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Les Presses de l’Université Laval nous présentent une publication qui s’intéresse enfin à l’un des acteurs les plus importants de la guerre de 1812, les Amérindiens, ceux qui sont liés de près à l’histoire du Québec. Si l’on tient pour acquis qu’ils sont l’une des quatre raisons majeures évoquées par toutes les historiographies pour le déclenchement de la guerre entre les États-Unis d’Amérique et le Royaume-Uni, il y a de quoi se réjouir que l’on songe à combler les vides de l’histoire des Amérindiens dans la guerre de 1812. Le manque de participation des Amérindiens du Québec aux principaux engagements et manoeuvres de ce conflit n’est pas la cause de cet oubli, car les braves et les guerriers semblent être de toutes les actions, autant principales que secondaires. La carence documentaire du début du XIXe siècle non plus, comme le démontre Sawaya dans cet ouvrage richement pourvu à cet égard. Il fallait peut-être attendre qu’une société canadienne, plus libérale, continue de poser les yeux sur son passé pluriel.

Jean-Pierre Sawaya expose le but de son entreprise d’une façon très concise et directe dans son avant-propos d’une page et demie. Il veut faire la démonstration que les Amérindiens ont participé à la guerre de 1812 « et joué un rôle crucial dans ce conflit » (p. 1). Le principal mérite de ce travail est de nous faire voir et même entendre les protagonistes amérindiens de la guerre de 1812. Tecumseh ne sera pas oublié pour autant, on lui a fait jouer son rôle de figurant, le bon « sauvage », depuis tellement d’années, et encore récemment dans les représentations du gouvernement fédéral de Stephen Harper ! Mais c’est justement l’histoire « réelle » du guerrier et du chef dans des actions, des hésitations, des pourparlers, des blessures et des frustrations qui occupe la première place de ce livre. L’approche narrative traditionnelle nous permet de suivre les principaux jalons de la guerre, d’établir une trame événementielle solide, ce que l’historien de tous les champs d’étude devrait lui-même ne jamais oublier de réaliser, mais en empruntant résolument, à tous les tournants, une perspective amérindienne. Cette perspective ne paraît pas fausse ou plaquée, elle suit sa logique de plein droit.

Une jeune entreprise de réinterprétation de l’histoire n’est pas sans risque de quelques dérives sans doute parce que le champ d’étude manque encore de balises fournies par d’autres recherches. Les travers les plus importants de ce livre sont ceux liés à l’identité et à l’alliance. Le premier se glisse dès le titre : Les Amérindiens du Québec. Projeter le Québec (plutôt le Bas-Canada) au début du XIXe siècle est peut-être une concession à l’éditeur, mais elle représente bien mal le contenu. Le titre diminue l’apport intellectuel et le mérite scientifique de l’auteur qui n’a pas produit une histoire populaire. C’est aussi inférer qu’ils sont « avec » ou « pour » ou « dans » le Québec historique et actuel. Là, il y a méprise. On peut comprendre le désir de Sawaya d’exprimer l’harmonie des acteurs de l’histoire d’abord. Il montre par exemple à plusieurs reprises les combats des chefs et des guerriers autochtones aux côtés de l’exemplaire régiment canadien-français des Voltigeurs, puis la collaboration aussi entre les Amérindiens eux-mêmes, des tribus étant chargées d’en représenter d’autres dans des négociations importantes.

Mais au contraire, sans le désirer, le livre montre amplement les conflits profonds, multiformes et tenaces dans le camp qui s’oppose aux Américains. Entre Amérindiens d’abord, alors que les Iroquois s’attaquent à d’autres, comme après la bataille de Beaver Dams (p. 84) où les domiciliés ne sont pas des alliés dociles des Britanniques, la guerre déchire et les opinions diffèrent. Enfin, les Autochtones de l’ouest du continent ont perdu leur grande cause à l’issue du conflit, celle d’un territoire leur appartenant mais cela n’était pas le but de guerre des Amérindiens du Québec (p. 116). Comment penser une collaboration sans heurts entre les Canadiens et les Autochtones lorsque les autorités militaires se servent des uns contre les autres pour rattraper les déserteurs ? Ainsi, on se sert des Amérindiens pour mettre le grappin sur les déserteurs canadiens (p. 32) et la milice canadienne en fait tout autant (p. 96). Par ailleurs, le major du bataillon de Beauharnois contrôle péniblement les alliés amérindiens qui sèment le désarroi chez les habitants (p. 89) et pour sa part Salaberry ne se gêne pas d’émettre une opinion négative à leur égard lors d’un engagement : « … everything was too much hurried by the damn savages » (p. 90). Prevost n’hésite pas à mentir aux Amérindiens lorsqu’il a besoin d’eux au début de la guerre (p. 81). Plus tard, à l’importante bataille de Plattsburgh, le général les laisse à l’arrière, vue la réticence d’une centaine d’entre eux qui se sont arrêtés à Lacolle et qui ne veulent pas participer aux plans de campagne établis. Le résultat sera catastrophique pour les armes britanniques qui subissent un revers de fortune dont elles ne se remettront pas. On pourrait peut-être parler de simples mésententes, néanmoins, il s’agit à l’évidence de tensions très fortes entre les alliés de cette guerre.

Lorsque la paix sera enfin revenue en 1815, les Amérindiens seront extrêmement déçus par l’oubli des Britanniques (p. 117) ; un sort qui ressemblera étrangement à celui réservé aux Canadiens français. Cette ignorance des besoins de l’allié d’hier fait partie du bilan tragique de la guerre en plus du traditionnel tableau des pertes aux combats évaluées à 31 morts et à 36 blessés. Le pire pour les Amérindiens est sans doute d’avoir été perçus comme membres de forces militaires auxiliaires comme le furent d’autres nationalités de l’Empire en guerre, des Écossais aux Gurkhas.

Des Braves et des guerriers, en dépit de ses quelques faiblesses et d’une écriture parfois brouillonne, doit faire partie obligatoirement de la bibliothèque des historiens de la guerre de 1812, du Bas-Canada ou des Premières Nations. Il s’agit d’une étude trop bien fouillée et trop originale pour passer inaperçue.