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Lorsque je rencontre Mickey[1] pour la première fois en 2012, il est à la recherche d’un travail. Dans l’attente d’une situation stable, il saute d’un emploi d’appoint à l’autre et passe le reste de son temps avec les membres du « gang » auquel il appartient. Sorti de prison depuis quelques années seulement, Mickey, d’origine portoricaine, est né et a grandi dans le South Bronx, qu’il n’a jamais quitté. Pendant les deux années de ma présence dans le quartier, Mickey a multiplié les interactions avec les organisations communautaires ou non-profits comme il les appelle, que ce soit pour trouver un logement ou du travail.

Le quartier du South Bronx, l’un des plus pauvres de la ville de New York, situé au nord de l’ile de Manhattan, est maillé par une forte diversité d’organisations communautaires plus ou moins importantes en taille. Porteuses autrefois de revendications de justice sociale et raciale, elles ont dû s’adapter à la mise en concurrence accrue pour l’obtention de financements publics de plus en plus rares. À partir des années 1980 en effet, le double processus de démantèlement de l’État social américain et de délégation de la gestion des aides sociales aux organisations communautaires non-profit (à but non lucratif)[2] a eu pour conséquence la reconfiguration d’une partie de ces organisations qui désormais prennent en charge une mission d’assistance sociale (Duvoux, 2015). Le début des années 1980 annonce la fin des grandes politiques publiques fédérales, le tarissement des financements en provenance de Washington et le transfert des pouvoirs politiques et financiers aux États et aux villes. Ce désengagement fédéral s’accentue dans la décennie suivante, sous les administrations Reagan et Bush, qui appuient le développement du secteur privé à coups de mesures dérégulatrices. Ce double processus — désengagement fédéral et mesures dérégulatrices — a amené les organisations non-profit à chercher du côté des villes et des États fédérés de nouvelles sources de revenus et à développer des partenariats avec le secteur privé.

Le contexte new-yorkais et plus spécifiquement celui du South Bronx est particulièrement intéressant à analyser de ce point de vue. Dans les années 1970, la ville de New York a été l’épicentre d’une crise fiscale majeure, survenant dans le sillage de la désindustrialisation et de la suburbanisation des villes nord-américaines. Les diverses administrations post-crise ont alors réorganisé leurs politiques économiques et urbaines autour des principes de privatisation et d’austérité (Harvey, 2005 ; Mollenkopf, 2005). Ces nouvelles orientations se sont cumulées aux politiques de tolérance zéro qui ciblent de manière systématique les résidents des quartiers les plus pauvres (Schneider, 2014). À partir des années 2002, sous l’administration Bloomberg (2002-2013), la ville de New York a progressivement néolibéralisé ses principes de gouvernance (Brash, 2011 ; Sienner, 2011), et la restructuration économique de la ville a été conduite de façon à correspondre à l’idéal de ville globale défini par Sassen (1991), c’est-à-dire un modèle globalisé qui laisse de plus en plus de pouvoir au capital et favorise sa concentration. Les efforts de la ville pour attirer les classes supérieures sur le marché immobilier ont eu pour effet une forte gentrification de l’ensemble de Manhattan, incluant l’arrivée massive de commerces de luxe, d’activités lucratives de loisir et de tourisme (Smith, 1979) et la poussée plus au Nord, vers le South Bronx, des populations les plus pauvres. Parallèlement, les aides sociales, les pensions, les programmes d’aides à la santé, et l’accès aux logements abordables ont été réduits de façon drastique pour les classes les plus marginalisées (Sienner, 2011). En lien avec cette réorientation de l’action publique, le secteur des non-profits a connu une expansion rapide et représente aujourd’hui l’un des principaux secteurs d’emplois dans des quartiers tels que le South Bronx où se trouvent concentrés précarité sociale, haut taux de chômage ainsi que la majeure partie du parc immobilier de Public Housing[3] ou de shelter[4].

Largement présentes sur le territoire du South Bronx, les non-profits ont répondu aux changements de politiques sociales par la réorganisation de leurs programmes sociaux en fonction des demandes politiques du moment. Elles ont ainsi été amenées, pour accompagner les politiques de criminalisation et de lutte contre la pauvreté, à concentrer leur action sur la construction de shelters pour sans-abri, ou à destination des populations les plus pauvres du South Bronx. Parallèlement, alors que certaines non-profits se démènent pour garder un ancrage politique dans le quartier, d’autres adoptent cette démarche de néolibéralisation des politiques sociales et choisissent d’inscrire certaines de leurs activités dans le marché et de les rendre lucratives. Elles développent pour cela des filiales for profit qui les amènent à repenser leurs relations avec les résidents qui sont devenus des clients potentiels.

À partir de l’analyse des transformations d’une association communautaire du South Bronx à New York — le Community Association of the South Bronx (CASB) — je voudrais m’intéresser ici à la façon dont les non-profits se sont transformées, accompagnant l’évolution des politiques publiques, de la construction de l’État social à son démantèlement progressif. À la fin des années 1960, le Community Association of the South Bronx (CASB) est fondé par le Father Armando afin de revitaliser le parc immobilier du South Bronx. Profitant de la pénétration d’une logique de marché dans le secteur de l’assistance sociale, CASB a su bâtir un mini empire dans le South Bronx et multiplier ses filiales, alimentant ses organisations for profit par les financements publics obtenus à travers sa filiale non-profit.

Le mouvement de désinvestissement de l’État au profit des associations communautaires a déjà été étudié pour les années 1980 et 1990 (Ulysse et Lesemann, 1997). Ce mouvement peut être analysé comme un premier temps d’informalisation de l’action de l’État. De même, certains travaux ont pointé l’importance du rôle des non-profits, ou des acteurs non étatiques dans leur ensemble (Allard, 2014 ; Maxwell, 2004) ainsi que la privatisation de facto de l’aide sociale publique. En effet, depuis les années 1990, des non-profits financées par l’État américain ont pris en charge la grande majorité des programmes et services sociaux dans des domaines aussi variés que l’assistance alimentaire, le logement, l’éducation ou la santé. Cette situation entretient une forme de co-dépendance entre l’État et ce secteur non étatique, puisque d’un côté l’État a besoin des non-profits pour gérer ses programmes sociaux, et les non-profits ont besoin des financements de l’État pour exister (Allard, 2014). Je voudrais aller plus loin en interrogeant les rapports entre associations for profit et non-profit et l’hybridation (Duvoux, 2015) qu’opère, dans les quartiers populaires, le rapprochement des deux logiques. Ce phénomène nouveau atteste de la pénétration d’une logique de marché dans la gestion des besoins sociaux et de la transformation de ces acteurs non-profit en entreprise de prédation économique, faisant de la pauvreté une source rentable de profit. Cette dynamique, facilitée par les mesures dérégulatrices en faveur du secteur privé, accompagne une informalisation de l’État, ici dans sa composante municipale. En effet, ne penser ces territoires que par le manque, le recul ou l’absence de l’État empêche de comprendre les façons dont l’État fonctionne pour structurer ces espaces de manière à correspondre aux intérêts privés et marchands (Fairbanks, 2009). Je montrerai que l’articulation du complexe non-profit au secteur du marché induit un « floutage » entre non-profit et for profit, et que l’intervention d’une logique de marché dans le domaine des politiques sociales réinterroge la notion même de public. Un tel floutage a des effets très concrets sur les habitants du South Bronx, qui, comme Mikey, sont maintenus dans une dépendance à l’égard des aides sociales.

J’ai rencontré Mikey alors que je réalisais une ethnographie sur les gangs dans le South Bronx. Cet article sur le rôle du secteur non-profit est plus spécifiquement basé sur deux années de terrain dans ce quartier, au cours desquelles j’ai pu travailler comme volontaire au sein d’organisations communautaires comme CASB dont il est question ici. J’ai ainsi assisté des travailleurs sociaux, partagé pendant plusieurs mois leur quotidien et participé aux rondes de nuit d’une filiale de CASB. J’ai complété cette ethnographie par une dizaine d’entretiens non directifs avec certains des membres de cette organisation et leurs « clients ». J’ai par ailleurs, dans le cadre plus général de ma démarche ethnographique participé aux activités de plusieurs autres organisations communautaires, qui comme CASB, travaillent dans le South Bronx, que ce soit dans le secteur éducatif, de la santé ou de la réduction de la criminalité. Bien qu’elles soient toutes prises dans les mêmes logiques et contraintes que CASB, cette dernière représente un cas de figure type tant par ses déploiements dans la vie sociale et communautaire du South Bronx que par l’ampleur de sa mainmise sur le parc immobilier du secteur. C’est pourquoi j’ai décidé de la placer au centre de cet article.

1) De la prison au shelter : Mikey

MIKEY : Mais le pire pour moi, c’est les matelas… j’ai l’impression de dormir dans les mêmes qu’à Rikers [Island][5].

À Noël, Mikey m’invite à une fête dans l’appartement de sa mère où plusieurs de ses amis se sont donné rendez-vous. Nous sommes adossés à la voiture de son beau père ; à l’intérieur de la maison, les deux énormes enceintes crachent de la salsa, si bien qu’il est impossible d’y tenir une conversation. C’est la troisième ou quatrième fois que je suis invité aux soirées qu’organise Mikey chez sa mère.

Adolescent, il a fait partie de plusieurs petits gangs dans le South Bronx, comme les Power Rule remarqués pour leur violence. Mikey devient dealer pour d’importants importateurs dominicains. Arrêté à plusieurs reprises, il tombe sous le coup des Rockefeller Drug Laws[6] et passe une partie de sa jeunesse en prison. À sa sortie, sans travail, il est bientôt à court d’argent et peine à se loger. Entre-temps, le processus de gentrification de Manhattan fait de New York l’une des villes les plus chères aux États-Unis et où l’accès au logement est particulièrement difficile.

Mikey vit aujourd’hui avec sa femme Jaselina et trois de leurs enfants dans ce qu’il appelle un shelter, fourni par le Department of Homeless Services (DHS) (Dordick, 1997 ; Waterston, 1993 ; Freidenberg, 1995). C’est Jaselina qui a obtenu cette place dans le shelter en tant que mère de famille de 5 enfants (dont un seul avec Mikey). C’est d’ailleurs grâce à elle que la famille peut manger, car elle reçoit les coupons de nourriture (food stamp) distribués dans le cadre du Supplemental Nutrition Assistance Program (SNAP), le programme d’aide alimentaire fédéral. En avril 2011, près de 46 millions d’Américains (15 % de la population) vivaient de ces bons alimentaires. Ceux-ci se présentent sous forme de vouchers ou de cartes (Electronic Benefit Transfer), très similaires dans leur forme aux cartes de crédit américaines. C’est à la famille qu’il revient de s’organiser et de se rationner. Ces bons ne peuvent pas être utilisés pour de l’alcool, des sandwichs (fast food) ou des produits traiteurs, mais ils peuvent être dépensés dans les supermarchés. Jaselina assure ainsi, à elle seule, une certaine stabilité à la famille grâce à son revenu mensuel et au logement en shelter.

Le shelter où vivent Mikey et Jaselina a des règles strictes, comme l’imposition d’un couvre-feu. Les habitants n’ont pas le droit de recevoir de visites, même s’il s’agit de la famille proche et les parents peuvent être sanctionnés dans le cas où un incident se produit avec leurs enfants. Le shelter est géré par une organisation communautaire qui administre plusieurs résidences pour personnes à bas revenus au nom du DHS. Les gestionnaires font des inspections surprises dans chaque appartement et contrôlent les dépenses faites chaque mois par les ménages. Le personnel du shelter travaille en liaison avec la police et n’hésite pas à dénoncer tout accroc aux règles de discipline. Les résidents au chômage sont contraints de faire des démarches pour trouver un emploi, à moins que le personnel intervienne directement et les envoie à des entretiens d’embauche, sans même leur demander leur accord. L’organisme gérant le shelter applique ainsi à la lettre les réformes du Workfare introduites en 1996 sous la présidence de Bill Clinton et qui obligent les bénéficiaires des prestations d’assistance sociale à accepter des emplois — souvent très mal payés — en contrepartie de leurs allocations.

Avec son passé criminel, Mickey peine à se réinsérer dans le marché du travail et à bénéficier des aides de l’État. Sans emploi, il est obligé de passer une part importante de son temps dans les rues pour donner l’impression aux gestionnaires du shelter qu’il est actif. Lorsqu’il occupe les espaces publics (loitering), il devient alors la cible facile des contrôles policiers à répétition. Le couple fait face à la possibilité quotidienne d’une éviction du shelter si Mickey ne remplit pas les conditions imposées par l’organisme gestionnaire de la résidence en termes de recherche d’emploi ou si lui ou Jaselina rentrent après l’heure imposée.

Dans son analyse des expulsions dans la ville de Milwaukee, Matthew Desmond (2016) a montré à quel point celles-ci sont prégnantes dans la vie des populations noires américaines pauvres. Les femmes sont plus touchées que les hommes, ce qui permet à Desmond d’avancer que, dans les ghettos noirs défavorisés, l’éviction est aux femmes ce que l’emprisonnement est aux hommes. Dans le même temps en effet, les États-Unis se sont illustrés par une politique d’hyperincarcération des populations les plus vulnérables, notamment les hommes Africains-Américains (Wacquant, 2010). Cette conclusion peut être étendue aux cas des ménages portoricains, comme le montre l’exemple de Mikey. Exclu du marché de l’emploi de par son parcours carcéral, criminalisé de manière récurrente par les politiques de tolérance zéro new-yorkaises, Mickey vit dans une situation de dépendance vis-à-vis de l’État social et doit traiter de manière constante avec un acteur récurrent, les non-profits comme c’est le cas dans son shelter.

Le South Bronx est maillé de ces foyers dispersés dans le quartier. Leur gestion, financée par la ville et l’État de New York à travers le Department of Homeless Services est le plus souvent déléguée à des organisations non-profit qui occupent le territoire du South Bronx.

La vie de Mikey et de sa famille est organisée par les associations non-profit qui représentent le seul filet de sécurité les empêchant d’être à la rue, mais qui jouent en même temps un rôle d’encadrement et de surveillance. Le travail de ces organisations se comprend et s’articule avec les politiques publiques de gestion des sans-abri, de sécurité et de criminalisation. Celles-ci participent de la construction d’un marché de la pauvreté, marché où le rapport entre for profit et non-profit s’avère particulièrement flou. C’est ce qu’illustre l’exemple de CASB.

2) CASB : Le « mini-empire » de Father Armando

Lorsqu’en 1968 le Père Armando lance CASB, le South Bronx se trouve dans un état de déclin urbain tant la détérioration de son parc immobilier est avancée. Assisté par le Model Cities Program[7], CASB travaille avec des urbanistes, des membres de l’administration Lindsay — maire de New York de 1966 à 1973 — pour moderniser l’infrastructure locale (immeubles en ruines, espaces verts abandonnés, etc.), avant de s’attaquer à la reconstitution du parc immobilier. Entre 1975 et 1978, CASB engage, avec l’accord du United States Department of Housing and Urban Development (HUD), la réhabilitation de plusieurs immeubles (660 appartements au total) laissés à l’abandon et construit son premier immeuble (236 appartements). Constitué légalement en tant que not-for-profit organization, CASB inc., crée deux filiales en 1980, la CASB Management et la CASB Security (ou CASB-SEC), rejointes en 1985 par la filiale Bee Maintenance. Les trois organisations sont des for profit auxquelles CASB Development (toujours non-profit) délègue les tâches de maintenance, de sécurité ou de gestion de ses immeubles. Les trois filiales for profit ont permis à CASB de gagner en autonomie, puisque moins de la moitié de son budget annuel (800 000 $ US) provient, en 2001, de fonds gouvernementaux. Entre 1968 et 2008, le Père Armando réussit à mobiliser des financements fédéraux de l’État de New York, de la ville de New York et de deux importantes fondations privées. Ce type de financement public-privé n’est pas une nouveauté en soi ; il permet par la suite à l’organisation d’amortir la diminution, puis le tarissement des financements publics.

En 2008, sur le point de prendre sa retraite, le Père Armando s’apprête à transmettre à son successeur un mini-empire immobilier constitué de 6 000 appartements construits ou réhabilités dans approximativement 450 immeubles, de deux shelters pour sans-abris sous contrat avec le NYC Department of Homeless Services (DHS) et deux centres pour personnes âgées sous contrat avec le NYC Department for the Aging (DFTA). Depuis 1995, CASB a été choisi par le NYC Housing Authority pour privatiser la gestion de 90 immeubles appartenant à la ville.

Le profit et la discipline

En 2011, alors que le pays est plongé dans une crise économique, la filiale sécurité CASB-SEC, embauche 100 nouveaux gardes de sécurité pour répondre à l’expansion de CASB en shelter et assurer 24h sur 24, 7 jours sur 7, la sécurité de l’ensemble des immeubles détenus par la non-profit. Mais CASB-SEC s’occupe aussi de la sécurité de centres médicaux, d’écoles et de bâtiments qui ne font pas partie des biens gérés par CASB.

La filiale sécurité for profit travaille par ailleurs sous contrat avec des commerçants d’un grand boulevard du South Bronx. Elle veille à la sécurité des magasins et des vitrines dans le cadre d’un Business Improvement District (BID)[8], en charge de la croissance économique et de la stabilité des boutiques partenaires. En collaboration avec le New York Police Department, la police de New York, la BID a installé une série de caméras vidéo, contrôlées par le precinct 41 du NYPD, mais financées par le budget propre de la BID. CASB SEC, en lien avec le NYPD, procède à des rondes de surveillance de nuit. Des trois filiales for profit de CASB qui se sont agrandies, CASB SEC est celle qui rapporte le plus de profit à CASB, avec plus de trois millions de dollars annuels pour 140 agents de sécurité, payés entre 8 et 15 dollars de l’heure, pour les plus expérimentés.

En 2013, je réalise une ethnographie dans l’un des quatre shelters logeant des sans domiciles fixes que gère CASB dans l’est du South Bronx. Deux de ces structures sont exclusivement réservées aux hommes et c’est là que je passe plusieurs journées et plusieurs nuits. L’organisation y emploie des travailleurs sociaux, des conseillers en emploi et des conseillers en addiction venant des diverses filiales, sans compter des gardes de sécurité de CASB-SEC et des agents de nettoyage de Bee Maintenance, la filiale for profit de CASB liée à l’entretien. Situées en hauteur sur une petite colline, les deux maisons de quatre étages sont collées l’une à l’autre. L’accès principal donne sur un petit couloir où un garde, assis en permanence sur un tabouret, est chargé d’empêcher les résidents d’entrer dans le shelter en état d’ivresse. Les chambres sont toutes situées à l’étage et sont meublées de deux ou trois lits et de quelques meubles de base. Elles sont parfois redécorées par les résidents temporaires. La fouille des espaces personnels et l’inspection du ménage les empêchent cependant d’étaler leurs affaires et les oblige à faire preuve d’une certaine discrétion, limitant leur investissement des lieux. Au rez-de-chaussée est située la salle commune où les résidents regardent la télévision aux heures autorisées, à savoir après les journées de travail. Un local vitré fermé à clé constitue le bureau des surveillants de jour ou de nuit, d’où ils peuvent contrôler l’ensemble du shelter grâce aux écrans connectés aux caméras de surveillance. C’est là que surveillants, gardes et équipes d’entretien se retrouvent pour parler de leur vie familiale ou pour jouer sur leur téléphone portable. Ils sont souvent interrompus par des clients désireux d’augmenter le son de la télévision ou demandeurs de papier toilette qui est distribué avec parcimonie. Dans une salle adjacente, se trouve le réfectoire où sont distribués des plateaux repas pré-préparés, contenant de petits jus de fruit et des sandwichs.

Au sous-sol se trouvent les bureaux des administrateurs et du directeur des deux shelters, M. Paul. C’est là que l’équipe gère les dossiers des « clients ». Ceux-ci descendent rarement dans les bureaux sauf lorsqu’ils y sont appelés ou lorsqu’ils veulent régler un différent. C’est ainsi que j’assiste, assis dans un fauteuil près de M. Paul, aux nombreux échanges parfois mouvementés où il est leur est demandé d’expliquer leur comportement, leur échec à trouver un emploi ou encore leur état d’hygiène pointé du doigt par quelques surveillants.

Lors d’une balade dans le quartier pour faire descendre la pression d’une discussion vive avec un résident énervé d’être ainsi traité, M. Paul me raconte sa fatigue et son désarroi :

M. PAUL : C’est une industrie. Tu vois les mecs entrer, et tu te dis qu’ils vont sûrement y rester. Ils arrivent directement de Bellevue, et nous, on est censé les prendre.

Les résidents des shelters sont effet d’abord passés par le centre de Bellevue de la ville de New York, qui les redistribue ensuite aux shelters de la ville.

M. PAUL : Et les boites de shelters, elles ne font que pomper du fric au Department of Homeland Services (DHS), au Department for the Aging (DFTA), au Housing Preservation and Development (HPD). Les non-profits font du profit sur les shelters. C’est la nouvelle poule aux oeufs d’or.

Mais on n’est pas les services sociaux. Je dois gérer un business moi. Si mes gars [les sans-abri qui résident dans le shelter] restent plus de deux mois, je me fais engueuler par le directeur [de CASB]. Parce que passé ce délai, on n’a plus de subvention de la part du DHS.

[…] Et alors c’est la galère pour ceux qui restent. Une fois qu’ils dépassent les deux mois, ils sont renvoyés dans d’autres services. S’ils entrent dans le système, ça ira de pire en pire et ils n’en ressortiront probablement jamais. À la fin, les gars meurent dedans.

M. Paul est chargé de faire tourner au maximum les occupants des lits des deux shelters pour hommes de CASB. En décembre 2012, il accompagne ainsi Shequan, un jeune de 19 ans pris en charge depuis peu par l’organisation, à l’aéroport de La Guardia pour le mettre dans un avion le ramenant en Géorgie dans sa famille. C’est lui qui a contacté la famille de Shequan pour qu’elle le reprenne quand bien même ce dernier avait fui le foyer familial en raison de problèmes avec ses parents. Coincé entre une direction qui le contraint à faire du chiffre et les attentes de la ville et de l’État de New York, M. Paul est souvent contraint de pousser les « clients » hors du shelter pour éviter l’engorgement et respecter ses capacités d’accueil.

Le South Bronx accueille une grande partie de ces shelters. CASB gère ainsi aujourd’hui un mini-empire immobilier constitué autour du système de shelters et financé par le DHS ou les autres directions de la ville ou de l’État. À partir de son quartier d’origine, Morrisiana, CASB a développé des projets dans tout le South Bronx et pris en charge plusieurs immeubles auparavant gérés par d’autres organisations communautaires, agrandissant peu à peu son emprise économique sur le quartier. Beaucoup d’organisations communautaires ont suivi le même mouvement et se sont reconverties dans la gestion de shelters, passant de non-profit à for profit, comme le dénonce M. Paul. Cette réorientation transforme la nature de ces organisations qui se tournent vers la rentabilité économique et passent d’une défense des droits des populations marginalisées, dans les années 1960-1970, à la gestion et au contrôle des populations pauvres. Dans le cas de CASB, cette transformation s’accompagne d’un investissement dans le domaine sécuritaire, avec le développement de CASB SEC, qui s’occupe du contrôle et de la sécurité des shelters de CASB.

De fait, la question des sans-abri est une question politique et sociale majeure dans la ville de New York, alors qu’en mars 2014, quelques 41 260 familles avec enfants étaient hébergées dans des temporaryshelters par le DHS.

Quatre années après la fin officielle de la grande récession qui s’est abattue sur les États-Unis avec la crise de 2008, le taux de pauvreté et de personnes sans abri reste constant à New York. C’est dans le Bronx que le taux de pauvreté est le plus visible, puisque 30,2 % de ses résidents vivent sous le seuil de pauvreté[9] et 13,4 % dans l’extrême pauvreté[10] (ICPH 2011). En 2009, le Government Accountability Office (GAO) annonce que le gouvernement fédéral finance le Federal Homeless Programs[11] à hauteur de 2,9 milliards de dollars, alors que selon une étude du New York City Department of Planning en 2011, la ville de New York détient, avec ses 244 shelters parmi le plus important patrimoine de shelters aux États-Unis. Cette concentration, mais aussi les modes de gestion des shelters ont été dénoncés par des organisations new-yorkaises de défense des sans-abris, comme Picture the Homeless, qui critique la constitution d’un « complexe industriel de shelters » (Shelter industrial complex). Le terme n’est pas anodin, puisqu’il renvoie à celui de « Prison industrial complex », décrivant l’expansion rapide de la population carcérale aux États-Unis et l’influence politique des compagnies privées dans l’industrie carcérale.

Cette situation résulte pour partie de l’application de loi anti-homeless à New York qui, pour débarrasser le centre-ville des sans-abris, permet de les criminaliser et pousse à leur placement dans des shelters. Ainsi en 2004, la ville de New York procède à 3 086 arrestations de sans-abris, contre seulement 737 en 2000 (Sienner, 2011). Ces mesures sécuritaires qui accompagnent la gentrification galopante de Manhattan (Smith et William, 1986 ; Timberlake et Johns-Wolfe, 2016) sont à la source du déplacement de populations sans-abri du centre vers le South Bronx, non préparé à gérer une telle surpopulation.

D’autre part, en 1981, le Callahan Consent Decree de la Cour Suprême de l’État de New York – communément appelé Right to Shelter – a statué qu’il est de la responsabilité légale de la ville de fournir en habitation toutes les personnes dans le besoin. Lorsque le décret est mis en application, quelque 36 000 personnes sont sans abri à New York, alors que seuls 3 200 lits sont disponibles dans les shelters de la ville (Sienner, 2011). En conséquence, en 1993, est crée le NYC Department of Homeless Services (DHS) et de nouveaux shelters sont construits pour répondre à la surpopulation. Mais depuis 2002, la population placée en shelter a augmenté de près de 40 % (Sienner, 2011). Pour y faire face, l’administration s’appuie sur un contrôle disciplinaire institutionnel — par les prisons et les shelters — accentuant une logique « revanchist » (Amster, 2003).

Depuis que le DHS est en charge de la gestion de la surpopulation des sans-abris, le système de shelter est presque entièrement délégué à un tiers secteur, par le biais de contrats de maintenance ou par le développement de programmes attribués à des organisations non-profit. L’administration conservatrice du maire Rudolph Giuliani (1994-2001) a accéléré cette stratégie si bien qu’en 2007, 95 % des shelters de la ville sont gérés par une organisation autre que la ville de New York (NYCDP 2007).

L’évolution de CASB permet d’éclairer deux mouvements. Le premier est un mouvement de délégation de la part de la ville et de l’État de New York de la gestion voire de la construction de ses centres d’accueil des sans-abris au bénéfice des organisations non-profit ou des corporations privées de logement. Le deuxième est celui d’une « profitisation » détournée des non-profits qui, comme CASB, développent des filiales et bénéficient des contrats de la ville ou de l’État dans une logique de profit. Elles participent de la création d’un marché vivant sur la pauvreté, alimenté par une politique du shelter qui maintient les individus dans la pauvreté et sous surveillance. Paradoxalement, ce sont les organisations créées pour les défendre qui sont en charge de gérer les populations les plus marginalisées. Certes, elles contribuent pour partie à remplir les missions de solidarité et d’aide sociale desquelles la puissance publique se désengage, mais elles en font une activité lucrative, fragilisant « leurs clients » dont elles tirent une forme de profit. Sous teinte d’un discours d’entraide, et présentée comme le rebâtisseur modèle du South Bronx, CASB possède un ensemble de logements dans le South Bronx duquel il tire profit. Or ce second mouvement de « profitisation » et de privatisation permet aussi de dépolitiser les enjeux auxquels les populations les plus pauvres sont confrontées tout en imposant l’idée que la réussite dépendrait de la seule volonté et la force morale des individus. Cette individualisation des problèmes sociaux empêche toute politisation des situations, puisque celles-ci sont toujours renvoyées à leur relativité particulière, voire à leur dimension psychologique. Par ailleurs, comme l’indique Nicole Marwell (2004), en distribuant des services aux résidents des zones où elles sont implantées, ces non-profits fidélisent une clientèle et contribuent à construire un électorat pris dans les filets du clientélisme.

Les non-profits sous les rentes du profit

Toutes les organisations communautaires ne suivent pas l’exemple de CASB, même si elles sont soumises à une même logique du profit par les règles et modes d’évaluation imposés par la l’État et la municipalité. L’intégration de cette logique n’est pas sans effets sur les pratiques mêmes des organisations et sur leurs orientations. Même lorsqu’elles demeurent entièrement non-profit, les associations doivent établir de manière régulière des rapports rendant compte à leurs financeurs privés comme publics de l’utilisation des subventions pour obtenir leur renouvellement.

Pour répondre à la demande de transparence et d’indépendance, ces non-profits doivent prouver que l’argent obtenu à travers des subventions est investi selon les orientations imposées. Pour cela, il leur faut non seulement ouvrir leurs livres de comptes, mais aussi montrer des résultats quantifiables en termes d’actions sociales et de réussites. Cette demande a pour conséquence de pousser les organisations à individualiser leurs interventions et à centrer leurs actions sur la délivrance de services d’aide à la personne, faciles à quantifier numériquement. Bien que non-profit, ces organismes doivent se plier aux règles du marché et démontrer que leur action sociale est économiquement rentable. La logique d’évaluation appliquée au secteur privé — de responsabilité et d’efficacité — est utilisée, puis incorporée, par les non-profits pour accréditer leurs propres actions. Il est intéressant de relever que, pour devenir non-profit, une organisation doit d’abord se constituer en société commerciale, désignée par le sigle inc. de Incorporated. Pour cela, l’organisation doit être légalement formée en tant que corporation. Au bout du compte, les critères et les modes de gestion du marché ont pénétré et organisé la gestion des politiques sociales et du secteur intermédiaire. On peut y voir une des caractéristiques d’une gestion néolibérale qui fait des normes du marché celles de la société dans son ensemble (Brown, 2007).

Conclusion

L’évolution de ces organisations met en évidence un floutage progressif de la distinction entre non-profits et for profits. CASB a su tirer profit du développement du secteur privé et des mesures dérégulatrices mises en oeuvre sous les administrations Reagan (1981-1989) et Bush (1989-1993) en créant des entreprises for profit. Dans les faits, la non-profit CASB finance, par le biais des contrats publics qui lui sont accordés, ses filiales for profit. Si le soutien financier de l’État aux associations communautaires diminue, leur légitimité n’est donc pas remise en cause, et celles-ci sont appelées à investir les domaines desquels l’État fédéral se désengage.

On pourrait avancer que cet investissement dans le privé représente un moyen pour ces organismes communautaires d’assurer leur autonomie financière vis-à-vis des fluctuations de l’investissement public et de développer, en contrepoint, des programmes et des formes de mobilisation reposant sur des approches d’empowerment et de solidarité. Mais tel n’est pas le cas. L’observation de leurs activités montre que la logique néolibérale y est de plus en plus prégnante et qu’elles échappent difficilement au cadre normatif qui leur est imposé. Les programmes qu’elles mettent en oeuvre répondent aux problématiques sociales telles que formulées par la puissance publique : drogue dans les années 1970-1980 ; sans-abri dans les années 1980-1990 ; criminalité dans les années 1990-2000. Au bout du compte, ces programmes sont eux-mêmes liés d’une façon ou d’une autre à l’évolution de l’intervention du marché dans les services sociaux. Les transformations d’organisations communautaires telles que CASB montrent l’intervention progressive d’une rationalité liée au marché et au profit dans une gouvernance publique qui appréhende dès lors la gestion des problèmes sociaux par des solutions liées au marché. C’est ce que la sociologue américaine Margaret Somers (2008) qualifie de market-driven governance. Cette nouvelle donne émerge de politiques néolibérales mises en place depuis plus d’un demi-siècle qui favorisent les solutions liées au marché pour régler les problèmes sociaux.

Concrètement, pour les organisations comme CASB, la logique du secteur privé est devenue la norme. D’une part, ces organisations sont évaluées comme des organisations for profit — sur leurs rendements économiques —, d’autre part, leurs solutions sont souvent liées au secteur marchand, comme c’est le cas de CASB. La responsabilité sociale a été déplacée vers les familles et les individus, comme c’est le cas pour Shequan qui est renvoyé dans une famille qu’il fuyait en Géorgie. Dans le même temps, les organisations non-profit font indirectement du profit, par le biais de filiales for profit qu’elles créent avec de l’argent public, pour des services que beaucoup attribuent aux protections sociales qui sont traditionnellement du ressort de la puissance publique. Cette rationalité de marché, indique Vincanne Adams, émerge ici par l’enracinement progressif d’arrangements institutionnels où l’État — dans sa forme fédérale ou fédérée — joue un rôle clé de protection des intérêts des organisations for profit qui, en retour, sont de plus en plus libres de faire de l’argent dans le business de la souffrance sociale (Adams 2012).

Il faudrait bien entendu nuancer ce parcours presque linéaire. Il n’y a pas imposition d’un modèle qui se résumerait à la loi du marché. L’intervention fédérale dans le champ de l’urbain est en effet loin d’être inexistante, mais elle se caractérise de plus en plus par des politiques d’investissement segmentées dans des domaines qui deviennent clés (sans-abri, criminalité). L’arrivée d’une rationalité de type market-driven governance n’a en aucune façon mis fin à l’implication du gouvernement dans les questions socioéconomiques. Elle a simplement offert de nouvelles manières d’amener le marché et sa rationalité du profit dans la gouvernance (Dauber 2013). Le gouvernement fédéral continue de financer le travail des non-profits, mais passe pour cela par l’intermédiaire d’organisation for profit (Adams 2013). Le rôle du gouvernement s’est par contre vu transformé, et il n’est plus aujourd’hui que le spectateur-partisan d’une série d’institutions qui fonctionnent avec l’aide fédérale, mais dans une logique gouvernée par le secteur privé du business et sous des principes d’entreprises, où la compétition pour les ressources et la responsabilité de marché (market accountability) règnent.

Mais pour des habitants du South Bronx tels que Mickey, cette évolution des non-profits et cette pénétration du marché dans le secteur de l’assistance sociale sont désastreuses. Les populations les plus démunies du South Bronx sont de plus en plus sujettes à des politiques de criminalisation et à une pression du marché immobilier les poussant vers les shelters. Déjà fragilisées par les politiques de guerre contre la drogue et la pauvreté de la ville de New York, elles n’ont plus d’autres choix que de se tourner de plus en plus vers l’aide sociale désormais en partie monopolisée par les non-profits.

Or, dans le même temps, suite au tarissement des sources de financements publics, ces non-profits se sont adaptées aux nouvelles demandes publiques et ont investi le secteur des shelters — comme CASB —, mais aussi celui de la santé, de l’éducation ou de la réduction de la criminalité de rue, tout en faisant entrer une logique de marché dans leur logique interne. Celle-ci les pousse à mettre en place des dispositifs permettant de faire du profit et à faire, comme c’est le cas pour CASB, « tourner » le plus possible les populations des shelters afin de faire du chiffre. De fait, ces mêmes non-profits auprès desquelles se tournent des personnes comme Mickey, participent à la fragilisation des vies des habitants des quartiers défavorisés qui deviennent dépendants de l’aide sociale qu’elles gèrent et dont elles tirent du bénéfice.

Par exemple, les politiques publiques de nettoyage des rues du South Bronx mises en oeuvre par CASB pour les commerçants ont permis de créer un besoin — en places d’hébergement dans les shelters — dans le même temps que s’appliquaient des mesures de privatisation et de dérégulation de la gestion des centres d’accueil des populations précaires. En bout de course, les besoins sociaux ont été transformés en profit et avec la crise de 2008, les populations les plus marginales sont de plus en plus dépendantes de ces organisations (Small et al., 2013), accentuant le phénomène décrit plus haut. Les habitants du South Bronx constituent une ressource rentable pour les non-profits qui se transforment en entreprises de prédation économique.

Pour les habitants du South Bronx comme Mikey et pour les salariés des non-profits tels que M. Paul, le floutage de l’intervention publique implique que ni les uns ni les autres ne savent à qui s’adresser en cas de besoin, et surtout, qui est responsable en cas de litige. Outre les problèmes très pratiques que cela peut poser dans la vie quotidienne, cette situation rend difficile la construction de revendications pour ceux qui dépendent de ces « services » et conduit de facto à une dépolitisation. D’autant que, dans les années 1960 et 1970, ces mêmes organisations non-profit, mises en place et soutenues par les habitants du South Bronx, étaient les porte-parole de cette population dans les conflits qui l’opposaient à l’État et à ses différents représentants (Lee, 2014).

Comprendre la façon dont le service social et public est désormais privatisé à travers de complexes secteurs non/for profit, indique Somers, permet de voir comment l’éthique des soins publics a été remplacée par une éthique du profit privé. Les institutions appelées à gérer les soins publics — qu’il s’agisse de l’assistance sociale ou de l’éducation — sont devenues des places, écrit Adams, où la rentabilité est éthiquement tolérable, souhaitable et mesure du succès.

Ces transformations génèrent de nouvelles questions sur les responsabilités civiques et la notion de public. Dans le cas des shelters, sources de bénéfices substantiels pour les non-profits, qui reçoivent pour les gérer des subventions étatiques ou municipales, la question de ce qu’est le public peut se poser. Ces organismes communautaires ne répondent pas aux mêmes régulations et responsabilités qu’un organisme public, alors qu’ils assument les mêmes missions. Or, comme le montre Adams, les for profit sont inefficaces et ne permettent pas d’assurer aux populations les plus pauvres un filet de sécurité. Dans le cas de la politique des shelters à New York, les non-profits ont leur part de responsabilité dans l’engorgement des services de la ville qui prennent finalement en charge au bout de deux mois les « clients » expulsés de leur centre.

Une telle perméabilité entre non-profit et for profit entraine bien un floutage entre le privé et le public et révèle comment l’informalisation de l’État, comme processus politique et pratique en temps d’austérité, redéfinit le rôle, la place et le public cible de celui-ci. C’est la nature même du public qui est retravaillée, à savoir ce qui est commun à tous et la façon dont la collectivité prend en charge la solidarité sociale et ses habitants les plus marginalisés.