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1 Introduction

La formalisation de l’assistance militaire technique des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la France démontre une politique centrée sur l’encadrement local et des circuits de formation (formation des cadres nationaux civils et militaires sur les aspects de la défense, organisation des cycles de formation spécifique pour officiers et soldats, transfert de technologie à travers des actions bilatérales). À l’instar du partenariat français RECAMP[1], cette dynamique rompt avec la simple stratégie de formation au maintien de la paix[2], parce qu’elle concourt à une augmentation des capacités opérationnelles des armées. Hypothèse somme toute rejetée au niveau institutionnel français, le lieutenant colonel Troistorff[3] affirme de ce fait : « RECAMP ne forme pas les armées nationales, mais renforce leur capacité en formant quelques élites militaires avec pour vocation de pérenniser l’enseignement reçu ». Cela dit, depuis le cycle I – Exercice Guidimakha, CEDEAO (1996-1998) - RECAMP agit au niveau politique, des chefs d’état-major, des états-majors, des régiments et des troupes. La différence avec les autres partenariats en l’occurrence celui des Etats-Unis (ACRI-ACOTA[4]) est ici perceptible. Orienté au niveau national, ACOTA forme uniquement les troupes.

Dans cet espace d’analyse politico-stratégique, il nous incombe la tâche de souligner qu’en Afrique subsaharienne, l’armée des « habitudes » co-existe désormais avec l’armée des « besoins de sécurité »[5]. La formation aujourd’hui des armées africaines au maintien de la paix viendrait corroborer avec les demandes immédiates des besoins de sécurité. Par une politique d’appropriation des partenariats occidentaux et de mise à profit du retour d’expérience (RETEX), certains Etats tels le Nigeria, le Ghana et le Cameroun connaissent une réforme des armées par adaptation des structures de formation ; et de ce fait contribuent à l’effort de communautarisation de la sécurité à l’échelle sous-régionale. Mais au regard de l’actualité immédiate – crise au Darfour, Somalie, Tchad… -, il convient de relativiser quant à la capacité de l’Afrique aujourd’hui à contenir les menaces sur sa sécurité. Il y’a donc comme un devoir moral pour les européens pour soutenir l’effort de paix en Afrique, et ce au regard des liens historiques ; dont le passé colonial unissant certaines puissances de la vieille Europe à des sous régions entières du continent africain.

Cette réflexion met en exergue certaines des initiatives africaines quant à l’autonomisation des moyens de défense et de sécurité. S’il s’agit pour bon nombre d’observateurs et d’analystes d’un pas qualitatif, il convient tout aussi de souligner que l’efficacité escomptée de la plupart des mécanismes ne peut être atteinte que grâce à un réel soutien militaire des anciennes puissances coloniales.

2 Affiliation institutionnelle des partenariats et mise en oeuvre en terre africaine : l’exemple de RECAMP

L’année 1990 se caractérise en Afrique par une régression de l’interventionnisme français, ce qui se traduit par une modification de la conception de la paix et de la stabilité dans le continent. L’accent est mis sur :

  • le développement des capacités africaines de maintien de la paix, sous la forme d’une préparation à une mobilisation rapide des unités militaires existantes dans les pays africains ;

  • un multilatéralisme privilégiant une approche sous-régionale plutôt qu’une approche par pays en vue de favoriser une coopération et une coordination accrue entre les pays africains et leurs forces militaires ;

  • une orientation régionale plus large, ne se limitant plus à l’Afrique francophone et une ouverture et un soutien renforcés aux activités des autres pays ;

  • la transparence : tous les pays étant informés des contributions et les opérations étant limitées au maintien de la paix et à l’aide humanitaire[6].

Au titre de RECAMP, la France fournit un enseignement relatif au maintien de la paix destiné aux forces armées et de police de plus de 30 pays africains, francophones ou non, prenant la forme de cours dispensés en France et dans plus d’une dizaine d’écoles militaires en Afrique. Depuis 1996, RECAMP apparaît comme un outil de transfert de technologie et d’encadrement des forces de défense.

Aussi le problème de la légitimité du concept peut être envisagé. Il s’agit dans cette dialectique de mettre en relief les affiliations institutionnelles, c’est-à-dire les liens de transmission qui fixent les contours de l’opérationnalité en terre africaine.

Deux administrations entrent à contribution dans l’élaboration de la capacité africaine de maintien de la paix : le ministère de la défense et le ministère des affaires étrangères.

Au sein du ministère de la défense, le cabinet du ministre et la délégation aux affaires stratégiques participent à la réflexion. L’Etat-major des armées est l’acteur central de la mise en oeuvre du concept. Son rôle ici consiste à :

  • promouvoir le concept à l’extérieur des armées, en liaison avec l’ambassadeur RECAMP ;

  • définir les actions à conduire en interarmées et avec les armées étrangères désireuses de participer ;

  • établir un programme d’exercices multinationaux et valider le choix des thèmes des séminaires et des forums ;

  • s’assurer du maintien au niveau des équipements stockés et à acheminer les moyens nécessaires ;

  • fixer les directives aux forces pré-positionnées pour les actions menées dans le cadre de ce concept ;

  • assurer le commandement opérationnel des éléments militaires engagés en soutien de forces africaines ;

  • coordonner le soutien administratif et logistique assuré par la France dans les opérations.

L’Etat-major interarmée de forces et d’entraînement (EMIA-FE) quant à lui est chargé, selon les directives de l’Etat-major des armées (EMA), d’organiser et de conduire les cycles majeurs d’entraînement.

Dans leur pays d’accréditation, les attachés de défense sont concernés par la promotion du concept auprès des autorités militaires. Cette responsabilité est accrue lorsque le cycle RECAMP se déroule dans le pays ou la sous-région d’accréditation. L’attaché de défense est à cet effet en liaison avec les forces pré-positionnées, il se présente comme l’interface naturelle et principale pour l’organisation et la mise en oeuvre du cycle selon les modalités fixées. Les Etats-majors d’armée et les directions, en tant qu’autorités organiques interviennent pour la mise à disposition de moyens, de forces et de modules au cours des cycles et des détachements d’instruction. L’armée de terre, chargée de fournir et d’entretenir du matériel RECAMP pré-positionné en Afrique, joue un rôle important. Elle contribue de plus à la formation spécifique de cadres africains au sein des écoles.

Les forces pré-positionnées jouent un rôle important en la matière, elles entretiennent un lien permanent avec les organisations sous-régionales et les pays de leur environnement. Chaque sous-région est ainsi l’interlocuteur privilégié d’une force : les FFDJ (forces françaises stationnées à Djibouti) pour l’IGAD (inter-government authority on development), les FAZSOI (forces armées dans la zone sud de l’océan indien) pour la SADC (South africa development countries), les TFG (troupes françaises au Gabon) pour la CEEAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale) et les FFCV (forces françaises du cap vert stationnées au Sénégal) pour la CEDEAO (Communauté économique de l’Afrique occidentale).

Parce qu’au niveau institutionnel français, RECAMP vise la prévention et la gestion des crises, la prévention prend ainsi en compte le cadre interministériel pour plus d’efficacité. Elle vise à empêcher les crises ou à les circonscrire au plus tôt. Plus concrètement, il s’agit d’une mise en veille stratégique interministérielle et de l’amélioration des capacités d’analyse mais également du développement d’un dialogue entre les acteurs régionaux - diplomatiques et militaires - permettant d’entretenir une paix durable et des relations de sécurité.

Ces objectifs politiques se traduiraient sur le terrain par une montée en puissance des forces de défense. La prévention des conflits présente dans la plupart des cas des limites par l’explosion de la violence. De ce fait, il était indispensable pour les pays africains de se doter d’une réelle capacité de résolution des crises pour pouvoir mener des opérations de soutien de la paix sous chapitre VI de la charte des Nations-Unies comme sous chapitre VII sans accord entre les parties.

2.1 Bilan de l’expérience RECAMP

Quel bilan peut-on établir aujourd’hui des engagements des forces africaines dans le cadre de RECAMP ? Cette interrogation consiste à mettre en relief en termes de capacité de soutien en opération l’apport du partenariat RECAMP lorsqu’une force africaine de maintien de la paix peut-être engagée sous commandement des Nations Unies, d’une organisation sous-régionale ou d’une coalition de circonstance.

Depuis 1997, RECAMP a été mis en application dans des opérations d’interposition et les nécessités de la paix. La dimension empirique de ces engagements permet de mettre en relief à ce jour :

  • mise sur pied, équipement et soutien logistique de la MISAB (1997) en République Centrafricaine, composée de 6 contingents (Tchad, Gabon, Mali, Burkina-Faso, Sénégal et Togo). En 1998, la MINURCA se substitue à la MISAB, suite au vote de la résolution 1159 des Nations Unies ;

  • mise sur pied et soutien logistique d’un bataillon multinational (Bénin, Gambie, Niger, et Togo) lors de l’opération « RECAMP BISSAU » en Guinée Bissau en 1999 ;

  • contribution à la mise sur pied de la Monuc (2000-2001) par la formation et l’équipement des contingents notamment Sénégalais, mais aussi par une participation à l’équipement du contingent marocain.

  • Fin septembre 2002 : MICECI, force de la paix envoyée en Côte d’Ivoire par quelques Etats membres de la CEDEAO (Bénin, Ghana, Niger, Sénégal, Togo) en vue de faciliter l’application des accords de Marcoussis soutenue par RECAMP, bénéficiait également de la coordination d’autres partenaires contributeurs (Belgique, Etats-Unis, Royaume-Uni…). Depuis le 4 avril 2004, les forces de la MICECI sont passées sous commandement de l’ONU dans le cadre de l’ONUCI.

Quelle analyse peut-on en faire de ces interventions ? Il faut au niveau politique sans doute remédier au handicap inhérent à l’équipement des forces, leur acheminement, leur mise en condition opérationnelle ainsi que le financement des opérations circonscrites dans les zones de grands conflits de l’Afrique subsaharienne.

Le problème que pose le manque d’équipement suffisant des forces dans les opérations d’urgence de soutien de la paix relève tout d’abord de l’inorganisation des pays participants dans les domaines d’action militaire commune. Même lorsque les unités disposent du matériel suffisant, il faut mettre sur pied des Etats-majors multinationaux qui nécessitent des moyens, notamment de commandement n’étant pas toujours disponibles. La solution aux dires de certains experts militaires passerait par la création de modules de forces en attente, pour d’autres, à disposer de stocks de matériels pré-positionnés. En fonction des besoins des Etats africains contributeurs de la force, des partenaires non africains pourraient également fournir un appui dans le domaine des transports, ou faciliter l’affrètement de moyens. Ces offres de projection de troupes resteraient généralement soumises à un accord d’Etat à Etat. Agissant sous le registre de RECAMP, la France pourrait appuyer la coordination et la planification de ces mouvements qui pourraient être terrestres, maritimes ou aériens.

Le déploiement de la FOMUC en République Centrafricaine en décembre 2002 fut une illustration de cette improvisation. Dotée d’un contingent insignifiant soit quelques 380 soldats sous le commandement du Général gabonais Auguste Itandas, à l’origine la force avait pour mission la sécurisation de la ville de Bangui aux côtés de l’armée loyale, néanmoins la faction restée fidèle au président Patasse. Rapidement mise à l’épreuve du combat par les hommes du Général Bozize lors de la prise de Bangui, la FOMUC allait redéfinir l’objet de son mandat en oeuvrant dans le désarmement des milices après avoir pris acte du renversement par les armes du régime qu’elle était censée protéger. Ce qu’il convient de souligner c’est que l’institution de la FOMUC fait office aujourd’hui de seul cadre fiable opérationnel dans les missions d’intervention et d’interposition en Afrique centrale - suite à l’inaction de la FOMAC demeurée jusqu’à présent une simple consignation sur papier -, si sa structuration et son organisation laisse entrevoir un outil militaire adapté, des manquements significatifs sont observés au niveau des équipements et même des effectifs. (Composition de la structure : un commandant de la force du grade de général, un Etat-major commandé par le chef d’Etat-major du grade de colonel. L’Etat-major comprend : 1) des cellules (opérations, transport, commandement de base, personnel, logistique, administration et finance, santé). 2) Un bataillon de maintien de la paix composé de trois compagnies formées par les contingents des Etats participant à la mission.)

A titre indicatif des moyens dérisoires dont sont dotées les forces de maintien de la paix en Afrique subsaharienne, on peut justement faire état du matériel de la FOMUC lors de cette intervention en République Centrafricaine :

  • des véhicules légers tout terrain (VLTT), jeep p4 Toyota Land Cruiser, Nissan Pick up Mitsubishi double cabine, Nissan Terrano ;

  • des véhicules pour le transport des troupes Marmon Sumb GBC 8 KT poly carburant ;

  • des véhicules blindés AML 90 d’un canon de 90 mm, VAB armé d’une mitrailleuse 12,7 mm ;

  • des véhicules de soutien GBC 8KT LOT 7 pour le dépannage sur le terrain, GBC 8 KT citerne d’une contenance de 5 mètres cube, Nissan ambulance.

Les armements étaient constitués de dotation individuelle et collective dont : 1) armes de dotation individuelle : PA MAC 50, FAMAS ; 2) armes de dotation collective : mitrailleuses 12,7 mm ; 14,5 mm ; AA 52 ; lances roquettes antichars (LRA) de type RPG 7.

De cette opération au bilan mitigé, on peut en faire des perspectives. La force qui s’engage dans une opération de ce type a généralement besoin d’une mise en condition opérationnelle (MCO) destinée à atteindre les niveaux de cohésion et de cohérence opérationnelle requis, ce qui lui permet d’atteindre une certaine échelle de puissance. La mise en condition opérationnelle peut de ce fait être assurée par des détachements d’instruction opérationnelle, mis en oeuvre par la France et d’autres Etats volontaires auprès des Etats-majors ou des unités avant leur engagement. En outre, si les besoins sont ressentis, les forces africaines déployées dans une mission précise peuvent être renforcées et ce, afin d’accroître leurs capacités dans la résolution de la crise. Un début de solution serait d’insérer des experts dans les structures de commandement pour assister les décideurs africains dans les domaines techniques et de procédures.

3 La dimension pédagogique des partenariats militaires occidentalo-africain : une dialectique au bilan mitigé

Mettant une fois de plus à contribution le concept de RECAMP, nous posons ici un regard critique sur l’adéquation entre les formations et les besoins de sécurité exprimés du champ. A travers une analyse focalisée sur le mode opératoire des « cycles de formation »[7], il s’agit de mettre en relief le volet tactique et opératique[8] et de mesurer la portée sur les initiatives de sécurité collective. La démarche tout en soulignant des manquements, relève aussi des avancées significatives.

Co-organisé par un ou plusieurs pays africains et la France, exécuté au niveau sous-régional et associant de nombreux partenaires internationaux, le cycle de formation au titre de RECAMP vise en priorité d’une part la prise de décision et la planification aux niveaux stratégiques et opératifs, et d’autre part l’interopérabilité des forces. Cet entraînement comprend trois axes : un exercice majeur au profit d’une des organisations sous-régionales, des cycles intermédiaires dans les trois autres sous-régions et des exercices hors cycles. Schématiquement, les rubriques suivantes peuvent apparaître :

Tableau

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L’entraînement dans le cadre d’un cycle de formation RECAMP observe un processus. Il s’agit d’un outil de synergie entre les différents pays qui développent des actions de coopération militaire en vue d’un idéal commun : la sécurité collective. Cet idéal est d’autant plus d’actualité que les Etats concernés éprouvent les mêmes besoins pour pallier aux problèmes communs de sécurité.

La planification de chaque cycle RECAMP est lancée par une conférence d’initialisation qui se déroule dans les structures de la sous-région, et ce, afin d’impliquer la sous-région bénéficiaire toute entière. Le séminaire politico-militaire qui rassemble les responsables politiques et militaires est une tribune d’échange et de partage d’expériences dont les thèmes sont orientés sur les problèmes que connaissent les pays de la sous-région concernée. Cette étude de cas assez syncrétique ne met nullement en relief toute la complexité des contours de la formation, elle s’oriente néanmoins vers une interrogation sur le contenu des formations en terme d’adaptation à l’environnement de sécurité.

L’orientation des activités de par leur actualité laisse présager une certaine efficacité quant à l’objectif escompté. La conférence stratégique est de ce fait opportune. Dans son aspect technique, la conférence stratégique a pour objet d’entraîner les structures politico-militaires et un commandement stratégique. Concrètement ceci consiste à planifier une opération de soutien de la paix dans le cadre de la directive initiale rédigée par l’ensemble des participants au cycle, c’est-à-dire un plan d’opération qui doit être validé au niveau politique.

L’exercice militaire en lui-même accorde une priorité à l’entraînement d’un Etat-major de force multinationale, dans les domaines de la planification et de la conduite des opérations, au travers d’un exercice de PC (CPX) qui constitue le coeur de l’exercice. Pour renforcer l’interopérabilité des armées de la sous-région, un exercice avec troupes (FTX) - field troop, exercice avec troupes - d’ampleur limitée est mis en oeuvre. L’orientation de l’exercice vise à instruire et entraîner une force multinationale africaine, pouvant être interarmée. Cette force est placée sous l’autorité de l’Etat-major multinational mis sur pied lors du CPX (command post exercise, exercice d’Etat-major sans troupe).

La stratégie développée par RECAMP illustre une synergie entre différents pays dans l’optique des actions collectives sans toutefois empêcher la possibilité des armées nationales d’une montée en puissance. A la fin du cycle de formation, une équipe d’évaluation est mise sur pied pour dégager les enseignements de l’exercice. Cette équipe associe les structures militaires de la sous-région. Les conclusions de cette équipe permettent d’établir des perspectives pour une amélioration nécessaire pour les cycles futurs, et l’augmentation considérable des capacités de maintien de la paix à travers l’ adaptation des forces et des instruments de veille stratégique[9] aux différentes configurations des crises. Au regard de cette dernière hypothèse, la crise qui surgit en Côte-d’Ivoire en 2002 et ce après le coup d’Etat de 1999, pourrait se présenter comme un échec de RECAMP. Tout au moins du point de vue de la prévention.

Du point de vue opératique, l’intervention des forces sous-régionales (CEDEAO) dans la crise sus mentionnée a montré que les armées africaines possèdent de plus en plus un savoir-faire au niveau des unités ou des Etats-majors déployés sur un théâtre d’opérations militaires. Elles s’adaptent aux nouvelles missions des forces d’intervention en matière de maintien de la paix.

4 L’institution militaire en tendance : l’appropriation des partenariats par les corps politiques africains comme facteur d’adaptation institutionnelle

La réforme du secteur de la défense et de la sécurité en Afrique subsaharienne est de nature politique et stratégique. Elle relève d’une évidence ; celle du déplacement de la conflictualité, passée successivement du stade de la guerre « officielle » à celui d’affrontements indirects conduits sur les territoires, le plus souvent urbain. L’armée qui, en Afrique, joue un rôle fondamental dans la cohésion nationale et la stabilité sociale, s’adapte-t-elle à ce nouvel environnement ? Somme toute, l’évolution des formations, des missions et des doctrines s’inscrit de plus en plus dans l’ordre de la « gendarmisation »[10] institutionnelle.

Grâce aux partenariats des Etats-Unis et à une grande expérience en matière du maintien de la paix – participation des forces dans les différentes opérations de maintien de la paix de l’ONU depuis 1960 – certains pays tels le Nigeria et le Ghana présentent une relative autonomie en matière de formation de nouvelles générations de contingents au maintien de la paix. D’autre, tel le Cameroun grâce au partenariat avec la France est en bonne voie.

Au sein de l’Ecole Militaire du Nigeria, des enseignements spécifiques pour l’adaptation des forces à l’environnement de sécurité sont assumés par les structures telles :

  1. Le centre de recherche pour la paix , l’école d’infanterie, le collège de l’Etat-major, l’école de police. Les différents centres de logistiques, c’est-à-dire de ravitaillement, de transport, d’ordonnance médicale, et d’ingénierie en électronique offrent une formation pour le support logistique des troupes dans les situations de combat. L’école logistique de l’armée nigériane offre une formation qui est dirigée vers l’augmentation des sous-unités tels que des bataillons ou compagnies, des unités de transport pour le soutien des opérations militaires.

  2. Le centre de recherche sur la paix et la résolution des conflits de l’école militaire appréhende l’évolution de la société internationale à travers la complexification dans la gestion des crises et des conflits. L’Etat nigérian a multiplié les approches en matière de prévention, gestion et résolution des conflits dans cet environnement géostratégique différent. Le fonctionnement du centre de recherche sur la paix et la résolution des conflits met en relief un certain nombre d’aspects :

  • transmettre aux officiers des forces armées, à leurs homologues civiles ainsi qu’aux officiers de la police les connaissances sur les causes des conflits et les moyens de surveillance et de prévention de ceux-ci ;

  • organiser et encourager la recherche au niveau national, régional et international sur les origines du conflit et sa prévention, surveillance, gestion et résolution ;

  • développer des programmes de formation en maintien de la paix pour les armées ;

  • contribuer à la préparation du personnel de commandement et de soutien ;

  • organiser des conférences, études, et séminaires sur des sujets de défense et de sécurité ;

  • utiliser les contributions des officiers du Nigeria qui ont participé à des rencontres internationales, ainsi que les ressources de chercheurs internationaux.

Cette expérience nigériane qui fait du pays l’hégémon de la CEDEAO est semblable à celle du Ghana.

Pour pallier au handicap inhérent à un manque de centre d’entraînement adéquat au MP, les autorités politico-militaires du Ghana ont intégré des programmes d’entraînement au MP à tous les niveaux des formations au commandement. Ces programmes ont évolué avec l’intégration des expériences des forces armées ghanéennes (FAG) en tant qu’observateurs militaires et soldats de la paix. La formation des FAG dans le MP est l’apanage du collège de l’Etat-major et de commandement de l’Armée du Ghana. L’organisation de cette dernière institution présente une approche multidimensionnelle. Certains officiers des FAG participent à des cours de commandement et d’Etat-major dans plusieurs pays africains ; cela permet le transfert d’idées et de pratiques ainsi que la confiance entre différentes forces armées de la région. Le contenu du cours et la présentation sont conçus pour satisfaire les besoins du Ghana et de l’Afrique. Le volet théorique de la formation est axé sur :

  • le rôle de l’ONU et l’organisation de l’ONU, ainsi que ceux des agences spécialisées de l’ONU ;

  • l’environnement africain du maintien de la paix ;

  • le droit humanitaire international ;

  • le rôle des ONG dans les opérations de la paix ;

  • la commande des OMP ;

  • les expériences opérationnelles d’ECOMOG ;

  • la participation africaine aux OMP ;

  • la participation du Ghana aux opérations de support de la paix ;

  • la logistique des opérations de support de la paix…

Cet enseignement théorique est complété par la formation et l’entraînement spécifique au déploiement des troupes à l’école de combat.

Ce qu’il convient de souligner dans les deux démarches ci-dessus - nigériane et ghanéenne -, c’est l’innovation par retour d’expérience. Les deux pays ont su tirer profit des différentes opérations de maintien de la paix auxquelles ils participent depuis bientôt une cinquantaine d’années et ce, par une implantation au niveau national des structures de formation pour pérenniser les connaissances acquises. Mais cette adaptation des structures est loin de refléter l’efficacité de l’institution militaire dans l’accomplissement des nouvelles missions liées au maintien de l’ordre. L’armée nigériane à titre d’exemple a ces dernières années longtemps été mise sous la sellette de la communauté internationale à cause de la violation flagrante des droits de l’homme, notamment lors de ses interventions dans le delta du Niger[11].

Dans les pays francophones d’Afrique, l’appropriation des changements –par les corps politiques africains dont les Etats - par la création des structures autonomes de formation des armées aux nouvelles missions - est placée sous le signe d’une collaboration étroite entre pays bénéficiaires et la France. Pour le colonel Esposti[12], « certes, à travers son partenariat la France soutient son influence à l’extérieur, mais elle cherche aujourd’hui à rendre l’Afrique autonome ». L’une des orientations majeures du partenariat militaire français à l’instar du concept RECAMP vise le renforcement des écoles nationales à vocation régionale. Bien que financées par la France et d’autres partenaires (Canada, Allemagne, Pays-Bas …), ces écoles travaillent au profit de l’Union africaine ou de l’Organisation des Nations Unies. Les Etats nationaux et l’Union africaine en tant que corps politique s’approprient RECAMP avec le soutien de la France. De ce fait, la création récente des infrastructures ou la mise sur pied des structures destinées à la formation militaire de niveau supérieur dans quelques pays d’Afrique - enseignement militaire supérieur et formation aux nouvelles missions liées au maintien de la paix et de l’ordre - obéit à la volonté de plus en plus affirmée de décentralisation des formations jusque-là dispensées uniquement en France. L’avènement du cours supérieur interarmée de la défense (CSID) à Yaoundé et le pôle aéronautique national à vocation régionale de Garoua (PANVR) sont des illustrations concrètes de cette politique. Les fondements nouveaux[13] des critères de la coopération militaire dans les décrets présidentiels de 2001 inhérents à la réforme des armées au Cameroun sont révélateurs des attentes institutionnelles dans la perspective de l’adaptation des moyens.

Le partenariat militaire franco/camerounais dans le domaine du maintien de la paix se situe à travers une démarche pédagogique et une préparation à des exercices conjoints[14]. Depuis l’élargissement du champ d’intervention des forces de défense aux opérations de maintien de la paix (OMP) et aux activités humanitaires, la formation militaire générale dispensée à l’école militaire interarmes (EMIA) de Yaoundé a suivi. Le cursus des formations des élèves sous-officiers et officiers inclus des enseignements du Droit international humanitaire et des Droits de l’homme en général.

Dans le même registre, le centre de perfectionnement aux techniques de Maintien de l’ordre (CPTMO) d’AWAE[15] créé en février 2000, participe de l’adaptation institutionnelle à travers la formation, le recyclage et le perfectionnement des personnels officiers et non officiers de la Gendarmerie en Maintien de l’ordre. Les enseignements du CPTMO sont orientés dans le respect des droits de la personne. Par ailleurs la coopération entre les deux Etats a permis la création en janvier 2000 du pôle aéronautique à vocation régionale de Garoua au nord Cameroun. L’objectif à priori de cette structure est de réaliser la sélection, la formation et le perfectionnement des personnels navigants et non navigants officiers et sous-officiers des armées de l’Air africaines.

Pour atteindre ces objectifs, l’encadrement pédagogique est composé des officiers français et camerounais tous spécialistes dans leur domaine. La fonction de directeur des études est tenue par un officier supérieur français du corps des officiers de l’armée de l’Air. Les modules de formation se résument aux stages suivants :

  • sélection en vol permettant une meilleure orientation vers une école de pilotage ;

  • spécialisation pilote observateur ;

  • observateur ;

  • formation initiale sur tétras ;

  • pilote moniteur ;

  • instruction opérationnelle C 130 s’appuyant sur le détachement d’un C 130 français avec équipage ;

  • formation de mécaniciens sur tétras.

Les négociations, au sein de la Direction de la Coopération Militaire et de Défense concernant la décentralisation d’une école nationale à vocation régionale de toute ou une partie de la formation des pilotes militaires africains de la zone francophone, remontent à l’année 1997. Le format de cette école est définitivement établi en juillet 1999 et une première convention est ratifiée par les deux parties - France et Cameroun - en février 2000. La même année 4 aéronefs Tétras sont livrés à l’Armée de l’Air camerounaise. La convention finale est ratifiée le 13 décembre 2000, et le premier vol Tétras à Garoua est effectué le 19 décembre de la même année. Le décret présidentiel n° 2004/054 du 23 mars 2004 parachève l’organisation et le fonctionnement de l’école.

Au final, l’examen de la mise en oeuvre des partenariats de défense fait observer le passage progressif d’une armée des « habitudes de défense » à l’armée des « besoins de sécurité » en Afrique avec pour tâche majeure la consolidation de l’Etat de droit. D’autre part, la montée en puissance des armées nationales ne fait-elle pas de ces Etats des réservoirs de forces pour les besoins de maintien de la paix sous label des Nations Unies ? Ce qui semble pour bon nombre d’observateurs une hypothèse plausible au regard du déploiement tout azimut en Afrique des nouveaux partenariats occidentaux pour la défense.