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La gestion de la diversité religieuse et culturelle, la religion et la mondialisation, la sécularisation et la laïcité et les rapports majorité/minorité ne sont que quelques-uns des enjeux que la question des écoles privées confessionnelles permet d’analyser et qui sont traités dans les textes que nous réunissons dans ce dossier.

Depuis le milieu du XXe siècle, la mondialisation économique et symbolique d’une part et la libre circulation des individus d’autre part ont conduit à une pluralisation croissante du paysage religieux européen. Les États sont confrontés à de nouveaux défis et amenés à gérer un fait religieux de plus en plus visible dans un espace plus ou moins public. Face à ces enjeux, des identités individuelles se cherchent et se réaffirment dans l’espace public tout comme dans l’espace privé (Ferrari et Pastorelli 2012).

La cohabitation entre diversité/pluralité religieuse et sécularisation, apparaît comme une source potentielle de tensions, conduisant les pouvoirs publics à intervenir, de façons diversifiées, pour réguler le fait religieux. Dans ce contexte, l’analyse de la gestion du religieux en milieu scolaire permet de saisir les débats en cours sur la visibilité du religieux dans l’espace public et sur le religieux lui-même ; l’analyse du rapport État/religion/école devient alors une question primordiale.

Pour ce qui est des relations entre État, religion et éducation, elles semblent être dépendantes « d’une part, de l’importance de l’intérêt éducatif de l’État et, d’autre part, des rapports entre institutions religieuses et État » (Willaime 1990 : 137). Elles résulteraient des caractéristiques socioreligieuses spécifiques à une société donnée, qu’elle soit monoconfessionelle, biconfessionelle ou pluriconfessionelle. La recherche sur les écoles confessionnelles permet de contribuer à l’analyse de la recomposition du panorama religieux. En effet, la demande de constitution d’écoles privées confessionnelles est le résultat de la volonté d’organisation d’un mouvement religieux donné à la suite de sa sédentarisation sur un territoire. La réponse que les États apportent aux demandes de reconnaissance et de visibilité des diverses communautés religieuses est révélatrice de la manière dont ils gèrent et aménagent la diversité religieuse croissante et les défis qu’elle pose. L’histoire, une certaine conception de la citoyenneté et de l’État ainsi que d’autres données sociopolitiques sont à prendre en compte lorsque l’on considère la manière dont chaque pays appréhende et gère cette pluralisation. Les rapports minorité(s)-majorité(s) jouent dans ce cadre un rôle majeur, car il ne s’agit pas seulement de cultes historiquement moins enracinés sur le territoire d’un pays, mais aussi de confessions parfois numériquement minoritaires. Pour ces raisons, l’école représente donc un objet privilégié d’observation de la gestion publique de la diversité/pluralité religieuse croissante (Giorda 2015 ; Pastorelli 2010).

D’un point de vue sociologique, il est possible de rendre compte à partir de travaux de terrain du fonctionnement interne des écoles confessionnelles et de comprendre comment le religieux se met en place dans les établissements. D’un point de vue socio-politique par ailleurs, il importe d’observer comment les écoles confessionnelles, porteuses d’une tradition religieuse et culturelle spécifique, intègrent le système éducatif d’un pays et, par conséquent, sont censées respecter un certain nombre de règles et de pratiques locales visant le respect de l’intérêt général. C’est ainsi que des accommodements sont possibles, voire nécessaires, entre les écoles confessionnelles d’un côté et les institutions étatiques de l’autre, pour assurer le respect des normes tout en permettant aux établissements confessionnels de garder leur identité et leur spécificité religieuse.

À l’échelle nationale et internationale, les études sur l’enseignement du fait religieux à l’école publique se sont multipliées au cours des dernières années ; le nombre d’études portant sur les écoles confessionnelles demeure cependant encore limité. C’est à partir de ce constat et de nos terrains respectifs sur l’enseignement de l’histoire des religions à l’école (Giorda 2011, 2014, 2015) et les écoles privées confessionnelles des cultes minoritaires (Pastorelli 2010), que nous avons pris l’initiative d’inviter des chercheurs spécialistes des écoles confessionnelles à nous rejoindre dans le cadre d’une session thématique afin de rendre compte de l’état de la recherche. L’idée était de réunir des chercheurs travaillant dans divers champs et de nourrir la réflexion dans un esprit comparatif et interdisciplinaire. C’est ainsi que, lors des colloques de la Société Internationale de Sociologie des Religions (SISR), nous avons organisé une première session en 2013 et, au vu de l’intérêt suscité par cette première rencontre, une deuxième session en 2015[1].

Ce dossier de la revue Eurostudia se veut une première restitution des travaux de ces deux sessions. Il donne suite à la constitution d’un réseau international de chercheurs travaillant sur les écoles confessionnelles dont les membres se retrouvent périodiquement aux conférences de la SISR pour faire le point sur les travaux en cours.

Deux contributions de ce numéro portent sur les cas spécifiques d’écoles juives et catholiques. Il s’agit d’études de terrain approfondies au sein d’établissements de ces deux confessions. La troisième contribution porte quant à elle sur une école internationale qui accueille, en territoire français, des étudiants provenant d’univers religieux et culturels différents.

Dans « Des enjeux d’intégration d’une communauté minoritaire : l’exemple de quatre écoles juives à Montréal », Sivane Hirsch fait état d’une enquête réalisée à Montréal dans quatre écoles primaires juives de sensibilité orthodoxe moderne, sépharade, communautaire/non confessionnelle et libérale laïque/pluraliste. Ces écoles ont en commun le projet « d’éduquer les jeunes générations comme des juifs montréalais », tout en essayant de « faire le lien entre judaïsme et monde actuel » (Hirsch dans ce numéro : 17). Dans son article, Sivane Hirsch examine la manière dont ces établissements intègrent le curriculum québécois dans un projet éducatif spécifiquement juif. Il s’agit de composer entre les modalités de construction d’une identité religieuse, juive et, en même temps, celle de citoyen québécois. Autrement dit, il s’agit d’analyser les tensions entre « les deux pôles d’appartenance des élèves » (Hirsch dans ce numéro : 3) : leur communauté et la société dans laquelle ils grandissent et dont ils seront citoyens.

C’est encore le Québec qui est le terrain de la seconde étude, réalisée par Julia Martínez-Ariño et Solange Lefebvre dans deux écoles secondaires catholiques ou d’orientation catholique, l’une anglophone et l’autre francophone. Les auteures insèrent leur analyse dans le cadre des débats sur la déconfessionnalisation des institutions, de la diversification religieuse de la société et, plus largement, des reconfigurations du catholicisme canadien. Leur enquête permet notamment de rendre compte des tensions existantes entre les autorités religieuses et séculières. Il s’agit là de faire état des réactions de deux établissements catholiques face à l’insertion, dans le curriculum scolaire, du programme d’éthique et de culture religieuse (ECR). Si, dans le contexte anglo-saxon où le catholicisme reste minoritaire, cet enseignement est vivement contesté, c’est dans l’établissement francophone, témoignant une sécularisation interne plus importante, que l’enseignement ECR s’insère plus naturellement dans le cursus scolaire. L’article de Julia Martínez-Ariño et Solange Lefebvre permet de montrer, au prisme des écoles catholiques québécoises, les tensions existantes entre identité religieuse et l’État dans un processus plus général de pluralisation religieuse de la société et de gestion de la diversité.

Dans le cadre d’une étude collective sur les écoles confessionnelles, il nous a semblé intéressant d’insérer la recherche de Ludovic Robert qui a réalisé un terrain dans une école française assez particulière, l’École Internationale Provence-Alpes-Côte d’Azur. Dans le contexte de l’éducation, cette fois-ci publique, française et laïque, s’insère le cas de cet établissement international qui accueille, sur la base d’une initiative du Ministère des Affaires Étrangères, les élèves dont les parents travaillent dans un projet de recherche international sur le nucléaire. Trente sept nationalités se côtoient au sein d’un établissement qui est censé composer avec la diversité culturelle plutôt que religieuse dans le cadre d’une école qui reste laïque et d’un système public. L’exemple fournit un aperçu des contradictions et des enjeux relevant des questions sur l’interdiction des signes ostentatoires religieux et de l’enseignement du fait religieux à l’école. Le lecteur retrouve ici un aperçu des tensions auxquelles font face les enseignants obligés de composer, d’une part, avec les demandes des parents, la diversité culturelle et religieuse des élèves, leur propre ressenti par rapport à ces mêmes tensions et, d’autre part, les exigences de la laïcité dans le cadre scolaire.

Les recherches sur les écoles confessionnelles sont éparpillées et parcellaires, mais indispensables à la compréhension des politiques publiques actuelles à l’égard du religieux. Ce dossier d’Eurostudia se veut une première contribution visant à combler cette lacune. Les trois études de terrain ici réunies représentent un laboratoire pour l’étude des tensions (Bader 2010) à l’oeuvre entre les principes démocratiques de liberté, d’égalité et de neutralité et la culture majoritaire historiquement ancrée, celle qui vise la sauvegarde de l’intérêt général et, pour reprendre une expression qui est désormais intégrée dans le langage commun, « l’unité dans la diversité ».