Article body

Introduction

Les Scop (sociétés coopératives et participatives) demeurent un type d’entreprises peu étudié jusqu’à présent. Ce sont des entreprises qui se distinguent généralement par leur statut juridique plutôt que par les valeurs qu’elles portent. Ces entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) apparaissent comme un modèle particulièrement intéressant qui, dans un contexte de crise économique, permet de nous interroger sur le modèle classique actionnarial orienté uniquement vers la maximisation du profit à court terme (Friedman, 1962, 1970), souvent au détriment de la satisfaction d’autres parties prenantes de l’entreprise (Freeman, 1983, 1984, 2010). En effet, le modèle de la Scop, par sa rupture avec la théorie des droits de propriété propre à l’entreprise capitaliste, tente de réconcilier les facteurs travail et capital, qui, dans la théorie de la gouvernance d’entreprise, sont traditionnellement opposés (Pasquet et Liarte, 2012). Dans une logique « d’économie plurielle » (Drapéri, 2010), nous pensons que le modèle de la Scop est un modèle pertinent à étudier.

Notre article vise à appréhender ces acteurs particuliers que sont les Scop en les situant par rapport au champ de l’entrepreneuriat social. Alors qu’il existe une littérature sur la notion d’entrepreneuriat social à la fois en Europe et aux États-Unis (Drapéri, 2010 ; Peredo et McLean, 2006 ; Austin, Stevenson et Wei-Skilern, 2006 ; Dees et Anderson, 2003 ; Thompson, 2002 ; Shaw et Carter, 2007 ; Defourny et Nyssens, 2011), le modèle de la Scop (société coopérative et participative) a été peu étudié par le monde de la recherche en France (Frémeaux, 2011 ; Pasquet et Liarte, 2012). Il nous semble néanmoins que la Scop qui, par son statut juridique, met en avant la dimension sociale[1], est un objet d’étude pertinent à mettre en lumière par rapport à la notion d’entrepreneuriat social.

Pour mieux cerner la Scop par rapport à la notion de l’entrepreneuriat social, nous nous sommes intéressées à la perception des fondateurs/dirigeants de Scop sur trois questions : la mission de l’entreprise, sa mise en oeuvre (ou l’opérationnalisation de cette mission), à travers notamment la manière de mesurer la performance et, enfin, les relations aux parties prenantes. Notre question de recherche vise à vérifier si, selon leur perception, les dirigeants de Scop s’apparentent à des entrepreneurs sociaux ou à des entrepreneurs marchands.

Dans cette optique, nous utilisons la grille d’analyse d’Austin, Stevenson et Wei-Skilern (2006) qui s’appuie sur la notion de « mission », élément qui est fortement imbriqué avec la notion de dirigeant puisque c’est bien le dirigeant qui façonne la mission de l’entreprise pour créer du sens (Reitter et Ramanantsoa, 1985). Cette grille distingue les entrepreneurs sociaux des entrepreneurs marchands à travers trois éléments : la nature de la mission, la mesure de la performance et la manière de mobiliser des ressources. Nous enrichissons cette grille d’analyse en y ajoutant la préconisation de Drapéri (2010) « qu’au-delà des statuts, valeurs et principes de référence », il faut également observer les pratiques quotidiennes des entreprises de l’ESS pour mieux cerner leur nature.

Notre étude est basée sur une série de 15 entretiens semi-directifs réalisés auprès de fondateurs ou fondatrices / dirigeants ou dirigeantes de Scop, de différents secteurs d’activité de la région Ouest, région comprenant le plus grand nombre de Scop en France. Les informations collectées visent à connaître la perception des dirigeants de Scop sur les dimensions sociales, économiques et environnementales de leur entreprise afin de les situer par rapport au champ de l’entrepreneuriat social. Ainsi, en étudiant le secteur de l’ESS par l’observation du terrain empirique de la Scop, nous espérons que notre travail puisse contribuer à enrichir le champ de l’entrepreneuriat social pour y apporter un regard neuf.

Dans la section suivante, nous présentons l’entité Scop dans le secteur de l’ESS et ses caractéristiques (section 1). Ensuite, nous explicitons les concepts d’identité projetée et d’entrepreneuriat social (section 2). Puis, nous exposons la méthodologie utilisée pour cette recherche (section 3). Les résultats de notre recherche sont ensuite détaillés et discutés (section 4). Enfin, des éléments de conclusion terminent cet article (section 5).

1. Présentation des Scop

Les Scop font partie de l’ESS, un secteur souvent mal connu, dont nous présentons rapidement les contours (section 2.1). Elles constituent une forme particulière de coopératives, organisation dont nous explicitons les cadres (section 2.2). Enfin, nous apportons quelques précisions sur les caractéristiques de ces entreprises, notamment du point de vue des droits de propriété (section 2.3).

1.1. Le champ de l’économie sociale et solidaire

Les Scop constituent l’un des acteurs de l’ESS. Plus précisément, elles appartiennent au secteur de l’économie sociale défini, selon Drapéri (2009), au travers du statut juridique de ses acteurs qui sont des coopératives, des fondations, des associations ou des mutuelles (alors que les entreprises de l’économie solidaire se définissent par le type d’actions menées). Il s’agit de regroupements de personnes physiques et/ou morales et non de capitaux. La rémunération de ces derniers n’est donc pas une priorité, à la différence des sociétés de capitaux. Elles visent, en revanche, à participer à un projet collectif d’entreprise, au contraire d’une entreprise individuelle. Enfin, elles ont un statut privé, par opposition aux entreprises publiques. D’autres principes fondamentaux caractérisent ces entreprises, selon le décret du 15 octobre 1981 qui établit officiellement l’ESS : la non- lucrativité et la juste répartition des excédents, la gestion démocratique, avec l’application de la règle « une personne, une voix », la liberté d’adhésion et de retrait, à tout moment.

Du point de vue du poids économique, l’ESS emploie 2,3 millions de salariés, soit 1 salarié sur 10 en France, comptant pour 8 % du total des rémunérations brutes[2]. Les estimations attribuent à l’ESS une contribution de 7 % à 8 % du produit intérieur brut ou PIB (Kaminski, 2009). Comptant près de 80 % des emplois dans les services, les entreprises de l’ESS sont très ancrées dans leurs territoires, sachant s’adapter aux besoins locaux en développant des réponses innovantes, comme le souligne Vercamer (2010).

1.2. Quelques éléments explicatifs sur les coopératives

Selon Clerc (2009), l’histoire des coopératives est ancienne en Europe avec des exemples tels que les « fruitières » du Jura, transformant en fromage de comté le lait livré par les adhérents, et ce, dès le milieu du xiiie siècle. Mais c’est le xixe siècle qui marque la création de nombreuses coopératives ouvrières, agricoles et bancaires, auxquelles viendront s’ajouter par la suite des coopératives dans d’autres secteurs d’activité : l’habitat, le transport, l’artisanat, la pêche… toutes reprenant les principes définis par la société des pionniers de Rochdale (créée en 1844) de la gouvernance démocratique, de la juste répartition des bénéfices, de la liberté d’adhésion et de la rémunération limitée du capital.

En France, un premier cadre législatif établi en 1867, avec la loi sur la variabilité du capital, autorisant l’entrée et la sortie aisées de coopérateurs, a été modifié par la loi Ramadier en 1947, qui s’applique à l’ensemble des coopératives, avec des règles particulières pour chaque type de coopérative : coopératives artisanales, de consommation, de transport fluvial, etc.

Pour Clerc (2009), les coopératives se démarquent par l’originalité de la gestion du capital. En détenant au minimum une part sociale, chaque associé, appelé aussi coopérateur ou sociétaire, peut participer à la vie économique de la coopérative. Cependant, l’acquisition de parts sociales ne présente pas d’intérêt financier, leur rémunération est limitée et leur cession, en cas de retrait, se fait au coût historique. De plus, les statuts de la coopérative imposent également une mise en réserve d’une part importante des bénéfices, ces réserves étant non distribuables, le but étant de pérenniser l’activité, les coopérateurs d’aujourd’hui se rendant, ainsi, solidaires de ceux de demain.

Dans le monde, on dénombrerait un milliard de membres de coopératives, selon l’ICA (International Cooperative Alliance). En France, 21 000 coopératives fournissent 1 million d’emplois, correspondant à 3,5 % de la population active[3]. Elles représentent, en France, en 2009, 274 milliards d’euros en chiffres d’affaires annuels, soit 14,4 % du PIB (filiales incluses)[4].

1.3. Les Scop : des coopératives particulières

Les sociétés coopératives ouvrières de production (Scop) sont des formes de coopératives particulières prévues par la loi du 19 juillet 1978. Depuis 2010, l’acronyme Scop, qui avait déjà abandonné le qualificatif « ouvrières », fait référence aux sociétés coopératives et participatives et intègre aussi les Scic (sociétés coopératives d’intérêt collectif). Ce changement de nom vise à mettre l’accent sur l’importance du fonctionnement démocratique des Scop et sur le rôle notable que peuvent jouer les salariés dans les instances dirigeantes de la société[5].

Comme le rappelle le réseau des Scop[6], les Scop reprennent les principes coopératifs habituels, avec une particularité toutefois : les salariés y sont majoritairement les membres associés et donc, à la fois, employés et propriétaires de l’entreprise ou « coentrepreneurs ».

Le statut Scop s’ajoute au statut de SA (société anonyme) ou de SARL (société à responsabilité limitée). Il impose qu’au moins 51 % du capital social soit détenu par les salariés associés et au moins 65 % des droits de vote, toujours selon le principe « une personne, une voix », tout salarié ayant vocation à devenir associé au bout d’une certaine période, fixée par l’entreprise. Ce droit de vote permet, notamment, aux salariés d’élire leur dirigeant. Le mandat de ce dernier ne peut excéder six ans pour les SA et quatre ans pour les SARL. Dans certaines Scop, il est de seulement 1 an, le dirigeant étant alors un dirigeant tournant sans réel pouvoir. Dans d’autres Scop, le même dirigeant tient les rênes depuis plusieurs années, étant reconduit dans sa fonction à la fin de chaque nouveau mandat. Pasquet et Liarte (2012) soulignent le risque de dérive lié à l’enracinement des dirigeants. Cependant, il faut noter que même dans ces situations de mandat prolongé, le dirigeant peut être désavoué si la stratégie qu’il mène n’est pas ou plus en adéquation avec le projet collectif[7].

La répartition du résultat se fait de manière équitable entre les salariés, les salariés associés et les mises en réserve pour l’entreprise. Le cadre juridique prévoit que les réserves doivent être de 15 % minimum du résultat annuel[8], mais elles atteignent 40 % en moyenne dans la pratique, en France. La participation et intéressement (« part travail ») doit être d’au minimum 25 % du résultat pour l’ensemble des salariés (pas seulement les associés). Enfin, il est possible de rémunérer les parts sociales avec une limitation au tiers des bénéfices.

Dans toutes les entreprises de type SA et SARL, qu’elles soient Scop ou non, il existe une réserve légale qui cesse d’être obligatoire lorsqu’elle a atteint 10 % du capital social et qui est dotée au minimum de 5 % des bénéfices. Une réserve statutaire vient, en supplément de la réserve légale, quand les statuts de la société prévoient qu’une provision sera constituée. Cette réserve est libre aussi bien dans son montant que dans les modalités de son provisionnement. Dans le cas des Scop, la réserve statutaire est en revanche obligatoire.

Concernant l’apport en capital, en fonction du statut (SARL ou SA), il est plus ou moins important (respectivement 15 € et 18 500 € au minimum). Ce capital est reversé à l’associé (dans un délai maximum de cinq ans) quand celui-ci décide de quitter la Scop, mais il ne sera pas revalorisé (pas de plus-value). Par ailleurs, les réserves ne peuvent être distribuées et restent donc en totalité la propriété de la Scop en cas de départ de salariés. Elles ne peuvent pas non plus être intégrées au capital social. Ces réserves sont réaffectées au réseau des Scop en cas de défaillance de l’entreprise.

En France, on comptait, fin 2010, 1 842 Scop comprenant, en moyenne, une vingtaine de salariés. Leur taux de survie après trois ans est supérieur à celui de la moyenne française des autres entreprises : 74 % contre 66 % (selon l’INSEE, Institut national de la statistique et des études économiques).

Les principaux secteurs d’activité des Scop sont les services et leurs secteurs originels, le BTP (bâtiment et travaux publics) et l’industrie, avec une particularité : elles sont, comparativement à la moyenne française, sous-représentées dans les services[9] et surreprésentées dans les deux autres secteurs[10].

Après avoir cerné l’objet de notre étude, les Scop, nous abordons, dans la section suivante, les champs théoriques mobilisés pour mener à bien notre recherche sur les Scop.

2. Revue de la littérature

Notre étude vise à comprendre la perception des fondateurs ou dirigeants de Scop par rapport au champ de l’entrepreneuriat social (Drapéri, 2010 ; Peredo et McLean, 2006 ; Dees et Anderson, 2003 ; Thompson, 2002 ; Boutillier, 2008 ; Boncler et Hlady Rispal, 2004 ; Austin, Stevenson et Wei-Skilern, 2006 ; Defourny et Nyssens, 2011).

Pour expliquer notre objet d’étude (la Scop) à partir de la perception des dirigeants, nous nous appuyons sur la littérature concernant l’identité organisationnelle avec un focus particulier sur l’identité projetée ou l’identité de la firme. Ainsi, notre revue de littérature est organisée comme suit. Tout d’abord, nous présentons brièvement les grandes phases de la conceptualisation de l’identité organisationnelle incarnée par le dirigeant (l’identité projetée) (section 2.1) puis le concept de l’entrepreneuriat social (section 2.2) et son positionnement par rapport aux objectifs de la firme (section 2.3). Dans un deuxième temps, nous expliciterons les liens avec l’ESS (section 2.4).

2.1. Le concept de l’identité projetée

La notion d’identité organisationnelle est un concept à multiples facettes qui a été étudié sous différents angles, sous différentes épistémologies et du point de vue de parties prenantes variées (Gioia, 1998). Dans la littérature sur le comportement organisationnel, par exemple, l’identité organisationnelle est généralement comprise comme le vécu des salariés sur ce qui est au coeur de leur organisation de manière à pouvoir répondre à la question « Qui sommes-nous en tant qu’organisation ? » (Corley et Gioia, 2004). Dans la littérature marketing, en revanche, l’identité émerge de l’interaction entre la culture interne de l’entreprise et son image externe (Hatch et Schultz, 2002). Cela se traduit par une conversation multipartite entre les membres d’une organisation et ses multiples parties prenantes (Hatch et Schultz, 2008). De ces deux points de vue, cependant, il est généralement admis que ce sont les dirigeants qui façonnent et transmettent l’identité d’une organisation (Soenen et Moingeon, 2002 ; Balmer et Soenen, 1999 ; Rodrigues et Child, 2008 ; Cornelissen, Haslam et Balmer, 2007). Notre étude se concentre donc sur l’identité projetée également appelée l’identité de l’entreprise (corporate identity) qui est définie comme : « la caractérisation de l’organisation dans son ensemble par le top management » (Rodrigues et Child, 2008, p. 890).

L’une des fonctions du leadership est de gérer l’identité d’une organisation. Le rôle du gestionnaire est de créer du sens et de maîtriser le symbolique (Reitter et Ramanantsoa, 1985). Ainsi, le dirigeant s’engage activement dans la gestion identitaire de son organisation (Elsbach et Kramer, 1996). Cependant, certains prétendent que les dirigeants « imposent leurs propres perceptions monologiques et unitaires de la vérité » sur les membres de l’organisation afin de créer « le consentement actif des groupes dominés » (Brown et al., 2005, p. 315, citant Clegg, 1989). Pour cette raison, le discours du dirigeant est souvent critiqué pour ne pas projeter l’identité « réelle » d’une entreprise. En outre, la gestion de l’identité peut conduire les cadres supérieurs à s’engager dans le subterfuge, l’hypocrisie, ou dans des voeux pieux, exprimant un discours sur une identité organisationnelle désirée et non réelle (Balmer et Greyser, 2002).

Cela dit, notre étude adopte le point de vue que le dirigeant est un acteur légitime pour incarner l’identité organisationnelle par sa position avantageuse de pouvoir et de contrôle privilégié sur les ressources matérielles et informationnelles de sa firme (Rodrigues et Child, 2008 ; Soenen et Moingeon, 2002). Par ailleurs, dans le cas particulier des Scop, le dirigeant est élu par les salariés de manière démocratique pour exercer son mandat pour un temps donné et appliquer une stratégie acceptée par tous. Cette gouvernance propre à la Scop fait du dirigeant un acteur d’autant plus légitime pour incarner une identité organisationnelle authentique et réelle plutôt qu’hypocrite ou idéalisée.

2.2. Le concept d’entrepreneuriat social

La littérature sur l’entrepreneuriat social est récente et sa définition est imprécise (Boutillier, 2008) et il existe d’ailleurs de multiples conceptions de ce qu’est un entrepreneur social (Austin, Stevenson et Wei-Skilern, 2006 ; Peredo et McLean, 2006 ; Defourny et Nyssens, 2011). Selon une conception large, l’entrepreneuriat social serait une activité innovante à caractère social, présente dans des contextes d’entreprises à but lucratif, non lucratif et hybrides (Dees, 1998, cité dans Austin, Stevenson et Wei-Skilern, 2006). Selon une acception plus restreinte, l’entrepreneuriat social serait l’application d’une expertise managériale au secteur non lucratif (Reiss, 1999 et Thompson, 2002, cités dans Austin, Stevenson et Wei-Skilern, 2006). Austin, Stevenson et Wei-Skilern (2006) distinguent l’entrepreneuriat social de l’entrepreneuriat commercial. L’entrepreneuriat commercial porterait sur l’identification, l’évaluation et l’exploitation d’opportunités se traduisant en profits alors que l’entrepreneuriat social correspondrait à l’identification, l’évaluation et l’exploitation d’opportunités se traduisant en valeur sociale.

Ainsi, l’entrepreneuriat social se distinguerait de l’entrepreneuriat classique par son objectif de créer de la valeur sociale, au lieu d’enrichissement personnel ou d’enrichissement actionnarial (Certo et Miller, 2008 ; Austin, Stevenson et Wei-Skilern, 2006). L’entrepreneuriat social privilégierait des objectifs sociaux à des objectifs directement lucratifs (Thompson, 2002 ; Boutillier, 2008). La notion de valeur sociale prête également à diverses interprétations. Au sens large, elle inclurait la notion de « cause », c’est-à-dire toute action dépassant la notion de rentabilité (Thompson, 2002), alors que dans un sens plus restreint, elle serait la réponse aux besoins basiques d’une société comme la satisfaction des besoins en eau, éducation et services médicaux des membres d’une société donnée. Pour d’autres encore, l’entrepreneur social se distinguerait de l’entrepreneur commercial par son engagement à aider les autres d’une manière ou d’une autre (Leadbeater, 1997).

Pour certains auteurs, l’équation entre objectifs économiques et sociaux n’est pas obligatoirement dichotomique, mais plutôt une question de degré (Peredo et McLean, 2006). Ainsi, il existerait plusieurs types d’entrepreneurs sociaux qui se distinguent par la façon dont ils articulent l’importance de la mission économique et celle de la mission sociale (Peredo et McLean, 2006). À une extrémité du spectre se trouveraient les organisations à but non lucratif pour lesquelles la mission sociale est explicite et centrale et la notion de profit inexistante. À l’autre extrême, on retrouverait l’entreprise classique qui a pour mission principale de générer des profits pour ses actionnaires. Entre les deux se situeraient de multiples modèles hybrides d’entrepreneuriat social comme la Grameen Bank ou des entreprises comme Ben et Jerry’s qui affichent une double mission (à la fois sociale et économique). Selon Peredo et McLean (2006), le positionnement dans la grille se détermine en comparant le poids des objectifs sociaux à celui des objectifs économiques.

Un dernier aspect important qui distinguerait l’entrepreneuriat social de l’entrepreneuriat classique serait son aspect communautaire. En effet, la notion de communauté apparaît de manière systématique dans la conceptualisation de l’entrepreneuriat social. Les entrepreneurs sociaux « […] se différencient (des entrepreneurs classiques) par le fait qu’ils opèrent dans une communauté et sont plus concernés par l’idée d’aider et de prendre soin que de faire de l’argent » (Thompson, 2002, p. 413 ; traduction libre). « Les entrepreneurs sociaux servent une finalité sociale tout en créant des bénéfices. La finalité sociale se définit comme la création de valeur pour une communauté et pour la société plutôt que de créer simplement de la richesse pour les propriétaires » (Dees et Anderson, 2003, p. 2 ; traduction libre). Ainsi, l’entrepreneuriat social poursuivrait un objectif explicite de service à la communauté (Drapéri, 2010 ; Defourny et Nyssens, 2011), sachant qu’il peut avoir d’autres objectifs (dont économiques) mais que ceux-ci sont secondaires (Boutillier, 2008).

2.3. Entrepreneuriat social et objectifs de la firme

La littérature sur l’entrepreneuriat social pose la question des objectifs de la firme et met l’accent sur une définition étendue de celle-ci. Un entrepreneur social doit concilier deux objectifs (double bottom line) à la fois social et économique (Dees et Anderson, 2003). L’articulation entre ces deux objectifs soulève des débats au sein de la littérature sur l’entrepreneuriat social. Pour certains, l’objectif social doit être prioritaire pour qu’une entreprise puisse se déclarer comme appartenant à l’entrepreneuriat social (voir la définition du Département du commerce et de l’industrie du Royaume-Uni, 2002, cité dans Cornelius et al., 2008) alors que pour d’autres, l’articulation entre la mission sociale et économique peut prendre de multiples formes (Peredo et McLean, 2006). Il y aurait donc de multiples formes d’entrepreneuriat social et le concept serait loin d’être homogène. Ainsi, pour la Social Entrepreneurship Initiative (SEI) de l’Université de Stanford, l’entrepreneuriat social pourrait se manifester sous trois formes : 1) organisation à but lucratif, qui utilise des ressources pour répondre à des questions sociales ; 2) organisation à but non lucratif, qui aide des individus à créer leur entreprise à but lucratif ; 3) organisation à but non lucratif, qui engendre de la valeur économique pour créer des emplois pour ses populations cibles.

Si nous retrouvons donc de nombreuses approches sur l’articulation entre entrepreneuriat social et objectifs de la firme, le dénominateur commun parmi les définitions serait la capacité d’un entrepreneur social à répondre aux besoins de diverses parties prenantes, notamment aux besoins de parties prenantes faibles dans la société, qui ne sont ni propriétaires ni actionnaires de la firme. Ainsi, l’entrepreneur social s’engagerait à aider « les autres » (Leadbeater, 1997) par la création de valeur sociale (Dees et Anderson, 2003) en sous-entendant que « l’autre » ou la partie prenante dans le besoin se situerait en dehors de la firme, d’où la place importante accordée à la notion de communauté.

La notion de valeur sociale telle que définie par la littérature sur l’entrepreneuriat social serait donc une notion extérieure à la firme. Ainsi, certains auteurs ont émis l’hypothèse que les entrepreneurs sociaux seraient tellement tournés vers l’extérieur qu’ils ne porteraient pas suffisamment attention à leurs parties prenantes et pratiques sociales internes (Cornelius et al., 2008).

2.4. Entrepreneuriat social et économie sociale

Une autre vision critique de l’entrepreneuriat social à l’anglo-saxonne apparaît dans la littérature francophone. Ainsi, Drapéri (2010, p. 24) distingue l’entrepreneuriat social de l’économie sociale et critique l’entrepreneuriat social car celui-ci « ne s’affranchit pas du capitalisme et d’une économie dominante fondamentalement injuste et productrice d’inégalités » alors que l’économie sociale « constitue le moyen de l’émancipation et du développement des personnes » (Drapéri, 2010, p. 22).

Pour d’autres, la différence entre les deux notions n’est pas d’ordre idéologique, mais juridique. L’économie sociale se définirait par son statut juridique et par trois caractéristiques majeures : l’activité non lucrative, la liberté d’adhésion et la démocratie et, enfin, le principe d’un homme, une voix, alors que l’entrepreneuriat social se distinguerait par la volonté de l’entrepreneur d’identifier ce qui ne fonctionne pas dans la société et de rechercher une solution pour y remédier (Boutillier, 2008).

Enfin, le réseau européen EMES a élaboré une approche de l’entreprise sociale qui s’appuie sur trois types d’indicateurs (économiques, sociaux et structure de gouvernance) et qui trouve des points communs avec l’école de l’innovation sociale à laquelle adhèrent Austin, Stevenson et Wei-Skilern (2006). Ce qui différencie en grande partie le réseau EMES de l’approche anglo-saxonne est l’importance attribuée à la notion de gouvernance (une personne, une voix) (Defourny et Nyssens, 2011).

À la lumière de cette revue de littérature sur l’entrepreneuriat social et l’économie sociale émerge notre objet de recherche, les Scop, que nous souhaitons étudier au travers de la vision de leurs fondateurs et/ou dirigeants. Nous souhaitons ainsi situer ces acteurs méconnus de l’économie sociale et solidaire par rapport à l’entrepreneuriat social. En nous basant sur la grille d’analyse d’Austin, Stevenson et Wei-Skilern (2006) qui distingue les entrepreneurs sociaux des entrepreneurs marchands selon quatre principaux critères, à savoir : 1) la défaillance du marché, 2) la mission de l’entreprise, 3) la mobilisation des ressources et 4) la mesure de la performance ; nous reprenons les trois critères qui sont propres à l’organisation interne de la firme (mission, mobilisation des ressources et mesure de la performance) pour mieux appréhender la vision des dirigeants de Scop sur la nature de leur organisation. Cela nous conduit à vérifier si les Scop ont une conception particulière de la valeur sociale et de la notion de communauté. Les Scop souhaitent-elles répondre comme les entrepreneurs sociaux à un objectif explicite de service à la communauté (Drapéri, 2010) ? S’apparentent-elles à des entreprises classiques pour qui l’unique objectif est le profit ? Doivent-elles être considérées comme des entrepreneurs sociaux à part entière ou sont-elles des entités hybrides ?

Pour tenter de répondre à ces questions, nous avons mené une recherche dont nous explicitons la démarche ci-après.

3. Présentation de la méthodologie de la recherche

Pour mieux comprendre les spécificités des Scop, nous avons réalisé une série d’entretiens semi-directifs auprès de fondateurs et fondatrices et/ou de dirigeants et dirigeantes[11] de Scop dans la région Ouest de la France. L’objectif premier de cette collecte de données a été d’appréhender le plus largement possible l’objet « Scop » en essayant de le situer par rapport au modèle de l’entreprise capitaliste et notamment de celui de l’entrepreneuriat social, mais aussi de comprendre ce qui le distingue d’autres modèles de l’économie sociale et solidaire, tels que les coopératives. Notre méthodologie de recherche est qualitative et semi-exploratoire et repose sur l’étude de cas qui, comme le souligne Yin (1994), permet de faire ressortir des questions et problématiques pertinentes et d’étudier un domaine de recherche peu exploré.

L’objet « Scop » en lui-même demeure peu étudié et nous avons emprunté à la littérature sur l’entrepreneuriat social une grille d’analyse afin de situer les Scop dans le spectre allant de l’entrepreneuriat social à celui de l’entrepreneuriat marchand. Sur cette partie de notre étude, l’approche est donc plutôt déductive et vise à cerner les perceptions que les dirigeants ont du rôle que joue leur entreprise dans la société et de ce qui la différencie de leurs concurrents non Scop, notamment par rapport aux champs de l’entrepreneuriat social.

Nous avons choisi de nous concentrer sur les Scop appartenant à l’union régionale des Scop de la région Ouest (Bretagne, pays de la Loire, Basse-Normandie), le réseau français des Scop comprenant 13 unions régionales (Urscop). Le choix de cette zone s’explique par son dynamisme en matière d’économie sociale et solidaire et, plus particulièrement, de Scop. La région Ouest comptabilise 364 Scop, première union régionale en nombre de Scop en France, deuxième en termes de salariés (avec 7 028 salariés contre 10 038 en Île-de-France – Centre-Orléanais – Haute-Normandie – Dom-Tom).

Tableau 1

Liste des Scop dont nous avons rencontré le dirigeant ou la dirigeante

Liste des Scop dont nous avons rencontré le dirigeant ou la dirigeante

Tableau 1 (continuation)

Liste des Scop dont nous avons rencontré le dirigeant ou la dirigeante
*

Cette Scop a souhaité rester anonyme.

Sources : Annuaire des Scop (2011) et entretiens réalisés (2011).

-> See the list of tables

Pour élaborer notre échantillon, nous souhaitions un panel de Scop assez proche de la réalité d’ensemble, en termes d’activités représentées, de date de création, de taille. Les statistiques fournies par l’union régionale Ouest répartissent les activités économiques en six groupes : BTP, industrie, artisanat de production, commerce et restauration, services intellectuels et culturels et services matériels. Nous avons retenu quatre classes facilement identifiables : BTP, industrie, services et autres. Notre échantillon se compose de 15 entreprises (voir tableau 1), dont cinq appartiennent au BTP, à comparer aux 30 % sur la région en 2010 ; deux à l’industrie (10 % sur la région), six aux services (41 % sur la région) et deux à « autres activités » (représentant les 20 % restants).

Dans notre échantillon, nous voulions également des structures anciennes et récentes, l’ancienneté moyenne des entreprises de notre échantillon étant de 21 ans. Concernant les effectifs, la moyenne atteint 48 salariés, ce qui est beaucoup plus élevé que la moyenne régionale de 22.

Notre échantillon de dirigeants se compose de six femmes et neuf hommes, interviewés sur la période d’octobre 2011 à févier 2012. Les entretiens ont duré entre une heure et quinze minutes et deux heures et ont majoritairement été réalisés en présence des deux chercheurs.

Pour construire notre grille d’entretien, nous sommes parties à la fois d’éléments de la littérature et de réflexions-interrogations émergentes. Concernant la thématique de l’entrepreneuriat social, nous avons mobilisé la grille d’Austin, Stevenson et Wei-Skilern (2006), qui distingue l’entrepreneuriat social de l’entrepreneuriat commercial par trois critères principaux : la nature de la mission, la mesure de la performance et la manière de mobiliser les ressources. En plus de ces éléments, il nous semblait important, comme le préconise Drapéri (2010), de recueillir des éléments plus factuels concernant les pratiques quotidiennes, tant en matière d’organisation interne que de relations avec les différentes parties prenantes des entreprises.

Tous les entretiens menés dans le cadre de cette recherche ont été enregistrés puis retranscrits. Le verbatim obtenu a servi de base à l’analyse qualitative. Ces informations ont été complétées à l’aide de données secondaires telles que des documents propres aux entreprises elles-mêmes, des documents de l’Urscop et des présentations de l’Urscop de l’Ouest auxquelles nous avons pu assister, en 2011[12], ainsi que de données primaires (réalisation d’entretiens auprès de deux chargés de mission de l’Urscop et de l’ancienne directrice de l’Urscop, aujourd’hui responsable de l’innovation sociale à Nantes Métropole).

Pour analyser nos données, nous avons repris la grille d’analyse sur l’entrepreneuriat social et ajouté dans notre tableau d’analyse une case sur l’analyse des pratiques. Notre démarche a consisté à comparer les données recueillies auprès des différents dirigeants et à appréhender les oppositions et les similitudes et à dresser des regroupements de Scop (selon la procédure close de Henri et Moscovici, 1968). Nous avons ainsi réalisé une analyse syntaxique, l’unité d’analyse étant la phrase ou le morceau de phrase (méthode syntaxique de Ghiglione, Matalon et Bacri, 1985). L’utilisation du logiciel NVivo 9 a facilité le regroupement de ces unités dans des catégories, les unités de chaque catégorie ayant des significations proches (synonymes ou connotations équivalentes), et ces catégories ont servi de base à la construction des tableaux de données. L’analyse qualitative nous a aussi permis de mettre en évidence des thèmes plus ou moins importants en fonction des dirigeants, donc d’apprécier la valeur de chaque thème dans les discours.

Enfin, pour améliorer la validité interne de notre étude, nous avons systématiquement analysé nos données de manière séparée, dans un premier temps pour les confronter dans un deuxième temps et nous assurer qu’il y avait cohérence dans nos interprétations des données.

Dans la section suivante, nous présentons les résultats de cette recherche et les discutons au regard du cadre théorique retenu.

4. Résultats et discussion

Les principaux résultats de notre étude sont, d’une part, si l’on reprend la grille d’Austin, Stevenson et Wei-Skilern (2006), la mise en évidence d’une mission hybride au sein des Scop alliée à un objectif de pérennisation de l’entreprise (section 4.1) et une approche très qualitative de la mesure de la performance ainsi qu’un accès aux ressources financières facilité par une solide assise financière, le tout sous-tendu par une place importante accordée à la création de valeur sociale (section 4.2). La Scop apparaît aussi comme un modèle d’entreprise focalisé sur ses salariés, à la fois en termes de préservation des emplois et d’évolution professionnelle et extraprofessionnelle (section 4.3). Au vu de ces différents éléments, la Scop se définit comme un modèle hybride, entre entrepreneur marchand et entrepreneur social, avec une proximité plus forte de l’entrepreneur social et un impact sociétal indirect, grâce à la volonté de faire évoluer les salariés, les rendant ainsi plus aptes à s’investir dans la société (section 4.4).

4.1. Une mission d’entreprise hybride avec un objectif prioritaire de pérennisation de l’entreprise et des emplois

La pérennité de l’entreprise apparaît comme une question primordiale pour les dirigeants de Scop. Elle s’énonce au sein même de la mission attribuée à l’entreprise, cette mission pouvant avoir pour objet l’intérêt général ou un objet à la fois économique et social. La pérennité transparaît en outre au travers de la question de la performance de l’entreprise et de la mobilisation des ressources.

L’entreprise est ainsi un objet économique, mais également symbolique que le dirigeant souhaite maintenir dans sa durée de vie de dirigeant et au-delà. Le dirigeant de Scopic explique ainsi que cette question est permanente dans la réflexion de son entreprise. « C’est le temps qu’on peut passer à se poser des questions sur l’avenir de l’entreprise, son développement. Comment créer un outil qui soit pérenne, qui continue à vivre et à bien vivre ? […] » (Scopic). Par ailleurs, certains dirigeants considèrent que la mission première de leur entreprise est de créer ou de maintenir les emplois ainsi que les outils de production au sein d’un territoire : « Créer de l’emploi, ici, et ancré et solide » (Canard Social). La mission se décline aussi de manière très pragmatique pour la dirigeante de SCBM : « On la [l’entreprise] fait exister, elle nous fait exister. C’est s’assurer un travail, un avenir. Et puis le transmettre, essayer de le transmettre parce qu’on subit plein de perturbations extérieures et même intérieures d’ailleurs. Et pérenniser. »

Au sein de notre échantillon se sont dégagés toutefois deux sous-ensembles : un premier pour lequel une mission d’intérêt général prédomine sur la mission économique et un second pour lequel la mission est hybride.

Pour le premier groupe, la raison d’être de leur entreprise est de répondre à un besoin d’intérêt général alors que la mission économique de profitabilité est secondaire, puisqu’au service de leur mission principale. Cette catégorie de Scop est la plus ressemblante à l’entrepreneuriat social classique tel que défini par Certo et Miller (2008), car il s’agit de répondre en priorité aux besoins de la société. Les propos du dirigeant d’EBS résument bien cette approche : « Se mettre au service de la création d’emploi pour des personnes en situation d’exclusion. Au service de la mission, on met une activité économique. » Dans cette catégorie, nous retrouvons des entreprises dont les activités sont tournées vers le social, mais pas seulement. Le dénominateur commun serait plutôt l’ambition du projet, bien plus large que le périmètre d’activité. Par exemple, Pain Virgule porte un projet de création d’une filière avec la mise en place de partenariats avec des paysans céréaliers, une activité de mouture et la fabrication de pain au levain ainsi que la formation de boulangers utilisant cette technique. C’est aussi le cas de Texto et Scopic, qui veulent véhiculer la culture autrement, ou de Canard Social, qui souhaite diffuser un type d’informations à dimension sociale. Ce groupe s’apparente à l’entrepreneuriat social par sa mission d’intérêt général, inscrite au sein même de sa mission d’entreprise (Thompson, 2002).

Pour une deuxième catégorie de dirigeants, la mission est conçue comme véritablement hybride, c’est-à-dire que la mission économique et la mission sociale sont au même niveau. « Pour moi et Macoretz, cela a autant d’importance le social et l’économique, c’est du 50-50. Ça prend une dimension de militant dans notre société. On veut montrer qu’il y a un autre rapport au travail que ce qu’on voit aujourd’hui », affirme le dirigeant de Macoretz.

Il nous apparaît ainsi que les dirigeants de Scop ne se retrouvent pas tous dans une même logique monolithique, mais qu’ils s’apparentent plutôt à des entrepreneurs sociaux positionnés au centre de la grille de Peredo et McLean (2006) puisqu’ils ne sont ni exclusivement au service d’objectifs sociaux ni exclusivement dans une recherche unilatérale du profit. Les dirigeants de Scop seraient donc des entrepreneurs sociaux de type hybride.

Par ailleurs, les salariés sont considérés par les dirigeants, de manière unanime, comme la partie prenante privilégiée, viennent ensuite les clients, les fournisseurs, le territoire ainsi que le réseau ESS. « La partie prenante la plus importante, ce sont les salariés. Car la structure ne se développe que grâce aux échanges avec les salariés » (EBS). « Le plus important, ce sont nos sociétaires ou salariés sociétaires. En deuxième, nos clients qui sont aussi nos ambassadeurs. Enfin, dans un degré moindre, nos engagements dans l’ESS, l’Union régionale des Scop » (Macoretz).

La communauté visée par la Scop semble être d’abord la communauté des salariés et donc la Scop serait en priorité au service de l’interne. La primauté du salarié comme partie prenante centrale évoque la littérature sur les PME qui souligne la même chose (Jenkins, 2004 ; Spence, 2000).

Cependant, la Scop serait un type de PME particulière. En revenant à la grille élaborée par l’Université de Stanford, la Scop pourrait s’apparenter à un entrepreneuriat social de type « organisation à but non lucratif qui crée de la valeur économique pour créer des emplois pour ses populations cibles », la population cible de la Scop n’étant pas liée à des besoins sociétaux externes à la firme, mais les salariés mêmes de la Scop. Cette spécificité de la Scop se traduirait par une mission de type hybride dont l’objectif serait prioritairement la pérennisation de l’entreprise et la préservation des emplois.

4.2. Une mesure plutôt qualitative de la performance, accordant une place importante à la valeur sociale, associée à une relative solidité financière facilitant l’accès aux ressources

Suivant la grille de lecture d’Austin, Stevenson et Wei-Skilern (2006), une fois la mission identifiée, nous avons cherché à comprendre les moyens utilisés par les Scop pour évaluer leur performance ainsi que la manière de mobiliser les ressources.

4.2.1. Mesure de la performance

Si les fondateurs/dirigeants que nous avons rencontrés considèrent, pour la plupart, avoir une mission hybride, c’est parce que tous considèrent que la mission de l’entreprise est à la fois sociale (créer des emplois, valoriser les salariés) et d’ordre économique (rentabilité)[13]. Ainsi, la performance économique est jugée fondamentale pour la majorité des dirigeants, car indispensable à la pérennisation de l’entreprise. En effet, un résultat positif permet de consolider l’entreprise (une part est mise en réserve automatiquement). La dirigeante de Scop Fresnel l’exprime ainsi : « À partir du moment où on sort un bénéfice, on répartit : la moitié va en participation, l’autre part en réserve. On assoit l’entreprise un peu plus. »

Se retrouve ici une vision élargie de la performance et de sa mesure, d’autant plus qu’elle est aussi envisagée sous l’angle « clients ». La fidélisation des clients, la qualité du produit ou du service assuré au client, la reconnaissance des clients apparaissent très importantes aux yeux des dirigeants. « Ce qui est vraiment vivant, c’est le réseau de clients […] qui sont toujours là, nous sollicitent toujours et la réputation de Pain Virgule qui est grandissante » (Pain Virgule).

La relation privilégiée (fidélité) avec les clients se retrouve également dans les PME « classiques » en raison de l’imbrication de ce type de firme dans leurs communautés locales (Perrini, 2006 ; Spence et Rutherfoord, 2003 ; Tencati, Perrini et Pogutz, 2004).

La mesure de la performance semble refléter la mission hybride des Scop. En effet, il existe à la fois des indicateurs économiques et extrafinanciers, même si ces derniers ne sont pas très développés. Les indicateurs économiques cités sont des indicateurs simples du type chiffre d’affaires, résultats et, généralement, associés à une vision de long terme : les dirigeants aiment se situer par rapport aux années antérieures. Cependant, au-delà des données chiffrées, les dirigeants ont également une approche plus qualitative et s’appuient sur le ressenti des salariés (« on leur demande comment ils ont vécu l’année », La Contemporaine) et sur la fidélité des clients. Il est donc possible de considérer ici que les dirigeants abordent la notion de performance économique avec des indicateurs économiques classiques tout en s’appuyant sur une dimension plus subjective qui inclut différentes parties prenantes (salariés, clients) dans la perception de la mesure de cette performance. Par ailleurs, aucun des dirigeants n’a évoqué la possibilité de rémunérer le capital quand il y a réalisation de bénéfices. Cet aspect demeure bien secondaire. Cette préoccupation par le dirigeant/fondateur du ressenti et du bien-être de ses salariés est une caractéristique que nous retrouvons également dans les PME classiques non Scop (Spence, 2007).

La performance extrafinancière ne suscite, quant à elle, pas d’évaluation formelle et reste souvent de l’ordre de la perception. Cela n’est pas surprenant pour des entreprises françaises et particulièrement des Scop-PME puisque la notion s’est récemment diffusée en France, avec la loi NRE en 2001 (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2010). De plus, cette loi a touché majoritairement les entreprises cotées en Bourse, celles-ci étant maintenant dans l’obligation de publier un rapport extrafinancier. De fait, les Scop qui sont aussi principalement des PME sont « totalement absentes du champ étudié et ne publient rien » (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2010, p. 103). Par ailleurs, la difficulté et complexité de mesurer l’impact social énoncée par Austin, Stevenson et Wei-Skilern (2006) se retrouve pour les dirigeants/fondateurs de Scop interrogés.

Pour la plupart des Scop rencontrées, il existe des indicateurs, mais en général ils ne sont pas intégrés dans des tableaux de bord formalisés. Les quelques indicateurs de performance sociale cités sont l’entretien annuel d’évaluation et l’évolution professionnelle, le taux de turn-over, le nombre d’arrêts de travail ainsi que le niveau des dépenses en formation : « […] le plus important, pour moi, c’est une histoire de management et le management, c’est du quotidien. Le fait d’être en open-space, comme on l’est, favorise à 400 % la circulation de l’information et donc la prise en compte quasi immédiate des besoins des uns et des autres » (Scopic). La performance « sociale » est abordée sous l’aspect bien-être au travail et évolution professionnelle des salariés, mais aussi sous l’aspect équité, voire égalité de salaires. Les écarts de salaires sont globalement très faibles, allant de l’application du même salaire à tous à un écart maximal de 1 à 3, et apparaissent moins élevés que sur le plan national (1 à 7), avec des salaires minimums généralement supérieurs au SMIC. Cependant, ces ordres de grandeur sont relativement proches de ceux de TPE, avec respectivement, selon l’INSEE, un écart de 1 à 3,5 SMIC, mais largement inférieur à celui des PME (de 1 à 9 SMIC)[14]. Ainsi, les dirigeants des Scop de grande taille ne perçoivent pas une rémunération équivalente à celle de dirigeants de PME de taille équivalente.

L’absence de formalisation de la performance extrafinancière peut être expliquée par deux facteurs : la complexité à mesurer l’impact social, qui est propre au champ de l’entrepreneuriat social (Austin, Stevenson et Wei-Skilern, 2006), et le contexte culturel qui fait que globalement, en Europe, la notion de RSE (responsabilité sociale des entreprises) demeurerait encore une notion implicite à la différence des pays anglo-saxons où la notion est beaucoup plus explicite (Matten et Moon, 2008).

4.2.2. Mobilisation des ressources

Selon Austin, Stevenson et Wei-Skilern (2006), les entrepreneurs commerciaux diffèrent des entrepreneurs sociaux par leur plus grande facilité à mobiliser des ressources financières. En effet, les entrepreneurs sociaux seraient confrontés à une multitude de contraintes supplémentaires : accès limité aux meilleurs talents et aux institutions financières et l’accès à des financements illimités qui restent rares (Austin, Stevenson et Wei-Skilern, 2006, p. 12). Pour les Scop étudiées dans notre échantillon, la mobilisation de ressources ne semble pas être un souci à la fois parce que les banques leur font confiance et parce que les salariés sont motivés par la rémunération de la « part travail » (plus élevé que pour les non-Scop) et par des niveaux de salaires plus équitables au sein de l’entreprise. Là encore s’entremêlent dimensions économiques et sociales. L’appartenance au réseau ainsi que la solidarité interne sont source de création de valeur sociale au service de la pérennité de l’entreprise.

Ainsi, l’obligation de mise en réserve d’une partie des bénéfices rend les Scop relativement solides financièrement, comparées à leurs homologues non Scop de domaines d’activité similaires. Là encore, il s’agit de pérenniser l’entreprise. Ce dispositif facilite aussi l’accès au crédit bancaire, la présence de ces réserves rassurant les banquiers. La dirigeante de Scop Fresnel souligne l’avantage d’être une Scop établie : « On a le grand bonheur de ne pas aller pleurer chez le banquier, c’est un vrai luxe par rapport aux entreprises classiques. On est comme tout le monde : baisse du CA [chiffre d’affaires] comme tout le monde ces trois dernières années. Mais on a 25 ans de réserves derrière. Les banquiers savent bien que les Scop sont plus solides. » Par ailleurs, en cas de difficultés importantes, les salariés peuvent être mis directement à contribution, sous forme d’apport supplémentaire en capital ou de baisse des salaires. « Il a fallu qu’on accepte une baisse de salaire pendant un an et pour les banquiers, c’était très important » (La Contemporaine). Cela est rassurant pour les banques. Il existe également des fonds au sein du mouvement des Scop, chaque Scop versant un millième de son CA tous les ans au mouvement pour abonder ces fonds. Ces fonds peuvent être mobilisés à la création ou en cas de difficultés financières. Ce soutien du mouvement facilite aussi l’effort de la part des banques. « La caution du mouvement Scop aide les banques à lâcher » (La Contemporaine). Sur l’aspect ressources, il est possible de considérer également que les réserves constituent une forme de valeur sociale puisqu’elles sont un gage de pérennité pour l’entreprise et n’ont pas vocation à être redistribuées mais à soutenir le développement de l’entreprise. Par ailleurs, l’appartenance au réseau des Scop apparaît comme une réelle valeur sociale, car ce réseau a pour vocation d’entretenir la solidarité entre les Scop. Dans ce cas, la création de valeur sociale est tournée vers l’extérieur et pas seulement vers l’intérieur.

Pour conclure sur la mesure de la performance et la mobilisation des ressources, les Scop de notre échantillon s’apparentent à des entrepreneurs sociaux dans leur difficulté à mesurer la performance extrafinancière et dans l’importance accordée à la création de valeur sociale, mais rejoignent les entrepreneurs commerciaux par leur aisance à mobiliser des ressources humaines et financières. Les Scop se distinguent ici des PME « classiques », car elles ont plus de facilité à accéder aux ressources du fait de leur meilleure assise financière. La Scop pointerait donc vers un modèle d’entrepreneuriat social hybride et soutiendrait la thèse de Peredo et McLean (2006) selon laquelle il existe un continuum d’entrepreneurs sociaux et non une classification d’ordre binaire.

4.3. Les pratiques quotidiennes : mettre les salariés au coeur de l’entreprise

Drapéri (2010) préconise la prise en compte des pratiques quotidiennes pour mieux cerner les entreprises de l’économie sociale et solidaire (l’ESS). La comparaison des valeurs et du discours des dirigeants incarnant les Scop avec les actions et manifestations tangibles au quotidien nous semble également essentielle. Dans les pratiques quotidiennes des Scop étudiées, il ressort des entretiens l’importance attribuée à la dimension humaine, les salariés étant considérés comme l’élément central de l’entreprise Cette considération se traduit, comme évoqué précédemment, sous forme de reconnaissance financière (avec un différentiel de salaires modéré, l’attribution de la « part travail » à tous les salariés en cas de bénéfices) mais s’exprime aussi au travers des notions de respect, de gouvernance démocratique et de transparence de l’information. « La différence, c’est que nous, l’information, tout le monde l’a très tôt » (EBS). « Il y a plus d’écoute, plus de remontées, que ça va plus de bas en haut et de haut en bas même dans des structures industrielles ou semi-industrielles » (Texto).

L’enrichissement du salarié tient également une place importante, les questions d’évolution des salariés, de formation, d’autonomie, de responsabilisation semblant prégnantes pour les dirigeants questionnés sur les pratiques quotidiennes dans leur Scop. « Une entreprise classique va plutôt chercher à avoir des gens compétents aux différents postes, mais sans se demander si les personnes ont envie d’évoluer ou de changer », souligne le dirigeant de Scopic. À Pain virgule, le responsable rencontré précise : « chacun organise sa journée comme il l’entend même si, bien sûr, il y a un cadre défini. Il y a beaucoup d’autonomie ; dans une entreprise classique, c’est le patron ou le chef qui décide, l’initiative du salarié est très restreinte. Ici, il y a plein d’initiatives. »

Une autre particularité des Scop a trait à la perception de la formation. Celle-ci ne se limite pas à la formation technique, elle se veut plus large, le salarié doit être en mesure de comprendre l’entreprise dans son ensemble pour pouvoir décider. Cette démarche a également un impact sur l’extérieur en formant des citoyens actifs, comme le constatent les deux responsables de La Contemporaine interviewées : « Personne ne fait que son travail, il y a des commissions de gestion, etc., pour comprendre l’entreprise dans sa globalité. [Cela permet] aux gens d’être des acteurs dans toutes les dimensions de l’entreprise ; ça donne envie ensuite de s’investir à l’extérieur, on nous fait confiance. Du coup, on ose faire des choses qu’on n’oserait pas faire forcément. [elle évoque son investissement en association…] ça fait des citoyens aguerris. »

Ainsi, la Scop cherche à créer de la valeur en interne sur le plan de l’enrichissement des salariés (au sens humaniste du terme) et pas seulement en matière de création et de pérennisation des emplois, comme nous l’avons vu précédemment. Par ailleurs, en donnant des responsabilités aux salariés, en les rendant autonomes, la Scop crée de la valeur sociétale puisqu’elle permet aux salariés de devenir de véritables parties prenantes de leur communauté, plus concernés par l’extérieur, car mieux formés et informés, et plus aptes à prendre des responsabilités en dehors de l’entreprise. « On s’est rendu compte que les gens passés par le CA chez nous se présentaient plus aux élections municipales. On a 6 % des salariés qui sont au conseil municipal. Sept personnes dont la plupart sont passées par le CA se sont investies au niveau local. On se dit là, c’est bien la formation. Il y a un retour » (Mateloc).

Cette notion de création de valeur sociétale nous renvoie à l’un des indicateurs sociaux de l’EMES qui qualifie l’entreprise de sociale si celle-ci a effectivement un objectif explicite de service à la communauté (Defourny et Nyssens, 2011). Les Scop de notre échantillon auraient, à la fois par leur capacité à développer des « salariés-citoyens » et par leur statut qui, de fait, maintient un bassin d’emplois dans un territoire, cette capacité de « service à la communauté ».

4.4. La Scop : un modèle hybride qui se situe à mi-chemin entre l’entrepreneuriat social et l’entrepreneuriat commercial

Statutairement, les Scop se distinguent des entreprises classiques par certains de leurs principes, tels que la non-lucrativité et la démocratie directe. À la suite de notre étude, il ressort que dans les missions qu’elles s’attribuent, leur manière d’évaluer la performance et leurs pratiques quotidiennes, elles se distinguent bel et bien du modèle classique de l’entrepreneuriat commercial.

En revanche, même si leur mission sociale ne s’oriente pas nécessairement vers la résolution des besoins basiques de populations fragiles, comme cela est le cas pour une majorité d’entrepreneurs sociaux (Thompson, 2002), elles partagent des traits communs avec ceux-ci. Comme les entrepreneurs sociaux, les Scop, au travers de leur mission, accordent une place importante à la dimension humaine et à la notion de communauté. Cependant, notre étude pointerait vers une vision autre de la notion de communauté. Si, pour l’entrepreneur social, aider « les autres » (Leadbeater, 1997), c’est agir pour des acteurs externes à la firme, pour la Scop, « l’autre », qu’il s’agit « d’aider », se situerait au coeur même de l’entreprise. Un apport de notre étude est de constater qu’en se focalisant sur sa partie prenante interne, la Scop par effet de débordement crée aussi de la valeur sociale externe et sociétale. Les salariés deviennent des citoyens de leur communauté et l’entreprise ne délocalise pas, puisqu’au contraire elle contribue à soutenir et enrichir le tissu sociétal local.

Par ailleurs, l’appartenance au réseau des Scop, les entreprises contribuant à des fonds utilisés pour le soutien des entreprises en démarrage et en situation difficile, ainsi que la pratique du parrainage (très actif) sont autant d’éléments de création de valeur sociale.

Enfin, par la place considérable accordée à la pérennisation de leur entreprise, les Scop ne perdent pas de vue l’importance de leur mission économique. Le modèle semble véritablement à mi-chemin entre l’entrepreneuriat social et l’entrepreneuriat commercial.

Conclusion

Notre étude a tenté de situer les fondateurs/dirigeants de Scop de la région Ouest de la France par rapport au champ de l’entrepreneuriat social.

Au regard de la grille d’Austin, Stevenson et Wei-Skilern (2006) enrichie de la préconisation de Drapéri (2010), les dirigeants de Scop se situent à mi-chemin entre des entrepreneurs sociaux, d’une part, et des entrepreneurs commerciaux, d’autre part, au regard de leur mission, de leur manière de mesurer la performance, de mobiliser des ressources et d’évaluer leurs pratiques quotidiennes.

En effet, dans leur manière d’évoquer la mission première de leur entreprise, les dirigeants de Scop évoquent l’importance de la pérennisation et d’une vision à long terme de l’entreprise ainsi que la place importante donnée aux salariés, valeur première de l’entreprise, avec une entreprise « démocratisée » (d’après Branellec, 2011[15]). La mission de l’entreprise est hybride pour la plupart, c’est-à-dire exprimant à la fois l’importance de la dimension économique et de la dimension sociale. À noter, cependant, qu’au sein de notre échantillon certaines Scop s’apparentent aux entrepreneurs sociaux par leur mission d’intérêt général située dans leur coeur de métier alors que d’autres ont un coeur de métier qui ne cherche pas forcément à répondre aux besoins basiques de membres de la société dans le besoin (Certo et Miller, 2008).

Sur la manière de mobiliser les ressources, les Scop semblent se situer plus du côté des entrepreneurs commerciaux puisqu’elles ne semblent pas connaître le type de difficultés éprouvées par les entrepreneurs sociaux pour mobiliser des financements et motiver leurs salariés.

La Scop semble proche de la PME « classique » par l’attention portée aux salariés, à la communauté locale et par l’absence de codification de sa performance extrafinancière (Jenkins, 2004 ; Spence, 2007). Il serait intéressant néanmoins pour une étude future de comparer un échantillon plus large de PME Scop et de PME non Scop pour confirmer ou non les éléments de convergence trouvés dans la présente étude. Par ailleurs, étant donné l’importance du contexte (Berthoin-Antal et Sobczak, 2007) pour promouvoir ou non une mission d’entreprise comportant de multiples objectifs (économiques et sociaux notamment), il serait intéressant de conduire de futures recherches comparatives sur des Scop d’autres pays en Europe ou ailleurs.

Enfin, une des limites de notre étude serait d’avoir exploré exclusivement le point de vue des dirigeants/fondateurs de Scop en occultant celui des salariés non dirigeants. Cela aurait pour effet d’avoir mesuré uniquement l’identité souhaitée et idéalisée du dirigeant, ne reflétant pas la réalité organisationnelle des firmes étudiées.

En conclusion, notre étude soulève deux questions intéressantes à la fois pour les chercheurs en gestion et pour les managers : la Scop offre un modèle d’équilibre entre pérennité de l’entreprise et place accordée au salarié et nous interpelle sur la notion de la valeur sociale. La Scop pointerait vers une nouvelle forme d’entrepreneuriat social par l’attention à la création de valeur sociale interne (gouvernance participative, transparence, justice sociale, etc.) qui pourrait, dans un deuxième temps et à une plus grande échelle, créer de la valeur sociale dans la société au sens large.