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Introduction

La dimension collective de l’entrepreneuriat est désormais une évidence (Aldrich, 2008 ; Aldrich, Carter et Ruef, 2004 ; Bernasconi, 2004 ; Gartner et al., 1994 ; Kamm et al., 1990 ; Mustar, 1994 ; Ucbasaran et al., 2003). D’après la monumentale étude conduite sous l’égide de Paul Reynolds, plus d’une entreprise sur deux serait ainsi constituée par plus d’un membre fondateur (Aldrich, Carter et Ruef, 2004), illustrant en cela la définition de l’équipe entrepreneuriale de Kamm et al. (1990, p. 7) pour qui il y a équipe lorsque « deux individus ou plus établissent conjointement une entreprise dans laquelle ils détiennent chacun une part du capital »[2].

Cependant, si le mythe schumpétérien de l’entrepreneur isolé est dépassé[3], la question des déterminants du choix d’entreprendre en équipe demeure posée. Alors que plusieurs recherches se sont intéressées à la diversité des équipes (Aldrich, Carter et Ruef, 2004 ; Ruef, Aldrich et Carter, 2003), voire à la façon dont les entrepreneurs s’entouraient de personnes pour faire évoluer leur projet (Hite et Hesterly, 2001), ou aux avantages des équipes (Beckman, Burton et O’Reilly, 2007), rares sont les études qui ont posé la question du « pourquoi » de la création en équipe (Moreau, 2005, 2006). Pourquoi un entrepreneur décide-t-il de s’associer à d’autres pour créer une nouvelle entité alors que celle-ci pourrait être le fait d’une seule personne ?

La théorie des réseaux sociaux (TRS) peut assurément apporter des éléments sur ce point, permettant de comprendre la façon dont les entrepreneurs recourent aux liens faibles, aux liens forts, voire cherchent à combiner le recours aux deux types de liens selon l’avancement du projet de création (Aldrich et Kim, 2007 ; Aldrich et Waldinger, 1990 ; Aldrich et Zimmer, 1986 ; Granovetter, 1973 ; Hoang et Antoncic, 2003). Cependant, une logique individuelle reste pourtant de mise dans ces travaux : rares sont les chercheurs qui considèrent que l’acte entrepreneurial – au sens de créer une entreprise dont on va devenir propriétaire – puisse être collectif. L’entrepreneur, inséré dans un réseau ou encastré (Hills, 1995), est censé profiter de ses liens forts et faibles à différentes étapes du projet (Hite et Hesterly, 2001 ; Johannisson, 1996 ; Larson et Starr, 1993). Mais cet entrepreneur est le seul créateur d’entreprise, de sorte que l’acte de créer à plusieurs est négligé, alors même que plusieurs individus gravitent autour du projet et que les chercheurs reconnaissent l’importance en nombre de la création en équipe.

Comment alors ne pas s’interroger sur la cristallisation du réseau social, la constitution de l’équipe entrepreneuriale à partir des liens tissés par le créateur avec l’extérieur, qu’il s’agisse de liens forts ou de liens faibles ?

Nous postulons ici que la constitution d’une équipe entrepreneuriale ne peut s’envisager que par rapport au réseau social de l’entrepreneur. C’est dans son réseau social que l’entrepreneur s’attache les services d’autres entrepreneurs, aboutissant ainsi à un acte entrepreneurial collectif. Nous verrons que la nature des liens est un élément déterminant dans la constitution des équipes. C’est l’existence de liens forts ou de liens faibles qui explique la constitution de l’équipe. Cependant, ce n’est pas le seul déterminant de l’entrepreneuriat collectif. La logique instrumentale de Burt (1992) peut être étendue dans le sens où la quête de ressources (financières et en termes de compétences) peut être à l’origine d’une sorte de « chasse aux liens faibles » ou, en tout cas, de la mobilisation de ces derniers dans une perspective d’accès à des ressources.

Dans une première partie de ce papier, nous présenterons ainsi les raisons de l’entrepreneuriat collectif en nous appuyant principalement sur la théorie des réseaux sociaux. Nous exposerons notamment ce que l’on entend par « cristallisation du réseau social », concept déterminant pour comprendre le lien entre la théorie des réseaux sociaux et la création d’entreprise en équipe.

Nous poursuivrons en nous appuyant sur une étude empirique. Pour comprendre les logiques à l’oeuvre dans la constitution des équipes entrepreneuriales, nous avons travaillé sur six études de cas, en adoptant une démarche d’allers-retours entre la théorie et les cas, et présenterons ces éléments dans la deuxième partie. L’analyse des cas nous a permis d’aboutir à une typologie des équipes entrepreneuriales. Nous présenterons celle-ci avant de conclure dans une dernière partie sur les apports et limites de cette recherche.

1. Les raisons de la formation de l’équipe

Timmons (1990) souligne que si l’équipe peut être présente au début du projet entrepreneurial, il est fréquent qu’elle apparaisse au cours du projet : un porteur de projet seul envisage d’ouvrir son projet à d’autres personnes. Il semble alors nécessaire de comprendre ce qui pousse les individus à s’engager seuls ou en groupe dans l’aventure entrepreneuriale, avant de cerner les conséquences de ces choix. À cette fin, nous proposons d’introduire la notion de « cristallisation du réseau social ».

La question est ensuite celle des raisons qui poussent à la création d’équipe. Deux logiques sont fréquemment avancées (Moreau, 2005, 2006). D’une part, l’équipe peut apparaître comme la résultante de la forme du réseau social de l’entrepreneur. D’autre part, elle peut apparaître – ainsi que le laisseraient entendre les travaux sur les équipes de direction (top management teams, TMT) – comme la résultante d’une quête de ressources ou de compétences. Si ces deux ensembles de raisons sont fréquemment avancés dans la littérature, il demeure que leur articulation ne retient pas l’attention. Aussi, après nous être interrogés sur la façon dont l’équipe peut constituer une sorte de cristallisation du réseau social, nous proposons de revenir sur chacun des deux ensembles de mobiles à la création en équipe.

1.1. L’équipe, une cristallisation du réseau social ?

La « cristallisation du réseau social » est le phénomène par lequel des membres du réseau social du porteur de projet s’associent pour créer ensemble une équipe entrepreneuriale, qui deviendra par la suite l’équipe fondatrice de l’entreprise. Cette notion, peu employée en entrepreneuriat – seuls Larson et Starr (1993), évoquent cette idée lors de la constitution de l’organisation – est plus largement usitée dans les sciences dures.

Selon le Petit Larousse, la cristallisation est un « changement d’état d’un matériau conduisant à la formation de cristaux », le cristal étant défini comme « un corps solide, pouvant affecter une forme géométrique bien définie et caractérisée par une répartition régulière et périodique des atomes ». La cristallisation est également définie au sens figuré comme « le fait de se cristalliser, de prendre corps », le verbe « cristalliser » étant le synonyme de « donner de la cohérence, donner de la force ». La cristallisation renvoie ainsi à deux sources : l’une chimique ou minéralogique ; l’autre littéraire. D’après la première, il s’agit d’une opération naturelle ou provoquée par l’Homme qui amène un corps liquide ou gazeux à se transformer en corps ordonné solide (l’exemple type est le sel, transformé à partir de l’évaporation de l’eau de mer). D’après la seconde, c’est le qualificatif pour traduire des sentiments qui se renforcent, ce qui peut être associé à des liens plus ou moins faibles qui se transforment en liens forts.

Si l’on reprend cette analogie scientifique en la transposant au réseau social du créateur d’entreprise, la cristallisation renvoie à l’agglomération de certains membres du réseau à un porteur de projet central, l’ensemble devenant une équipe entrepreneuriale chargée de développer l’idée, de créer l’entreprise et de la faire vivre.

Comme l’illustre la figure 1, le porteur de projet dispose d’un réseau social qu’il peut mobiliser pour acquérir certaines ressources. Deux solutions s’offrent à lui : soit il utilise son réseau sans associer formellement les membres à son entreprise, soit il va plus loin que la simple mobilisation du réseau et décide d’associer les membres à son projet, ces derniers devenant alors actionnaires ou détenteurs de parts sociales. Dans le premier cas, on parle de « non-cristallisation » et dans le second, d’une « cristallisation ».

Figure 1

Du réseau social à la cristallisation

Du réseau social à la cristallisation

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Dans le langage chimique et minéralogique, la cristallisation renvoie à deux processus différents : l’un est naturel et dépend de certains facteurs environnementaux favorables ; l’autre est purement artificiel et renvoie à la volonté de l’Homme de modifier l’état d’un corps. Ainsi se pose la question du pourquoi et du comment de la cristallisation d’une équipe entrepreneuriale. Pourquoi un porteur de projet choisit-il d’associer son réseau social ou une partie de celui-ci au concept qu’il développe ? Comment le fait-il ? Est-ce une démarche naturelle ou bien est-ce une volonté du porteur d’opérer ainsi pour des raisons parfaitement rationnelles ? Nous postulons dans ce papier que deux facteurs contribuent à la cristallisation : un facteur « naturel » lié à la nature des liens entretenus entre le porteur et les membres de son réseau ; un facteur plus « artificiel » lié aux ressources dont il a besoin pour finaliser son projet. Ces deux facteurs ont déjà fait l’objet de recherches. Nous revenons sur celles-ci dans les paragraphes suivants.

1.2. L’équipe, une logique de réseaux sociaux

La contribution des réseaux sociaux au projet entrepreneurial est, de longue date, connue (Aldrich et Zimmer, 1986 ; Burt, 1992)[4]. Cependant, si cette reconnaissance est ancienne, on peut se demander si les auteurs qui insistent sur cette dimension en ont pleinement tiré les potentialités pour saisir le phénomène entrepreneurial ? En effet, la plupart des chercheurs proposent une vision individualiste du processus de création : l’entrepreneur – individuel – mobilise son réseau social pour localiser des informations (ou autres ressources) nécessaires à son projet. Une telle vision néglige le fait que le porteur de projet peut trouver des associés au sein de son réseau social, ce dernier étant alors pour partie « cristallisé » sous la forme d’une équipe de fondateurs.

Si les premiers travaux sur les réseaux sociaux ont essentiellement souligné combien la dynamique entrepreneuriale est éloignée de l’image dominante de l’entrepreneur isolé[5] pour mettre en exergue la figure d’un entrepreneur inséré dans des réseaux (Hills, 1995), les analystes se sont depuis intéressés à l’estimation de l’impact du recours aux liens forts ou aux liens faibles dans la réussite du projet (Aldrich, 1999 ; Davidsson et Honig ; 2003, Greve, 1995), voire à la dynamique du recours aux réseaux sociaux dans le projet entrepreneurial (Chabaud et Ngijol, 2005) ou la jeune entreprise (Hite et Hesterly, 2001). D’après ces recherches, l’entrepreneur s’appuierait sur des liens de nature différente (forts et faibles) selon l’état d’avancement de son projet (Larson et Starr, 1993), ou selon le stade de développement de son entreprise (Hite et Hesterly, 2001 ; Johannisson, 1996). En termes de création d’équipe, il serait alors possible de rencontrer deux formes polaires différentes : des équipes fondées sur des liens forts et des équipes fondées essentiellement sur des liens faibles, même si l’on conçoit la possibilité de mixer les deux types de liens au sein des équipes dans la réalité.

Aldrich, Carter et Ruef (2004, p. 300) et Moreau (2005, 2006) soulignent ainsi, à la suite de Bird (1989), la possibilité de constituer une équipe entrepreneuriale pour des raisons non instrumentales : le groupe sera en mesure de mieux assumer le poids des décisions et de faire face à la « solitude » de l’entrepreneur. Plus largement, l’observation empirique selon laquelle plus de la moitié des équipes entrepreneuriales sont formées de l’entrepreneur et de son conjoint permet de soulever la question de la nature des liens entretenus par les équipiers. Francis et Sandberg (2000) proposeront ainsi, en s’inscrivant dans le programme de recherche ouvert par Kamm et al. (1990), de traiter à la fois de l’amitié comme fondement à la mise en place d’une équipe entrepreneuriale et de son impact sur la performance de l’entreprise créée. Plus largement, il est possible d’envisager la formation de l’équipe comme appuyée sur les liens entretenus au sein des réseaux sociaux. Dès lors, la présence d’un lien fort peut conduire à former une équipe avec des proches – famille ou amis – tandis que la présence de liens faibles peut également sembler suffisante. On conçoit que, de ce point de vue, la nature des liens va impacter la confiance entretenue entre les membres de l’équipe et, plus largement, sa capacité à traiter de possibles conflits. Ruef, Aldrich et Carter (2003) relèvent ainsi que les équipes sont généralement marquées par une association avec des individus proches par leurs caractéristiques de sexe, d’ethnie, d’âge ou de valeurs (homophilie) ou ayant des liens forts entre eux (familiarité), dans la mesure où l’on aura confiance en eux. De même, Francis et Sandberg (2000) ainsi que Ucbasaran et al. (2003) mettent en avant la plus grande « solidité » des équipes fondées sur des liens forts ou des relations d’amitié.

Cette logique des liens forts va à l’encontre de la vision de Burt (1992) dont la philosophie est plus matérialiste. La question de l’instrumentalisation des réseaux se pose naturellement dans la constitution des équipes. Même si Burt (1992) envisage cette instrumentalisation sous l’angle de la découverte d’occasions de marchés, on peut se demander quelle place elle tient dans le processus de constitution de l’équipe. Deux questions se posent alors : quelle est la place des liens faibles en tant qu’instrument de bouclage du projet ? Liens forts et instrumentalisation sont-ils antinomiques ? Il semble alors logique de fonder des équipes avec des personnes avec lesquelles nous n’entretenons que des liens faibles, dans la mesure où ces personnes nous paraissent pouvoir présenter un intérêt pour le projet entrepreneurial.

Bien sûr, il est difficile d’imaginer un entrepreneur souhaitant travailler avec des associés dont les valeurs ou la vision sont opposées à la sienne. Les investisseurs sont d’ailleurs soucieux de la bonne entente au sein d’une équipe d’entrepreneurs au-delà du partage des ressources ou compétences. Ainsi que l’indiquent Neergaard et Madsen (2004), dans les équipes de plus de trois membres – comme c’est souvent le cas dans les projets fondés sur une technologie innovante complexe –, il peut arriver que des liens forts cohabitent avec des liens faibles. L’équipe étant étoffée, il est statistiquement et sociologiquement évident que des liens plus ou moins forts caractérisent les relations entre chacun des coéquipiers.

Il sera alors intéressant de cerner dans quelle mesure les équipes observées s’inscrivent dans un contexte de liens forts ou de liens faibles.

1.3. L’équipe, une quête de ressources ou de compétences ?

Le constat de Aldrich, Carter et Ruef (2004) conforte des travaux menés depuis plusieurs années sur les équipes de fondateurs, ainsi que ceux qui s’intéressent aux équipes dirigeantes. Les premières analyses ont examiné les raisons de l’existence d’une équipe (Kamm et al., 1990 ; Kamm et Nurick, 1993). La décision de formation d’une équipe entrepreneuriale apparaît alors comme un processus délibéré :

  • soit un entrepreneur individuel, confronté à la rareté des ressources, s’associe à des partenaires disposant de ressources complémentaires aux siennes ;

  • soit un collectif d’individus, souhaitant travailler ensemble, envisage l’exploitation d’une occasion de marché et s’engage dans la constitution d’une équipe.

La logique à l’oeuvre est alors la même : attirer de nouveaux membres permettra à l’individu (ou l’équipe) initial(e) d’accéder à des ressources complémentaires, qu’elles soient financières, matérielles ou immatérielles (p. ex., le savoir-faire). Il s’agit d’une vision largement instrumentale, l’équipe étant le vecteur d’accès à des ressources ou des compétences.

Dans des projets pour lesquels la collecte de fonds est très importante (comme dans ceux fondés sur une innovation technologique, par exemple), la constitution d’une équipe est une condition sine qua non pour faire aboutir le projet et éventuellement le pérenniser (Bernasconi, 2004 ; Moreau, 2005). Mais la ressource financière n’est pas la seule ressource nécessaire au projet et, par conséquent, pas le seul élément à prendre en compte dans le processus de constitution de l’équipe. D’autres ressources doivent être mobilisées : la ressource technique (apport de machines, de bâtiments, de bureaux, de terrains), la ressource humaine, que l’on se réfère à l’apport de main-d’oeuvre ou, plus largement, de compétences (en gestion/management ou en savoir-faire technique).

Dès lors, la quête d’un accès à des ressources ou compétences complémentaires peut justifier la création d’équipe entrepreneuriale. La littérature sur les équipes dirigeantes peut être, sur ce point, intéressante. Développée dans le contexte des grandes entreprises (Hambrick et Mason, 1984 ; Hambrick, 2007), cette approche souligne l’intérêt d’un travail en commun pour améliorer la prise de décision stratégique des dirigeants. L’accent est mis sur le rôle de la diversité des expériences, de la démographie et des compétences des dirigeants dans la qualité de leur prise de décision. Très rapidement, les chercheurs en entrepreneuriat ont cherché, parfois de façon indépendante (Kamm et al., 1990), à s’interroger sur l’impact de la composition des équipes de fondateurs sur la performance de l’entreprise nouvelle (Ensley, Carland et Carland, 1998 ; Ensley, Pearson et Amason, 2002 ; Roure et Maidique, 1986).

L’accent est alors mis sur l’intérêt de disposer de compétences complémentaires, les membres ayant des compétences différentes qui vont leur permettre de couvrir les différents besoins liés à l’accomplissement de leur projet entrepreneurial (Ensley, Carland et Carland, 1998 ; Roure et Maidique, 1986)[6]. Dans ce cas, les coéquipiers se rassemblent car ils estiment ne pas disposer des ressources/compétences suffisantes pour créer ou pérenniser leur entreprise. La complémentarité entre les partenaires est perçue alors comme stratégique, l’un et l’autre ayant tout intérêt à s’associer.

La recherche de ressources/compétences est de ce fait une explication de la constitution des équipes d’entrepreneurs, même si elle a surtout été mise en avant dans la littérature sur les équipes dirigeantes. Il conviendra, cependant, de cerner si les équipes sont davantage liées à la satisfaction des besoins de complémentarités des ressources et des compétences ou si, au contraire, elles se sont constituées à partir de partenaires homogènes.

2. Méthodologie et résultats

Pour cerner la validité de ces éléments, nous avons procédé à une étude exploratoire empirique sur la nature des liens et leur rôle dans des projets entrepreneuriaux. L’étude a reposé sur six cas d’équipes entrepreneuriales ayant conçu un projet de création d’entreprise. Après avoir justifié la méthodologie choisie, nous soulignerons la dynamique relationnelle à l’oeuvre dans chacun des cas.

2.1. Méthodologie de recherche

La problématique de notre recherche découle d’un premier travail effectué entre 2000 et 2002 auprès de 14 petites entreprises engagées dans un ou plusieurs projets (projets immobiliers, projets d’activités nouvelles, projets d’investissements, projets de création d’entreprises, etc.). Dans le cadre de ce travail basé sur l’analyse de cas (Yin, 1984), nous avons interrogé 14 chefs d’entreprise de moins 50 salariés avec pour objectif de comprendre le processus qui menait à ces nouveaux projets (Condor, 2002). Parmi ces projets figuraient la création de l’entreprise étudiée ou la création de nouvelles entités (juridiquement indépendantes) par l’entrepreneur. Au total, 10 projets de création d’entreprise ont été isolés[7] dont 6 ont été menés par une équipe d’au moins deux personnes.

La méthode de recherche mise en place nous a permis de disposer d’informations sur les réseaux mobilisés lors de la création de ces entreprises, de sorte que nous disposions d’un gisement d’éléments empiriques pour alimenter notre étude actuelle sur la constitution des équipes. En effet, chaque cas a donné lieu à deux ou trois entretiens avec le chef d’entreprise.

Le premier entretien consistait en une présentation de l’entreprise, du dirigeant, de son marché et des projets en cours ou passés. À la fin de ce premier entretien, nous disposions d’un panel de projets sur lesquels nous pouvions mener une étude plus approfondie en ce qui concerne le processus d’évolution du projet (de l’idée à la réalisation).

Au cours du deuxième entretien, nous approfondissions nos investigations sur la conception en essayant de décrire avec le dirigeant les facteurs à l’origine de la naissance et de l’évolution du projet. C’est à ce moment que le facteur « réseau » est apparu comme déterminant dans l’aboutissement du projet. Nous avons approfondi cette notion lors d’un troisième et dernier entretien mené avec les différentes équipes autour des matériaux retranscrits.

L’ensemble des matériaux recueillis nous a permis de comprendre comment l’entreprise avait été créée, quels facteurs intervenaient dans le processus et, en particulier, le réseau social cristallisé sous forme d’une équipe entrepreneuriale. Le tableau 1 fournit quelques informations basiques sur les six entreprises constituées en équipes.

Tableau 1

Caractéristiques des six entreprises créées en équipe

Cas

Métier

Nombre de fondateurs

Date de création

CLB

Réparation automobile

2

2002

CSL

Sonorisation

3

1996

ESP

Transport de colis

3

1997

LTH

Conseil en management

3

2001

NC

Conception sites Web

2

1999

VGE

Réparation automobile

2

1999

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La lecture du tableau permet de constater que les six cas appartenaient à des secteurs divers : deux dans l’automobile (CLB et VGE), un dans le transport urgent (ESP), deux dans les services aux entreprises (NC et LTH) et un dans la sonorisation (CSL). Trois entreprises ont été fondées par deux associés (CLB, NC et VGE) et les trois autres l’ont été par trois personnes ou plus (CSL, ESP, LTH).

2.2. Résultats

L’analyse des cas permet d’apporter des éléments de réponse à deux ensembles d’interrogations. D’une part, les raisons de la cristallisation peuvent être cernées en recherchant pourquoi certains porteurs de projets créent en équipe alors que d’autres préfèrent une approche individuelle. D’autre part, lorsque la cristallisation est observée, il est intéressant d’observer comment s’opère la constitution de l’équipe.

2.2.1. Les raisons de la cristallisation

La nature des liens peut être une explication à la cristallisation mais les cas montrent que la relation n’est pas simple : ce n’est pas parce qu’un lien fort unit des personnes que celles-ci vont être intégrées – en tant qu’associés – au processus de création. Inversement, des équipes peuvent être constituées sur la seule base de liens faibles.

Dans les cas CSL, VGE et ESP, ce sont plutôt des liens forts qui caractérisent les relations entre les associés. Dans le cas CSL, les deux principaux associés (80 % des parts sociales) sont des amis d’enfance. Ils partagent une passion commune qui sera le concept originel de la société créée. Dans cet exemple, la force du lien est évidente tout comme son rôle dans la création : CSL a été créée avant tout parce qu’une confiance réciproque et un besoin d’entreprendre animaient les deux personnages. Les deux autres associés sont plutôt des liens faibles. Leur intégration résulte d’un souci de constitution de capital.

Dans les cas de VGE et ESP, les associés n’appartiennent pas à la même famille et ne se connaissent pas – comme chez CSL – depuis l’enfance. Le seul lien est d’ordre professionnel. Mais ce qui traduit la force de ce dernier est l’expérience partagée entre les différents associés. Dans un cas comme dans l’autre, un long vécu professionnel commun (plus de 10 ans) caractérise la relation des protagonistes : les associés d’ESP effectuaient des livraisons ensemble alors que ceux de VGE travaillaient dans un même atelier. La seule exception concerne le troisième associé d’ESP qui apparaît davantage comme un lien faible ; il appartenait à la même communauté professionnelle, mais il ne travaillait pas régulièrement avec les deux autres. De plus, ils ont véritablement fait connaissance lors du choix de la dénomination sociale de la société, quasiment au moment où l’entreprise devenait une entité juridique. Les trois derniers cas reposent incontestablement sur des liens faibles.

Les associés de NC ne se connaissaient que depuis quelques mois lorsqu’ils ont décidé de créer en commun. Leur rencontre, qui a eu lieu dans un cadre professionnel, a permis de préciser le projet du dirigeant 1. En effet, si ce dernier souhaitait créer, il ne savait pas dans quel domaine. C’est la rencontre avec son associé qui lui a permis d’affiner son projet. Et dans la mesure où ce projet reposait sur une expertise technique qu’il n’avait pas, leur association devenait incontournable.

Quant à LTH, les trois associés se sont rencontrés au cours des deux années précédant la création dans le cadre d’un programme de formation continue et d’un contact purement privé (psychanalyste). À l’époque de la création, il était difficile de parler de lien fort. Tout au plus, les liens faibles se renforçaient. CLB, enfin, est caractérisée par l’association de personnes qui disposaient d’un garage de la même marque sans être pour autant en relation d’affaires avant leur rencontre lors d’un voyage professionnel.

D’une manière générale, l’analyse des six cas montre que toutes les formes de liens peuvent aboutir à la cristallisation de l’équipe et qu’un créateur peut, selon les cas, cristalliser des liens forts ou des liens faibles, en fonction des motivations et des types de ressources dont il a besoin.

Dans la plupart des cas d’entreprises créées par une équipe, c’est le besoin de ressources ou de compétences complémentaires qui prédomine. Le principal associé de NC cherchait un collaborateur qui maîtrisait la technique alors que ses compétences étaient davantage liées au management. Dans cet exemple, la ressource financière a un faible impact car le leader disposait des fonds suffisants pour créer l’entreprise.

Dans les cas VGE, CLB, ESP et LTH, c’est plutôt cette ressource financière qui explique la cristallisation. Seuls les porteurs de projets n’avaient pas les moyens de créer. Par contre, à l’exception de LTH où une complémentarité de compétences était recherchée, les associés détenaient un savoir-faire commun qu’ils étaient prêts à associer.

Dans le cas CSL, la variable « ressources/compétences » est secondaire mais elle apparaît clairement au moment de l’intégration des deux associés supplémentaires. Par ailleurs, on constate une certaine complémentarité entre les deux fondateurs historiques : l’un ayant des compétences en gestion, l’autre disposant d’un carnet d’adresses étoffé (clients potentiels). Dans cet exemple, la force du lien semble être l’élément décisif de la cristallisation, même si, là aussi, la complémentarité des ressources semble avoir une importance tant pour la structuration que pour la réussite du projet de création. Les associés estiment posséder les ressources et compétences nécessaires à leur projet et vont « sauter le pas » grâce à leur amitié solide.

L’exposé des cas montre qu’une explication moniste fondée sur une seule logique – relationnelle ou stratégique – semble réductrice : penser la cristallisation nécessite de prendre en compte simultanément les deux variables que sont la force des liens et la nature des ressources mobilisées. De là découlent un certain nombre de combinaisons que nous exposons ci-après.

2.2.2. Une typologie exploratoire

Il est possible de dégager une typologie soulignant la multiplicité des configurations d’équipes observées. D’une part, les raisons susceptibles d’expliquer la constitution d’une équipe dépendent de la nature des ressources engagées, bien qu’il faille distinguer ici le caractère complémentaire ou similaire des ressources/compétences. D’autre part, la nature des liens entretenus semble également pouvoir constituer une variable déterminante.

Le tableau 2 – à titre de proposition – met en évidence quatre catégories – ou configurations – d’équipes, établies à partir du croisement entre les ressources/compétences et la nature du lien.

Tableau 2

Typologie des équipes de fondateurs

Nature du lien

Ressource/compétence

Faible

Fort

Similaire

Équipe de circonstance

(LTH, CLB)

Équipe de jumeaux

(VGE, ESP)

Complémentaire

Équipe de mousquetaires

(NC)

Dream team

(CSL)

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La matrice permet d’aboutir à quatre types d’équipes : l’équipe de circonstance, qui est dominée par la recherche de ressources ou de compétences similaires et pour laquelle la force du lien a peu d’importance ; l’équipe des mousquetaires, qui favorise également les ressources/compétences mais avec une recherche de complémentarité ; l’équipe de jumeaux, fondée sur le lien fort et des ressources/compétences identiques ; et enfin, la dream team, fondée sur le lien fort et la complémentarité des moyens ou de savoir-faire.

L’équipe de circonstance pourrait également être appelée « ad hoc ». En effet, il s’agit de créateurs qui, a priori, ont de faibles liens mais qui se rapprochent du fait d’une compétence similaire. La faiblesse des liens peut signifier un temps réduit entre le moment de la rencontre des individus et la création effective de la société. L’échange sur des ressources/compétences communes est alors directement à l’origine de la création de la société. On peut se poser la question de la pérennité de ce type d’association. Le cas CLB montre assez bien les limites de cette configuration. L’association fut rapidement remise en question. Six mois après la création, les deux associés se séparèrent. L’un d’eux, a priori le plus entreprenant dans la constitution de l’équipe, racheta les parts de l’autre. L’équipe fut dissoute aussi rapidement qu’elle fut constituée. Elle a même failli mener au dépôt de bilan de l’entreprise du numéro deux et amena une réorganisation totale de l’entreprise du premier qui vendit finalement son entreprise familiale. Dans cet exemple, on voit bien la réalité de cette configuration et ses risques : constitution non réfléchie, associés qui ne se connaissent pas et qui ont par ailleurs d’autres activités, compétences non complémentaires et opportunisme.

La seconde forme est l’équipe de jumeaux. Il s’agit de coéquipiers qui se connaissent bien (liens forts) et qui disposent de ressources/compétences indifférenciées. Dans cette configuration, c’est le lien fort qui est à l’origine de la création. Les créateurs sont peu regardants à l’égard de la non-complémentarité de leurs ressources/compétences. Soit ils estiment que les différences du point de vue de la personnalité sont suffisantes pour réussir ; soit la complémentarité est perçue comme moins importante que la fraternité et le partage de valeurs. Outre l’appartenance à une même famille ou à une communauté, le point commun peut être une passion commune, l’envie de construire ensemble un projet partagé. Le risque de cette configuration tient sans doute à l’absence de conflit cognitif. Les associés se connaissant bien, ils risquent de créer l’entreprise sur une base affective, reniant ainsi toute opinion contraire. Or, comme le montrent Ensley, Pearson et Amason (2002), l’existence d’un conflit cognitif est une condition de réussite des projets de création d’entreprise. Lorsque la pensée unique domine, un faible nombre d’hypothèses est identifié, fragilisant ainsi le projet.

L’équipe de mousquetaires est formée de créateurs qui se rassemblent pour pallier les lacunes de l’autre[8]. Le cas le plus typique est l’association de l’ingénieur et du gestionnaire. Les associés ont des compétences particulières dans leur domaine mais savent que les forces de l’un peuvent combler les faiblesses de l’autre. La difficulté réside ici dans le conflit cognitif. Celui-ci peut rapidement tourner en conflit affectif si la reconnaissance de la différence n’est pas faite et si les coéquipiers ne perçoivent pas cette différence comme constructive. Si l’association paraît crédible à court terme, peut-elle vraiment durer ? Par ailleurs, les risques d’opportunisme évoqués à propos de l’équipe de circonstance peuvent s’appliquer également. Cette forme d’équipe, si elle paraît en mesure de faire preuve de son efficacité, risque de connaître une certaine instabilité dans sa composition.

A priori, l’équipe qui semble la mieux armée pour réussir la création est la dream team. Celle-ci se caractérise par un lien fort entre les membres et une complémentarité des ressources/compétences. L’atout majeur de cette équipe est certainement l’expérience qu’ont les personnes à travailler ensemble, et ce, malgré leurs différences. Comme nous l’avons vu précédemment, la différence peut être un atout pour créer mais elle peut rapidement devenir une faiblesse si les coéquipiers ne perçoivent pas la complémentarité. Dans la dream team, les créateurs sont différents et ont su avec le temps accepter cette différence et s’en servir pour avancer dans des projets. Cette configuration n’empêche cependant pas le conflit affectif de dominer. Deux frères qui ont des formations différentes vont-ils pour autant renier des malentendus si courants dans les affaires familiales ?

3. Apports et limites

Les observations effectuées sur les cas de créations d’entreprise ont permis de souligner à la fois les raisons et les modalités de la cristallisation ou de la constitution des équipes entrepreneuriales. Cependant, il est nécessaire de préciser en quoi ces observations effectuées peuvent conduire à enrichir – ou discuter – la littérature existante, mais aussi en quoi elles peuvent conduire à des approfondissements ultérieurs du fait de la particularité des cas observés.

3.1. Apports

Le travail effectué permet de rapprocher des éléments épars de la littérature. Cette dernière a eu tendance à se développer de façon relativement disjointe entre, d’une part, les travaux sur la Top Management Team et, d’autre part, ceux orientés vers les réseaux sociaux – et en ce sein entre les travaux parus à la suite de Burt ou d’Aldrich. Nous avons proposé une articulation source de synthèse entre ces littératures. Ainsi, avons-nous souligné que la création d’une équipe repose sur une logique économique et sociologique. De multiples cas de figure sont à l’oeuvre et il est nécessaire de réconcilier ces deux points de vue. Sans la combinaison de ces éléments, il est impossible de rendre compte des motifs de regroupement – cristallisation –, sauf au prix d’une réduction très forte. Ainsi, si Moreau (2006, p. 55) évoque bien deux catégories de raisons qui guident le choix de formation d’équipe – l’une de type stratégique, l’autre de type sociale, son analyse le conduit à privilégier la « théorie sociologique » pour rendre compte de la formation des équipes. Cependant, ainsi que lui-même le montre dans son étude, les deux ensembles de mobiles peuvent être présents. Nous avons mis en exergue ici que l’on ne peut exclure l’une des deux explications, pas plus que l’on ne peut supposer que celles-ci sont antinomiques. Des combinaisons de logique existent dans les équipes rencontrées et il convient de les accepter. C’est le rôle, ensuite, d’études ultérieures, de mesurer la fréquence de ces aspects dans la formation des équipes, leur impact ou connexion avec l’efficacité des équipes entrepreneuriales.

Notre étude a permis également d’étendre l’approche en termes de réseaux sociaux, en introduisant l’idée de « cristallisation ». Celle-ci permet de discuter le passage d’individus isolés – voire d’individus en relation d’affaires – à un collectif d’individus, structuré autour du projet. En cela, à la suite de Larson et Starr (1993), nous ouvrons la voie à une discussion des configurations d’équipe. La typologie proposée permet ainsi de prendre en compte les logiques économiques (stratégique) et sociales (réseaux sociaux) qui sont à l’oeuvre. Sans doute est-ce fait de façon encore très synthétique ; cependant, cela permet de faire émerger des propositions quant au devenir des équipes et d’expliquer ou de rendre compte des différences de conceptions observables dans la littérature. En ce sens, le travail effectué s’inscrit dans une volonté de capitalisation sur les travaux existants, tout en cherchant à identifier les facteurs à l’oeuvre dans les dynamiques des entreprises en création. Là aussi, des études ultérieures permettront d’apprécier la fréquence des formes d’équipe et leur connexion à la performance.

3.2. Limites

Si l’étude conduite ouvre des perspectives, il convient de noter qu’elle possède, bien évidemment, des limites, tenant tant à la nature de l’exploration réalisée qu’à la nature des cas étudiés.

L’étude réalisée développe les motifs de formation des équipes, proposant une typologie à travers un ensemble d’études de cas. Si l’on met en lumière les mobiles de formation, l’étude réalisée ex post ne rend qu’imparfaitement compte des processus à l’oeuvre. Le fait d’avoir réalisé des entretiens multiples – et de rediscuter avec les entrepreneurs autour des matériaux récoltés – permet de limiter dans une certaine mesure les biais de reconstruction ex post, mais cela de façon moins efficace que n’aurait permis de le faire l’accompagnement d’équipes d’entrepreneurs in situ : une étude longitudinale permettant de suivre des équipes entrepreneuriales au cours du temps serait un moyen de remédier à cette limite, mais aussi de voir comment évolue l’équipe au cours des différents stades du projet entrepreneurial (nouveaux membres, sorties, conflits, etc.).

D’autre part, il convient de souligner que, pour l’essentiel, nos observations portent sur des « entrepreneurs ordinaires », s’impliquant dans des projets low tech, non riches en technologies avancées. S’il est important d’analyser l’entrepreneuriat high tech – fort créateur d’emplois par entreprise, pourvoyeur d’entreprises en forte croissance –, il est tout aussi nécessaire de ne pas se désintéresser des projets que nous étudions, ceux-ci étant peut-être a priori moins prometteurs (en créations d’emplois individuels) mais largement pourvoyeurs de créations d’entreprises et d’emplois. Cependant, le type d’entreprises étudiées ne possédant pas les caractéristiques des gazelles ou autres entreprises fortement innovantes n’est pas de nature à retenir l’attention de venture capitalists ou autres business angels. Cet aspect est de nature à orienter les résultats obtenus, les études conduites, par ailleurs, ayant montré que les créations en équipe sont plus fréquentes dans le domaine des technologies (Moreau, 2006 ; Neergaard et Madsen, 2004 ; Bernasconi, 2000). Cependant, nous avons observé une majorité d’équipes dans nos cas d’entrepreneurs ordinaires. Il serait intéressant, dans des recherches ultérieures, de croiser les typologies obtenues, en fonction de la nature des projets réalisés.

Enfin, notre étude est exploratoire et qualitative : elle a mis en lumière des connexions entre des logiques de formation des équipes. Il serait pertinent, là aussi, de se livrer à une exploration complémentaire sur les motifs de formation, mais aussi sur les implications en termes de performance. L’observation du devenir des équipes effectuée en 2008 ne permet pas de discriminer les formes d’équipes en termes de performances, mais une telle étude semble nécessaire.

Conclusion

Si les analystes ont jusqu’alors souligné le rôle crucial des réseaux sociaux dans le processus de création d’entreprise, il semble nécessaire de compléter la perspective en s’interrogeant sur la façon dont le réseau social peut se cristalliser dans une équipe entrepreneuriale.

Cependant, une telle analyse soulève de nombreuses questions. D’une part, elle nécessite de s’interroger sur ce qui conduit les individus à s’associer ou, au contraire, à rester solitaires dans le processus de création. D’autre part, elle conduit à analyser finement les dynamiques à l’oeuvre dans la décision d’association. Notre étude exploratoire a permis de montrer que, si les contraintes d’accès aux ressources financières ou autres semblent expliquer largement la décision d’association, les équipes combinent à des degrés divers la logique relationnelle et la recherche de complémentarité des ressources. Au-delà d’analyses statistiques, une étude qualitative de la diversité des configurations d’équipes de fondateurs est apparue pertinente. L’analyse doit, bien sûr, être approfondie : au-delà de l’étude de la dynamique de constitution de l’équipe entrepreneuriale, il sera nécessaire de cerner sur une longue période les avantages et les risques liés à chacune des configurations.

En outre, des pistes complémentaires pourraient être explorées, relatives, d’une part, au « pourquoi » de la non-construction de l’équipe et, d’autre part, au rôle structurant du projet. Comme nous l’avons vu, la création en solitaire peut être liée à l’inexistence d’un besoin de ressources ou de compétences cruciales. Mais elle peut s’expliquer également par les aspirations du créateur, en particulier sa recherche d’indépendance. Mieux articuler notre analyse avec la psychologie du créateur semble alors pertinent. Concernant le caractère structurant du projet, il s’agit de renforcer la proposition suivante. Nous avons, en effet, analysé en quoi la nature des liens et la quête de ressources peuvent expliquer la dynamique (individuelle ou collective) du projet. Il est également possible d’inverser la relation, en soulignant en quoi le projet renforce les liens.