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Introduction

Au cours des dernières décennies, le nombre d’entreprises s’internationalisant dès leur création, ou très peu de temps après, a connu une croissance significative. Cette tendance a donné naissance à un objet de recherche, qualifié indistinctement dans la littérature anglo-saxonne de Born Global (Rennie, 1993 ; Knight et Cavusgil, 1996, entre autres), International New Venture (Oviatt et McDougall, 1994), Global Start-Up (Ibid.) ou encore Early Internationalising Firm (Rialp, Rialp et Knight, 2005). En langue française, Cabrol (2006) parle « d’internationalisation des entreprises nouvellement créées ». Pour notre part, nous faisons le choix d’utiliser la terminologie entreprise à internationalisation précoce et rapide (EIPR). Si Sammut et Torres (1997) utilisent à une seule reprise cette terminologie dans un texte, nous nous basons sur un travail récemment publié (Servantie, 2007) dont le but était d’éviter les amalgames au regard des nombreuses expressions tentant de qualifier les différentes formes d’EIPR. Nous définissons les EIPR comme des entreprises dont on peut observer, dès la phase de démarrage, une capacité à développer et à coordonner des liens réguliers avec l’étranger (aussi bien pour la réunion de ressources que pour la diffusion de l’offre). Le choix du sigle EIPR présente une pertinence théorique en soulignant deux aspects centraux du processus d’internationalisation de ces entreprises : l’impulsion[1] précoce de l’organisation à l’international et la croissance rapide qui s’en suit. Nous rejoignons sur ce point Sasi et Arenius (2008) qui ont souligné l’importance de prendre en compte ces deux dimensions dans l’analyse du processus d’internationalisation de ces entreprises.

La communauté croissante de chercheurs qui se sont intéressés aux particularités de ces entreprises, et à leur processus d’internationalisation, a montré que celui-ci n’était plus expliqué par les théories traditionnelles du champ de l’International Business (McDougall, Shane et Oviatt, 1994), notamment les modèles traditionnels d’internationalisation par étape des PME (voir, par exemple, Johanson et Vahlne, 1977, ou Bilkey et Tesar, 1977). Cette situation a alimenté le nouveau champ de recherche qu’est l’entrepreneuriat international et auquel appartient cet objet. Oviatt et McDougall (2005) définissent l’entrepreneuriat international comme « la découverte, l’engagement, l’évaluation et l’exploitation d’opportunités – en dehors des frontières nationales – pour créer de futurs biens et services » (p. 540)[2].

Afin de mieux comprendre comment et pourquoi les EIPR ont un processus d’internationalisation précoce et rapide, à l’instar de Rasmussen, Madsen et Evangelista (2001) et de Kundu et Katz (2003), nous nous insérons dans le paradigme de la création des organisations (Verstraete et Fayolle, 2005), et nous nous intéressons au processus entrepreneurial (Verstraete et Saporta, 2006) qui leur a donné naissance. Au-delà de la production d’une idée, au-delà de la découverte de l’opportunité et de son exploitation, nous pensons que l’étude d’une EIPR à travers son Business Model (BM) pourrait permettre d’éclairer le sens qui se cache derrière les décisions de création et d’internationalisation de l’entreprise naissante et la réussite de celle-ci.

En effet, comme le mentionne Chesbrough (2010), le BM – né dans le contexte de la nouvelle économie liée à Internet pour donner de l’intelligibilité aux affaires – permet de comprendre simultanément : 1) la proposition de valeur ; 2) le segment de marché et les mécanismes de génération de revenus ; 3) la structure de la chaîne de valeur requise pour créer et distribuer l’offre et les actifs complémentaires nécessaires au maintien de la position dans la chaîne ; 4) les mécanismes de revenus par lesquels l’entreprise sera payée pour son offre ; 5) la structure de coûts et la rentabilité potentielle ; 6) la position de l’entreprise au sein du réseau de valeur qui lie les fournisseurs aux clients ; 7) la stratégie compétitive par laquelle l’entreprise innovante gagnera et maintiendra un avantage sur ses rivaux.

Ainsi, cette démarche fait écho à la suggestion de Nummela, Saarenketo et Puumalainen, (2004), d’explorer le BM des EIPR qui pourrait être différent de celui des entreprises qui connaissent traditionnellement un processus d’internationalisation plus graduel. Elle présente l’intérêt d’analyser en profondeur le BM d’une EIPR et d’identifier quels sont les éléments singuliers aux EIPR, relevés dans la littérature, qui font partie du coeur de son affaire (c’est-à-dire de son BM).

À présent, la question qui se pose à nous est de savoir si une lecture des EIPR par le BM permettrait d’apporter de nouveaux éléments de compréhension au pourquoi et au comment de l’internationalisation précoce et rapide. Les objectifs du présent article sont donc les suivants :

  1. Étudier le BM d’une EIPR de façon exploratoire.

  2. Déterminer si cette perspective apporte une contribution nouvelle à la connaissance du phénomène des EIPR.

Nous débuterons par une revue de la littérature relative à l’internationalisation rapide et précoce afin de mieux cerner l’objet de recherche et l’avancée de la connaissance le concernant avant de présenter le cadrage théorique du BM mobilisé pour éclairer le phénomène des EIPR et la méthodologie de la recherche exploratoire menée auprès d’une EIPR française du secteur de la chimie. La lecture d’un cas exploratoire d’EIPR par le BM constitue le principal résultat de la recherche. Une discussion des apports (la pertinence du BM comme outil de lecture théorique et pratique) et des limites de notre recherche constituera la dernière section de l’article.

1. Fondements théoriques et conceptuels

Une révision de la littérature permet d’éclairer l’objet de recherche (1.1) et le concept de Business Model à travers sa définition et ses composantes (1.2).

1.1. Les entreprises à internationalisation précoce et rapide

Dans la littérature, quelques caractéristiques singulières ont pu être relevées : les EIPR résultent de la rencontre entre l’identification d’une opportunité et la réponse à la déficience du marché international (Oviatt et McDougall, 1994) ; leur offre de produits apporte une valeur ajoutée substantielle (Knight et Cavusgil, 1996) dans un créneau commercial donné.

Young, Dimitratos et Dana (2003) remarquaient que les études s’insérant dans le champ de l’entrepreneuriat international et cherchant à comprendre l’internationalisation précoce et rapide ont largement mobilisé de nouvelles perspectives théoriques telles que celles des réseaux, de la connaissance et des ressources. En effet, la perspective des réseaux pourrait expliquer, au moins en partie, la vitesse et la précocité de l’internationalisation des EIPR, comme le soutiennent, par exemple, Oviatt et McDougall (1994), Coviello et Munro (1995), Zahra, Matherne et Carleton (2003), Johanson et Vahlne (2003), Sharma et Blomstermo (2003), Oviatt et McDougall (2005). La structure organisationnelle et le développement international des EIPR reposent, en partie, sur un solide réseau d’affaires international (McDougall et al., 1994 ; Oviatt et McDougall, 1995 ; Madsen et Servais, 1997). Ainsi, un jeu d’alliances stratégiques sert de palliatif à l’absence de ressources et octroie aux EIPR une capacité d’impact plus fort sur le marché (Preece, Miles et Baetz, 1999). Coviello et Munro (1995) ajoutent que l’effort d’internationalisation dépend de l’intérêt des autres acteurs du réseau de relations.

Ensuite, les EIPR ont peu de ressources pour entreprendre leur développement international, mais celles-ci sont uniques (Oviatt et McDougall, 1994) ; le succès de leur activité à l’international est étroitement lié à l’efficacité avec laquelle les dirigeants répartissent les ressources dans leur modèle d’affaires (Roberts et Senturia, 1996). McDougall et al. (1994) observaient qu’une des ressources clés donnant de la valeur aux EIPR est l’entrepreneur lui-même. Sa vision globale, son savoir-faire, ses compétences et ses expériences jouent un rôle majeur dans l’internationalisation rapide et précoce (Oviatt et McDougall, 1995 ; Knight, Madsen et Servais, 2004). Les entrepreneurs des EIPR « voient des opportunités que d’autres ne voient pas, grâce aux compétences uniques qu’ils ont développées par le passé (réseaux, connaissances ou parcours) » (McDougall et al., 1994, p. 483 ; traduction libre). L’orientation globale de l’entrepreneur, assimilable en première lecture à une conception de ses affaires pouvant s’adresser en différents endroits, voire en tout point de la planète aussi bien pour la quête de ressources que pour la diffusion de son offre, est un facteur important qui explique le phénomène de l’internationalisation rapide et précoce (Oviatt et McDougall, 1994 ; Moen, 2002 ; Johnson, 2004).

Enfin, le succès d’une EIPR à l’international réside aussi dans sa capacité à développer une connaissance inimitable, source d’avantage compétitif soutenu sur la scène internationale (Knight et Cavusgil, 2004). Pour Loane et Bell (2006), la combinaison des trois perspectives (celle des réseaux, celle des ressources et celle de la connaissance) permet une approche holiste du phénomène de l’internationalisation précoce et rapide.

1.2. Une nouvelle approche, le Business Model

L’usage du concept de BM est de plus en plus fréquent (Morris, Schindehutte et Allen, 2005 ; Lecocq, Demil et Warnier, 2006 ; Jouison, 2008). Paradoxalement, le concept n’a aucune place dans la littérature économique (Teece, 2009) et une place encore restreinte dans la littérature en sciences de gestion, qu’il s’agisse des sciences de l’organisation, de la stratégie ou du marketing (Demil et Lecocq, 2008 ; Teece, 2009). Par son aspect transversal, c’est en entrepreneuriat qu’il est le plus utilisé, mais il ne faut pas le réduire à ce seul champ (Lecocq et al., 2006).

Dans la littérature, « il y a presque autant de définitions du BM que de textes où il est mentionné » (Jouison, 2008, p. 14). « Au fond, [les Business Model] sont des histoires – des histoires qui expliquent comment les entreprises fonctionnent » (Magretta, 2002, p. 4 ; traduction libre)[3]. Il peut aussi être vu comme l’ensemble des « choix qu’une entreprise effectue pour générer des revenus. Ces choix portent sur trois dimensions principales que sont les ressources et compétences mobilisées (qui permettent de proposer une offre), l’offre faite aux clients (au sens large) et l’organisation interne de l’entreprise (chaîne de valeur) et de ses transactions avec ses partenaires externes (réseau de valeur) » (Lecocq et al., 2006, p. 99). Verstraete et Jouison-Laffitte (2009) le définissent comme « une convention relative à la génération de la valeur, à la rémunération de celle-ci et au partage de cette rémunération » (Ibid., p. 9)[4].

Dans la littérature, le BM apparaît comme un outil de conceptualisation de l’entreprise (Morris et al., 2005), un outil de réflexion (Magretta, 2002 ; Shafer, Smith et Linder, 2005), un outil de planification stratégique (Magretta, 2002 ; Shafer et al., 2005), un outil d’alignement stratégique et de communication (Morris et al., 2005 ; Shafer et al., 2005), une source d’innovation (Teece, 2009). Ici, nous nous proposons de l’utiliser comme un outil de lecture et de restitution du terrain.

Pour cela, il convient de comprendre quelles sont ses composantes afin de délimiter ce concept. Là encore, la diversité domine dans la littérature (Morris et al., 2005 ; Shafer et al., 2005 ; Lecocq et al., 2006). Face à ce constat, un effort de théorisation du BM a été entrepris par le Pr. Thierry Verstraete et Estèle Jouison-Laffitte depuis plusieurs années. Une thèse (Jouison, 2008, dirigée par le Pr. Verstraete) partant d’une revue approfondie de la littérature, propose une conceptualisation du BM en contexte de création d’entreprises et démontre son opérationnalité à travers une recherche-action. Dans leur ouvrage (2009), ils proposent trois niveaux d’analyse, intimement liés à la conception qu’ils ont du BM, baptisés GRP[5] : la génération de la valeur, la rémunération de la valeur et le partage de la valeur (voir dans l’annexe I le détail des composantes du modèle GRP).

Sur un plan théorique, le modèle GRP de Verstraete et Jouison (2009) s’appuie sur un triptyque théorique éprouvé (théorie des parties prenantes, perspective des ressources, théorie de conventions). Sur un plan plus opérationnel, il s’inscrit dans une lecture processuelle du phénomène entrepreneurial accessible aux entrepreneurs. Les auteurs traduisent leur théorie en outils par la fourniture des thèmes à aborder pour cerner le BM, chaque thème prenant place au sein des trois dimensions de leur modèle (G, R et P). Ils ouvrent ainsi de nouvelles perspectives d’analyse de l’organisation naissante et sans doute des organisations d’un certain âge (bien que leur propos se circonscrive à la création d’entreprise).

2. Choix méthodologiques de l’étude exploratoire

Nous avons comme objectif de mener une étude de cas exploratoires afin d’appréhender la pertinence du BM comme outil d’analyse et de compréhension de la rapidité et de la précocité de l’internationalisation des EIPR. Il s’agit, en partie, de contribuer à combler un manque dans la littérature sur les EIPR qui utilise de plus en plus le concept de BM pour parler de la configuration des ressources des EIPR (voir, par exemple, Karra, Phillips et Tracey, 2008, ou Di Gregorio, Musteen et Thomas, 2008), du BM en tant que source d’idée d’affaires (Karra et al., 2008 ; Isenberg, 2008), de la configuration innovante du BM comme l’une des clés de la réussite de l’internationalisation rapide et précoce (Zahra, Korrie et Yu, 2005 ; Mathews et Zander, 2007 ; Karra et al., 2008 ; Zettinig et Benson-Rea, 2008) ou de la difficulté à construire un BM global (Blomstermo, Eriksson, Lindstrand et Sharma, 2004) mais qui, en réalité, ne fait apparaître la notion de BM qu’à titre anecdotique et ne laisse pas percevoir le BM d’une EIPR ; aucun travail n’utilise véritablement une conceptualisation du BM.

À ce titre, nous avons investi un cas exploratoire qui illustre les traits particuliers des EIPR, permettant d’appréhender la complexité du phénomène. Pour Yin (2003), la méthode de cas unique peut être choisie dans des contextes spécifiques de recherche, dont l’étude d’un cas « représentatif » ou « typique » (p. 41) pour comprendre les circonstances et conditions d’une situation commune. L’objectif est alors informatif. Dans notre cas particulier, le BM comme perspective d’analyse et de lecture du phénomène des EIPR n’a pas encore été exploré dans la littérature et nous souhaitons, à partir d’un cas exploratoire, montrer le BM d’une EIPR type et voir s’il permet de comprendre les circonstances de son internationalisation précoce et rapide.

Pour identifier l’entreprise qui, par sa récente création, n’était pas sélectionnable à partir de bases de données publiques, nous avons eu recours à des contacts personnels. L’Incubateur régional d’Aquitaine (IRA) nous a mis en contact avec plusieurs entreprises répondant à un profil d’activité internationale peu de temps après leur création. Celle qui paraissait être la plus représentative du phénomène de l’internationalisation rapide et précoce a été sélectionnée : elle avait été pensée globale dès l’idée d’affaires ; elle avait étendu son activité vers plusieurs continents et en particulier en dehors des frontières de l’Europe dès sa naissance ; elle était indépendante.

Les données ont été collectées selon la méthode des récits de vie qui nous semblait la plus adaptée à notre besoin. Pailot (2003) la décrit comme « une stratégie de recherche qui permet de décrire, comprendre et analyser l’agir en situation, de saisir les articulations entre les phénomènes objectifs, les déterminations inconscientes et l’expérience subjective dans une forme d’intelligibilité historienne où on examine les rapports entre la vie, dans toute son épaisseur existentielle, et ce qu’un individu peut en dire dans un récit » (p. 19).

Cette approche nous offre un cadre méthodologique et épistémologique qui permet de cerner l’influence de certains éléments de l’histoire de vie des entrepreneurs EIPR, notamment s’agissant de l’exercice de conviction déployé pour impliquer les détenteurs de ressources dans leur affaire. Pour cette étude, nous avons réalisé avec l’entrepreneur trois entretiens d’une durée approximative d’une heure qui ont été enregistrés et entièrement retranscrits. Les entretiens ont été guidés par la liste de thèmes à aborder, proposés par Verstraete et Jouison-Laffitte (2009) pour aider à la conception du BM. Afin de préparer l’analyse, nous avons organisé l’information dans le tableau dit « de représentation du réseau d’affaires » qui permet de visualiser les besoins en ressources, les parties prenantes et les jeux d’intérêts autour du BM (annexe II).

3. Lecture d’un cas d’EIPR par le Business Model

M. C. crée la société MOLRAR, entreprise qui commercialise des molécules rares, c’est-à-dire difficiles à reproduire en laboratoire en raison du manque d’information dont on dispose sur elles. Son offre s’appuie sur une base de données des molécules non disponibles sur le circuit commercial traditionnel, construite à partir d’une bibliographie accumulée au cours des années d’expérience professionnelle, publiée sur Internet et diffusée auprès des professionnels de la recherche du secteur pharmaceutique.

MOLRAR est née de l’identification d’un besoin des chercheurs de l’industrie pharmaceutique au cours des années d’expérience professionnelle de l’entrepreneur dans ce secteur. En effet, il était confronté au problème de la mise au point de molécules d’intérêt pharmaceutique dont la synthèse fait appel à l’utilisation de molécules intermédiaires et dont l’obtention peut être grande consommatrice de temps, un actif précieux pour les entreprises. Ainsi, il est parfois plus rentable d’acquérir ces molécules intermédiaires directement sur le marché. Or, souvent, les chercheurs se retrouvent confrontés au problème que ces intermédiaires, dits molécules rares, ne soient pas commercialisés parce que peu demandées et parce que les quantités nécessaires pour une recherche en laboratoire sont trop faibles pour que leur fabrication, considérée coûteuse, soit attractive pour les prestataires existants sur le marché. Cette même problématique avait été confirmée par plusieurs collègues.

Les attentes de la demande internationale dans ce créneau étaient telles que les premiers clients en provenance de plusieurs continents sont arrivés dès la publication de la base de données en ligne, avant même la création juridique de l’entreprise en février 2005. Puis, rapidement, en avril 2005, la demande a dépassé la capacité restreinte de réponse de l’entrepreneur qui, à ce moment-là, n’avait pas réussi à impliquer de collaborateurs dans son projet. En conséquence, il a dû faire appel à des prestataires internationaux, ne trouvant pas non plus un écho positif à ses besoins dans son environnement régional et national.

Avec une offre de près de 80 000 molécules rares organisées en 80 familles dans une base de données, une expertise et un réseau international de prestataires intéressés à relever le défi de refaire les molécules sollicitées, M. C. a lancé son activité de commercialisation pratiquement seul, avec un capital initial de 15 000 €. Il a reçu le soutien de son frère, informaticien, qui s’est associé à l’affaire et a pris en charge la partie informatique en dehors de ses heures de travail. Les clients sont captés par Internet à travers des mailings et des publications dans des bases de données spécialisées.

Le seuil de rentabilité a été atteint dès la première année avec un chiffre d’affaires de 100 000 €. La deuxième année, celui-ci avait dépassé les objectifs des 300 000 €. La stratégie pour les années suivantes est de réinvestir les dividendes dans la constitution d’une équipe de chimistes au sein d’un laboratoire en interne qui serait garante de l’expertise de l’entreprise en R-D.

Les relations que M. C. entretient avec ses clients et fournisseurs reposent sur le défi de fabriquer une molécule. Il accorde une importance particulière à la transparence dans les communications et les processus, qu’il aborde avec un discours le plus technique possible, partagé par les différents chimistes, indépendamment de leur nationalité. L’expertise de tous les unit face aux difficultés qu’ils doivent surmonter dans l’exercice de leur profession.

3.1. La génération de la valeur

Chercheur dans l’âme, M. C. est titulaire d’un doctorat en chimie en synthèse organique. Il a travaillé pendant quatorze ans dans l’industrie pharmaceutique, occupant des postes à responsabilité dans les services de R-D. Au fil des ans, à travers son exercice professionnel mais également par passion, pendant son temps libre, il a construit une bibliographie relative aux molécules rares et aux techniques de synthèse, ce qui lui a inspiré le lancement de son projet. Initialement, il avait tenté de monter le projet au sein d’une société de chimie fine dont le PDG, qu’il avait rencontré par un concours de circonstances, avait soutenu l’idée. Malheureusement, le PDG a eu des problèmes de santé, impliquant un changement de stratégie de la société et l’abandon du projet en interne. C’est à ce moment-là que M. C. a décidé de donner vie à son projet à son propre compte, malgré les risques qu’impliquait pour la stabilité économique de sa famille le fait de repartir de zéro à 40 ans. Il a alors reçu le soutien de l’IRA puis a été accueilli à l’Université de Bordeaux I pour monter l’activité en mai 2004. Avec l’aide de son frère, il a publié son offre sur Internet.

La société MOLRAR fabrique et commercialise des molécules rares, c’est-à-dire des molécules qui ne sont pas commercialisées par d’autres laboratoires et qui ne sont pas non plus décrites (il n’existe pas ou peu d’information pour pouvoir les reproduire aisément). À cet effet, MOLRAR a développé un double savoir-faire : 1) une veille permanente des nouvelles molécules découvertes dans les journaux spécialisés, suivie du référencement systématique de celles qui ne sont pas commercialisées par un laboratoire, et 2) des techniques innovantes de chimie qui lui permettent de les élaborer rapidement, avec un bon rendement, une bonne qualité. Cette offre intéresse principalement les chercheurs de l’industrie pharmaceutique, car elle leur permet d’optimiser le temps et de contrôler les coûts qui lui sont liés. L’avantage concurrentiel de MOLRAR repose sur son savoir-faire en R-D de nouveaux produits et de techniques innovantes en chimie. M. C. souhaite développer une équipe de chercheurs qui soit garante de cette image.

Au cours de la période d’incubation du projet, avec le soutien d’institutions régionales, M. C. a élaboré un plan de financement pour lancer l’activité et acheter du matériel. La première idée de M. C. était de construire son propre laboratoire et d’engager un technicien et un cadre pour fabriquer les molécules à commercialiser. Il a cherché à impliquer dans son affaire des associés plutôt chimistes, des jeunes docteurs, des gens qui venaient de l’étranger, mais personne n’a été prêt à se lancer, à prendre les risques, à relever le défis. Il a également eu l’opportunité de donner un plus grand élan à son activité à travers des investisseurs qui lui ont proposé de mettre un laboratoire à sa disposition, mais cela impliquait pour M. C. de redevenir salarié, de perdre le contrôle du projet ainsi que la propriété de l’entreprise. Compte tenu de tout le travail qu’il avait fourni en amont, il a préféré conserver son indépendance. Devant la difficulté de trouver des collaborateurs et la nécessité de répondre rapidement au nombre croissant de commandes, il s’est mis à chercher des prestataires à qui il pourrait sous-traiter la production le temps de consolider sa structure. Ni dans l’environnement local, ni dans l’environnement national, M. C. n’a trouvé de société dont la réactivité pouvait lui permettre de répondre à ses besoins dans les conditions souhaitées. Par son expérience, il savait qu’en Russie et en Ukraine, il y avait de très bonnes équipes. Il avait déjà travaillé avec elles et il avait eu des échos positifs par d’autres personnes qu’il connaissait. Donc, il a contacté ces sociétés-là et c’est avec elles qu’il a vraiment augmenté sa capacité de réponse. D’emblée, elles ont fabriqué des produits. Cependant, le mois de mai étant un mois de fêtes pratiquement férié en ex-Union soviétique, il lui a fallu chercher rapidement d’autres prestataires de services dans d’autres zones géographiques. Ainsi, sur Internet, à travers des moteurs de recherche spécialisés, M. C. a prospecté d’autres équipes prestataires de services en Inde, aux États-Unis et, plus tard, en Chine. Ces laboratoires spécialisés étaient sélectionnés selon leurs compétences, leurs capacités, la transparence dans la production et la communication, les délais et les arrangements financiers. M. C. limitait alors son activité de laboratoire au contrôle d’analyses ou à l’élaboration de « petites » réactions. Il a donc initié son activité seul, avec une collecte de fonds initiale de 15 000 euros, un accès à l’Université de Bordeaux I pour faire des contrôles en laboratoire, si nécessaire, un réseau de prestataires internationaux pour la production, une page Internet construite avec son frère pour la commercialisation et les services de la société FedEx pour la logistique de distribution internationale.

Aujourd’hui, la chaîne de valeur de MOLRAR fonctionne de la façon suivante : les clients contactent l’entreprise à travers son site Internet ; M. C. localise le laboratoire susceptible de fabriquer la molécule sollicitée et définit/négocie avec lui le prix et le délai (généralement entre 8 et 12 semaines) qu’il transmet alors au client avec une marge ; le client envoie la commande par télécopieur ou par courriel ; ensuite, le client attend le temps de la fabrication et, de temps en temps, appelle pour savoir comment ça se passe ; M. C. reçoit le produit, révise si tout va bien, soit à travers un contrôle direct, soit à travers la révision du dossier de contrôle de la procédure de fabrication transmise par le prestataire ; il facture alors la molécule au client et lui envoie le produit. Ainsi, l’entreprise fonctionne comme un négociant en molécules rares ou, selon les termes amusés de M. C., comme « une épicerie de la molécule ».

L’offre de MOLRAR est composée de plus de 80 familles de molécules contenant chacune plusieurs centaines, voire des milliers de molécules. M. C. estime que sa base de données contient à peu près 80 000 molécules qui sont loin de représenter toutes les molécules possibles et imaginables dans le monde, mais qui ont été soigneusement triées en fonction de leur non-disponibilité sur le marché et de leur description ou plutôt absence de description. Il analyse quelles molécules ont été faites, par qui, comment, etc. Il essaie toujours de se démarquer en proposant des molécules que personne n’a. Il y passe du temps et essaie constamment de se renouveler, de proposer de nouveaux produits. Il convient de préciser que sur les 80 000 molécules de la base de données, seulement 200 participent au volume des ventes.

La politique de communication repose sur des techniques de marketing direct, à travers l’usage exclusif d’Internet (courriels, diffusion de pages d’information aux laboratoires, publication de l’offre dans des bases de données, etc.).

3.2. La rémunération de la valeur

Dès le départ, M. C. estimait que 90 % de ses clients allaient être étrangers car, par son expérience professionnelle, il savait que, pour des raisons culturelles, les laboratoires pharmaceutiques français auraient du mal à demander à un prestataire de faire des molécules « à façon ». En conséquence, d’emblée, il a développé sa page Internet en anglais. Effectivement, le marché le plus réactif à son offre a été les États-Unis. M. C. pense que c’est parce que le chercheur américain est plus autonome sur le plan budgétaire. En conséquence, il est à même de décider ce dont il a besoin et peut prendre des décisions d’achat rapidement. Il pense aussi qu’il doit régner une certaine compétitivité sur les projets qui les pousse à chercher à gagner du temps. La demande vient aussi d’autres pays où il y a de bonnes équipes de chimie tels que l’Allemagne, la Suisse, la Suède, l’Italie, en Europe, l’Inde, la Corée, le Japon et la Chine, en Asie. Les commandes de France et d’Espagne sont moins nombreuses et moins effectives malgré quelques contacts.

Le modèle de revenus de la société MOLRAR repose sur la vente des molécules proposées sur la page Internet de la société et une relation de confiance avec les parties prenantes qui permet de réduire les risques de liquidité au maximum : il n’envoie la marchandise que si le client a payé ; il ne paye le fournisseur que « si le client est content ».

Ce fonctionnement lui a permis de démarrer avec pratiquement « zéro franc, zéro centime ». La première année, avec un chiffre d’affaires de 90 000 euros, il a atteint son point d’équilibre. La deuxième année, il espérait multiplier son chiffre d’affaires par trois, il a dépassé son objectif. Les années suivantes, il a atteint ses objectifs de maintenir son niveau d’activité aux alentours de 500 000 ou 600 000 euros (tableau 1). Avec un capital social initial de 10 500 euros, MOLRAR présente, dès la deuxième année, des niveaux élevés de rentabilité économique, oscillant entre 38,7 % et 81,3 % selon les années. M.C. projette de réinvestir les bénéfices dans l’acquisition de matériel pour monter son laboratoire de recherche et embaucher une équipe de chercheurs qui sera garante du développement de l’entreprise.

Concernant la rentabilité non financière, les clients de MOLRAR présentent un niveau de confiance et de satisfaction élevé. Ils entretiennent de bonnes relations avec la société.

Tableau 1

Volumes de revenus et rentabilité de MOLRAR

Volumes de revenus et rentabilité de MOLRAR

* Mesuré comme RCAI/(KP + DF) où :

RCAI = résultat courant avant impôts

KP = fonds propres

DF = dette financière

Source : societe.com

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3.3. Le partage de la valeur

L’entreprise MOLRAR est une jeune entreprise créée pour apporter un gain de temps aux chercheurs du secteur pharmaceutique en leur proposant la vente des molécules intermédiaires difficiles à reproduire. La demande au sein de ce créneau est telle que l’activité s’est très vite retrouvée débordée, ce qui l’a poussé à développer un véritable réseau de prestataires internationaux prêts à relever le défi de reproduire des molécules en faibles quantités. Pour M. C., ces partenariats ne reposent pas seulement sur des critères de coûts et de compétences, il s’agit surtout d’une question de mentalité. Il y a des gens qui veulent travailler et pour qui c’est un défi de refaire une molécule. S’ils réussissent, tant mieux, à la fin, ils sont récompensés ; si c’est un échec, c’est un échec pour tout le monde (eux, MOLRAR, le client).

Les échanges avec les clients et les prestataires se font exclusivement par courriel ou par téléphone et reposent essentiellement sur des informations techniques. La relation de confiance de M. C. avec ses parties prenantes repose sur l’expertise mutuelle dans le domaine d’activité couplée à la transparence des communications. De ce fait, M. C. n’a jamais rencontré aucune de ses parties prenantes. Il règne un bon état d’esprit au sein de la relation et, lors de problème ou d’échec dans la reproduction d’une molécule, le contenu de l’échange se résume à une discussion entre spécialistes qui savent et comprennent la difficulté. Certain sont très compréhensifs, d’autres le sont moins.

En phase de création, M. C. a reçu l’appui et le soutien de l’IRA et a été hébergé par l’Université de Bordeaux. Rapidement, considéré comme un parasite, M. C. a été poussé à s’installer dans une pépinière en dehors de l’université pour une durée de deux ans, conservant toutefois un accès aux laboratoires pour faire des contrôles, en attendant que ses propres installations voient le jour.

Le frère de M. C., informaticien, s’est associé à l’entreprise et s’occupe de toute la partie informatique en dehors de ses heures de travail. Il se charge de l’actualisation de l’offre en ligne et de l’interphase des ventes virtuelles. L’unique condition qu’il a posée à sa participation dans la société était de ne pas avoir de problèmes.

4. Enseignements tirés du cas exploratoire

Nous analysons, dans un premier temps, les composantes du BM de MOLRAR au regard des singularités des EIPR relevées dans la littérature. Dans un deuxième temps, nous présentons les raisons de l’internationalisation précoce et rapide au regard de l’information véhiculée par le BM du cas exploratoire.

4.1. Les composantes du BM de MOLRAR

Le premier pilier de l’organisation est l’entrepreneur. Dès le départ, il avait une idée bien arrêtée de ce qu’il voulait faire et de ce dont il avait besoin pour répondre à l’opportunité décelée. Il a aussi une vision claire de ce qu’il veut que soit son entreprise dans le futur. Ainsi, à l’instar du processus entrepreneurial décrit par Verstraete et Saporta (2006), on voit comment, selon un processus itératif, il a mis au point son modèle d’affaires, en fonction des ressources qu’il avait mobilisées, jusqu’à obtenir une structure organisationnelle cohérente avec l’idée, l’opportunité et la vision qui l’animaient. Notamment, on observe comment M. C. rejette la proposition des investisseurs parce qu’elle l’éloignait trop de la vision qu’il s’était faite pour son projet.

La relation symbiotique qui unit l’entrepreneur à son organisation est le principal moteur de son impulsion (Verstraete, 2003). Ainsi, on observe comment l’entrepreneur cherche en permanence des solutions pour rendre l’organisation plus performante. Par exemple, au mois de mai 2005, soit un mois après avoir compris qu’il ne pouvait pas tout faire seul et après avoir entamé le partenariat avec les équipes russes et ukrainiennes, M. C. ne peut plus compter sur ses prestataires de l’ex-Union soviétique pour apporter un service efficace à ses clients parce qu’ils sont en pleine période festive. Il fait alors preuve de ténacité et part à la recherche, sur Internet, d’autres laboratoires dans d’autres zones géographiques, avec succès.

C’est son expérience et un réseau de contacts professionnels qui l’ont conduit initialement vers les laboratoires en Russie et en Ukraine, connus pour le sérieux de leurs équipes dans le milieu professionnel. Puis, face aux problèmes logistiques rencontrés, mentionnés précédemment, c’est sa connaissance du secteur d’activité et sa persévérance de recherche sur Internet qui l’ont conduit vers d’autres partenaires susceptibles de répondre favorablement à ses besoins. Il a, par la suite, établi des contacts avec des prestataires aux États-Unis, en Inde, en Allemagne et en Chine successivement, au fur et à mesure qu’apparaissaient les besoins, selon les compétences de chacun et les capacités de réponse dans les temps.

Pour la fabrication de la valeur, l’analyse de la colonne des ressources nécessaires au projet dans la matrice des parties prenantes de MOLRAR (annexe II) met en évidence que l’entreprise fonctionne avec peu de ressources tangibles, comme l’avait révélé la revue de littérature, et les principales ressources, sur lesquelles repose l’organisation, sont intangibles. En effet, seulement 1,5 employé pendant les premières années (le porteur de projet et son frère informaticien) ont assuré le lancement et le développement de l’organisation les premières années, avec un capital initial de 15 000 euros. Le premier salarié rejoint la structure en 2008, soit quatre ans après le début de l’activité et de son rayonnement international. En outre, parmi les seize ressources identifiées comme nécessaires au projet, seulement quatre ont été incorporées à l’entreprise (en caractère gras dans le tableau de l’annexe II : les bases de données de produits, de prescripteurs et de clients, la page Internet et, par la suite, le secrétariat de direction). Enfin, toutes les activités qui ne peuvent pas être assumées directement par l’entrepreneur et la structure de l’entreprise sont externalisées.

Ainsi, toute la capacité organisationnelle de MOLRAR repose sur l’entrepreneur, la connaissance (bases de données de molécules et expertise de l’entrepreneur) et une forte participation du réseau de prestataires. On retrouve ici l’idée selon laquelle l’absence de ressources tangibles est compensée par un solide réseau d’affaires qui octroie à l’entrepreneur une capacité de réponse.

Le modèle de rémunération de MOLRAR est simple et repose sur la confiance avec ses parties prenantes, de manière à réduire les risques pour l´entreprise.

4.2. Précocité et rapidité de l’internationalisation : lecture par le BM

La précocité de l’internationalisation est issue de la combinaison entre une attitude négative des parties prenantes potentielles nationales et une attitude positive, voire très positive (dans le cas des clients) des parties prenantes potentielles internationales (voir colonne sur l’attitude des parties prenantes dans l’annexe II). Du point de vue de la diffusion de l’offre, les clients internationaux ont perçu immédiatement la valeur de l’offre proposée et les commandes affluant de toutes parts ont très rapidement débordé la capacité de réponse de l’entreprise. Du point de vue de la mobilisation des ressources, les collaborateurs potentiels et les prestataires locaux n’ont pas été convaincus du potentiel de développement de l’affaire et des bénéfices qu’ils pourraient en tirer. Peut-être cela est-il dû aux conventions opérant dans le secteur sur le plan local, peu propices à prendre des risques entrepreneuriaux, qui les empêchaient d’adhérer au projet. En revanche, les prestataires internationaux étaient intéressés par l’offre de collaboration proposée par MOLRAR. Le discours était simple et clair, très technique de manière générale et ils étaient prêts à relever le défi. Les attentes correspondaient à l’offre.

L’internationalisation des prestataires n’était pas un objectif stratégique en soi (ce qui est cohérent avec les résultats de Rasmussen et al., 2001), mais plutôt la réponse à une nécessité d’assurer une capacité organisationnelle, ne trouvant pas les ressources dans un environnement local, que ce soient des collaborateurs associés ou des prestataires nationaux. Le besoin de réduire les risques liés à la dépendance à un seul prestataire a motivé la diversité internationale.

La rapidité de l’internationalisation est directement facilitée par le réseau. En ce qui concerne l’internationalisation des clients, le rôle du réseau virtuel (Internet) est évident. L’expérience et l’expertise de l’entrepreneur et sa connaissance des conventions qui sont à l’oeuvre au sein du secteur ont également joué un rôle facilitateur de la vitesse d’internationalisation. Cette connaissance des conventions lui a fait gagner du temps sur bien des aspects : il savait quels étaient les canaux par lesquels il fallait passer pour atteindre ses clients et les prescripteurs ; il connaissait le registre linguistique technique partagé universellement par tous les chimistes, ce qui lui a permis, d’une part, d’établir une communication non équivoque avec les acteurs du secteur (prescripteurs, clients, agents et prestataires potentiels), indépendamment de leur langue et pays d’origine, et d’identifier rapidement ceux qui étaient susceptibles d’adhérer au projet ou de ne pas répondre aux attentes ; et, d’autre part, d’établir une relation de confiance avec ses parties prenantes. Par exemple, sa familiarité avec les conventions lui a également permis d’anticiper qu’il y aurait une barrière culturelle en France eu égard à son projet, aussi bien chez les clients que chez les prestataires potentiels et de savoir que le potentiel de développement était dans d’autres pays où les laboratoires raisonnent différemment. Ainsi, dans ce cas, on observe comment la connaissance des conventions à l’oeuvre au sein du secteur permet de réduire la distance psychique liée à la différence de langue, de culture et/ou géographique. Elle joue un rôle facilitateur dans la vitesse d’internationalisation.

Finalement, à travers ce cas, on observe l’effet de mimétisme décrit par la théorie des conventions. En effet, il ne fait ici aucun doute que l’expérience positive du premier partenariat international pour résoudre son problème de capacité de réponse a encouragé l’entrepreneur à continuer dans la recherche de nouveaux prestataires dans d’autres pays.

Ainsi, on observe comment, au fur et à mesure de ses besoins, l’entreprise a étendu son réseau à l’international selon le même principe d’échange.

Conclusion

L’objectif de cette étude était d’améliorer la compréhension du phénomène de l’internationalisation précoce et rapide à travers le récit de la mise au point du BM d’une EIPR type. Le cas MOLRAR est représentatif de cet objet d’étude dans la mesure où l’entreprise est orientée vers un créneau très spécialisé, fonctionnant avec très peu de ressources tangibles et avec des liens de réseau dans plusieurs continents aussi bien pour la réunion de ressources que pour la diffusion de l’offre, dès sa naissance. L’analyse du BM confirme que les principales ressources sur lesquelles repose l’organisation sont le triptyque : entrepreneur, connaissance et réseau.

Une lecture du cas par le BM jette de nouveaux éclairages sur la création et l’internationalisation des EIPR à deux niveaux : l’internationalisation précoce et la croissance rapide qui a suivi. Tout d’abord, elle permet de conclure que l’un des principaux avantages liés à l’expérience de l’entrepreneur au sein du secteur d’activité est la familiarité avec les conventions qui y sont à l’oeuvre. Dans le cas exploratoire, c’est grâce à la connaissance des conventions qui opéraient dans son secteur d’activité que l’entrepreneur a pu établir une communication non équivoque et construire des partenariats internationaux malgré les distances culturelles et les différences linguistiques. Elle lui a permis de gagner du temps, que ce soit dans l’établissement de contacts ou dans les décisions d’adhésion des parties prenantes. En quelque sorte, elle a réduit la distance psychique des marchés.

Ensuite, la lecture des relations de l’entreprise avec ses parties prenantes renseigne sur l’évolution du BM. Dans le cas étudié, l’attitude des parties prenantes, à l’égard de la proposition de l’offre, est apparue comme étant l’élément déclencheur de la décision d’internationalisation. Elle pourrait expliquer la précocité de l’internationalisation. En outre, c’est une réaction positive des parties prenantes internationales qui a donné naissance à l’entreprise. C’est à partir du moment où l’entrepreneur a réussi à convaincre des laboratoires internationaux d’apporter leur savoir-faire pour répondre à ses besoins de distribution de molécules rares qu’il a vu son BM se stabiliser car désormais la survie et pérennité de son entreprise est devenue possible.

Finalement, la principale contribution théorique de cette étude est de renforcer la légitimité de la conception nouvelle du BM dans la recherche en sciences de gestion. En effet, d’une part, elle apparaît comme un outil de lecture pertinent pour étudier le phénomène de l’internationalisation rapide et précoce et, d’autre part, elle permet de mieux comprendre le processus de création et d’internationalisation de ces entreprises particulières.

Sur le plan pratique, cette étude confirme la légitimité du BM comme outil d’aide à la décision managériale dans le contexte de création d’entreprise (déjà démontrée par Jouison, 2008). En particulier, un travail sur la matrice des parties prenantes pourrait aider les entrepreneurs et les accompagnateurs (dans le cadre de programmes d’aide) à analyser la réalité vécue par l’entreprise, à chercher de nouvelles issues et à prendre des décisions.

Dans son état actuel, cette recherche n’est qu’exploratoire, elle permet de comprendre à quoi peut ressembler le BM d’une EIRP type et comment il a été mis au point, comment une entreprise si jeune en est arrivée à avoir une activité internationale si développée. Avant de conclure à une généralisation possible des résultats, il est bien évident qu’il faudra mener une étude de cas multisite, jusqu’à arriver à saturation de l’information collectée. Ces résultats ne sont que préliminaires et indicatifs de l’intérêt de cette piste de recherche dans le domaine de l’entrepreneuriat.

D’autres entreprises seront étudiées de façon à formuler des propositions et à développer des hypothèses qui pourront être testées dans une phase postérieure à cette recherche. Une étude comparative du BM avec celui d’entreprises à internationalisation graduelle permettrait de mieux comprendre les particularités des BM des EIPR.