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La mondialisation entraine une révision continue des équilibres, obligeant les démocraties libérales à composer avec une pluralité culturelle de plus en plus diversifiée. En France, certaines écoles publiques disposent d’une telle diversité de cultures qu’elles centralisent au sein de leur établissement des dynamiques d’acculturation, d’interculturation et d’enculturation (Barthoux 2008), reflets des enjeux de la mondialisation.

Dans le cadre de ma recherche de terrain en sciences des religions, je m’intéresse à une école internationale publique créée à Manosque en 2009, à la demande du gouvernement français, suite au lancement du programme de recherche nucléaire mondial ITER (InternationalThermonuclear Experimental Reactor). Celle-ci accueille des personnes de 34 nationalités différentes et propose des cours répartis en six sections linguistiques (anglais, allemand, espagnol, italien, chinois et japonais). L’école n’est ni confessionnelle, ni totalement européenne. Elle se situe à la croisée de plusieurs filières d’enseignement, tout en étant considérée comme une école publique.

L’intérêt de l’étude repose sur l’aspect unique de cette école. Aucune autre école en France ne propose une telle organisation et une telle gestion interculturelle. En effet, la direction de l’établissement souligne les aspects culturels et linguistiques des élèves, tout en respectant la laïcité scolaire (Estivalèzes 2005). Dans un tel cadre, la direction de l’École Internationale Provence-Alpes-Côte d’Azur doit prendre en compte à la fois les normes imposées par l’Éducation Nationale et les demandes des nouveaux arrivants, fortement impliqués dans le processus d’éducation de l’établissement.

Dans cet essai, je présenterai en premier lieu l’école et le contexte, puis je montrerai en quoi, bien qu’étant une école publique, le religieux est important au sein de l’établissement. Nous verrons ainsi toutes les contradictions apparentes entre interdictions et réalisations au sein de cet établissement.

1 L’École Internationale Provence-Alpes-Côte d’Azur[1]

Le cas des écoles d’Alsace-Moselle qui disposent du droit à l’éducation à la religion est débattu depuis longtemps, mais celui de l’école de Manosque est très récent.

L’École Internationale, en Provence, accueille chaque année de nombreux élèves venant de l’étranger, dont les parents viennent travailler sur un projet de recherche nucléaire. Des personnes issues de 37 nationalités différentes, dont des locaux, se côtoient ainsi dans l’école. L’originalité du projet repose sur la promesse du gouvernement français de créer une école qui accueillera et soulignera toutes les cultures au sein d’un établissement public afin d’obtenir la réalisation du projet ITER sur son sol. La réalisation de l’école a ainsi été signée directement par l’Élysée. L’intérêt de la recherche est de voir de quelle manière cette école, qui prône sa diversité culturelle, évolue dans un contexte laïque, dont les normes sont très rigides. Après cinq années de recherche, d’entrevues et de cueillette de données[2], l’évolution de cette école apparait clairement au sein du contexte établi précédemment.

Manosque est une ville du sud de la France qui a fait face à différentes vagues et différentes sortes d’immigration durant son histoire. Elle connut notamment une immigration « non désirée », avec la venue des Harkis qui fuyaient leur pays à la fin de la guerre d’Algérie au risque d’être les sujets d’un véritable massacre. Cette communauté est très présente à Manosque et n’est pas encore véritablement considérée en matière d’emploi[3]. À l’inverse, une nouvelle immigration a récemment fait son apparition dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et se voit dérouler le tapis rouge par les collectivités territoriales. Cette immigration « désirée », économique, survient avec le plus grand projet de recherche nucléaire au monde : le projet ITER, dont le but est de recréer l’énergie des étoiles par la fusion, ce qui permettrait la production d’une énergie sans pollution. Le projet est financé par des fonds européens, américains, japonais, coréens, indiens, russes et chinois et rassemble des scientifiques de 34 nationalités. Ainsi, avec ce projet, une population très diversifiée s’installe à Manosque et dans les villes alentour.

Il existe donc d’un côté une immigration qui s’est installée à Manosque durant plusieurs phases d’immigration et qui essaye de s’intégrer à la culture de la ville, de la région et de la France, et de l’autre une immigration pour laquelle les collectivités proposent les meilleures conditions d’accueil. Si cela se perçoit quand on regarde les activités proposées par la ville[4], l’enjeu central se situe dans les écoles. Les enfants des premiers vont à l’école du quartier et sont interdits de porter le voile, car tout affichage identitaire religieux y est interdit, et les enfants des ingénieurs d’ITER se voient proposer une école internationale publique, inscrite au sein de l’Éducation Nationale, ouverte à tout autre élève, moyennant un examen d’entrée, et qui accepte toutes les représentations culturelles. Celle-ci doit cependant respecter les principes laïques français.

Aussi, lorsqu’un professeur proposa de faire une crèche à Noël, celle-ci fut interdite par la direction de l’École en invoquant le principe de laïcité. Cependant, la vocation de l’École Internationale est de développer les échanges entre les cultures des élèves, ainsi que les aspects identitaires de la culture de chacun. Il arrive alors à la direction de l’école de souligner des fêtes interprétées comme culturelles bien qu’elles aient un aspect religieux. Lors d’un de mes séjours, professeurs et élèves de la filière indienne choisirent de célébrer la Fête de Navrati, avec l’accord de la direction. Il s'avère que cette fête, après consultation du journal d'information de l’école, est la fête hindoue de Navrati, en l’honneur de Shakti, déesse de la féminité. Au cours de cette célébration, une prière fut réalisée dans la cour.

L’identité des élèves ne se caractérise pas uniquement par leur culture, mais également par leurs croyances. Il est délicat pour la direction de l’École de distinguer croyance et culture. Même certaines distinctions qui paraissent évidentes à la direction de l’École ne le sont pas toujours. Ainsi, si celle-ci n’est pas en mesure de déterminer si la fête de la Lune est une fête culturelle ou religieuse, il lui apparait clair qu’une crèche à Noël arbore un aspect religieux. Or, pour un Italien travaillant au sein de l’établissement étudié, qui a toujours fêté Noël avec une crèche, en famille, en ville ou à l’école, cela peut relever autant du culturel que du religieux. La tradition religieuse fait partie de l’identité du croyant. La volonté multiculturelle de l’école de Manosque oblige alors à des concessions sur la laïcité. Celle-ci ne peut être appliquée aussi strictement que dans la plupart des autres écoles publiques françaises.

L’identité de cette école est la multiculturalité sous couvert de la laïcité[5]. De plus en plus, les enseignants engagés sont issus de l’Éducation Nationale où ils représentent l’État, la République. Si les cours donnés se font par langue de section, selon la langue d’appartenance des élèves[6], ils se font également en français. La particularité de l’école étudiée est de permettre aux élèves d’intégrer le système scolaire français, tout en gardant leur langue d’origine, comme ce fut le cas avec les instituteurs de la République au XVIIIème siècle (Ozouf, J. et M. Ozouf 1992). Cette particularité la distingue de tous les établissements publics français qui ne tiennent pas compte de la langue d’appartenance de leurs élèves. La méthode de « républicanisation » (Burguière 1975) de la France continue ainsi, non plus auprès d’enfants locaux disposant d’une langue régionale différente du français, mais au sein de classes à forte diversité, dont les enfants sont issus de l’immigration.

L’École Internationale offre ainsi une nouvelle forme d’enseignement, de socialisation, et surtout d’intégration à la société française. Si cette intégration n’est pas la volonté de tous les élèves, de plus en plus d’élèves de cette école font le choix de rester en France, avec ou sans leur famille. Selon plusieurs intervenants de ma recherche (enseignants et anciens élèves), ce n’est pas l’identité nationale prônée par la République, et représentée par la laïcité, qui permet d’intégrer ces futurs adultes, mais le respect de leur culture et de leur langue d’appartenance.

2 L’importance du religieux au sein de l’École Internationale

Pour mettre en avant sa diversité, cette école organise des fêtes culturelles. Les fêtes religieuses, école publique laïque oblige, n’y sont pas admises, tout du moins si tout le monde est en mesure de les reconnaitre. Ainsi, Noël et Pâques sont fêtés sans aucun symbole religieux, ce qui est le cas pour toutes les écoles publiques françaises, tandis qu’une fête religieuse, éloignée du bagage culturel français, pourra être célébrée au sein même de l’établissement, sous prétexte que le public qui assiste à cette célébration n’est pas en mesure d’interpréter les symboles religieux. Il n’y aurait alors pas de prosélytisme[7].

L’École Internationale montre ainsi toute la difficulté du respect strict de la laïcité dans le cas de religions et de traditions éloignées des références culturelles et religieuses prégnantes en France. La culture y est mise de l’avant et le religieux en est écarté. Cependant, par une méconnaissance de la distinction entre culturel et religieux, de nombreuses fêtes célébrées au sein même de cette école sont religieuses. Si la règle de l’École est de ne célébrer que des fêtes culturelles, pour éviter tout prosélytisme, il y a tout de même une connaissance de la part de professeurs et du personnel administratif du fondement de ces fêtes. Ainsi, les professeurs se demandent à chaque célébration ce qui est religieux ou non, mais seule la direction de l’établissement tranche la question. Si une fête religieuse chinoise ou hindoue est célébrée, un responsable administratif le justifie en déclarant : « Pour les danses indiennes qui sont faites je ne pourrais pas dire. […] Personne ici n’est capable de dire que si une personne fait un geste dans un sens ou dans l’autre ça a rapport avec Dieu, donc ce ne sera pas du prosélytisme. Parce qu’il faut que ce soit interprété par les personnes. Donc si y’a pas d’interprétation il n’y a pas de prosélytisme. »[8]

Les cas de refus de mise en avant de certaines fêtes ont été effectifs dans le cas de demandes liées à la religion chrétienne. Ainsi, si l’école fête Noël, l’épiphanie et Pâques, elle les célèbre en parlant aux élèves du Père Noël, du disque d’or représentant le soleil pour la galette des rois, et des cloches ou du lapin de Pâques. À chaque fête chrétienne se substitue son équivalent païen ou non religieux, ce qui engendre une frustration de la part de quelques enseignants puisque d’autres fêtes sont présentées par des sections linguistiques de l’école et s’avèrent être des fêtes religieuses, comme la fête de Navrati précédemment citée.

La direction de l’établissement considère que si personne n’est pas en mesure d’interpréter un symbole, hormis ceux qui maitrisent le code symbolique, alors il n’y a pas de danger pour la laïcité puisqu’il n’y a pas de prosélytisme. Cependant, la limite entre symbole culturel et religieux étant souvent trop mince, cela pose beaucoup de difficulté au corps enseignant : « Par exemple l’année dernière on avait fait un sapin de Noël et les enfants avaient mis l’étoile sur le sapin et certains [enseignants] pensaient que ce n’était pas bien de mettre l’étoile sur le sapin de Noël, parce que c’est un signe religieux. »[9]

Ce qui ressort le plus de mes entrevues est cette appréhension de ne pas voir de débordement concernant les fêtes, au point de modifier certaines d’entre elles, de peur d’y montrer des aspects religieux. Les exemples à ce sujet sont nombreux. Une réelle crispation autour du sujet peut prendre des proportions étonnantes, au point de recevoir les moqueries de quelques enseignants. Pour un ancien directeur, Halloween avait une connotation religieuse, alors il fut question « de la fête des potirons »[10]. Au sein de l’école, « tout le monde s’est marré, les profs, les parents, tout le monde, parce que ça veut rien dire »[11]. Pour Noël, tant qu’il n’y a pas de « crèche au pied du sapin, Noël peut être laïque »[12]. Pour les vacances de la Toussaint, l’expression a été remplacée par « les vacances d’automne »[13]. Les étrangers qui fréquentent l’École Internationale ressentent cela comme une hypocrisie, voire une contradiction : « C’est hypocrite car c’est une société laïque, mais la moitié des fêtes sont des fêtes religieuses. Et dans l’école elles ne peuvent pas être célébrées alors que les Indiens ont fait une fête religieuse »[14].

Des enseignants, conscients de ces différences, vont même jusqu’à revendiquer des éléments culturels envers lesquels ils prêtaient peu attention avant de se les voir interdire :

J’ai dû beaucoup réfléchir sur ma position d’Italienne ici, catholique, habituée à avoir les droits d’une catholique. Ce qui est normal. Et de me mettre du point de vue d’un étranger qui arrive d’Italie et qui arrive à l’école avec la petite croix. Et ça on m’a dit tu l’enlèves. Et là ça a été… Ça m’a beaucoup remis en question. Et ça m’a choquée au début oui. Énormément. […] Je ne comprenais pas pourquoi je pouvais pas apporter ma petite croix. Et je me souviens d’avoir eu la réaction de me dire « vous ne voulez pas que je la porte et bien je la portai quand même, je ne fais de mal à personne je vais la porter quand même »[15].

Il peut y avoir incompréhension notamment parce que les enfants ont des droits que les enseignants n’ont pas, car ces derniers représentent la France. Ainsi, si « les enfants peuvent porter [la croix]. Toi en tant qu’enseignant tu ne peux pas car tu représentes le gouvernement français dans une école publique laïque »[16]. Ce qui est d’autant plus difficile à admettre pour des enseignants qui sont étrangers et contractuels. Ils ne dépendent pas directement de l’Éducation Nationale. Mais le fait d’évoluer dans un établissement public, et donc dans un contexte laïque, les contraint aux mêmes règles que les diplômés de l’Éducation Nationale.

Que ce soit dans une chanson ou sur un pendentif, les références à Dieu sont nombreuses, car bien souvent culturelles. Les symboles sont partout et il est difficile de les éviter. L’École Internationale sera toujours confrontée à la symbolique. Mais tout dépend de la notion que la personne en a. Une croix a du sens pour ceux qui en connaissent la référence chrétienne. « Est-ce qu’une croix dessinée par un enfant de cinq ans est du prosélytisme ou seulement un dessin d’enfant? »[17] De même, « la médaille de baptême ça rappelle la grand-mère qui a offert la médaille lors du baptême »[18]. Tout est sujet à appréciation. La direction de l’École décide ainsi pour chaque cas qui se présente, afin d’éviter tout prosélytisme.

Le sujet des « symboles ostentatoires » est capital ; il est au centre de nombreux débats sur l’éducation en France. En dehors des murs de l’École Internationale, les mêmes défis se posent. En novembre 2012, la direction de l’École décida que la fête allemande serait célébrée. Les élèves de la section eurent alors l’idée de proposer à la ville de Manosque de faire la procession aux flambeaux pour la fête allemande de la Saint-Martin, fête traditionnelle couramment célébrée en Allemagne. Afin de réunir un maximum de personnes, les enfants décidèrent d’organiser l’événement avec le prêtre de la ville, qui pouvait les mettre en relation avec d’autres personnes. Celui-ci accepta et leur proposa de présenter leur projet à la mairie. Mais la réponse de la municipalité ne fut pas celle attendue : elle refusa qu’une telle fête soit organisée en ville. Les enfants revinrent voir le curé et lui dirent « ça râle parce que la laïcité, et Saint-Martin, c’est religieux »[19]. Ce dernier leur demanda de décrire la célébration afin de trouver une solution, refusant de s’arrêter sur une décision jugée bancale. Les enfants lui expliquèrent que la célébration consiste en une procession à travers la ville avec des flambeaux. Et le curé leur répondit : « Mais les Français sont cons[20], […] appelez ça la fête des lumières »[21]. Les enfants demandèrent un nouveau rendez-vous à la mairie et proposèrent cette fois-ci de faire une célébration consacrée aux lumières, sans faire référence à la fête de Saint-Martin précédemment proposée. Ils proposèrent ainsi « la fête des lumières », sans en changer le moindre détail, hormis le nom. La mairie trouva l’idée excellente et la fête fut organisée. Il y eut donc refus d’effectuer une fête en ville au motif que celle-ci portait un nom religieux, alors qu’en gardant le même contenu et en changeant seulement le nom, celle-ci fut acceptée.

Dans un autre registre, la philosophe Catherine Kintzler voit un cours de religion au sein des établissements publics comme le risque d’une discipline « cheval de Troie » (Kintzler 1992), expression souvent reprise par de nombreux défenseurs de la laïcité. Ces derniers y voient un risque de voir apparaitre le spectre du christianisme dans un établissement scolaire de même que du prosélytisme. Il y a également la peur que les grandes confessions profitent de ce créneau pour s’introduire dans le milieu scolaire. Un tel enseignement risquerait alors d’être une porte ouverte à toutes les confessions religieuses. Il faudrait ainsi que le fait religieux soit enseigné au sein de cours déjà existants (Barthoux 2008).

Au sein de l’École Internationale, il existe un cours à propos duquel les intervenants sont restés vagues lors de nos rencontres. Disposant d’une section européenne, l’École doit dispenser un cours d’éthique au sein duquel les grandes religions sont abordées. Mais les enseignants ont pour consigne de ne pas en parler dans leur programme. Ainsi, la direction de l’École Internationale a décidé de remplacer le cours ethics, qui est « un cours de morale religieuse civique »[22], par un cours « axé sur la morale civique », car « l’Europe est beaucoup plus ouverte par rapport à la religion »[23], ce qui n’est pas le cas de l’instruction publique française. Ce cours est ainsi axé « sur les principales révolutions qui ont lieu, les grands principes »[24], en faisant « le lien avec le cours d’éducation civique[25] qu’il y avait avant dans les écoles »[26]. Donc la partie religieuse est exclue et ce cours se voit ainsi coupé d’une partie de son enseignement, au nom de la laïcité, ce qui donne un cours de moral education[27]. Au final, la section européenne de l’École Internationale est différente de celle des autres écoles françaises, privées, « car les autres écoles ont éthique et éducation religieuse, comme catholicisme et protestantisme et les différentes religions »[28], alors que l’École Internationale est un établissement public français, donc seule la partie ethics est offerte.

En dépit de ces règles instaurées, des enseignants parlent parfois de religion et constatent une certaine curiosité, voire une surprise, de la part des élèves. Un professeur de Sciences Économiques et Sociales rapporte en 2011 une anecdote lors d’un cours sur l'esprit du capitalisme dans lequel il aborda l’éthique protestante selon le sociologue Max Weber. De question en question, le professeur parla du calvinisme, de la doctrine du Salut et de la prédestination. L’enseignant constata que les élèves trouvèrent cela « vraiment intéressant »[29]. Dans le cadre du même cours, le début d’année est consacré aux classes sociales, à la structure de la société, et aux inégalités. Les auteurs abordés sont Marx, Weber et Bourdieu. L’enseignant commence son cours en « parlant des sociétés traditionnelles et des castes »[30], pour finalement parler de l’hindouisme. En 2013, les élèves, étonnés d’aborder une religion, ont demandé à l’enseignant si cette partie était au programme. Selon l’enseignant, ceux-ci « étaient un peu déstabilisés. Ils s’attendaient à un cours d’économie et le fait qu’on parle un peu de religion, ça les a surpris »[31]. Il y eut alors un réel intérêt pour le religieux au sein d’un cours, alors que cela soulève immédiatement la suspicion des élèves, conscients d’être dans un établissement public, où le religieux est interdit. Un paradoxe apparait. Alors qu’un cours du programme européen est censuré, car il ne peut y avoir de religion abordée en classe officiellement, le religieux est discuté dans le cadre d’autres cours. Cette thématique est même discutée dans le cadre des sections de Travaux Personnels Encadrés (TPE), séance de travail en groupe obligatoire, inscrite dans le programme officiel de l’Éducation Nationale. Les sujets abordés dans le cadre de ces travaux collectifs sont « beaucoup plus larges »[32], ce qui permet notamment de travailler sur le culturel et le religieux. Certains élèves ont « abordé les affaires de voile »[33], tandis que d’autres ont réalisé un travail à partir de l’ouvrage Totem et tabou de Freud. D’autres encore ont fait un travail sur les sectes pendant qu’un groupe travaillait sur les chamanes. Et dans un tel cadre, l’intérêt pour de tels sujets est très fort. Les élèves sont « passionnés »[34]. Pour l’enseignant d’économie, « les TPE permettent beaucoup de liberté »[35].

La peur de la direction de l’établissement de voir apparaitre toute notion à Dieu au sein d’un cours engendre des complexifications pour certains enseignants de l’École Internationale. Il fut notamment demandé à une enseignante d’origine italienne de couper des textes de chansons italiennes présentées dans le cadre de son cours, afin d’enlever toute référence à la religion chrétienne. Ainsi, elle ne peut « faire écouter des chansons aux petits de la culture italienne parce qu’il y a du religieux »[36]. Ainsi, elle a décidé de mélanger certaines chansons : « on écoute un début d’une chanson et la fin d’une autre chanson »[37].

3 Ce que nous apprend l’École Internationale

L’École Internationale soulève de nombreuses questions sur la place du religieux au sein d’un établissement qui se veut laïque et multiculturel[38]. L’État français, représenté dans les établissements scolaires publics du territoire par l’Éducation Nationale, donne pour consigne de mettre à l’écart toute symbolisation du religieux pour éviter tout prosélytisme. Un véritable « nivellement des valeurs religieuses » est opéré. Pourtant, avec un établissement tel que celui étudié, cela ne peut être effectué de manière stricte. L’École doit alors transiger entre respect de la laïcité et mise en avant culturelle, voire religieuse.

Cela ne se fait pas sans difficultés et incompréhensions du système français. Mon étude montre qu’un équilibre nait de cette diversité, tant culturelle que sociale ou professionnelle[39]. Ainsi, si l’acculturation républicaine laïque ne fonctionne pas totalement auprès de la population de cette école, nous observons l’émergence d’une autre forme d’intégration qui tente de respecter le système français. Les participations citoyennes d’enseignants ou de parents d’élèves nouvellement arrivés sont rares, mais une relecture de la laïcité française est effectuée par tous les acteurs de l’école afin d’intégrer au mieux la diversité qui se côtoie en ses murs.

Au final, la recherche effectuée met de l’avant les spécificités de cette école et démontre que, si le public de l’école est différent de celui des autres établissements français, les idées développées par l’École Internationale peuvent servir aux établissements scolaires publics.

Des intervenants de ma recherche perçoivent ce rejet du religieux, obligatoire étant donné le contexte, comme une hypocrisie. Que ce soit pour des fêtes, des symboles ou les cours, le religieux est présent, et vouloir le cacher ne fait qu’en susciter un intérêt encore plus grand. L’étoile sur le sapin de Noël est-elle religieuse ? Le fait de se poser la question fait porter l’attention sur l’aspect religieux de la fête, pourtant désirée laïque dans l’établissement. Une croix en pendentif est considérée comme un objet ostentatoire et doit être retirée. Cela soulève l’indignation et en fait un objet ostentatoire puisque dorénavant mis de l’avant pour aller à l’encontre de la règle. Alors que le cours d’éthique est amputé de sa partie religieuse, la religion est effleurée dans le cadre d’un autre cours. L’apparition de ce thème, habituellement tabou, suscite alors un grand intérêt de la part des élèves.

Ma recherche montre alors que la volonté de maîtriser les symboles et les représentations religieuses, parfois culturelles, tend à les renforcer en soulevant notamment un vif intérêt pour la question de l’identité. Les élèves, le corps professoral et le personnel administratif en viennent ainsi à se poser la question de ce qui est religieux et culturel, mais surtout, de quelle manière leur propre identité se situe, et se constitue, par rapport à toutes ces représentations visibles ou mises à l’écart. Ces questionnements et ces considérations, constantes au cours des années scolaires, engendrent des échanges qui permettent à tout le corps enseignant de proposer des solutions afin que chaque culture soit respectée de manière équitable. Ainsi, la direction de l’École, consciente que beaucoup d’enfants d’expatriés ne sont que de passage, espère tout de même permettre une intégration optimale des élèves en vue de les voir rester en France.