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Version remaniée de la thèse de doctorat de Mario Mimeault qui a mérité le prix Louise-Dechêne 2013 de l’Institut d’histoire de l’Amérique française pour la meilleure thèse en histoire de l’Amérique française, L’exode québécois est également récipiendaire du Prix Clio-Québec 2014 de la Société historique du Canada. Ces prix sont mérités. Il s’agit d’un ouvrage d’une grande qualité, d’une recherche originale et, surtout, d’une démonstration méthodologique qui sait jouer habillement des jeux d’échelles. Certains y verront également des points communs avec la démarche empruntée par Paul-André Rosental (Les sentiers invisibles. Espace, familles et migrations dans la France du 19e siècle, Paris, Éditions de l’EHESS, 1999), il y a une quinzaine d’années pour l’étude des migrations familiales dans la France du XIXe siècle.

Les grandes lignes de l’histoire de l’émigration des francophones hors du Québec sont connues. Du milieu du XIXe siècle jusqu’aux années 1930, 900 000 d’entre eux se dirigent vers les États-Unis, plus particulièrement en Nouvelle-Angleterre, mais aussi vers le Midwest américain. D’autres rejoignent le nord et l’est de l’Ontario, les provinces de l’Ouest et le Nord-Ouest canadien. Récemment, un Atlas historique du Québec consacré à la francophonie nord-américaine sous la direction d’Yves Frenette, Étienne Rivard et Marc St-Hilaire, a relevé avec brio le défi de suivre la piste de ces différents mouvements migratoires et peuplements francophones (La francophonie nord-américaine, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2012). L’ouvrage de Mimeault peut être vu comme un excellent complément, mettant cette fois-ci en lumière l’expérience migratoire de ces francophones par le biais de leurs propres mots.

Ces dernières années, de nombreuses études en histoire ont aussi été consacrées à la correspondance (notamment Yves Frenette, Marcel Martel et John Willis, dir., Envoyer et recevoir : lettres et correspondances dans les diasporas francophones, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2006). Ces recherches ont insisté sur l’importance de cet outil pour perpétuer les liens affectifs et familiaux et révélé surtout en quoi elles constituent une manière de recomposer la famille, de partager les difficultés, voire de combler des absences. L’étude de Mario Mimeault sur les échanges épistolaires entre le marchand gaspésien Théodore-Jean Lamontagne et ses enfants va exactement dans ce sens. Mimeault utilise la lettre comme source unique afin de recréer l’espace épistolaire des membres d’une même famille dispersée aux quatre coins du continent nord-américain dans le dernier tiers du XIXe siècle, d’étudier leur motivation à partir (qu’il appelle les « horizons d’attente »), leur capacité d’adaptation, leur champ migratoire, la fragilisation de leurs repères culturels et enfin, l’émergence d’une appartenance nouvelle. Au-delà des thèmes récurrents qui peuplent les lettres de la famille Lamontagne, l’historien note chez les migrants « une grande sensibilité à leur environnement et un regard qui en font des gens ouverts non seulement à tout ce qui peut affecter leur quotidien, mais aussi qui leur permettent d’en comprendre le sens et de s’y adapter » (p. 366).

Analysant un corpus inédit (et inespéré pour l’historien) de près de 2000 lettres, l’ouvrage est divisé en quatre parties regroupant neuf chapitres. La première (p. 37-122) est centrée sur la lettre en tant qu’objet, discours et instrument alors que la deuxième (p. 123-187) porte sur les scripteurs, leurs horizons d’attente et en quoi la lettre est l’expression de leur expérience migratoire. Dans la troisième partie (p. 189-290), l’auteur démontre comment ces stratégies migratoires qui sont celles des Lamontagne s’inscrivent dans une « culture migratoire » plus large que le cercle familial et héritée des générations précédentes. Enfin, la quatrième partie (p. 291-370) est consacrée au sentiment d’appartenance familial qui perdure en dépit de la distance géographique entre les fils, les filles et la figure centrale de cette correspondance, Théodore-Jean Lamontagne. En annexe, le lecteur pourra consulter quelques exemples de lettres tirés de ce riche corpus.

Au fil de l’étude, on découvre progressivement les parcours de vie des enfants Lamontagne et on les suit dans leurs différentes migrations à travers le continent nord-américain. Avec beaucoup de sensibilité, l’auteur rend compte de drames conjugaux, de violence au sein de certains couples, d’abandon, autant de difficultés qui n’aident en rien la migration et l’adaptation des enfants Lamontagne à leurs nouveaux milieux de vie. L’expression d’ambitions comblées ou déçues de « réussir » en affaire, de faire fortune dans l’Ouest ou de simplement faire sa place sur le marché du travail en filagrane de ces récits, contribue à donner un visage à ces centaines de milliers de migrants qui ont cherché dans l’« ailleurs » à améliorer leur sort et celui de leurs proches.

Si l’auteur a su habilement utiliser les expériences de vie de ces migrants pour illustrer ou corroborer ses hypothèses, on regrettera toutefois que son ouvrage de près de 450 pages ne soit pas plus concis. On sent encore bien la thèse derrière le livre, tant dans le style d’écriture, la présentation un peu trop « académique » et le recours répétitif, voire parfois superflu à la théorie. Il s’agit néanmoins d’un effort honnête de ramener à une dimension plus intime, plus humaine et même de faire une juste place au registre des émotions dans le domaine des études migratoires qui, bien souvent, sont un peu trop axées sur les statistiques et les modèles théoriques.