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Introduction

L’émergence de nouveaux acteurs dans l’économie mondialisée amène une concurrence accrue dans certains secteurs économiques, dont l’industrie de la forêt. Au Québec, l’exploitation des forêts est principalement attribuée à de grands industriels, lesquels sous-traitent à de nombreuses PME les travaux de récolte, de transport et de construction de chemins forestiers (Legendre, 2005). L’industrie forestière traverse depuis quelques années des moments difficiles. Elle est confrontée à des problèmes d’ordre à la fois structurel et conjoncturel. Hausse du coût de la fibre, taux de change et imposition de droits compensatoires sur le bois d’oeuvre qui désavantagent les exportations vers les États-Unis, hausse du coût de l’énergie, baisse du prix du bois d’oeuvre et de certains papiers, rareté croissante de la ressource : les problèmes de l’industrie sont sérieux et nombreux.

Dès la fin des années 1970, les activités industrielles dans les forêts de l’est du Canada ont évolué rapidement d’une structure presque entièrement contrôlée par les grandes compagnies de pâtes et papiers vers une organisation plus flexible et décentralisée, caractérisée par un recours généralisé à la sous-traitance (Mercure, 1996). Autrefois salarié à l’emploi d’une compagnie, l’entrepreneur forestier sous-traitant est devenu un chef d’entreprise. En tant que premier responsable des opérations qui lui ont été imparties, l’entrepreneur doit posséder des compétences diversifiées, de plus en plus complexes. Ainsi, les pressions concurrentielles dans cette industrie poussent les grandes entreprises à exiger davantage de leurs sous-traitants, qui doivent améliorer leur performance pour survivre.

Puisque ces opérations étaient menées autrefois par les donneurs d’ordres et que ceux-ci pourraient être tentés de considérer leurs sous-traitants comme une extension de leur propre entreprise, une telle situation aurait pour conséquence de réduire leur autonomie décisionnelle et leurs comportements entrepreneuriaux, ces deux éléments étant susceptibles de réduire leur performance. Dans un contexte de haute compétitivité, où la performance d’un acteur de la chaîne de valeur affecte l’ensemble des entreprises impliquées, cette situation pourrait se révéler dramatique.

L’objectif de cette recherche est de vérifier si la forte dépendance commerciale des PME sous-traitantes en opérations forestières, tout comme leur possible perte d’autonomie décisionnelle, influence négativement leur performance. Nous souhaitons également voir dans quelle mesure la réduction de l’autonomie décisionnelle influence les choix stratégiques des dirigeants de ces PME.

1. L’industrie forestière de l’est du Canada

Au Québec, l’exploitation forestière demeure exercée de façon prédominante par les grands industriels (Blais et Chiasson, 2005). Les entrepreneurs forestiers offrent donc essentiellement des services d’exécution pour la coupe d’arbres, la construction de chemins forestiers ou le transport de billes pour ces grandes entreprises industrielles. En conséquence, ils se retrouvent dans une situation de sous-traitance, comme l’indique Legendre (2005). En étudiant l’évolution des contrats de sous-traitance dans l’industrie forestière, l’auteur s’aperçoit que les responsabilités et les risques sont repoussés sur les épaules des petits exploitants forestiers, lesquels sont « […] complètement dépendants économiquement et financièrement des [grandes compagnies] et ont pratiquement perdu leur autonomie organisationnelle » (Legendre, 2005, p. 140). Cette réalité est palpable lorsqu’on analyse le discours des analystes économiques canadiens, qui considèrent les petites entreprises d’exploitation forestière comme dépendantes de grandes organisations, avec comme principal objectif de procurer à ces dernières une flexibilité pour soutenir leurs restructurations dans une économie post-fordiste, comme le met en évidence Bronson (1999).

Au Québec, les forêts du domaine public occupent un peu plus de 90 % du domaine boisé (MRNF, 2010). Dans ces forêts, les entrepreneurs forestiers québécois de récolte, de transport et de voirie sont très majoritairement en situation de dépendance commerciale, en ne travaillant que pour quelques grands donneurs d’ordres, lesquels leur imposent les parterres de coupe et les taux qui leur seront payés pour l’approvisionnement en bois, notamment. On définit la dépendance commerciale comme étant une situation où un nombre restreint et peu diversifié de clients (ou de fournisseurs) fournit plus des trois quarts du chiffre d’affaires d’une entreprise (Rinfret, St-Pierre et Raymond, 2000). Il s’agit d’une situation prévalant dans l’industrie de la forêt, où 49,4 % des entrepreneurs forestiers québécois ont un seul client qui contribue à la totalité de leur chiffre d’affaires et 81,1 % ont seulement trois clients ou moins (PREFoRT, 2007). Cette situation de dépendance commerciale pourrait influencer grandement leur performance et réduire leur marge de manoeuvre stratégique. En sachant que l’émergence des entrepreneurs forestiers est la conséquence d’un choix stratégique des grandes entreprises de produits forestiers de se concentrer sur leur compétence fondamentale, en impartissant les activités de coupe, de transport et de construction de chemins forestiers, il est permis de penser que ce ne sont pas tous les propriétaires-dirigeants des entreprises d’exploitation forestière qui montrent des comportements entrepreneuriaux, tels que l’innovation, la recherche de croissance et de profits (Carland et al., 1984 ; Filion, 2005 ; Gartner, 1989). Dans cette perspective, la situation de dépendance pourrait influencer les comportements entrepreneuriaux et, conséquemment, la performance de la PME forestière.

1.1. Dépendance commerciale et performance de la PME

Dans la documentation qui s’intéresse à la dépendance commerciale, on relève que la dépendance d’une PME envers un ou quelques clients finit par réduire le comportement entrepreneurial du dirigeant, lequel pourrait être tenté de se contenter de sa relation de sous-contractant (Raymond et St-Pierre, 2002 ; Wilson et Gorb, 1983). D’autant plus que dans le domaine forestier, le donneur d’ordres impose différents aspects au niveau de la prestation du travail de l’entrepreneur forestier, par exemple, en imposant des restrictions sur la longueur des billots, sur la quantité de bois coupé et même sur certaines méthodes et outils de travail (Legendre, 2005). Dans cette perspective, il devient plus difficile pour l’entrepreneur d’innover, même si cet aspect est souvent considéré comme fondamental pour reconnaître la présence d’un acte entrepreneurial (par exemple Risker, 1998).

Dans bien des cas, comme le soulèvent Holmlund et Kock (1996), le sous-traitant n’a pas d’autres choix que de se conformer aux directives du grand donneur d’ordres, même si parfois cela résulte en une production non profitable. D’ailleurs, on remarque que les marges bénéficiaires des PME en situation de dépendance commerciale sont moindres que celles qui transigent avec plusieurs clients, même si leurs frais de vente et d’administration sont inférieurs (Rinfret, St-Pierre et Raymond, 2000). Cela pourrait s’expliquer par une plus grande difficulté à négocier leur prix de vente.

Par ailleurs, la dépendance commerciale implique également la notion de pouvoir (Emerson, 1962), celui-ci se retrouvant concentré dans les mains du donneur d’ordres. Il n’est pas surprenant de constater que les relations où il existe une forte dépendance commerciale, donc qui sont inégales en termes de pouvoir, sont souvent dysfonctionnelles, instables ou dépourvues de confiance (Corsten et Felde, 2005 ; Kumar, Scheer et Steenkamp, 1995). Les relations où le donneur d’ordres possède beaucoup de pouvoir sur ses sous-traitants amènent une plus faible profitabilité pour ceux-ci (Cox et al., 2004). La différence dans la taille des entreprises pourrait expliquer la difficulté des PME de négocier « d’égal à égal » avec un grand donneur d’ordres (Ramsay, 1990). En outre, un changement important du volume des commandes d’un grand donneur d’ordres peut causer des fluctuations radicales au rythme de croissance d’une PME (St-Jean, Julien et Audet, 2008). Conséquemment, on recommande aux petites entreprises qui sont dépendantes d’un grand client de diversifier leur clientèle pour réduire les risques (Henricks, 1993 ; Kalwani et Narayandas, 1995). La réduction de la dépendance commerciale permet alors à la PME de mieux négocier le prix de ses produits et services avec de grandes organisations (Wilson et Gorb, 1983).

Ainsi, il pourrait être plus judicieux de parler d’autonomie décisionnelle dans des contextes de forte interaction entre un donneur d’ouvrage et son sous-traitant. Par exemple, l’entrepreneur pourrait être dans une situation de dépendance commerciale, du fait que son carnet de commandes se concentre dans les mains d’un seul client, mais posséder une autonomie décisionnelle dans la manière d’exécuter le contrat, de fixer ses prix, dans sa liberté de solliciter des concurrents à ce donneur d’ordres, et ainsi de suite. Cette perte d’autonomie décisionnelle a d’ailleurs été soulevée par Lyons, Krachenberg et Henke Jr. (1990), laquelle peut même se solder par une réduction de l’autonomie dans les choix stratégiques. Le pouvoir du donneur d’ordres pourrait également influencer les choix stratégiques telles les décisions d’innovation ou l’étendue des produits offerts (Inderst et Shaffer, 2007 ; Inderst et Wey, 2007). Même si la concentration de la clientèle constitue une stratégie risquée pour la PME sous-traitante (Kalwani et Narayandas, 1995), cet effet pourrait être moins marqué auprès de celles qui ne vivent pas une forme de « domination stratégique » du donneur d’ordres, d’où l’intérêt de considérer l’autonomie décisionnelle des PME sous-traitantes en situation de dépendance commerciale.

Toutefois, la relation entre la dépendance commerciale et la performance n’est pas très claire, en particulier dans certaines industries. Par exemple, comme l’a démontré Mäkinen (1993), les entrepreneurs forestiers finlandais pouvaient obtenir des résultats financiers satisfaisants s’ils travaillaient pour un seul « bon » donneur d’ouvrage, lequel fournissait suffisamment de travail intéressant (donc plus rentable) à l’entrepreneur. C’est également le cas pour les entreprises dans les secteurs hautement compétitifs au plan mondial, par exemple l’électronique, les machines-outils et l’automobile, où les sous-traitants dépendants commercialement obtiennent une plus grande croissance (Kalwani et Narayandas, 1995). Par contre, dans l’industrie du textile, la forte dépendance commerciale des sous-traitants et les pressions exercées par les manufacturiers donneurs d’ordres se répercutent dans l’obligation de baisser leurs coûts de production, sans quoi ils seraient forcés de fermer leur entreprise, faute de contrats (Kilduff, 2005 ; Remili et Carrier, 2006). À l’intérieur même d’une industrie comme l’aéronautique, on souligne qu’il existe trois catégories de sous-traitants, chacune amenant une relation typique entre ce dernier et le donneur d’ordres : d’économie (forte dépendance), de spécialisation (complémentarité) et d’approvisionnement (équilibre de pouvoir) (Amesse et al., 2001). En somme, la dépendance commerciale amène son lot d’avantages et d’inconvénients pour la PME sous-traitante, lesquels peuvent influencer la performance positivement ou négativement (Barringer, 1997).

Ces éléments incitent à examiner la notion d’autonomie décisionnelle parallèlement à la dépendance commerciale. En effet, la notion de dépendance commerciale, basée sur l’idée d’une forte proportion des ventes auprès d’un ou de quelques clients, ne permet pas de considérer le niveau d’autonomie décisionnelle, lequel pourrait être fortement réduit par la dépendance commerciale, certes, mais pas systématiquement. Comme soulevé précédemment, une PME pourrait conserver son autonomie décisionnelle même en situation de dépendance commerciale, dans une situation où elle possède un avantage concurrentiel qui la rend presque indispensable pour le donneur d’ordres, comme dans le cadre d’une sous-traitance d’intelligence (Julien, 2000).

1.2. Hypothèses de recherche

Comme nous l’avons mentionné en introduction, cette recherche vise à vérifier l’effet de la dépendance commerciale et de l’autonomie décisionnelle sur la performance de la PME de sous-traitance forestière. Bien que certaines nuances puissent être apportées selon les recherches soumises à l’examen, la dépendance commerciale aurait un effet négatif sur la performance de la PME. En particulier, le donneur d’ordres qui possède beaucoup de pouvoir envers ses sous-traitants amène une plus faible profitabilité pour ceux-ci (Cox et al., 2004). C’était le cas de l’industrie automobile dans les années 1970, par exemple, où les grands manufacturiers utilisaient leur pouvoir pour obtenir des prix toujours plus bas, au détriment des sous-traitants (Perrow, 1974). A contrario, la diversification de la clientèle dans les marchés étrangers, qui réduit la dépendance envers les clients nationaux, permet d’augmenter les profits de l’entreprise (Daniels et Bracker, 1989). Cela suggère l’hypothèse suivante :

  • H1 : La dépendance commerciale influence négativement la performance de la PME forestière.

Tout comme pour la dépendance commerciale, l’ingérence du donneur d’ordres dans les choix stratégiques de la PME sous-traitante pourrait réduire sa performance. Donc, a contrario, une plus grande autonomie décisionnelle devrait influencer positivement la performance, ce qui amène l’hypothèse suivante :

  • H2 : L’autonomie décisionnelle influence positivement la performance.

Également, la dépendance commerciale pourrait réduire considérablement l’autonomie décisionnelle des dirigeants de la PME. En étant conscient de la dépendance de ses sous-traitants, le donneur d’ordres pourrait finir par les considérer comme une extension de sa propre organisation et utiliser son pouvoir pour les contraindre dans leurs choix stratégiques. Cette considération amène l’hypothèse suivante :

  • H3 : La dépendance commerciale réduit l’autonomie décisionnelle.

Finalement, dans un contexte où l’autonomie décisionnelle d’un sous-traitant serait réduite par le pouvoir qu’exerce le donneur d’ordres, les choix stratégiques du dirigeant de PME pourraient être limités. Cette situation est fréquente auprès des sous-traitants en situation de dépendance commerciale, en particulier dans un contexte de faible technologie, qui finissent par développer des stratégies particulières pour réduire leur situation de dépendance et, en conséquence, réduire le risque (Jansson et Hilmersson, 2009). Également, on note que les choix stratégiques des donneurs d’ordres nécessitent un alignement avec ceux des sous-traitants, par exemple lorsque ceux-ci choisissent une stratégie d’innovation (Isaksen et Kalsaas, 2009). En conséquence, il est probable qu’une plus grande autonomie décisionnelle offre un plus large éventail de choix stratégiques, ce qui conduit à l’hypothèse suivante :

  • H4 : L’autonomie décisionnelle influence les choix stratégiques.

2. Méthode de recherche

2.1. Population et échantillon

Pour répondre à nos questions de recherche, nous avons utilisé les données collectées dans le cadre d’un sondage de suivi auprès d’un échantillon de 717 PME de sous-traitance en opérations forestières québécoises, lesquelles correspondaient à 28 % de la population totale des PME du secteur, et qui ont répondu à une enquête en 2006. Le suivi que nous avons effectué auprès de cet échantillon de PME a été réalisé en 2009 et 265 PME ont répondu à notre questionnaire, correspondant à un taux de réponse de 37 %. Ce questionnaire a été envoyé au propriétaire de la PME.

2.2. Mesures

La dépendance commerciale est définie comme une situation où un petit nombre de clients contribuent à plus de 75 % du chiffre d’affaires (Remili et Carrier, 2006 ; Rinfret, St-Pierre et Raymond, 2000). Toutefois, plutôt que de fournir un énoncé où le répondant doit déterminer si son entreprise est en situation de dépendance commerciale (ou non), avec pour effet d’obtenir une variable dichotomique, nous avons demandé quelle était la proportion approximative du chiffre d’affaires que fournit le client principal de l’entreprise. De cette manière, la variable devient métrique (de 0 à 100).

Nous avons également mesuré l’autonomie décisionnelle des PME de sous-traitance forestières à l’égard de six composantes : le prix des services, le choix des employés, leurs conditions de travail, la nature des contrats à remplir, la manière d’exécuter le travail et les outils ou technologies à utiliser. Ces dimensions ont été choisies par les chercheurs à la suite des commentaires qui ont été recueillis lors de tables rondes sur le sujet dans le cadre d’un colloque regroupant plus d’une centaine d’entrepreneurs forestiers. Pour chaque dimension, le répondant devait indiquer sa situation au moyen d’une échelle graduée à 7 points variant entre 1-Mes clients décident totalement et 7-Mon entreprise décide totalement.

Pour ce qui est de la performance, dans un contexte de PME, il s’agit bien évidemment d’un concept multidimensionnel (Wolff et Pett, 2006). Cela implique que la mesure de la performance devrait faire appel à de multiples indicateurs reliés aux objectifs stratégiques de l’entreprise (Kaplan et Norton, 1992). Nous avons donc sélectionné 11 indicateurs de performance : la croissance des revenus, du nombre d’employés et la marge de profit (Le Roy, 2001 ; McMahon, 2001), l’amélioration des techniques de production et l’adoption de nouvelles technologies (Beamon, 1999), la qualité et la variété des services offerts aux clients ainsi que leur satisfaction (Perera, Harrison et Poole, 1997), le recrutement et la rétention du personnel (Ulrich, 1999), l’investissement dans la communauté (Graves et Waddock, 1994) et le respect de l’environnement et le développement durable (Gondran et Brodhag, 2003).

Les mesures utilisées ici sont subjectives, donc selon la perception du répondant de sa performance comparée à ses deux principaux concurrents. L’échelle de mesure varie de 1-Très inférieure aux autres à 5-Très supérieure aux autres. Bien qu’il y ait des limites à mesurer la performance de cette manière, notamment à cause d’une augmentation de l’erreur de mesure, les recherches précédentes ont démontré que les mesures perceptuelles de performance sont corrélées significativement avec les mesures objectives (Murphy et Callaway, 2004 ; Murphy, Trailer et Hill, 1996). Partant du fait que les entreprises étudiées sont toutes indépendantes et privées et que le dirigeant est souvent réticent à divulguer ses données financières et que, pour certaines dimensions, il ne dispose peut-être d’aucune donnée objective, nous avons opté pour une approche subjective, comme on le suggère dans ces situations (Dess et Robinson, 1984).

En outre, il faut souligner que nous avons choisi de ne pas utiliser de mesures synthétiques, ou agrégées, pour diverses raisons. D’abord, de telles mesures ne permettent pas de prendre en considération le caractère multidimensionnel de la performance. À titre d’exemple, une augmentation de la croissance du chiffre d’affaires peut se produire au détriment de la profitabilité, et vice-versa. En outre, le choix des items pour composer un indice de performance nécessite une justification qui n’est pas toujours facile à faire, compte tenu des différents objectifs que peut se fixer un dirigeant d’entreprise, affectant alors différents aspects de la performance de sa PME. Enfin, l’utilisation de différents items séparés pour mesurer la performance permet de mieux faire ressortir les relations entre les variables étudiées.

Finalement, au regard des choix stratégiques, nous avons demandé au dirigeant d’indiquer les stratégies qu’il visait pour les cinq prochaines années, qui comprenaient notamment « aucun changement important », « la croissance », « la diversification dans la forêt », « la diversification hors forêt » et « la vente / fermeture de l’entreprise ». Plusieurs choix simultanément étaient possibles et chaque variable était codée « 1 » (choix sélectionné) ou « 0 » (non sélectionné).

2.3. Méthode

Avant de tester nos hypothèses, nous avons vérifié la structure factorielle de l’autonomie décisionnelle puisqu’il s’agit d’une nouvelle mesure et qu’il est possible que ce concept recèle plus d’une dimension. Par la suite, des corrélations ont été calculées pour tester les hypothèses H1, H2 et H3. Finalement, des régressions logistiques binaires ont été calculées pour vérifier l’effet de l’autonomie décisionnelle sur les probabilités de faire certains choix stratégiques (H4).

3. Résultats

3.1. Données descriptives

Les PME de sous-traitance en opérations forestières ont en moyenne 5,54 employés, excluant le propriétaire (médiane de 3) et 84,8 % de l’échantillon possède moins de 10 employés. Le chiffre d’affaires moyen est de 2,05 millions CAD (médiane 500 000 $). Au regard de la dépendance commerciale, notre échantillon peut être considéré comme fortement dépendant des donneurs d’ordres puisque le client principal représente en moyenne 85 % du chiffre d’affaires (médiane de 100 %). En fait, pour 73,8 % des PME forestières, le client principal représente 75 % ou plus du chiffre d’affaires, dont 55,7 % qui n’ont qu’un seul client.

En ce qui concerne l’autonomie décisionnelle, on constate certains écarts de distribution entre chacune des composantes (voir le tableau 1). Par exemple, si le prix des services est assez bien distribué, ce n’est pas le cas pour le choix des employés, où une très forte majorité des PME ont une autonomie de légère à totale. Rappelons ici que le répondant devait situer le degré d’autonomie décisionnelle de la PME, allant d’une décision unilatérale du client (1) à une décision qui revient totalement à la PME (7), la neutralité (4) équivalant à une négociation « d’égal à égal ».

Tableau 1

Distribution des composantes de l’autonomie décisionnelle

Distribution des composantes de l’autonomie décisionnelle

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Au regard de la performance, toutes les mesures possèdent une médiane de 3,00 (la mesure variant de 1 à 5) et les moyennes varient de 2,91 à 3,57, ce qui correspond assez bien à des distributions normales, ce qui est attendu pour ce type de mesure.

3.2. Analyse factorielle de l’autonomie décisionnelle

Une analyse factorielle exploratoire avec rotation Varimax a été réalisée avec les composantes de l’autonomie décisionnelle. Un seul item avec une communalité inférieure à 0,5 a été retranché, soit l’autonomie envers les outils ou technologies à utiliser. Le tableau 2 présente les deux facteurs possédant une valeur Eigen supérieure à 1. Ceux-ci permettent d’expliquer 80,62 % de la variance totale. Le premier facteur que l’on a choisi d’appeler l’autonomie des ressources humaines (RH) comprend l’autonomie à l’égard du choix des employés et des conditions de travail. L’alpha de Cronbach (1951) de l’autonomie des ressources humaines est 0,844. Le deuxième facteur, que l’on pourrait appeler l’autonomie managériale, comprend l’autonomie concernant le prix des services, la nature des contrats à accomplir et la manière d’exécuter le travail. L’autonomie managériale possède un alpha de Cronbach (1951) de 0,837. L’autonomie des RH possède une moyenne de 5,38 sur 7,00 (médiane 6) tandis que l’autonomie commerciale possède une moyenne de 3,75 sur 7,00 (médiane 3,8).

Tableau 2

Analyse factorielle de l’autonomie décisionnelle

Analyse factorielle de l’autonomie décisionnelle

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À première vue, il peut sembler curieux que l’autonomie des ressources humaines soit un facteur distinct. Il faut replacer ces résultats dans un contexte historique pour en comprendre la pertinence. Comme relevé précédemment, à la fin des années 1970, les grandes entreprises d’exploitation forestière ont délaissé les opérations forestières, en ayant recours à la sous-traitance, d’où la naissance de nombreux entrepreneurs forestiers. Plusieurs de ces employés étaient syndiqués et ne voulaient pas perdre leurs avantages sociaux à la suite de cette décision de sous-traiter les opérations forestières. Au Québec, le Code du travail, qui régit les droits syndicaux, stipule à l’article 2 que l’exploitant forestier (soit le donneur d’ordres) est reconnu comme l’employeur de tous les salariés liés à son exploitation forestière, ce qui inclut les employés du sous-traitant. Ce cas d’exception dans la loi, propre à la foresterie, fait en sorte que les sous-traitants qui ont un contrat auprès d’un donneur d’ordres où il y a une accréditation syndicale doivent respecter les ententes établies par ce dernier, même s’ils n’ont pas été consultés pendant les négociations collectives. Ainsi, certains sous-traitants forestiers n’ont pas beaucoup de marge de manoeuvre eu égard à la gestion des ressources humaines, d’où ce facteur distinct.

3.3. Test des hypothèses

Puisque la variable dépendance commerciale n’est pas distribuée normalement (plusieurs PME de l’échantillon sont en situation de forte dépendance), le test de corrélation Rho de Spearman a été utilisé. Comme on le voit au tableau 3, trois des mesures de performance sont négativement influencées par la dépendance commerciale, soit la qualité et la variété du service ainsi que la satisfaction du client. Cela confirme partiellement H1. Également, pour l’autonomie des RH et managériale, il n’y a que le respect de l’environnement et du développement durable qui soit influencé positivement par l’autonomie managériale, ce qui confirme bien partiellement H2.

Tableau 3

Corrélations entre les mesures de dépendance et d’autonomie et la performance

Corrélations entre les mesures de dépendance et d’autonomie et la performance

* p ≤ 0,05 ** p ≤ 0,01 *** p ≤ 0,001.

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Nos analyses ont également permis de constater qu’il existait une relation inverse entre la dépendance commerciale et les deux mesures d’autonomie décisionnelle (tableau 4, p. 110. Cela confirme H3.

Tableau 4

Corrélations entre les mesures de dépendance et d’autonomie

Corrélations entre les mesures de dépendance et d’autonomie

* p ≤ 0,05 ** p ≤ 0,01 *** p ≤ 0,001.

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Pour vérifier l’effet de l’autonomie décisionnelle sur les choix stratégiques, une régression logistique binaire a été calculée pour chaque choix stratégique (tableau 5, p. 111). L’objectif est de vérifier si l’autonomie décisionnelle influence la probabilité de choisir (ou non) cette stratégie pour les années à venir. La méthode « par étapes » a été utilisée, où la taille (en nombre d’employés) et le nombre de secteurs ont été inclus comme variables de contrôle. En effet, la taille pourrait influencer les choix de croissance et de diversification. Le nombre de secteurs est une variable qui calcule les différents services offerts par la PME, par exemple la récolte, la construction de chemins forestiers, le transport du bois, et ainsi de suite. Plus une PME offre de services, moins elle pourrait vouloir se diversifier dans la forêt puisqu’elle le fait déjà.

Tableau 5

Influence de l’autonomie décisionnelle sur les choix stratégiques

Influence de l’autonomie décisionnelle sur les choix stratégiques

* p ≤ 0,05 ** p ≤ 0,01 *** p ≤ 0,001.

1. Les cas observés qui présentaient des données manquantes ont été enlevés de l'analyse

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Comme on peut le voir au tableau 5, seules les stratégies de croissance et de diversification dans la forêt peuvent être influencées par l’autonomie décisionnelle. En particulier, pour la croissance, l’autonomie managériale influence positivement ce choix, contrairement aux autres variables de l’équation. Le modèle permet de prédire correctement 88,1 % des choix stratégiques de croissance avec ces variables. Pour la diversification dans la forêt, c’est l’autonomie des ressources humaines qui influence ce choix et le modèle prédit correctement 77,0 % des cas observés. Les résultats obtenus permettent donc de valider partiellement H4.

4. Discussion

Comme nous avons pu le constater, la dépendance commerciale influence négativement la performance à l’égard du client, c’est-à-dire la qualité et la variété des services offerts et la satisfaction du client. Ce résultat est intéressant puisqu’il met en relief le fait que les sous-traitants en situation de dépendance commerciale vont moins bien performer à l’égard du service au client. Ce résultat montre que dans le cadre de relations à plus long terme, les sous-traitants pourraient déployer moins d’efforts pour satisfaire le client, se limitant à faire ce qui est exigé initialement. En outre, lorsque les sous-traitants possèdent plusieurs clients, ils doivent constamment être à l’affût de leurs besoins spécifiques et, en procédant de cette manière, ils améliorent la satisfaction de celui-ci, mais aussi l’efficience de l’ensemble de la chaîne de valeur des partenaires (Heikkilä, 2002). Toutefois, la difficulté pour les PME sous-traitantes à répondre aux exigences de la clientèle réduirait leur performance (Bourgault, 1998). Dans un contexte où les grands donneurs d’ordres diminuent leurs opérations forestières, les PME moins performantes à répondre aux exigences de ce dernier pourraient disparaître, faute de contrats.

Les résultats obtenus nous surprennent quelque peu puisque aucune autre mesure de performance n’est influencée par la dépendance commerciale. Ces résultats pourraient donner du crédit à la proposition de Julien (2000), suivant laquelle le degré de dépendance du sous-traitant est fortement lié à la nature de sa relation avec le donneur d’ordres, variant entre la sous-traitance de capacité, de spécialité et d’intelligence. Selon cet auteur, le donneur d’ordres est plus dépendant de ses sous-traitants dans une relation « d’intelligence » que dans une relation de « capacité », où il peut alors se permettre d’imposer ses directives et exigences. Or, selon Legendre (2005), les grandes entreprises d’exploitation forestière n’ont plus l’expertise en forêt pour les opérations forestières depuis une trentaine d’années, en étant organisées en sous-traitance de spécialité. Elles doivent donc s’assurer que leurs sous-traitants tirent des bénéfices de leur relation sans quoi ces PME cesseront leurs opérations et, du coup, les donneurs d’ordres feront face à une pénurie d’approvisionnement pour leurs usines. Car, contrairement aux grands donneurs d’ordres du milieu manufacturier qui peuvent importer des pièces à l’étranger par la délocalisation de leur production (Lecler, 1991), les grands exploitants forestiers doivent transiger avec des sous-traitants locaux puisque les services ne sont pas aussi facilement délocalisables.

Par ailleurs, dans une recherche sur la relation entre deux producteurs et un distributeur, on a constaté que ce dernier est prêt à concéder une plus grande part de la valeur ajoutée aux producteurs (donc à payer plus cher ses produits) s’il craint que l’un des deux ne déclare faillite, ce qui réduirait son choix d’approvisionnement, une situation qu’il considère comme étant préjudiciable à sa propre performance future (Bergès et Chambolle, 2009). Dans ce contexte, la dépendance commerciale ne serait pas déterminante pour expliquer la performance. D’autres dimensions, tel le développement de relations orientées vers le long terme entre le donneur d’ordres et le sous-traitant, pourraient être plus utiles pour influencer la performance du sous-traitant (Paulraj, Lado et Chen, 2008).

Ainsi, dans une relation de confiance orientée vers le long terme, on constate que les sous-traitants en situation de dépendance commerciale sont plus enclins à innover, sans pouvoir évaluer correctement les bénéfices qu’ils obtiendront, dans la mesure où ils ont identifié ce besoin chez le donneur d’ordres (Kamath et Liker, 1990). Autrement dit, si le sous-traitant croit fortement qu’il pourra tirer des bénéfices en obéissant aux directives du donneur d’ordres, il prendra davantage de risques puisqu’il anticipera une performance accrue. La relation de sous-traitance possède d’ailleurs des mécanismes similaires à la relation d’emploi, le contrat (de travail ou de sous-traitance) est en fait un échange de promesses qui relève du domaine du pari (Baudry, 1992). Comme le mentionne l’auteur, dans ce cas, la relation d’autorité n’assure qu’une coordination partielle, nécessitant une économie de la confiance pour valider ce pari.

Cette recherche a permis de mettre en relief un concept particulier aux PME de sous-traitance, soit l’autonomie décisionnelle. En effet, dans une situation de dépendance commerciale, certains donneurs d’ordres vont utiliser leur pouvoir face à la PME pour s’ingérer dans leur gestion, les brimant de leur autonomie décisionnelle. Nos résultats indiquent que ces concepts sont reliés entre eux, bien que distincts. En effet, l’autonomie décisionnelle n’influence pas la performance de manière tout à fait identique à la dépendance commerciale. De plus, il s’agit d’un concept beaucoup plus précis que la concentration du carnet de commandes dans les mains de quelques donneurs d’ordres, qui ne prend pas seulement en considération le nombre de clients impliqués, mais aussi la nature des relations entre un donneur d’ordres et son sous-traitant.

Nos analyses démontrent qu’il existe deux facteurs distincts à l’égard de l’autonomie décisionnelle, soit l’autonomie managériale et l’autonomie des ressources humaines. Pour la première, elle correspond à l’ingérence du donneur d’ordres dans le prix du service (ou du produit, dans un autre contexte), à la nature des contrats et à la manière de les exécuter. La nature des contrats fait référence au choix du donneur d’ordres de décider des parterres de coupe[1] qui seront attribués à un sous-traitant particulier. Dans le contexte où il y a peu de négociation sur le prix, il est même parfois imposé par l’industriel, le choix du parterre de coupe se révélant stratégique. En effet, certains endroits sont beaucoup plus faciles d’accès, les arbres sont plus gros, et ainsi de suite. Conséquemment, à prix égal, les plus beaux parterres permettent de tirer plus de profits puisque les coûts d’exploitation seront moindres.

En ce qui concerne l’autonomie des ressources humaines, comme cela a été mentionné précédemment, ce facteur tient d’une situation historique où certains sous-traitants sont obligés de respecter des ententes syndicales patronales liées au donneur d’ordres afin que les employés du sous-traitant bénéficient des avantages qu’ils avaient obtenus au moment où ils étaient à l’emploi du donneur d’ordres. Toutefois, ce facteur n’est pas nécessairement propre à la foresterie. Dans le secteur de l’automobile, Laval (1998) a bien fait ressortir l’influence des politiques de RH du donneur d’ordres auprès des sous-traitants par le biais de ses politiques d’achats. Dans d’autres industries, le donneur d’ordres va suggérer des formations aux employés des sous-traitants afin de leur permettre de se qualifier pour certaines normes industrielles (Esposito et Raffa, 1996). Bien qu’il puisse y avoir un effet sectoriel et historique dans nos données, tout nous porte à croire que ce facteur pourrait être important dans d’autres industries où les PME sont fortement impliquées comme sous-traitantes.

Il a été surprenant de constater que l’autonomie des RH n’influençait pas positivement la performance de la PME. Comme l’a signalé Naro (1990), les ressources humaines doivent être alignées sur les orientations stratégiques du dirigeant et de sa PME dans le but d’en retirer un avantage concurrentiel. En conséquence, il n’est pas surprenant de constater que les pratiques de GRH influencent positivement la performance de la PME (Lacoursière et al., 2005). Or, dans la perspective où la PME perd son autonomie à décider de ses employés et des conditions de travail, il aurait été attendu que la performance en soit affectée. Toutefois, il est possible que le dirigeant de PME estime que le donneur d’ordres impose certaines restrictions eu égard aux ressources humaines mais que, malgré ces restrictions, il serait obligé d’embaucher les personnes disponibles et d’offrir des avantages sociaux équivalents à ceux des concurrents. Autrement dit, même s’il y a une perte d’autonomie perçue, les contraintes sectorielles des ressources humaines telles que le manque de main-d’oeuvre qualifiée et les normes salariales imposent des restrictions qui dépassent l’ingérence possible du donneur d’ordres. En conséquence, toutes les PME en sont également affectées, puisque notre étude est monosectorielle, ce qui pourrait annuler l’effet de l’autonomie des RH sur la performance de la PME. Des recherches auprès de plusieurs industries sont donc nécessaires avant de conclure sur cet aspect.

L’autonomie managériale des PME sous-traitantes influence positivement la performance à l’égard du respect de l’environnement et du développement durable. Cela suppose que plus le dirigeant de la PME possède de latitude pour décider de sa stratégie commerciale, plus il s’engagera dans le respect de l’environnement. Tout nous porte à croire que lorsque le dirigeant perd de son autonomie managériale, il se contente de faire ce que le donneur d’ordres lui demande. À l’inverse, lorsqu’il demeure autonome dans ses décisions d’affaires, ses objectifs personnels ont plus de chance d’influencer ses objectifs de performance et la performance de sa PME (St-Pierre et Cadieux, 2009).

L’autonomie des ressources humaines influence le choix de se diversifier dans le futur. Ce résultat laisse penser que, grâce à cette autonomie, l’entrepreneur pourrait avoir une plus grande marge de manoeuvre pour affecter son personnel à d’autres opérations dans la forêt, par exemple pour former du personnel affecté à la récolte afin qu’il puisse réparer la machinerie, utiliser certaines machines pour construire des routes forestières ou effectuer des travaux de sylviculture. L’entrepreneur peut se sentir plus en confiance s’il s’estime en mesure d’amener ses employés à contribuer au développement de nouvelles activités.

En outre, l’autonomie managériale influence la volonté de croître dans le futur. Lorsque la PME sous-traitante est peu autonome dans ses choix commerciaux, elle n’est pas tentée de se trouver d’autres clients ou d’augmenter son volume de vente. Il est probable que le peu de contrôle qu’elle exerce sur ses choix commerciaux augmente son risque perçu et, conséquemment, réduit son intention de se développer davantage dans ses activités. Comme on l’a également constaté auprès des PME sous-traitantes dans le secteur de la défense, le donneur d’ordres influence les choix stratégiques du dirigeant de la PME / PMI, en particulier pour que ceux-ci diversifient leur carnet de commandes dans d’autres industries (Frigant et Moura, 2004). Ainsi, ils peuvent éviter de subir les ralentissements causés par une baisse temporaire de la demande de l’industrie et demeurer disponibles pour le donneur d’ordres lors d’une éventuelle reprise. D’autres donneurs d’ordres imposent indirectement aux PME sous-traitantes une croissance externe, avec des exigences auxquelles seules les entreprises de moyenne taille peuvent satisfaire (par exemple un système juste-à-temps informatisé, des pratiques d’assurance qualité, etc.) (Tréhan, 2004). Dans le cas de la foresterie, comme nous l’avons observé, c’est plutôt l’inverse qui se produit : lorsque le donneur d’ordres n’impose pas ses choix aux sous-traitants, ces derniers vont davantage vouloir croître et se diversifier pour offrir un service « clé en main ». Ainsi, l’autonomie décisionnelle permettrait aux entrepreneurs forestiers qui font preuve d’une orientation entrepreneuriale marquée d’exercer leurs choix stratégiques (St-Jean, LeBel et Audet, 2010).

5. Limites

Évidemment, même si ce travail permet de proposer un concept peu étudié dans les relations entre un donneur d’ordres et ses sous-traitants, soit l’autonomie décisionnelle, il faut interpréter ces résultats en tenant compte des limites imposées par la méthode utilisée. D’abord, il faut rappeler que cette recherche utilise des données d’un seul secteur d’activité, soit l’industrie forestière. Il est possible que cela influence les résultats, par exemple en ce qui concerne l’autonomie des ressources humaines, bien que cette dimension ait été soulevée précédemment. Des recherches explorant ce concept dans d’autres industries sont nécessaires pour en confirmer la justesse et la pertinence. En outre, les données utilisées proviennent d’un sondage de suivi auprès des répondants initiaux à un sondage mené en 2006. En considérant les nombreuses réorganisations de l’industrie dans cette période (fermeture d’usines, fusion de grands donneurs d’ordres, etc.), l’échantillon des répondants pourrait être moins représentatif que celui de la collecte initiale de 2006, où la population totale des PME avait été ciblée pour l’enquête. Toutefois, le taux de réponse et le nombre de répondants étant assez élevés, l’échantillon peut être considéré comme fiable malgré tout.

Il faut souligner ici que les mesures de performance utilisées sont subjectives (perception du répondant). Il s’agit d’une option valable lorsque les données objectives ne sont pas disponibles (Dess et Robinson, 1984), mais elles peuvent être moins fiables. Également, pour la stratégie de l’entreprise, nous n’avons pas demandé à l’entrepreneur d’indiquer sa stratégie prédominante, mais plutôt de sélectionner chacun des choix qui s’appliquaient. De plus, il faut préciser qu’il ne s’agissait pas de sa stratégie observée, mais de son intention stratégique, laquelle pourrait être moins stable. Finalement, seule la vision du sous-traitant a été considérée et aucune mesure d’autonomie décisionnelle du donneur d’ordres n’a été relevée. Cela constitue une piste de recherche intéressante pour le futur.

Conclusion

Dans un contexte de dépendance commerciale d’une PME envers un donneur d’ordres, le concept d’autonomie décisionnelle de la PME permet de considérer une dimension peu ou pas abordée dans les recherches passées et qui revêt une certaine importance dans les choix stratégiques du dirigeant. Des recherches supplémentaires sont toutefois nécessaires pour valider son effet sur d’autres aspects pouvant influencer la performance, par exemple le développement des compétences distinctives de la PME ou l’innovation. En effet, une entreprise qui est contrainte d’obéir au donneur d’ordres pourrait être limitée dans les ressources dont elle dispose pour innover ou développer des créneaux nouveaux et porteurs. Cette piste et bien d’autres encore permettront de mieux comprendre les relations entre sous-traitants et donneurs d’ordres.

Cette étude nuance plusieurs recherches précédentes qui ne tenaient pas compte de l’effet du type de sous-traitance comme modérateur dans la relation entre dépendance commerciale et performance du sous-traitant (p. ex. Rinfret, St-Pierre et Raymond, 2000, Cox et al., 2004, ou Kalwani et Narayandas, 1995). N’ayant été observés que dans un seul secteur, soit celui de la foresterie, nos résultats signalent l’intérêt de faire des études comparatives où la nature de la relation entre le sous-traitant et le donneur d’ordres serait contrôlée (type de sous-traitance) et permettrait de mieux expliquer l’effet de la dépendance commerciale, voire de l’autonomie décisionnelle, sur la performance des PME.