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Les recherches et les campagnes de sensibilisation aux questions environnementales composent un nuage discursif aux contours vagues et au fond inquiet. Ces discours visent une forme de performativité absolue, comme si la dénonciation de certaines pratiques et la valorisation d’autres permettaient de repousser un point de non-retour qui, s’il n’est pas toujours explicitement formulé, semble bien toujours présent dans ces discours, quelque part en avant de nous, sur la ligne droite du temps qui file à vive allure vers un horizon couperet. Infigurable, ce point de non-retour permet d’imaginer deux scénarios possibles de la fin : dans l’un, ce point de non-retour serait une catastrophe majeure (nucléaire, naturelle, cosmique) qui altèrerait brutalement la face du monde et son évolution ; dans l’autre, l’aggravation accélérée des facteurs dénoncés en viendrait à altérer de façon tout aussi dramatique et irréversible la vie sur Terre. Dans ce dernier scénario, le point de non-retour serait une brisure de la ligne temporelle qui deviendrait une pente abrupte et glissante, impossible à redresser.

La Carte des feux[1], recueil de poèmes de René Lapierre paru en 2015, porte explicitement sur cet imaginaire contemporain de la catastrophe. Il s’agit d’une catastrophe écologique au sens large, puisqu’il faut entendre ici « éco-logique » dans son sens étymologique comme logos, science ou savoir logique et ordonné concernant l’oikos, c’est-à-dire l’habitat, l’espace de vie et les habitants qu’il abrite. Toute une partie du recueil évoque ainsi les catastrophes naturelles et les relations que l’humain noue avec son environnement, mais aussi, de façon plus large, les mécanismes politiques, économiques et médiatiques qui participent au dysfonctionnement du monde et créent des catastrophes humanitaires, économiques et politiques. Autrement dit, Lapierre dénonce l’emballement d’un système à bout de souffle qui fait que le cycle écologique de la vie sur Terre est profondément altéré par les choix et agissements humains. Entre les évocations de cet état de fait contemporain, Lapierre intercale celles de cataclysmes naturels éloignés dans le temps et qui ne pourraient être attribués à l’influence humaine. Les poèmes interrogent le passé géologique de la Terre et son avenir, les catastrophes naturelles et leurs conséquences sur les différents règnes humain, animal, végétal et minéral.

Ce recueil peut se lire à la croisée de l’écopoétique, et de l’imaginaire de la fin[2] tel que théorisé par Bertrand Gervais. Ces deux approches théoriques seront mobilisées pour leur complémentarité, puisque toutes deux permettent de penser les problèmes liés à l’énonciation (qui parle ?), la sémiotique (quels signes ?), la spatio-temporalité (d’où et quand évoque-t-on la catastrophe ? Quel rapport à la durée ?), l’éthique (quelle part de responsabilité humaine ?) et herméneutique (comment interpréter une telle représentation ?). Mais cette approche croisée permettra également de mettre en lumière ce qui demeure bien souvent un angle mort – ou du moins oublié – de ces approches théoriques, soit l’absence de récit. La Carte des feux, comme bien d’autres recueils de poésie contemporains, ne « raconte » pas cet événement inénarrable qu’est l’apocalypse. Il convient alors de s’interroger sur les façons dont s’élabore la mise en discours des questions écologiques et de cet imaginaire de la fin, en dehors de structures narratives. Après un bref cadrage théorique concernant plusieurs problématiques soulevées par l’écopoétique et l’imaginaire de la fin, cette étude se déploiera suivant quatre axes afin de montrer comment ce recueil se saisit de ces questionnements. Ces axes d’étude seront respectivement : 1) la mise en place d’une double temporalité, à la fois longue et incertaine quant au temps de l’énonciation ; 2) la saisie à très grande échelle du monde concernant la spatialité ; 3) un dispositif énonciatif au vocatif qui oscille entre collectivité et individualisme; 4) l’agentivité dévoyée des hommes transférée aux éléments naturels. La réflexion débouchera sur des considérations concernant l’approche écopoétique de la poésie contemporaine.

L’écopoétique, le décentrement par le travail de l’écriture

Le courant ecocriticism apparu aux États-Unis regroupe un domaine d’études inter- et transdisciplinaire extrêmement large allant de la deep ecology aux études animales en passant par les études écoféministes. Dans le cadre de cette étude, on empruntera plus spécifiquement l’approche écopoétique telle que définie par Nathalie Blanc, Denis Chartier et Thomas Pughe[3], pour qui « [l]a valeur écologique d’un texte littéraire ne serait […] pas uniquement une question thématique ou une question de choix générique, mais avant tout une question d’écriture, c’est-à-dire d’esthétique et d’imagination, qui sont les critères propres à l’activité artistique[4] ». C’est précisément en portant attention au « travail sur les moyens langagiers[5] » que la littérature peut cerner au mieux sa contribution aux discussions sur l’écologie. Dans le sillage de cet article liminal en études littéraires francophones, Pierre Schoentjes a plus récemment publié un essai remarqué, Ce qui a lieu. Essai d’écopoétique[6]. Le critique souligne à son tour à quel point les termes en usage dans le monde anglo-saxon – tels que ecocritics, nature writing ou green studies – « ont l’inconvénient de ne pas mettre suffisamment l’accent sur le travail de l’écriture[7] ». Selon lui, l’écopoétique propose différents outils méthodologiques qui, sans imposer une grille de lecture trop cadenassée, permettent de formuler des questionnements qui répondent aux attentes formulées par Blanc, Chartier et Pughe. Ceux-ci appelaient en effet de leurs voeux au « décentrement […] d’une pensée trop anthropocentrique[8] ». En ce sens, l’écopoétique se conçoit comme « une manière de répondre à la place toujours grandissante que les problématiques liées à la nature et à sa préservation occupent dans la littérature des dernières années[9] ». Je montrerai que dans La Carte des feux la remise en question de l’anthropocentrisme passe par la mise en oeuvre d’un espace-temps excédant largement celui d’une vie humaine, et par une translation de l’agentivité. En effet, il apparaîtra que soit l’humain fait un usage dévoyé de ses capacités d’action, produisant ainsi des répercussions néfastes sur son environnement ; soit cette agentivité lui échappe et il est alors mû par des forces naturelles qui lui sont bien supérieures et qui engagent l’analyse dans une perspective théorique tangente, celle de l’imaginaire apocalyptique.

Les principes de l’imaginaire de la fin

Dans Imaginaire de la fin[10], dernier tome de la trilogie critique qu’il a consacrée aux Logiques de l’imaginaire, Bertrand Gervais pose d’emblée trois paramètres fondamentaux de cet imaginaire :

C’est un imaginaire fondé sur le temps, plutôt que sur un lieu ou une forme d’altérité. C’est un imaginaire reposant aussi sur une crise promue au rang de loi, de principe de cohérence. Et c’est, enfin, un imaginaire tourné vers l’interprétation et la recherche de sens, vers la lecture des signes d’un monde sur le point de s’effondrer. […] Le temps, la loi et le sens : ces trois principes guident mon étude de l’imaginaire de la fin[11].

Ainsi, si « le premier principe pose le temps comme l’élément prépondérant de cet imaginaire[12] », « [l]e deuxième […] inscrit la fin comme une situation de crise singulière et unique. La fin est toujours une situation d’exception[13] ». Mais c’est sans conteste la quête du sens qui constitue l’aboutissement de cette pensée de la fin : « Le troisième principe […] repose sur la recherche de sens ou, plus précisément, sur une intensification de l’activité sémiotique. La fin approche, il faut en découvrir les signes[14]. » Gervais explore les mises en oeuvre de ces principes dans différentes oeuvres, principalement des fictions. On propose de reprendre ces mêmes principes – quoique présentés de façon un peu différente – afin de montrer leur productivité lorsqu’appliqués au genre poétique. Le rapport au temps est en effet essentiel puisqu’il est lié à la reconstitution d’une chronologie par le sujet poétique et le lecteur, et ce, dans une oeuvre ne reposant pas sur le récit. « La crise promue au rang de loi[15] » peut également être conçue comme le principe structurel, temporel et énonciatif du recueil de Lapierre. La crise se décline selon plusieurs modalités, qu’on la comprenne comme le point culminant, juste avant la rupture, ou bien comme une situation de troubles plus diffus qui créent de la confusion, des bouleversements qui rendent le monde illisible. Enfin, le sens, et plus précisément la quête de signes, sont au coeur de La Carte des feux, justement parce que l’enjeu principal consiste à déchiffrer ce monde trouble. Éludant les démonstrations de cause à effet direct, Lapierre met en place une logique de la juxtaposition qui contraint le lecteur à établir des relations de causalité, des comparaisons, et à débusquer les paradoxes et inconséquences du monde qu’il représente. La section « Vingt et un motets à symétrie inversée (Disparitions pour deux voix) » suit des contraintes structurelles précises : chaque page compte deux motets appartenant chacun à une série différente. La première, en caractères réguliers, est numérotée de 1 à 21, tandis que la deuxième, en caractères italiques, est numérotée en ordre décroissant, de 21 à 1. Chaque motet entretient donc un lien avec la série dans laquelle il s’insère, mais aussi – mise en page oblige – avec un de l’autre série, puisqu’ils partagent le même espace paginal. Les deux modes de lecture proposés au lecteur (soit linéaire, soit tabulaire) renforcent l’effet de logique défectueuse, ou du moins très lâche, qui sous-tend le discours. Voici par exemple ce que donnent à lire les pages 154 (colonne de gauche) et 155 (colonne de droite) du recueil[16] :

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Si l’on procède à une lecture suivant la numérotation sérielle, le motet 9 semble logiquement illustrer le propos du motet 8 qui constate que l’argent mène le monde. Quant au motet 13, il illustre la corruption des adultes, après que le motet 14 a exprimé la veule servitude à laquelle ils habituent les enfants. Mais une lecture verticale révèle une autre logique : l’ordre auquel sont habitués les enfants (n° 14) apparaît alors comme une illustration du fait que les vivants sont sans importance face au pouvoir de l’argent (n° 8) ; quant aux avantages dont certains bénéficient (n° 13), ils semblent dériver d’une obéissance et d’une corruptibilité auxquelles les invitent « leurs maîtres » (n° 9). Ces deux modes de lecture se poursuivent pour toute la section. Ils montrent la logique circulaire et vicieuse qui semble régir les engrenages de notre monde. Tout est cause et conséquence de tout à la fois – sans même mentionner les inévitables dommages collatéraux. Plus encore, si les liens de causalité et de corrélation fonctionnent en tous sens, n’est-ce pas aussi le signe que le logos – comme langage et comme logique – est en voie d’être vidé ?

Le temps géologique et les signes de la fin

L’étude de la temporalité dans ce recueil est marquée du sceau de deux dynamiques complémentaires : on retrouve, d’une part, une temporalité très longue qui excède largement la durée d’une vie humaine, et d’autre part, un brouillage quant au moment où le « je » s’exprime par rapport à la catastrophe. Dans un premier temps, la temporalité longue n’est pas assimilable à la durée intérieure telle qu’elle est ressentie par un individu. La Carte des feux se situe plutôt dans une temporalité d’ordre géologique : « L’espoir est une patience. Loin sous les pôles, le feu médite des émeutes[17]. » Le concept de deep time[18], emprunté à l’origine à la géologie, a essaimé dans le champ des études littéraires pour rendre compte d’une nouvelle perception de l’anthropocène et, plus généralement, du fait humain, en le réévaluant non plus à l’échelle de l’humanité (en milliers d’années), mais à l’échelle de la vie sur Terre (en dizaine de milliers d’années). Par-delà l’usage classique du concept de « longue durée », celui de deep time invite à dépasser les frontières et les récits nationaux –  « Deep time is denationalized time[19] », affirme Dimock – pour tenir compte de paramètres temporels et géographiques poussés à leurs extrêmes, défiant les limites de la conscience humaine :  « What becomes of history when recent cognitive projections invite us to let go of the great divide between us – the historical humans – andthem [the rocks] – the prehistorical ones[20] ? » Cette vie enfouie et souvent oubliée au centre de la Terre est ici au contraire bien présente :

Je n’ai pas à tracer les rivières et les lacs, ni les ciels ni les effrayants navires qui croisent sous nos pieds, écartant le manteau de la terre, fendant par le milieu les plaques rocheuses et les continents.

Cela suit son cours, cela ne vient de personne : minérale bonté portée par le coeur froid des abysses, le coeur simple des géants[21].

Lapierre ne remonte pas aux origines de la Terre, à la Pangée d’il y a quelque 320 millions d’années. La fin de la période carbonifère et la nôtre s’équivalent, la dérive des continents étant un processus permanent. Il n’est pas rare que l’analyse écopoétique nécessite ainsi une approche diachronique qui permette de rendre la mesure des changements survenus en un même espace à l’échelle de quelques années ou générations dans le cadre d’un roman. Dans le cas de ce recueil, Lapierre pousse cette approche à ses limites, remontant à la fois très loin dans le temps et suggérant aussi un futur encore non advenu : « Dans ce désespoir pourtant – à même / ce monde un autre monde / a commencé. / Je ne le verrai pas[22]. » Le temps excède très largement la vie humaine individuelle, qui fait figure de menu accident à l’échelle de la temporalité qu’il adopte.

Le sujet, par ailleurs bien conscient de sa petitesse et de son impuissance, s’exprime pour l’essentiel au présent. Mais ce présent est paradoxal car, de par sa nature même, il ne cesse d’advenir. Le présent du début du recueil n’est plus celui de la fin. Entre-temps, de façon imprécise, la fin, ou du moins une série de cataclysmes, a eu lieu. Et pour cause, comme l’écrit Bertrand Gervais, « l’imaginaire de la fin ne se déploie pas sur le mode de la présence, mais sur ceux de l’absence et de l’attente[23] » :

La fin se manifeste comme un ensemble de signes et d’indices, un événement jugé imminent. Or, c’est un événement qui ne peut jamais advenir, à moins d’annihiler le sujet qui l’anticipait… Car nous ne pouvons jamais aller au-delà du seuil de la rupture. Jean-François Chassay le signale d’emblée : « Imaginer la fin consiste d’abord à envisager un phénomène ontologiquement inadmissible, son propre effacement du réel »[24].

« J’écris dans le charbon, riche des désastres à venir[25] », confie le sujet au début du recueil. Cette préscience ou ce pressentiment de la fin oriente le projet d’écriture :

  • J’écris en témoignage

  • de la séparation des continents, sur un vaisseau

  • de roches magmatiques, au milieu

  • d’océans neufs, orageux[26].

Au début, le sujet se trouve donc dans le moment juste avant que tout ne bascule selon une mécanique implacable, comme dans la tragédie classique. Mais au fil des pages, dans l’énumération des responsabilités attribuables à l’humain, la catastrophe est décrite sans ordre ni logique narrative apparente : « Tour à tour l’équarri, le pentu / les subordonnés, les raides, / les à-peu-près, les quartiers-maitres / tombent[27]. » « Le dessus / et l’envers s’enchevêtrent. / Le temps se descelle[28] », comme si l’entropie croissante qui frappe le monde affectait également la capacité à la raconter de façon logique et ordonnée. À la multiplicité des causes et des responsabilités répond d’ailleurs celle des catastrophes qui semblent se produire en cascades : « Tout s’est effondré, ou presque. Ça recommence chaque matin, l’argent mange la vie, tu vois les morts que ça fait, les boucheries, les guerres[29]. » Ainsi que le commente le sujet :

  • Cela ne se dit pas.

  • Cela ne se voit pas.

  • Seule la répétition

  • se voit[30].

« Cela » est l’indicible, ce processus de la fin qu’on ne peut mettre en récit. Seule la dimension systémique de la répétition abolit le hasard et oblige à se rendre à deux évidences : « La mort aussi a un commencement[31] » et « notre histoire s’échouera dans la répétition[32] ». Dans la section « Boîte cent trente-huit (Testament) » située vers la fin du recueil, quelques indices consignés au passé simple retracent les scènes apocalyptiques auxquelles le sujet a assisté : « Je vis des geysers, des masses / d’argile se soulever[33]. » Mais Lapierre refuse de s’en tenir à une catastrophe, à une cause précise, puisque dès la page suivante, il écrit :

  • À côté de cela, par-dessus

  • et en dessous, je vis des meurtres

  • se réclamer de la justice, des tortures

  • s’instituer, des menaces[34]

Le sujet parle depuis un outre-temps, après la fin de l’histoire :

  • La fin de notre histoire

  • navrante, presque entièrement

  • scandaleuse, nous la connaissons.

  • Et après[35] ?

La suite ne semble être qu’une chute sans fond :

  • Il n’y a rien à espérer.

  • Rien à voir sinon l’aggravation

  • du pire. La fin de notre histoire

  • a déjà commencé[36].

Dans les toutes dernières pages, alors que revient le curieux personnage de Paschetti aux aventures décousues, le sujet[37] pleure la perte de l’être cher :

  • Et toi.

  • Ma seule-aimée

  • mon abolie

  • ma disparue[38]

La fin d’un monde aura eu lieu dans ces pages, sans qu’on puisse véritablement percer la façon dont cet événement s’est déroulé. Le sujet aura eu le temps de dresser le procès fragmentaire du genre humain et de prophétiser d’autres écroulements rendant le monde impraticable pour le vivant. Loin de toute représentation idyllique de la nature ou d’une apocalypse qui renverrait l’homme dans une relation harmonieuse à ce qui serait un nouvel Éden, la dimension écopoétique du recueil prend ici des accents eschatologiques et dysphoriques soulignant deux dynamiques. D’une part, elle met en valeur la puissance des éléments naturels face auxquels l’humain ne peut rien ; d’autre part, elle pointe du doigt la répétitivité, l’insistance de certaines actions humaines qui finissent par avoir un impact aggravant sur ces phénomènes naturels et la façon dont les humains coopèrent (ou non) pour y faire face. Si la temporalité étendue dont il est question dépasse largement la longueur d’une vie humaine, elle ne dédouane pas pour autant les hommes de leurs responsabilités individuelles et collectives à l’égard de la Terre.

La dislocation spatiale

On pourrait poser un constat similaire par rapport à la spatialité dans la mesure où le recueil se place bien au-delà d’un lieu ou même d’un espace particulier. À cet égard, les déplacements de Paschetti dans son immeuble ou en taxi entre deux bâtiments font de lui un simple figurant de la tragédie planétaire qui se trame à son insu. Cependant, il convient de s’interroger sur une prémisse de Bertrand Gervais qui considère que l’imaginaire de la fin « est un imaginaire fondé sur le temps, plutôt que sur un lieu ou une forme d’altérité[39] ». Dans le cadre d’un récit où l’intrigue suit un ou des personnages, ceci paraît parfaitement plausible et il est vrai que les questions de temporalité deviennent d’autant plus complexes et pressantes s’il s’agit de raconter une suite d’événements. Mais qu’en est-il de cette prémisse pour une oeuvre dépourvue de récit ? Sans conteste, l’espace importe autant que le temps dans le recueil de Lapierre. Cet écart aux considérations théoriques de Gervais peut s’expliquer en partie grâce à sa dimension écopoétique : cette approche théorique ayant pour objet l’étude des relations que l’humain entretient avec son environnement, nulle surprise donc que la spatialité soit exploitée. Tout autant que le temps, elle structure le recueil. Chaque section est ainsi introduite par une épigraphe en italiques commençant par « J’écris ceci » et où le sujet lyrique précise les circonstances dans lesquelles il écrit. Au fil des épigraphes, il apparaît que ces circonstances sont de plus en plus difficiles, voire intenables, marquant une progression temporelle – quoiqu’imparfaitement linéaire. En revanche, les détails liés à la description du lieu sont beaucoup plus précis. La section « Écrits scandaleux (Les cinq cents noms de dieu) » commence par exemple de la façon suivante :

J’écris ceci dans la plaine du Saint-Laurent, à quelques dizaines de kilomètres de Montréal. Étrange pays aux terres plates, dépassant à peine le niveau de la mer, et reposant sur les marges inférieures du Bouclier canadien.

À l’horizon, cinq collines sont comme les piliers d’un pont jeté de l’ouest à l’est au-dessus des terres basses (mont Royal, mont Saint-Bruno, mont Saint-Hilaire, Rougemont, mont Yamaska) […] : en fait, un troupeau de lourds pachydermes lâchés à travers la plaine.

Ces terres basses et leur sous-sol riches en minerais et en hydrocarbures, ont vu se succéder depuis une centaine d’années des pillages d’une inconséquence et d’une incurie effrayantes[40].

Aucun indice temporel ne permet de situer à quel moment le sujet s’exprime, mais les repères géographiques sont très précis et servent d’appui au discours écopoétique dénonçant en termes vifs la surexploitation des ressources naturelles.

La section intitulée « Molotov (Notes à la mine de plomb) » est également remarquable quant à son traitement de la spatialité. Les poèmes de cette section sont bipartites : la première partie, brève prose, répertorie laconiquement une date et un lieu en Asie dans lequel a eu lieu une catastrophe naturelle entre 1737 et 2013. Dans la plupart des cas, il s’agit de secousses sismiques ayant eu lieu dans des localités russes entre le nord du Kazakhstan actuel et la péninsule du Kamchatka : « Irkoutsk. Nombreuses secousses du 24 février au 10 mars 1829. Le 8 mars, sur la rive du fleuve, un immense rocher s’est détaché et a volé en éclats. La glace s’est crevassée[41]. » Aux yeux du lecteur nord-américain du XXIe siècle, l’exotisme des toponymes est redoublé par l’éloignement dans le temps. À la lecture, l’impression est claire : très égoïstement, les « 2336 morts dans un village de 6000 personnes[42] » à Severo-Kurilsk le 5 novembre 1952 ne nous concernent pas ; tout comme, très égoïstement encore, le poème consigne le chacun pour soi qui rend oublieux des autres :

  • Nulle place pour ceux

  • d’en dessous et d’ensuite;

  • les tards-venus, les oublie-moi

  • les coule-à-pic[43].

Les parties inférieures des poèmes, vers écrits en italiques, sont d’abord des poèmes intimistes qui confirment cette perception très autocentrée. Mais peu à peu l’espace environnant se disloque : « Au milieu du vacarme ça flambe / comme des gares[44] », « Les cimes / grincent. Les marges s’arrachent[45]. » Ce sont dans ces pages, ces quelques mots en italiques que l’imaginaire de la fin s’articule au présent de la façon la plus explicite : « Le désordre est clair. [/ Le bruit devient tout[46]. » « Rien ne résiste[47] », la résignation s’impose (« Que cela soit. Personne / ne marchande[48] ») jusqu’à la chute finale :

  • Tous nous sommes

  • emportés par le plomb des moraines :

  • nous

  • chutons – nous sommes[49].

De façon générale, ce recueil se déroule sur fond d’apocalypse bouleversant profondément l’environnement et les paysages : « Pendant ce temps les continents morts se soulèvent, leurs proues de pierre glissent au-dessus de nos têtes. Le ciel grince. Nous allons chavirer[50]. » Le sujet constate : « Voici la limite, l’écroulement de notre monde[51] » ; cette « limite » qui est en train d’être atteinte, cet « écroulement » qu’il observe se comprennent autant dans un sens temporel que spatial, la fin des temps étant aussi l’abolition physique du monde connu.

L’écriture au vocatif

Le temps et l’espace ne sont pas les deux seuls paramètres qui déterminent l’évocation de la catastrophe. L’imaginaire de la fin et l’écopoétique ont également comme point commun le fait de se situer à l’intersection entre individualisme et collectivité. En ce qui concerne l’imaginaire de la fin, cela se conçoit de façon assez claire : l’anéantissement individuel s’inscrit au sein de celui de la collectivité d’appartenance – l’un comme l’autre dépassant et annihilant les capacités de représentation de chacun(e). Ainsi que le résume Bertrand Gervais,

la fin circonscrite mais beaucoup plus concrète d’un sujet, la sienne propre ou celle de son monde, a pris le relais pour exprimer de façon beaucoup plus précise l’abîme qui s’ouvre quand sont aperçues les limites de la vie. Le collectif et le singulier s’y articulent comme les faces opposées d’une même réalité imaginaire[52].

Dans une perspective écopoétique, il est différentes façons de conjuguer collectivité et individualité – voire individualisme. Si le cadre d’une subite catastrophe naturelle majeure rejoint celui de l’imaginaire de la fin, on peut aussi se demander dans quelle mesure l’impact du mode de vie d’un individu privilégié – ou d’une fraction de la population – centré sur la satisfaction de ses besoins et désirs personnels affecte les conditions de vie de bien d’autres êtres vivants, qu’ils soient humains, animaux ou végétaux. Si chacun peut mesurer pour lui-même les changements néfastes ou inquiétants qu’il observe à l’échelle locale ou globale concernant l’environnement, chacun peut aussi s’interroger sur son degré de responsabilité dans ces changements. Tout individu peut encore se demander quel pouvoir d’action il détient pour améliorer les choses et influencer les opinions et les comportements collectifs. Irrémédiablement imbriquées, individualité et collectivité semblent être les deux visages d’un même Janus, sans qu’on soit capable de déterminer lequel représente les causes et le passé, et l’autre, les conséquences et l’avenir. Dans La Carte des feux, cette dialectique entre individu et collectivité est vivement exprimée par les jeux de l’énonciation. Hormis les fragments de récit à la troisième personne concernant Paschetti, les poèmes présentent des situations énonciatives qu’on pourrait regrouper selon trois catégories :

(1) L’énonciation blanche pose des constats qui semblent vouloir se détacher de tout lyrisme. Ces passages ne sont attribuables à aucun sujet comme tel tant ils semblent factuels, comme sortis tout droit d’un communiqué de presse ou d’un manuel historique qui aligne les faits sans les mettre en perspective. Tel est l’exemple des textes dans la section « Molotov (Notes à la mine de plomb) » dont ont déjà été cités des extraits concernant des catastrophes naturelles en Asie.

(2) Il y a aussi des passages du texte où le « je » lyrique s’affirme dans toute sa détresse. On a ainsi évoqué comment chaque section commence par la mention de précisions concernant les conditions d’écriture du sujet. Dans ses « Écrits scandaleux (Les cinq cents noms de dieu) », le sujet s’exprime en son nom propre et met l’accent sur le tragique inconcevable que lui inspire sa prochaine fin :

  • J’aperçois sur le mur un petit rayon blanc.

  • Cela fait une tache, une sorte

  • de fleur.

  •  

  • Quelqu’un jadis m’a mis en garde : cette image

  • serait la dernière que je verrais

  • de mon vivant[53].

Toute la série de poèmes qui suit portant sur les « noms de dieu » revendique également cette subjectivité absolue :

Mon dieu est un sweat-shop de huit étages qui s’effondre à Dacca. Un malentendu portant sur l’alinéa trois. Une minuscule mouche verte que l’on croyait disparue. Un désert créé par Coke autour d’un village du Rajasthan. Un grand silence médiatique[54].

Ces énumérations des lâchetés ou détails auxquels le sujet consent par défaut et s’asservit à son insu finissent par produire l’image d’un dieu qui s’apparente au Big Brother des pires récits d’anticipation : « Mon dieu est partout. C’est indécent, ça va au-delà du supportable. Il n’y a pas de solution. // “Je suis”, dit le seigneur[55]. » Ce dieu n’est pas même celui, terrible, qu’évoque l’Ancien Testament, c’est celui, fou de haine, qui a conçu l’homme à son image : « Mon dieu est une grande haine de l’humanité à l’endroit du vivant[56]. » L’escalade entre la folie humaine et divine semble sans fin :

  • Mon dieu j’ai plus de haine que toi.

  • J’ai plus de mal

  • que toi, plus de désirs

  • de faims, de feux

  • que toi[57].

Infime existence à l’échelle de la planète, le sujet (ré)clame son droit d’expression de révolte, de colère et du pessimisme sans rémission qui l’accable : « J’écris par désespoir. Ma détermination / ne fléchit pas. Je touche au fond. / Les lettres sont des ancres[58]. »

(3) Mais en d’autres passages du texte, ce même « je » s’efface au profit de la collectivité. Cet effacement peut se lire dans des formulations qui généralisent et érigent au rang de maxime certains traits observés : « Humaine est notre catastrophe / humaine notre humanité[59] », « Humain est celui / qui oublie à mesure, à volonté[60] ». Ailleurs, le sujet emploie le pronom « nous », s’exprimant ainsi au nom du plus grand nombre : « Nous cachons : la disparition de l’Arctique / le dégel de la toundra, le saccage des forêts / les maladies, la désertification[61]. » Ce « nous », c’est la population maintenue dans l’ignorance et l’asservissement, et présentée comme victime : « Nous faisons porter à nos enfants / des uniformes ; nous répétons pour eux les noms / de l’aplatissement, de la servitude[62]. » Mais c’est aussi la masse qui accepte de ne pas voir, de ne pas chercher à savoir : « Nous cachons les inondations, les tornades / les hold-up de pays entiers. L’hébétude / des journaux ; le sang sur les éditoriaux[63]. »

Un dernier paramètre énonciatif doit enfin être pris en compte : le sujet, qu’il parle en son nom ou pour la collectivité, s’adresse directement à un « tu » ou à un « vous » et l’interpelle pour lui demander des comptes. Cet autre du discours est parfois ce dieu haï et vénéré tout à la fois : « Nos femmes tu les as prises. Pas aimées. Ton désir tue. // Dieu des vengeances, dieu des foules. / Nous t’aimons immensément[64]. » Avec une ironie mordante, il détourne le rituel des processions religieuses ou païennes qui consiste à présenter, en guise d’offrandes, des présents aux divinités. Dans cette longue procession des opprimés et des sacrifiés, animaux et humains sont mis sur un pied d’égalité :

  • Par millions les hommes et les femmes

  • connaissent à leur tour le sort

  • des bêtes, qui elles-mêmes subissent

  • celui des femmes et des hommes[65].

Mais cette procession prend aussi des allures de jugement dernier, ou encore de tribunal international pour crime contre l’humanité ou l’environnement :

  • « Diriez-vous madame, monsieur,

  • que vous avez

  • aidé, contribué à cela ?

  • Oui, je le dirais[66]. »

S’adressant à dieu, le prenant à parti et se mesurant à lui, il détourne la prière en véritables imprécations à l’ironie mordante :

  • (Tes largesses – les sillons qui mordent

  • la glaise, les enfants tus

  • le sang des bêtes

  • le massacre – tes largesses

  • sont trop grandes pour nous[67].)

Ce style rappelle celui adopté par Lapierre dans d’autres recueils parmi ses plus récents, notamment Aimée soit la honte[68]et Pour les désespérés seulement[69]. Cette écriture au vocatif qui détourne la parole rituelle est forte d’un très grand pouvoir d’interpellation. Elle engage l’interpellant autant que l’interpellé et les témoins ; elle force à voir, à reconnaître les torts et à attribuer les responsabilités. Elle renforce les divers tours présentatifs qu’emploie l’écriture : « Je vous montre des lacs de bitume ; / des casinos, des profits records. Des famines[70] » ; « Voici les choeurs de l’invisible, des désordres / silencieux[71] » ; « Nous : hommes et femmes / d’os[72] ». Les interpellations, les déictiques, ces figures de présentification du discours (tel que l’emploi des deux points) ou de langage performatif (« Je vous montre », par exemple) sont autant de stratégies pour aligner des preuves visibles et tangibles de ce qui est dénoncé. Cette rhétorique tend, en somme, à accroître le sentiment d’urgence et d’inéluctabilité.

Le détournement de l’agentivité

De façon paradoxale pourtant, ce sentiment d’urgence n’aboutit pas au passage à l’action. Ainsi que l’écrit Bertrand Gervais, la fin « est un imaginaire reposant […] sur une crise promue au rang de loi, de principe de cohérence[73] ». Autrement dit, la crise est la nouvelle norme et toute tentative réelle pour en sortir annihilerait cet imaginaire de la fin. Or, dans La Carte des feux, l’état de crise est très explicitement maintenu par une infime minorité qui en bénéficie sur le dos du plus grand nombre et de l’équilibre du vivant. Le concept de crise aiguë est bien l’exact opposé de la figure circulaire que suppose l’écologie. Certains intérêts poussent à maintenir la vie à la limite, toujours au bord de la chute. De l’autre côté, le troupeau humain fait preuve d’une complaisance et d’un aveuglement volontaire coupables :

  • Étant donné l’indifférence

  • des moyens et des fins, les ordres

  • nous apaisent.

  • Nous aimons leur beauté[74].

La déchéance morale des masses et la sourde violence que renferment ces comportements de dénégation sont dénoncées avec une virulence dans ce recueil qui montre l’humain comme un être passif et qui subit : « Nous entreprenons de disparaître[75] », « nous nous taisons[76] ».

  • Nous tolérons les génocides.

  • Les meurtres d’État, les guerres.

  • Nous inventons des formes générales

  • d’amnésie[77].

En un sens, il est frappant de constater le recours presque systématique au « nous » collectif pour prendre en charge la culpabilité collective humaine. Dans un autre sens, ce « nous » est une figure de la démission, de l’abandon : l’humain renonce à toute agentivité, à tout effort pour donner sens au monde. Par agentivité[78], je désigne la faculté et la puissance d’action d’un être ou d’une collectivité à agir sur le monde, les choses ou d’autres êtres – et ce, que ce soit de façon volontaire ou non, consciente ou non. Dans le cadre du recueil de Lapierre, le « nous » est employé avec des verbes d’action tels que « entreprendre » ou « inventer », mais c’est pour d’autant mieux souligner le renoncement ou des mécanismes d’autodestruction, comme si la collectivité avait assimilé les stratégies de mises à l’écart employées par les dirigeants pour la maintenir passive et lui faire accepter l’irrecevable. À présent, le « nous » se tait et tolère tout de lui-même, sans qu’on lui enjoigne de le faire. Sans doute est-ce là qu’une lecture écopoétique de La Carte des feux peut se rendre le plus loin : dans cette confiscation, voire ce détournement de l’agentivité humaine qui d’ordinaire organise le monde, ses représentations et ses significations. L’incapacité habituelle à présenter le monde d’un point de vue autre qu’humain est le symptôme d’une vision anthropocentrique tellement absolue et évidente que, comme tout pouvoir, elle en devient invisible et intériorisée. Or, concernant ce recueil, il est possible d’affirmer que l’humain et plus largement les êtres vivants subissent l’action dévolue aux forces naturelles, qu’il s’agisse de tremblements de terre, de tsunamis ou de dislocation de roches. « [L]e désordre va continuer / de croître[79] » : monde soumis à l’entropie, à ses violences et ses hasards, il excède les récits qui mettent en place une quête sémiotique qui restituerait un sens au chaos. Bertrand Gervais évoque parmi les principes de l’imaginaire de la fin

[…] une intensification de l’activité sémiotique. […] La contrepartie de cette recherche souvent effrénée est une opacification graduelle du monde et du langage qui permet d’en témoigner. Le désordre ne fait pas que toucher la société ou le monde, il affecte aussi le langage qui se dégrade et finit par devenir aussi lourd et inutile qu’une pierre[80].

Le recueil de Lapierre renonce à cette quête sémiotique et à toute possibilité d’action humaine qui puisse être bénéfique ou salvatrice ; il embrasse cette entropie et fouille cette « opacification » du monde et du langage qui n’est pas « graduelle », mais déjà hyperbolique – cause perdue d’avance.

Interdépendance ou indifférence

La Carte des feux peut se lire selon différentes perspectives. Croiser les théories de l’imaginaire de la fin et certaines aspirations théoriques de l’écopoétique permet de rendre compte d’un grand nombre d’aspects de ce recueil, notamment au niveau de son traitement de la temporalité, de la spatialité, mais aussi de ses différentes stratégies d’énonciation. Quant au traitement de l’agentivité, déplacée de l’humain vers les éléments, celui-ci peut se lire comme une tentative de sortir de l’anthropocentrisme. Ce recueil ne se donnant pas d’ambition narrative, une « progression » de l’action ou de l’intrigue n’est pas nécessaire et donne libre cours à l’auteur pour explorer ce qui est le contraire d’une mise en récit, c’est-à-dire d’une organisation du discours (et donc du monde) : le chaos qui résulte de la désintégration de l’équilibre du vivant sur Terre. Ce chaos est évoqué à tous les niveaux : intime, collectif, voire planétaire. « L’imaginaire de la fin s’alimente de ces apocalypses intimes, de ces fins vécues sur un mode restreint et qui répercutent le destin de l’humanité entière[81] », écrit Gervais. Au cours des pages qui précèdent, on a pu décrire la situation de crise permanente évoquée dans La Carte des feux comme un point de bascule qui rompt la figure circulaire que suppose toute écologie, c’est-à-dire une situation d’interconnexions multiples et riches au sein du vivant. Tout principe écologique repose sur le fait que tout ce qui compose le monde est pris dans un cercle d’interaction et d’interdépendance qui maintient un équilibre instable et toujours changeant. Cet équilibre suppose de multiples relations qui peuvent être de prédation ou de gestion, mais qui relèvent aussi de l’intervention, de la protection, de la régulation ou du soin entre divers éléments. La relation écologique – comme principe – se trouve ainsi aux antipodes de l’indifférence humaine décriée par l’auteur dans ce recueil. Faisant abstraction du récit, mais injectant un savoir et des realia vérifiables, René Lapierre explore dans La Carte des feux le ton de l’indignation et invite à une froide lucidité envers un système (politique, économique, social, etc.) qui n’a plus rien en commun avec une écologie relationnelle équilibrée.