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Ce premier livre de Frédérick Bastien dérive de sa thèse de doctorat (soutenue à l’Université de Montréal), qui fut finaliste au Prix de la Fondation Jean-Charles-Bonenfant de l’Assemblée nationale du Québec. Il a également été finaliste pour le Prix francophone de l’Association canadienne de science politique (ACSP) de 2014. L’auteur est maintenant professeur à l’Université de Montréal.

Le but de cette recherche est de saisir le fonctionnement de l’infodivertissement tel qu’il se pratique à la télévision québécoise depuis plusieurs décennies. Tout le monde en regarde ! se subdivise en sept chapitres touchant successivement 1) l’historique de l’infodivertissement, 2) la dynamique des émissions où l’on traite de politique (à partir de certains cas limites), 3) les mécanismes des échanges de questions et de réponses, 4) le penchant plus ou moins calculé des politiciens en entrevue pour la confidence et la confession, 5) l’influence réelle des émissions d’infodivertissement et 6) les normes et la dimension éthique de ce type d’émission inclassable et hors norme. Les dernières pages ouvrent un débat sur l’avenir de l’infodivertissement. Sur le plan conceptuel, Tout le monde en regarde ! se range du côté de la sociologie des médias avec un ancrage théorique axé sur la tradition québécoise, laissant de côté les apports de la « Celebrity Culture » telle qu’on l’étudie en Grande-Bretagne.

Je proposerai ici une définition de manière provisoire. Genre hybride, l’infodivertissement combine deux genres télévisuels distincts et permet de légitimer ce qui demeure une formule axée essentiellement sur le divertissement en y incluant occasionnellement et à petites doses des touches d’information et de sujets sérieux. Quelques brefs extraits de ces émissions sont retranscrits et analysés.

Paraphrase du titre du film de John Ford Toute la ville en parle (1935) et du titre de l’émission française Tout le monde en parle, l’analyse de Frédérick Bastien s’intéresse aux discours des politiciens lors de ces émissions télévisées présentées aux heures de grande écoute. Dans son introduction, Frédérick Bastien a bien raison de relier plusieurs de ces émissions et bon nombre de chroniques dans les quotidiens montréalais à une certaine médiocrité (p. 5). Cependant, puisque tant de spectateurs les regardent (d’où le titre de l’ouvrage) et les lisent quotidiennement, leur influence semble indéniable et leur étude par des universitaires apparaît donc comme étant parfaitement pertinente. Le corpus choisi regroupe principalement des émissions québécoises (anciennes et actuelles) sur nos grandes chaînes, comme Le Poing J. de Julie Snyder, mais aussi La fosse aux lionnes (p. 4). Autrement dit, le meilleur côtoie ici le pire et l’analyse de Frédérick Bastien ne s’intéresse pas forcément aux concepts les plus instructifs ni aux échanges les plus nobles.

Destiné en premier lieu à un lectorat restreint de politicologues ouverts d’esprit et de sociologues des médias, l’ouvrage de Frédérick Bastien est indéniablement instructif. Quelques chiffres découlant de la recherche de Frédérick Bastien mériteraient une attention particulière, dont ceux portant sur la construction même de ces émissions par leurs animateurs respectifs, par exemple par rapport au fait que, lors de ces entrevues à bâtons rompus, on calcule que « 9 % du temps de parole portait sur la personnalité ou la vie privée des politiciens dans les émissions d’information, 34 % dans les émissions d’infodivertissement et 56 % dans les émissions de divertissement » (p. 71). Autrement dit, c’est le personnage même, sa personnalité publique et privée, et non le programme du parti ou le message politique, qui primerait dans ce contexte. Par ailleurs, sur la question de l’influence réelle des émissions d’infodivertissement au Québec, l’auteur reste plus timoré (p. 136). En revanche, le sixième chapitre sur les règles devant encadrer l’infodivertissement pose des questions fondamentales sur ce genre qui réussit à échapper aux réglementations en raison de son caractère hybride, bien que je doute de la possibilité réelle de pouvoir un jour réguler, voire d’accroître la légitimité de l’infodivertissement par des normes plus strictes, comme le souhaite un peu candidement l’auteur (p. 165). À mon avis, il faudrait plutôt voir l’infodivertissement comme une conséquence de la facilité à laquelle cèdent trop facilement tous les télédiffuseurs et même celui qui ne devrait pas céder en raison de sa mission de service public, à savoir la télévision d’État canadienne de Radio-Canada. Trop souvent, l’infodivertissement court-circuite les véritables émissions d’information, reléguées à RDI et aux chaînes généralistes, en accaparant une partie de l’auditoire qui se satisfait des contenus « légers » véhiculés par ce type d’émissions. Ceci correspond à un mécanisme que l’on appelle le nivellement par le bas. Ce que le livre ne dit pas, c’est qu’inversement, les émissions d’infodivertissement ont également besoin de réunir des « invités sérieux » et d’aborder des sujets graves afin de maintenir artificiellement et à bon compte leur niveau de crédibilité devant des sujets qui font consensus.

La communication politique peut étudier de diverses façons ce « glissement progressif » de la présence politique dans des émissions plus légères, qui ont souvent peu à voir avec l’information et les affaires publiques. Le divertissement au sens pascalien du terme apparaît de plus en plus comme condamnable, mais les politiciens, sous les pressions de leurs conseillers, peuvent difficilement éviter la tentation de jouer le jeu et de se présenter devant les larges auditoires canalisés par ce type d’émission. En ce sens, l’attitude de Frédérick Bastien envers ce phénomène est juste : il évite de dénigrer ou de disqualifier l’infodivertissement sans pour autant l’endosser ou le légitimer, car là n’est pas son propos. Dans la limite de ses moyens, il invite ses collègues à scruter les médias de masse pour les analyser et tenter de comprendre comment les vérités apparemment immuables de l’infodivertissement réussissent à obtenir tant de visibilité. Il évite par contre d’aborder la question fondamentale qui reste en suspens : est-ce le mandat de Radio-Canada de proposer dans sa grille – qui plus est aux heures de grande écoute – des émissions accrocheuses comme Infoman et Tout le monde en parle, qui constituent désormais, que cela nous plaise ou non et en dépit de leurs graves lacunes, la principale source d’information de beaucoup de gens à propos des affaires publiques et bien souvent leur seul contact avec les politiciens d’ici. Comme l’indique Frédérick Bastien dans sa conclusion optimiste, cette étude du petit écran est un des principaux défis des universitaires qui s’intéressent au rôle de la télévision dans une société pluraliste, à une époque où l’on semble avoir oublié l’idéal télévisuel d’autrefois (p. 176).