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Cet ouvrage collectif, qui réunit 12 contributions issues d’une conférence franco-italienne tenue à Milan en 2009, s’inscrit dans une série consacrée à la guerre, à la culture et à la société à l’époque révolutionnaire (définie ici au sens large) et comptant à ce jour 18 titres publiés ou annoncés.

Il convient d’abord de mentionner l’étonnante diversité des sujets étudiés par les contributeurs, une diversité qui s’explique sans doute en partie par une direction tricéphale réunissant Pierre Serna, directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française ; Antonino De Francesco, professeur d’histoire à l’Université de Milan et spécialiste des mouvements démocratiques en France et en Italie ; et Judith A. Miller, professeure agrégée à l’Université Emory d’Atlanta dont les vastes intérêts de recherche incluent l’économie, le genre, la culture et le droit. Outre les questions politiques et militaires attendues, on retrouve en effet dans Republics at War de l’histoire intellectuelle de haut vol, une étude de la construction des mémoires nationales liées à la guerre et à l’idéal républicain, et même un surprenant parallèle entre une pièce de théâtre inspirée de la mythologie grecque et les comportements des généraux du Directoire. D’autre part, si l’Italie sous domination française constitue le cadre d’étude le plus fréquent, Republics at War contient également des chapitres sur les États-Unis, les Caraïbes, l’Espagne, l’Irlande et la France métropolitaine. L’éclectisme du résultat pourrait déstabiliser le lecteur non averti, mais rares sont les historiens de l’époque moderne ou de la période révolutionnaire qui n’y trouveront pas, au moins, quelques articles susceptibles d’alimenter leurs réflexions.

La première des trois sections du livre, intitulée, « Calling for Republican War », regroupe quatre chapitres de toute première qualité qui s’intéressent principalement à la relation entre idéologie et conflit. Soulignons notamment la richesse intellectuelle du texte de Marc Belissa, consacré au débat, vers l’An IV, sur la compatibilité entre l’idéologie républicaine et la paix (e.g., une république puissante peut-elle coexister avec des monarchies ou doit-elle, de par sa nature, déstabiliser un ordre international basé sur la légitimité des trônes et provoquer une guerre perpétuelle à laquelle un seul des deux modèles de gouvernement pourra survivre ?). La contribution d’Antonino Di Francesco, quant à elle, démontre de manière éloquente comment Brissot a su instrumentaliser l’image de la Révolution américaine pour convaincre les Jacobins de 1791-92 des vertus d’une guerre de libération paneuropéenne, alors que Robespierre, en insistant sur les différences entre la France et les États-Unis, échouait dans sa tentative d’utiliser cette même image dans un but contraire.

La deuxième section, « Citizenship and “Republican” War », est consacrée à l’expérience individuelle de la guerre révolutionnaire. Marie-Jeanne Rossignol y apporte une contribution importante à l’étude de l’agentivité des esclaves d’origine africaine pendant la Guerre d’indépendance américaine, en démontrant que certains des esclaves qui décidaient de joindre les rangs de l’armée continentale pouvaient estimer à juste titre que ce geste était plus susceptible de leur permettre d’acquérir la liberté qu’une fuite auprès des troupes britanniques. Une lecture comparative du chapitre de Rossignol et de celui de Frédéric Régent permettra, par ailleurs, d’identifier des parallèles intéressants entre les manières dont la perspective de l’émancipation a été exploitée par ceux qui voulaient s’assurer l’allégeance des esclaves lors des révolutions américaine et haïtienne.

Enfin, « Rejecting “Republican” War », la dernière section de l’ouvrage et peut-être la moins convaincante des trois, s’intéresse surtout à la contre-révolution. La contribution la plus accomplie y est sans doute celle de Pedro Rujula, qui étudie le processus d’identification entre le peuple et la monarchie en Espagne et les discours qui ont mobilisé la ferveur populaire contre les armées de la Convention, de l’Empire napoléonien et de la rébellion carliste ; alors que Mario Tosti examine avec aplomb la contre-révolution dans les États pontificaux, où les exigences des Jacobins concernant l’abolition des rituels catholiques heurtent de plein fouet la culture locale. Quant à Judith A. Miller, elle ne parvient qu’imparfaitement à convaincre le lecteur du bien-fondé de ce qu’elle désigne elle-même comme un choix surprenant : celui d’illustrer le comportement des généraux du Directoire, qui se soustraient à l’autorité civile en se déclarant les seuls porteurs légitimes des vertus républicaines, à l’aide d’une pièce de théâtre portant sur la guerre civile entre les deux fils d’Oedipe.

Certes, dans une collection aussi disparate que Republics at War, l’intérêt suscité par chaque chapitre dépendra du lecteur autant (sinon plus) que de l’auteur. Mais si l’absence d’un fil conducteur nous incite à croire que peu d’historiens liront l’ouvrage en entier, plus rares encore seront ceux qui n’y trouveront aucune satisfaction.