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La survie d’un État dépend de la capacité de ses dirigeants à acquérir les informations vitales sur sa situation, à prendre des décisions et à les communiquer avec succès aux exécutants, puis à s’assurer que les ordres donnés ont été correctement exécutés. Sa pérennité et ses limites géographiques dépendent de sa stratégie de communication.

Un chef de garnison, l’officier ou l’administrateur commandant une place fortifiée ou non, confronté à une menace, doit pouvoir avertir son suzerain et, de proche en proche, le pouvoir central pour que celui-ci puisse lui donner en retour ses instructions, l’aider et, si nécessaire, lui envoyer des renforts dans des délais suffisamment courts pour que cela soit utile.

La Bible nous en donne une illustration au ier millénaire av. J.-C. : elle indique que le royaume de Salomon s’est scindé en deux à l’avènement de son fils, Roboam : d’un côté, le royaume de Juda, avec les tribus de Juda et Benjamin, qui conserve Jérusalem comme capitale, et, de l’autre, le royaume d’Israël, avec les dix autres tribus du Nord, qui se donne une autre capitale, Sichem, plus au centre de ses territoires sous le commandement de Jéroboam.

Selon la Bible[1] la raison de cette scission en est la réponse arrogante de Roboam, en dépit des conseils de modération des Anciens, à une demande de réduction d’impôts faite par les tribus du Nord : « […] Mon père, dit-il, a fait peser le joug sur vous, moi je le rendrai encore plus lourd […] ». Mais cela n’est-il pas que la partie émergée de l’iceberg ? Cela cache, en fait, la perception que le réseau de communications ne permet plus d’assurer la sécurité du Nord et donc de justifier le paiement d’un impôt au pouvoir central[2]. Dans la société tribale de l’époque, l’allégeance au souverain est faible et ne perdure que dans la mesure où elle est fréquemment rappelée et remotivée par des intérêts puissants.

Les communications ne concernent pas que le domaine militaire ou diplomatique. Pour les anciens Hébreux, la connaissance précise du temps et du calendrier revêtait une importance primordiale pour déterminer le début et la fin des fêtes religieuses. Ces moments étaient fixés par le Grand Prêtre du Temple de Jérusalem qui en faisait retransmettre, étape après étape, l’information en faisant agiter des torches jusqu’à Babylone[3] selon un procédé décrit dans le Talmud, Roch Hachana, II, 22b, et intitulé « Règles au sujet des témoins concernant la nouvelle lune, la levée des drapeaux et comment cela était consacré par le Beth Din »[4].

La problématique des « télécommunications » dans l’Antiquité

Les missives, verbales ou écrites, sont acheminées par des porteurs individuels, des marchands ou des militaires. En cas d’urgence, dans les situations de crise, lorsque cela est possible, les messages sont aussi transmis au moyen de signaux sonores et/ou lumineux. La lumière est le médium le plus utilisé et le plus efficace. L’information est transmise au moyen de feux, réverbérations du soleil sur des miroirs, signaux de fumée, fanions de couleur, etc.

Dès le deuxième millénaire av. J.-C., des réseaux de communications, qu’ils soient locaux, régionaux, nationaux, voire spécialisés et plus particulièrement des réseaux de « communications longues distances », sont décrits avec suffisamment de détails pour qu’on puisse les situer et en tracer l’itinéraire. Par exemple, dans « les Documents Épistolaires du Palais de Mari » (à l’extrême sud-est de la Syrie), datés du xviiie siècle av. J.-C. (règne de Zimrî-Lîm), trouvés lors des fouilles entreprises en 1933 par l’archéologue français André Parrot, puis reprises par Jean-Claude Margueron en 1979, analysés par J-M. Durand[5], nous trouvons  deux lettres qui rapportent un échange assez savoureux sur la responsabilité d’une erreur de transmission ou d’interprétation d’un message optique :

Lettre 502 : […] il ne faudrait pas que le pays vienne tout entier au secours parce que tu as levé dans la nuit un double feu. Fais rédiger des tablettes pour le pays tout entier, pour le pays d’Andarig, y compris le district de Hâsidänum et celui du Nurrugûm, et fais-les porter par des serviteurs à toi rapides, disant : « l’armée lourde de l’ennemi est sortie du pays pour une opération de pillage. Voilà pourquoi 2 feux ont été levés. Ne venez pas au secours. » […]

Lettre 503 : […] dis à Yasmah-Addu : ainsi parle Isma-Dagan, ton frère. Au sujet des feux, objet de ta lettre, tu m’as dit : « tu as levé de nuit un double feu. » Je ne l’ai pas fait, je n’ai en rien levé deux feux, en fait, c’est toi qui l’a fait. Lors de l’envoi d’un message, si une ville est en vis-à-vis d’une autre, le fait qu’elles en lèvent chacune un, en fait deux à la vue […].

L’émergence des transmissions à distance au moyen de signaux sonores et optiques est donc un fait avéré dès cette époque. En l’absence de support écrit permettant de transmettre les codes de manière sûre, l’information véhiculée ne porte que sur un nombre limité de sujets selon des conventions préétablies et simples. Ces transmissions ne peuvent donc pas permettre de faire face à toutes les situations. L’invention de l’écriture apporte une amélioration considérable à cette technologie et permet une plus grande complexité des codes tout en autorisant une meilleure distribution et une fiabilité améliorée.

Avec l’avènement des alphabets ougaritique, puis phénicien, dans la seconde moitié du second millénaire av. J.-C., les transmissions d’informations sans support matériel deviennent plus opérationnelles grâce à l’usage de combinaisons de feux en vision directe de sommet en sommet. Au Levant, ces liaisons, durant le premier millénaire av. J.-C., se constituent en véritables réseaux de télécommunications. Ceux-ci permettent la transmission de messages sur de très longues distances dans des temps record, dès lors que des relais ont été mis en place en des lieux spécifiques. Ils offrent aussi une plus grande versatilité lorsqu’un code de transmission a préalablement été défini par écrit associant le contenu des messages à des séquences et/ou dispositions spatiales de feux (torches, lampes à huile, balises).

Durant le dernier tiers du premier millénaire av. J.-C. naît une science du codage de l’information qui associe à chaque lettre de l’alphabet une combinaison de feux, d’abord pour en améliorer la transmission, puis pour en préserver le secret du contenu[6]. Des récits en font remonter l’usage à Énée le Tacticien, un militaire grec du ive siècle av. J.-C. (400-360 av. J.-C.). Des algorithmes de cryptage et de transmission sont développés au moyen de ce qu’on appelle le carré de Polybe, historien grec (c. 203-120 av. J.-C.), où celui-ci place les lettres de l’alphabet dans une matrice de cinq lignes et de cinq colonnes. Lorsque, par exemple, trois feux sont mis à droite d’un repère et deux feux à sa gauche, cela signifie la lettre à l’intersection de la troisième ligne et de la seconde colonne. Cela permet de transmettre, sans entente préalable, toutes les informations nécessaires de manière non limitative.

Les « télécommunications » elles-mêmes, et non plus les simples communications « postales », sont donc attestées très tôt dans l’Antiquité. Les tracés des réseaux de télécommunications peuvent être différents de ceux des routes commerciales, même s’ils peuvent se compléter. Les premières qualités des réseaux de communications sont la rapidité et la fiabilité alors que les secondes sont établies en fonction de la sécurité, de la commodité de déplacements de lourds convois et selon des étapes régulières, des bivouacs aménagés et les possibilités de s’approvisionner en eau.

L’étude et la méthode

Les origines et les objectifs de l’étude

L’étude consiste en un rapprochement totalement original d’expertises dans les domaines de l’archéologie et des télécommunications. Elle a pour origine la controverse soulevée par analyse de l’ostracon no 4 de Lachish par le géologue Beni Ze’ev Begin. Sur celui-ci, on découvre qu’un officier, localisé à Tel Maresha, à l’époque où l’armée babylonienne envahit la Judée, explique à un supérieur qu’il peut observer des balises lumineuses émises de Tel Lachish et les déchiffrer, selon les instructions qui lui ont été transmises, mais qu’il ne peut voir les balises de Tel Azeqa (dernière ligne du recto de l’ostracon no 4 en paléohébreu : « […] et nous ne voyons pas Azeqah[7] »). L’événement a lieu un peu avant la destruction de Jérusalem et de son temple (c. 587 av. J.-C). Les déclarations du prophète Jérémie sur ce sujet avaient incité les archéologues, qui avaient découvert ces ostraca, à en conclure que Tel Azekah avait déjà été détruite par l’envahisseur. Au contraire, l’analyse de Ze’ev Begin[8], confortée par un examen topologique du terrain conclut que s’il est aisé d’observer Lachish à partir de Tel Maresha à environ six kilomètres, il est impossible de ce dernier site de voir les balises de Tel Azekah à une douzaine de kilomètres : la vision directe est obstruée par des collines trop élevées entre les deux emplacements. L’archéologue français André Lemaire avait d’ailleurs fait la même constatation quelques années auparavant en notant que, dans le cas où Azeqah aurait été détruite, l’officier l’aurait exprimé en écrivant : « nous ne voyons plus Azeqah et non nous ne voyons pas Azeqah ».

On observe, avec cet exemple, un embryon de réseau de télécommunications. Les discontinuités de la liaison Lachish-Maresha-Azeqah incitent à se demander si, compte tenu de l’importance stratégique des sites en question, un ou plusieurs « répéteurs » auraient pu exister pour recevoir les signaux venant d’un émetteur que les uns voyaient et pas les autres et les retransmettre vers ces derniers, et, dans cette éventualité, à rechercher comment les repérer puis à compléter le réseau.

L’étude présentée a donc pour but (1) de montrer qu’un mode de communication s’apparentant aux « télécommunications » modernes existait dans l’Antiquité au Levant sous forme d’un réseau (2) et de tester l’utilisation des programmes d’implantation des réseaux de téléphones mobiles et des faisceaux hertziens employés de nos jours[9], pour modéliser ces réseaux, afin de découvrir des sites dont la fonction première était de recevoir les signaux lumineux provenant d’une origine visible par ces derniers et de les « répéter » vers les sites qui ne pouvaient les voir directement en leur absence. Nous verrons par la suite que la méthode employée pour leur recherche permet de définir un outil de préprospection archéologique et de le valider. Nous avons essentiellement utilisé deux fonctionnalités du logiciel d’ATDI, une société qui conçoit, développe et commercialise des logiciels et des services couvrant les principaux domaines liés à la conception, la planification et l’utilisation des réseaux hertziens, à savoir le tracé des courbes numérisées et les zones de visibilité à partir de chacun des sites concernés. Cette étude n’a cependant pas pour objectif de réécrire l’Histoire du Proche-Orient ancien au vu des télécommunications, ni même d’écrire une « Histoire des télécommunications » dans l’antiquité.

La méthodologie suivie

Nous avons donc commencé par montrer l’existence réelle de l’utilisation de signaux lumineux pour communiquer en collectant, dans une étude documentaire, un maximum d’attestations de l’application de ce médium de communications dans l’Antiquité : nous avons déjà cité la Bible, particulièrement favorable aux transmissions sonores et aux signaux de fumée (par exemple : Juges 20, 38 et 40, lors de la bataille des « hommes d’Israël contre les Benjamites » et Isaïe 13, 1 et 2, « Oracle contre Babylone, que prononça Isaïe, fils d’Amoc […] »), le Talmud, les documents épistolaires de Mari, les Ostraca de Lachish, la codification de Polybe.)[10]

Nous trouvons de multiples documents attestant leur utilisation dans les Annales des Rois d’Assyrie[11], sur une tablette[12] du Musée du Louvre où un scribe décrit « la 8e campagne de Sargon II  » (roi d’Assyrie, 722 -705 av. J.-C.), chez les historiens du monde gréco-romain, Éschyle[13] (dans sa description du moyen utilisé pour informer Clytemnestre de la chute de Troie), Hérodote[14] («  Les Grecs postés à l’Artémision apprirent l’arrivée des Barbares par des signaux de feux, qu’on leur fit depuis Sciathos […] »), Thucydide, Strabon, Xénophon, Cornelius Népos, Diodore de Sicile, Flavius Josèphe, Plutarque, Suétone, etc., grâce aux découvertes et fouilles archéologiques[15], avec entre autres celle de la Tour de Salomon à Hatsor en Galilée du Nord, de Jean-Claude Margueron à Ras Shamra en Syrie, où, s’interrogeant sur le rôle d’une tour fortifiée, il découvre par hasard en prenant des photos en haut d’un échafaudage qu’une de ses fonctions était d’avertir par des signaux lumineux une cité voisine, invisible au niveau du sol, de l’arrivée d’un danger, de I. Finkelstein en Samarie et à Megiddo d’où il constate les possibilités de vision lointaine des sites en question, encore celle effectuée à Giloh par Amihai Mazar qui, sous l’auspice de l’Institut d’Archéologie de l’Université Hébraïque de Jérusalem, découvre une tour de guet, carrée de 11,5 m de coté, utilisée comme relais pour des transmissions de signaux lumineux, d’un coté, vers une tour similaire située à Giveat Shapira (« French Hill ») au Nord-Est de Jérusalem et, de l’autre, vers Nes Harim, finalement celle de la tour Trajane à Rome où le registre du bas décrit trois tours équipées de feux de transmission des signaux lumineux (des centaines de tours existaient sur le pourtour méditerranéen), etc.

Il serait trop long d’enter dans le détail de l’étude de chaque document, mais, pour donner une illustration rapide, pendant les guerres médiques, les Grecs utilisaient le plus possible les transmissions de message par signaux lumineux, alors que les Perses cherchaient plutôt à accélérer et fiabiliser la transmission d’informations par courrier, « la Poste »[16].

La collecte des informations contenues dans ces documents, obtenues en réinterprétant des stèles et bas reliefs et en interprétant des résultats de fouille nous a permis de tracer ponctuellement des fragments de réseau, mais cela était insuffisant pour donner une vue globale du système de télécommunications par signaux lumineux de la région étudiée. Il restait donc de nombreuses zones d’ombre.

De plus, si beaucoup de textes retenus contiennent des descriptions factuelles et précises, techniques, historiques ou cultuelles, d’autres sont des pamphlets propagandistes écrits par les vainqueurs ou des récits légendaires qui sont entachés d’erreurs comme le texte du Talmud cité décrivant précisément les relais entre Jérusalem et Babylone, qui aboutissent à une impossibilité technique : ils ne savaient pas que la terre était ronde et donc les étapes indiquées sont beaucoup trop éloignées. Les commentateurs du Talmud s’en sont rendu compte et tentent un peu plus loin de rajouter des étapes, mais les noms qu’ils donnent sont trop génériques pour pouvoir être situés.

Tour Trajane

Tour Trajane

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Mais même les pamphlets, les légendes et les erreurs présentent un intérêt dans le cadre de notre étude, car ils montrent que les narrateurs étaient conscients, et en quelque sorte habitués, et partant leurs contemporains, des possibilités d’un mode de communication par signaux lumineux. Pour retrouver de manière plus exhaustive les réseaux, nous avons donc, à partir du recensement du besoin (localisation sur le terrain des « abonnés » potentiels qui souhaitent communiquer de manière fiable et rapide), essayé de voir si les modèles modernes de conception et d’implantations des réseaux de télécommunication mobiles et longues distances, en dépit de l’anachronisme qu’ils présentent par rapport à l’époque étudiée, ne pourraient pas suggérer des sites spécifiquement dévolus à cette activité et aider à la recherche sur le terrain des traces de relais et d’objets spécifiques (lampes, balises lumineuses, conteneurs et logistique du combustible) utilisés pour cette transmission d’informations.

Les « abonnés » retenus sont des sites révélés par des fouilles qui se trouvaient en Terre sainte au premier millénaire av. J.-C, listés, par exemple dans The New Encyclopedia of Excavations in the Holy Land[17], ainsi que quelques-uns des sites cités dans les Annales des Rois d’Assyrie et ceux mentionnés dans le Talmud (Roch Hashana, alinéa 22 b et 22 c). Les limites physiques et techniques des moyens de l’époque ont été prises en compte dans la modélisation : par exemple, la visibilité d’une flamme, par nuit noire et ciel clair à une altitude de 100 mètres, est de plus de 20 km en l’absence d’obstacles pour une sensibilité normale de l’oeil. Les effets d’atténuation de la propagation de la lumière dus à l’humidité ont aussi été intégrés ainsi que le pouvoir séparateur de l’oeil[18].

À partir de ces données, des logiciels, créés pour le design et l’implantation des réseaux de télécommunications mobiles et des réseaux de faisceau hertziens, ont permis d’élaborer une ébauche des réseaux recherchés puis de mettre en exergue leurs discontinuités. Ces mêmes logiciels ont permis de supprimer les lacunes observées, « les zones d’ombre », par la recherche de répéteurs où des opérateurs pouvaient retransmettre les signaux lumineux reçus vers des sites qui ne pouvaient les voir directement, permettant ainsi d’assurer la continuité du réseau en contournant les obstacles. L’étude est limitée essentiellement, pour des raisons de sécurité, aux portions de ces réseaux situées dans les frontières actuelles de l’État d’Israël et de la Cisjordanie. Deux fonctionnalités principales des logiciels ont été utilisées : le tracé des profils d’élévation entre des couples de sites et celui des zones de visibilité à partir de chacun des sites. À la suite de l’étude théorique, une prospection sur le terrain a été effectuée pour examiner et sonder les sites où le modèle indiquait qu’un répéteur était nécessaire pour « effacer » des zones d’ombre où la communication ne pouvait pas « passer ».

La recherche de stations de répéteurs en vision directe

Nous avons d’abord travaillé à partir des profils d’élévation donnés par le logiciel entre chaque couple de sites que nous avions retenus. Ils permettent de sélectionner les liaisons sans problème et, quand il n’y a pas vision directe, mettent en évidence les obstacles. On pourrait envisager de mettre des répéteurs sur chacun des obstacles, mais les profils d’élévation montrent qu’il y a souvent plusieurs obstacles sur une même liaison. De telles options ne permettent pas non plus d’élargir systématiquement l’action d’un répéteur trouvé à des sites différents des deux premiers.

Profil d’élévation entre Maresha et Azeqa

Profil d’élévation entre Maresha et Azeqa

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L’étude des zones de visibilité à partir de chaque site

Nous avons donc ensuite travaillé sur les intersections communes des zones de visibilité directe, fournies aussi par le logiciel, tracées à partir de chacun des sites que l’on souhaitait faire communiquer et qui n’étaient pas en vision directe avec d’autres. De toute évidence, le choix idéal pour un répéteur se trouve dans le domaine défini par cette intersection, et cela, quelle que soit l’altitude de cet emplacement. En conséquence, sur la couche d’élévation digitale du modèle (qui représente les altitudes en trois dimensions pour chaque point des cartes) nous avons, à partir d’un premier site concerné sans vision directe avec d’autres sites voisins, tracé sa zone de visibilité dans un rayon de 20 km. Puis, nous avons répété la même opération à partir des sites adjacents que le répéteur devait desservir. Si deux zones ou plus de visibilité avaient des sous-zones communes, c’est à l’intérieur de leur intersection, non vide, que se trouveraient les répéteurs.

Zone de visibilité d’Abou Gosh, Qiryat Yé’arim

Zone de visibilité d’Abou Gosh, Qiryat Yé’arim

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Résultats

La méthode a permis de trouver plusieurs emplacements qui pouvaient servir pour cette fonction, c’est-à-dire qu’ils étaient nécessaires à la continuité d’un réseau de transmission de signaux lumineux. Har Karmila en est le plus accessible et le plus typique. D’autres sites ont été trouvés, tels que Romema (sous la station centrale d’autobus de Jérusalem), Djebel Zaharat au nord de Bir Zeit en Cisjordanie, Ness Harim en Judée ou le Mont Thabor, en basse Galilée. Har Karmila, à mi-chemin entre Tel-Aviv et Jérusalem, a été trouvé en recherchant un répéteur de liaison entre Beth Shemesh, Abou Gosh et Nahal Rephaïm, considérés comme demandeurs et liens fondamentaux entre Jérusalem et le sud-ouest de la Judée, jusqu’à Tel Lachish et qui ne pouvaient se voir directement. Nous avons validé chaque choix de répéteur par une vérification, liaison par liaison, des lignes de vision des sites retenus à l’aide des graphes de profil d’élévation qui montrent qu’il n’y pas d’obstacle à une vision directe.

Les vérifications sur le terrain

Le site d’Har Karmila, inconnu des archéologues jusqu’à sa mise en évidence par l’étude, culmine à une altitude de 600 m. Il a pu être visité et sondé. Deux tours carrées construites en pierres sèches ont été découvertes à proximité de son sommet. Celle qui était la mieux conservée mesurait environ 2,50 m de côté et 2,30 m de hauteur. Elles sont situées à 50 mètres l’une de l’autre et la plus proche du point théorique donné par le modèle est à moins de 160 mètres (Easting 203323, Northing 632329) de celui-ci, ce qui est raisonnable compte tenu de l’incertitude introduite par la numérisation des cartes utilisées (plus ou moins 90 m). Des cartes plus précises existent, mais leurs coûts sont exorbitants dans le cadre de cette étude et il n’est pas sûr qu’elles donnent de meilleurs résultats. Ces constructions, nombreuses en Judée et surtout en Samarie, sont appelées « tours de garde-chomerot » et datées par analogie entre le vie et le iie siècle avant J.-C. Ce site présente un intérêt majeur dans le cadre de notre étude et que les tours carrées aient déjà été utilisées avant et après l’époque qui nous intéresse est secondaire.

Alors que la plupart des tours de ces époques ont pour vocation la surveillance des champs, les tours situées au sommet d’un mamelon n’ont aucune vision sur des champs proches qui auraient pu exister, car ils sont cachés par la colline elle-même ou sont trop loin des champs exploités par un village voisin, en contrebas à 630 m à vol d’oiseau, pour que des gardes puissent efficacement chasser des voleurs (on ne met pas un épouvantail à moineaux aussi loin d’un champ !). Leur présence et la possibilité de vision lointaine qu’elles offrent, l’une vers Abou Gosh, l’autre vers Beth Shemesh, démontrent l’usage du site dans le cadre d’une surveillance approfondie de la région et une possibilité de transmission de signaux lumineux.

Sur le plan pratique, le sommet de la colline ne paraît être occupé que par ces deux tours (A, écroulée, et B, partiellement intacte), sans base de vie permanente apparente (sous réserve d’une étude plus approfondie). La logistique pouvait être assurée à partir du village, dont nous venons de parler, à quelques centaines de mètres de là, plus proche de points d’eau, qui se nommait Khirbet Kheir au xixe siècle.

Ce village en ruine a été « sondé » brièvement dans les années 1930 et les années 1970, selon les archives de l’Autorité des Antiquités Israéliennes. Aucune analyse n’y a été conduite depuis, mais lors de notre visite d’Har Karmila, nous y avons trouvé des fragments de poteries remontant à la fin de l’âge du fer, à la domination perse (vie au ive siècle av. J.-C.), puis grecque et enfin romaine (cf. Photo ci-dessous). Har Karmila est donc un site idéal pour servir de relais de transmissions lumineuses dans le cadre d’un réseau judéen.

La découverte de deux tours, inconnues jusqu’alors, situées à quelques dizaines de mètres l’une de l’autre, l’une dominant le Sud et l’Ouest, l’autre le Nord et l’Est, à moins de 160 m. du point théorique, rendue possible par l’application du modèle de « Design and Planning » des réseaux de télécommunications modernes, conjuguée aux autres sites repérés par le modèle (Djebel Zaharat, Mont Thabor, Romema, Nes Harim, etc.) valide l’usage de ces logiciels comme méthode de préprospection.

Tour B Har Karmila

Tour B Har Karmila

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Har Karmila et Khirbet Kheir, tessons de poteries collectés lors du sondage

Har Karmila et Khirbet Kheir, tessons de poteries collectés lors du sondage

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Le réseau sud-judéen

L’examen des différentes liaisons issues du modèle, en incluant cette fois les répéteurs trouvés et validés sur le terrain, a permis de redessiner le réseau sud-judéen dans sa majeure partie. Nous constatons que, directement ou grâce aux relais, tous les points du réseau sont connectés et même qu’il existe une certaine redondance, car certains d’entre eux sont reliés par plusieurs routes différentes.

Synthèse des travaux

De nombreux réseaux de « télécommunications » ont existé dans l’Antiquité. Au Proche-Orient, dans la zone étudiée, nous en avons identifié quatre. Grâce aux technologies modernes d’implantation de réseaux de téléphonie mobile et à l’utilisation de cartes digitales de grande précision et aux logiciels de « Design et Planning » adaptés aux possibilités techniques de la transmission de signaux optiques de l’époque, nous avons mis en évidence de manière théorique l’existence de ces réseaux qui ont été confirmés par des visites sur le terrain, sur la côte de Rosh Hanikra à Ashkelon, en Galilée (Megiddo, Mont Thabor, Beth Shean) et en Judée.

L’analyse de documents archéologiques, tirés des archives israéliennes (Israel Antiquities Authority Archives : Mandate Record Files et Israel Scientific Inspection Files en Hébreu) et de publications prêtées par les universités de Jérusalem et de Tel-Aviv, a permis d’identifier des sites qui avaient déjà été explorés et de dater les nouveaux sites visités.

L’étude a mis en évidence plusieurs réseaux : le réseau du royaume de Juda, le réseau du royaume d’Israël, le réseau assyro-phénicien, qui longe la côte méditerranéenne du Liban à Gaza, et le réseau babylonien, tel qu’il est décrit dans le Talmud et qui a pu exister à partir du vie siècle av. J.-C. Le réseau judéen dans sa totalité ainsi que des parties du réseau du royaume d’Israël, du réseau babylonien et du réseau côtier assyro-phénicien ont pu ainsi être définis et dessinés. Les 4 réseaux mis en évidence sont d’ailleurs chacun d’un type particulier qui rappelle les structures modernes des réseaux de télécommunications, à savoir le réseau côtier, assyro-phénicien, qui est un réseau point à point linéaire où les sites, côtiers et/ou portuaires, nombreux et assez proches (nous avons exploré Roch Hanikra, Saint Jean d’Acre, Haïfa, Atlit, Tel Dor, Césarée, Mikhmoret, Apollonia, Tel Michal, Jaffa, Yahvné Yam, Ashdod, Ashkelon et Gaza), communiquent sans grandes difficultés autres que d’éventuels brouillards et brumes dus à l’humidité durant la saison chaude. Les seules difficultés que nous avons rencontrées sont dues aux nombreux bâtiments et constructions urbains modernes, qui, s’ils montrent bien les possibilités de vision lointaines, rendent impossible une vision nocturne « par nuit noire ».

Le réseau galiléen, appelé réseau du royaume d’Israël, a une structure multiétoile où des sites particulièrement bien placés sur des hauteurs (Mont Thabor, Gilboa, Megiddo, Beth Shean, Hatsor, etc.) desservent les nombreuses cités installées dans les larges vallées qu’ils dominent. Plus au Nord-Est, le Golan et, en Syrie, les montagnes du Hauran étaient aussi des centres de communications optiques du fait de leur altitude.

Le réseau judéen, au départ de Jérusalem, a une structure en « boucle » où la transmission de l’information se fait selon un arc de cercle qui part vers l’ouest, puis bifurque vers le sud pour revenir et se terminer vers l’est, avec des ramifications vers les lieux qui n’ont pas de vision directe entre eux et sont donc obligés de passer par des retransmissions de l’information à partir des cités les plus importantes.

Le réseau du Talmud, réseau babylonien, n’a pu être étudié avec précision que dans sa partie israélienne (étape Mont des Oliviers-Sartaba). En ce qui concerne cette première étape, on a le choix entre une seule liaison point à point ou un réseau microcellulaire, avec de multiples étapes très proches. Le reste du réseau est probablement aussi formé de liaisons point à point. Une hypothèse intéressante pour la seconde étape relie Sartaba au mont Perez dans le Golan où une borne frontière porte le nom d’Agripina, l’épouse de l’empereur romain Claude, qui, par déformation, serait devenu « Grophina » dans le Talmud. Ce réseau continue à notre époque à faire l’objet de recherches multiples et contradictoires

Nous avons vu dans l’étude documentaire et les rapports de fouilles archéologiques que la transmission d’informations par signaux lumineux était une technologie maîtrisée dans l’Antiquité. Nous avons pu reconstituer les réseaux anciens par l’utilisation « anachronique » des méthodes modernes de développement et d’implantation des télécommunications mobiles et longues distances. La localisation théorique de sites de transmissions lumineuses a été confirmée sur le terrain, ce qui valide l’analyse et la méthode choisies où l’étude des réseaux de télécommunications est utilisée comme outil de prospection en archéologie.

L’ensemble des réseaux

L’ensemble des réseaux

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