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Cet ouvrage de 250 pages est un plaidoyer que l’auteure, une jeune économiste zambienne, fait à charge des politiques d’aide au développement. Si le titre – L’aide fatale – est frontalement provocateur, la phrase qui clôt le livre ne laisse pas indifférent : « En tout cas, il y a une certitude : l’aide n’a pas marché. Que le cycle s’arrête. » Cette sanction résume le ton général de l’argument qui, d’un bout à l’autre du livre, sous-tend la réflexion d’ensemble de l’ouvrage. Dès les premières pages, Dambisa Moyo campe clairement l’objectif de son livre : « proposer un nouveau modèle de financement à l’usage des pays pauvres, un modèle assurant la croissance économique et promettant une réduction significative de la pauvreté des pays africains » (p. 25-26).

La question centrale du livre est celle-ci : Les milliards déversés en Afrique au cours des cinquante dernières années ont-ils amélioré le sort et la vie des Africains ? La réponse est, selon l’auteure, négative. « L’aide a rendu plus pauvres les pauvres et a ralenti la croissance » (p. 24) avec toutes les tares que l’on peut observer sur les plans des marchés, des investissements, de la vie sociale, de l’éducation, du fonctionnement des régimes, etc.

Une brève histoire de l’aide et des intentions des donateurs, disséqués tout au long du deuxième chapitre, introduit un troisième chapitre qui analyse les raisons de l’échec de l’aide en Afrique. Après avoir présenté les clichés et les stéréotypes que l’on colle à l’Afrique pour expliquer sa stagnation, l’auteure s’attarde à la question de la démocratie dont on croit qu’elle est « un facteur déterminant de la croissance économique » (p. 82). Elle y oppose le contre-exemple des économies asiatiques (Chine, Indonésie, Corée, Malaisie, Singapour, Taiwan et Thaïlande), mais aussi ceux du Chili de Pinochet et du Pérou de Fujimori. L’argument est qu’il s’agit ici de régimes et de dictateurs qui ont su mettre en marche des institutions et des politiques ayant favorisé la croissance et un climat encourageant les investissements. À la base de cette idée se trouve un constat simple : tous les pays qui ont connu un développement important, que ce soit en Europe, en Amérique ou en Asie, doivent leurs performances non pas à l’aide extérieure, mais à leur capacité de créer des richesses. « Il y a trente ans, rappelle Dambisa Moyo, le Malawi, le Burundi et le Burkina Faso disposaient d’un revenu par habitant supérieur à celui de la Chine. » Depuis des années, la Chine connaît une croissance soutenue, parce qu’elle a réussi à gagner en compétitivité et à attirer à elle des investissements étrangers. Ce n’est pas encore le cas de nombreux pays africains, où « l’aide assignée officiellement à des secteurs sociaux et économiques vitaux est utilisée directement ou indirectement pour financer des dépenses improductives » autant qu’elle « nourrit la corruption » (p. 98-99), sans compter les conséquences néfastes en termes de réduction de l’épargne, d’étouffement du secteur des exportations, de dépendance, etc.

Une lecture attentive laisse saisir les pistes de solutions que l’auteure propose pour développer l’Afrique. Sans vouloir dresser une liste exhaustive de ces solutions, retenons-en ici quelques-unes qui, sans doute, peuvent être prolongées par d’autres angles de lecture. La première solution est de s’ouvrir au commerce international. « Affirmer que les pays du continent ne peuvent pas utiliser les marchés internationaux est tout à fait faux » (p. 153). Cette insertion dans le marché mondial est possible avec la proximité de l’Europe par exemple, mais elle ne peut se faire que dans un contexte politique et juridique stable.

La deuxième piste est la bataille pour la suppression des subventions massives que les gouvernements américains et européens accordent à leurs agriculteurs. Ces subventions étouffent l’agriculture africaine et surtout les agriculteurs qui ne peuvent satisfaire ni les marchés intérieurs ni les marchés extérieurs. Avec la suppression, les paysans africains pourraient accéder aux marchés mondiaux et vivre de leur production, ce qui serait beaucoup plus efficace que de leur octroyer des aides au développement. La troisième solution est celle d’une augmentation de l’investissement direct étranger (IDE), dont l’Afrique ne profite pas. Cet investissement étranger est aujourd’hui entravé par plusieurs obstacles : infrastructures, paperasse inutile, procédures compliquées, délais disproportionnés d’un pays à l’autre, codes des investissements inadaptés à la conjoncture actuelle, lois et règlements parfois obsolètes, corruption, etc. « Si l’Afrique n’y porte pas remède, cette image (d’une Afrique des désordres) restera attachée dans l’esprit des investisseurs. La croissance économique du continent n’accélérera pas à moins que les gouvernements n’améliorent les conditions pour l’investissement » (p. 164). Autre piste de solutions : le développement de la microfinance, car « une activité bancaire à petite échelle à l’intention des pauvres a la capacité de créer des entreprises et de susciter le croissance dans les pays en voie de développement » (p. 205). À cela s’ajoute le souhait d’encourager la politique chinoise d’investissement dans les infrastructures : les Chinois ont ce que nous désirons et nous avons ce dont ils ont besoin » (p. 178).

Le régime de l’aide en place, sous une forme ou une autre, a démontré qu’il est incapable de générer la croissance et d’alléger la pauvreté. Alors que se passera-t-il si demain on cesse d’accorder cette aide ? Probablement peu de choses parce que tous les Africains ne mourront pas de faim pour autant.