement. En 2022, nous avons le grand plaisir d’annoncer que la revue est maintenant dirigée par la professeure Linda Cardinal de l’Université de l’Ontario français. Les numéros produits par la nouvelle équipe seront publiés à partir du numéro de l’automne 2023.

1. La nouvelle directrice

Linda Cardinal est titulaire d’un doctorat en sociologie de l’École des hautes études en sciences sociales de Paris. Professeure émérite à l’École d’études politiques, membre du Centre d’études en gouvernance et ancienne titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques de l’Université d’Ottawa, elle est aussi chercheuse affiliée à l’Institut du savoir Montfort. De 2002 à 2004, elle a été titulaire de la Chaire en études canadiennes de l’University College Dublin (Irlande) et de 2006 à 2007, de la Chaire en études canadiennes de l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3. Linda Cardinal est reconnue au plan international pour ses recherches sur les régimes linguistiques comparés, le constitutionnalisme, la citoyenneté et les minorités. Elle a publié et dirigé de nombreux travaux sur les politiques linguistiques et l’action publique des minorités linguistiques au Canada, au Québec et en Europe dans les domaines de la justice, de la santé mentale, de l’éducation et de la politique municipale. En 2013, Linda Cardinal a été élue membre de la Société royale du Canada. En 2014, elle a été faite chevalière de l’Ordre des palmes académiques de la République française. En 2017, elle a reçu l’Ordre du Canada pour ses recherches sur les politiques publiques et les politiques linguistiques. Parmi ses récentes réalisations, en 2018, Linda Cardinal a préparé le plan d’action pour la francophonie de l’Université d’Ottawa en tant que chargée de mission au cabinet du recteur. En 2020, elle a réalisé le plan stratégique pour la recherche de l’Université de l’Ontario français. Linda Cardinal a siégé à de nombreux conseils d’administration, dont le Conseil des universités de l’Ontario, la Commission ontarienne du droit, le Centre de la francophonie des Amériques et l’ACFAS. Elle a aussi été directrice régionale Amériques au sein de l’AUF.

2. Transdisciplinarité, libre accès et science en français

Le mandat de la revue pourra évoluer en même temps que le développement de l’Université de l’Ontario français et, plus spécifiquement, les axes pourraient être redéfinis en fonction de l’évolution des enjeux dans nos sociétés et du développement de l’institution universitaire. Mais nous savons que nos trois principes directeurs, qui étaient présents dès la création de la revue Approches inductives, sont partagés par la nouvelle direction de la revue et par la direction de l’Université de l’Ontario français : l’importance de la transdisciplinarité, qui est constitutive de l’UOF, l’importance du libre accès pour l’avenir de la science et la nécessité d’encourager et de soutenir la science en français.

Nous avons abordé les enjeux fondamentaux du libre accès dans l’introduction du numéro de l’hiver 2021 (Luckerhoff et al., 2021). Nous expliquions alors que pour nous, le libre accès est une orientation qui

dépasse largement les enjeux pratiques et financiers (publications davantage visibles et accessibles, nombre accru de citations et meilleur facteur d’impact, production scientifique qui se fait mieux connaitre, accès à l’entièreté des connaissances pour les chercheurs, mais aussi pour la population qui finance la recherche par ses taxes).

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Nous ajoutions que

le libre accès constitue une façon de concrétiser la liberté académique et scientifique comme une responsabilité citoyenne des chercheurs, comme une éthique de la diffusion scientifique enracinée dans les valeurs universelles de partage des ressources et de reconnaissance de la qualité scientifique, d’où qu’elle provienne.

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En ce qui concerne la transdisciplinarité, nous avons organisé un colloque (https://uqtr.ca/transdisciplinarite) qui mènera à la publication d’un numéro de la revue sur ce thème à l’hiver 2023. Ce numéro permettra d’explorer la transdisciplinarité sous différents angles. Quels sont les apports, les limites ou les contraintes de la transdisciplinarité en enseignement supérieur, en recherche ou dans les milieux de pratique (développement, intervention, gestion, etc.)? Comment s’exprime la transdisciplinarité comme posture de recherche et comment la favoriser dans ses recherches? Quels sont les apports, les limites ou les contraintes de la transdisciplinarité dans les pratiques pédagogiques? Sur quels principes fondamentaux repose la transdisciplinarité en collaboration? Quels sont les sujets d’étude qui présentent une complexité telle qu’une approche transdisciplinaire devient nécessaire? Comme le suggère Pasquier, la transdisciplinarité propose « l’ouverture, l’inventivité, le dépassement des normes et des habitudes en vue de résoudre de façon créative et inédite les difficultés sur lesquelles l’action humaine et celles des organisations techniques dominantes sont en butte » (2017, p. 8). C’est bien ce qui se trouve comme intention dans les décisions entourant le développement des programmes de l’UOF et dans les objets étudiés par les auteurs et auteures d’articles dans la revue.

Il restait un principe directeur à aborder, et non le moindre : la science en français. En ce qui le concerne, nous avons dirigé un numéro thématique spécifiquement portant spécifiquement sur l’université au 21e siècle et le développement de l’Université de l’Ontario français qui a été publié au sein de la revue à l’automne 2021. Une préface de la présidente du conseil de gouvernance (Adam, 2021), une postface du premier recteur de l’institution (Labrie, 2021) et des contributions sur les enjeux de l’enseignement supérieur en français (Cardinal & Normand, 2021; Dupuis, 2021) ont permis de mettre en lumière les enjeux et défis liés aux droits linguistiques au Canada. Ce numéro permet aussi de retrouver les arguments qui ont mené à la décision de financer l’Université de l’Ontario français.

Parmi ces arguments, on retrouve notamment la présence de 250 000 francophones dans la grande région du Centre-Sud-Ouest de l’Ontario, de même que la revendication de toute la francophonie ontarienne depuis des décennies pour la création d’une université francophone avec une gouvernance francophone. Nous pourrions ajouter les revendications de la francophonie canadienne pour une offre spécifique aux minorités linguistiques à travers le pays. Les anglophones sont bien desservis au Québec, mais les francophones le sont moins dans les autres provinces du Canada. Il existait alors une petite université francophone à Hearst, mais son indépendance était limitée en raison de son affiliation à une université bilingue. Des arguments spécifiques ont également été présentés, et nous retenons les suivants :

[S]ur le plan démographique, le ministère des Finances de l’Ontario a estimé que la population francophone des 4 à 17 ans augmenterait de 45 % entre 2006 et 2036, passant de 89 858 à 129 965.

Robichaud, 2021, p. 118

[L]a région du Centre-Sud-Ouest […] regroupe 36 % de l’ensemble des francophones en Ontario.

p. 118

Près de la moitié de la population francophone de cette région est issue de l’immigration et elle est généralement très scolarisée, ce qui en fait une population diversifiée et dynamique. L’Ontario, par sa Loi 49 de 2015, vise à augmenter de 5 % dans les prochaines années le pourcentage de l’immigration francophone qui oscille actuellement entre 2 et 3 %.

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La croissance démographique des francophones dans la grande région du Centre-Sud-Ouest (CSO) a généré une augmentation de 43,1 % des effectifs scolaires primaires et secondaires. Pour répondre à cette croissance, il a fallu construire 32 nouvelles écoles francophones entre 1999 et 2016.

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Selon les données du Commissariat aux services en français de l’Ontario, la population francophone du CSO âgée de 0-14 ans en 2016 s’établissait à 33 415. Cette population augmentera de 6,9 % pour atteindre 35 731 en 2028.

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Selon les données du Système d’information scolaire de l’Ontario [SISOn] (Gouvernement de l’Ontario, 2016), en 2014-2015 il y avait 6 340 élèves inscrits en 12e année dans les conseils scolaires de langue française en Ontario, dont 1567 dans le CSO. Les diplômés des conseils scolaires de langue française du CSO s’inscrivent davantage dans les universités de langue anglaise qui se trouvent à proximité de leur domicile.

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Par ailleurs, dès la création de la revue Approches inductives, nous avons fait le choix de fonder une revue francophone, et non bilingue. Pour certains, il s’agissait d’une décision contre-intuitive, à un moment où les chercheuses et chercheurs étaient de plus en plus nombreux à choisir les formations et les publications en anglais afin d’être davantage connus, lus et cités. Mais, en même temps que cette tendance à publier de plus en plus en anglais, un mouvement fort tente d’encourager et de soutenir les initiatives visant à promouvoir la recherche en français. Dans la préface d’un rapport portant sur les défis de la recherche en français en contexte minoritaire au Canada, Lapointe-Gagnon (2021, p. 6) nous rappelle qu’il y a « 30 070 professeur-e-s, chargé-e-s de cours, assistant-e-s d’enseignement et de recherche au niveau postsecondaire qui connaissent le français et qui oeuvrent en contexte minoritaire au Canada, et, parmi ce nombre, 7 615 qui ont le français comme première langue officielle parlée » (ce nombre est de 35 410 si l’on inclut le Québec). Les chercheurs et chercheuses d’expression française auraient une charge d’enseignement plus lourde, une difficulté à trouver des assistants et assistantes de recherche qui s’expriment en français et ils feraient face à une multitude de blocages et de défis qui rendraient la publication en français plus difficile. De plus, les revues officiellement bilingues seraient la plupart du temps des revues qui publient essentiellement en anglais, ou du moins, de plus en plus en anglais.

Selon St-Onge et al. (2021), auteurs du rapport :

Le gouvernement du Canada a manifesté son désir, dans le document de réforme de la Loi sur les langues officielles, d’appuyer la diffusion des savoirs en français et l’atteinte de l’égalité réelle entre les deux langues officielles. Le présent rapport fournit des données probantes et propose des idées d’actions concrètes afin de mettre en oeuvre ces objectifs. L’Acfas est disponible dès maintenant pour mettre en place ou soutenir la mise en place des recommandations, en collaboration avec les acteurs concernés.

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Nous apprenons notamment, dans leur rapport, que les revues en français ne représentent qu’environ 10 % des revues créées depuis les années 1960 au Canada, que la place du français est en déclin presque partout dans le système de la recherche du pays, tant du point de vue des demandes de subventions que des publications, que l’anglais continue d’exercer une force d’attraction, incluant dans les sciences humaines, et que les critères d’évaluation du travail des professeurs et professeures provoquent un attrait majeur de l’anglais, tant dans les institutions francophones du Québec que dans celles des autres provinces.

De plus, la survie de nombreuses revues francophones serait menacée, soit en raison de problèmes de financement, de relève, d’intérêt de la part des auteurs et auteures à publier en français ou, tout simplement, du désir de la direction de migrer vers la publication en anglais.

Selon les auteurs du rapport, il peut être vain de tenter de renverser des tendances lourdes qui sont présentes partout à l’international. Par contre, il est possible d’envisager des actions qui encouragent les chercheuses et chercheurs d’expression française à publier ou à communiquer davantage leurs recherches en français. Il ne s’agit évidemment pas de demander à des francophones de ne pas publier en anglais. Nous sommes bien conscients de l’importance d’avoir accès à un réseau international en recherche. Mais il faut continuer d’avoir le souci qu’une partie de la diffusion se fasse en français et que les étudiantes et étudiants inscrits à des programmes postsecondaires en français puissent avoir accès à du matériel pédagogique en français ainsi qu’à des articles de recherche en français.

Ainsi, le rayonnement de la science en français continuera d’enrichir le patrimoine mondial scientifique, culturel et linguistique, pour le profit des communautés, des gouvernances et de la vie quotidienne des citoyens et citoyennes, non seulement dans les groupes francophones, mais aussi dans tous les échanges internationaux.

La revue Enjeux et société : Approches transdisciplinaires vise donc à soutenir les chercheurs et chercheuses d’expression française qui désirent aborder les enjeux du XXIe siècle dans une approche transdisciplinaire afin qu’ils puissent publier en français et rendre leurs productions scientifiques accessibles à la francophonie internationale en libre accès.

Présentation des textes du numéro hors thème

Chantal Pioch

Dans ce numéro hors thème, nous avons rassemblé neuf articles qui portent sur différents sujets.

En s’appuyant sur deux projets de recherche-terrain, les auteures Geneviève Audet, Corina Borri-Anadon, Justine Gosselin-Gagné et Rola Koubeissy présentent des enjeux importants de leur méthodologie, plus spécifiquement en ce qui concerne leur rapport au terrain en tant que chercheuses. Elles proposent une analyse de la démarche qu’elles ont suivie dans le but de tenir leur parole, celle qu’elles ont donnée aux participants et soulignent les défis que cet engagement a représentés.

Paul Bleton, Angéline Martel et Nancy Gagné ont réalisé une recherche sur les malentendus interculturels qui se présentent au quotidien dans les divers services publics du Québec. À partir d’une étude de terrain et des récits des intervenantes et intervenants concernés, ils présentent des résultats qui pourraient être utilisés lors de formations aux compétences interculturelles dans les secteurs publics.

Pour sa part, Kelly Céleste Vossen a effectué une analyse de l’ethos de Justin Trudeau, premier ministre du Canada, à partir d’une exploration de ses communications sur Instagram. Dans cet article, elle présente les enjeux méthodologiques et scientifiques reliés à l’exploration de cette plateforme comme canal de communication politique des leaders politiques.

Omar Zanna, Bertrand Jarry et Marie Mansalier ont réalisé une enquête en deux temps auprès d’élèves de 6 à 11 ans dans différentes classes du département des Yvelines en France. Les chercheurs leur ont proposé de s’exprimer à partir d’une situation représentée sur un dessin. Ils nous présentent ici les résultats de leurs analyses visant à comprendre l’empathie émotionnelle et/ou cognitive de ces élèves.

L’étude de Keren Genest a été effectuée auprès d’une grande organisation qui a traversé une crise importante au cours de laquelle une mobilisation de ses membres avait comme objectif principal de destituer le président du conseil d’administration. L’auteure présente les résultats de sa recherche qui mettent en lumière les questionnements associés aux paradoxes de la participation dans la communication au sein de cette entreprise.

Joanie Maclure et Pierre-Yves Therriault ont réalisé leur étude auprès de différentes institutions d’un Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS). Leur objectif était de comprendre les processus de maintien en emploi des travailleuses et travailleurs vivant avec une maladie chronique, en particulier à travers les stratégies utilisées par les gestionnaires intermédiaires dans cet organisme. Leurs résultats présentent les difficultés et les obstacles surmontés par les participants et participantes à l’étude.

Chantal Pioch et Ikuo Aizawa ont étudié le phénomène de la violence sexuelle au Japon en la comparant à celle vécue au Canada. En brossant un premier portrait comparatif de la situation, leur objectif était de trouver, si ce n’est une réponse, au moins une piste de compréhension du très faible taux de violence sexuelle au Japon. Le processus de recherche a été réalisé dans une perspective inductive et transdisciplinaire permettant d’en arriver à des résultats inattendus et d’ouvrir de nouvelles pistes de recherche.

L’article de François Derbas Thibodeau allie la perspective historique à celle de la communication pour étudier les bibliothèques publiques du Québec et plus particulièrement la Grande Bibliothèque du Québec qui a fait suite à la Bibliothèque nationale. Par une étude diachronique de la documentation institutionnelle à partir de 1968, il analyse le discours institutionnel sur plusieurs décennies et aboutit à la proposition d’une typologie descriptive.

Enfin, dans un article qui va intéresser des chercheuses et chercheurs dans différents domaines des sciences humaines et sociales et plusieurs intervenantes et intervenants auprès des groupes et des individus, Ameline Rigal et Thomas Saïas ont donné la parole aux personnes âgées vivant en milieu rural agricole afin de mieux comprendre la construction et le vécu de l’isolement de cette population, et ce, dans une perspective de prévention du risque suicidaire. Les auteurs nous présentent ainsi leurs résultats et les hypothèses émergeant de cette recherche qualitative inductive exploratoire.