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Introduction

Érigée dans un premier temps sous l’influence de l’Empire britannique, Singapour, placée stratégiquement au coeur de l’Asie du Sud-Est, s’est positionnée, après son indépendance en 1965, comme l’un des pôles mondiaux de l’internationalisation de l’enseignement supérieur les plus sélectifs en matière de recherche, de partenariats, d’étudiants, de professeurs et d’infrastructures, ce qui lui permet aujourd’hui d’atteindre les premières places du palmarès mondial des classements régionaux et internationaux. Des premières années qui ont suivi la pleine souveraineté de Singapour, où l’objectif était de calquer les universités locales sur le modèle élitiste anglais, à aujourd’hui, où le but du gouvernement est que Singapour devienne la capitale régionale de l’enseignement supérieur en Asie du Sud-Est, la structuration des formations et la production des élites se sont métamorphosées sous l’effet des politiques d’internationalisation. Comment ces politiques se sont-elles imposées à Singapour ? Se sont-elles développées selon un modèle hégémonique occidental ? La concurrence entre les établissements publics et privés s’est-elle intensifiée ? Les élites étudiantes se sont-elles renouvelées dans le champ des formations nationales et internationales ?

Partant de ces questionnements, cet article analyse l’impact des dynamiques d’internationalisation sur le système d’enseignement supérieur à Singapour au cours des cinquante dernières années. Il permet de prendre part à une discussion plus générale sur la manière dont les politiques et les dispositifs publics mis en oeuvre dans les systèmes éducatifs, en particulier depuis les années 2000, procèdent d’une rationalité fondée sur la mesure des performances (Lascoumes et Simard, 2011). En effet, nombre de systèmes d’enseignement supérieur dans le monde ont été soumis à des impératifs similaires : volonté de transformer les relations qu’entretiennent les acteurs publics et politiques avec les établissements d’enseignement supérieur ; autonomisation des universités, qui deviennent des organisations à part entière ; intégration grandissante des « parties prenantes », c’est-à-dire des partenaires engagés dans un processus d’internationalisation ; inscription dans des logiques de privatisation (Musselin, 2008). L’internationalisation de l’enseignement supérieur se construit globalement selon deux dynamiques : une internationalisation « orientée vers l’intérieur » (inward-oriented higher education internationalization), qui implique l’importation de connaissances, de cultures, de normes et de modèles d’enseignement supérieur étrangers dans le but de valoriser l’identité nationale, et une internationalisation « orientée vers l’extérieur » (outward-oriented), destinée à attirer les étudiants internationaux les plus dotés scolairement et à occuper une place majeure sur le marché mondial de l’éducation (Wu et Zha, 2018 ; Wu, 2021). Cependant, aux prises avec des questions nationales distinctes, les États participent de manière différenciée à ces processus d’internationalisation (Hughes, 2008). Le cas de Singapour est exemplaire d’une internationalisation d’État. En effet, dirigée par le Parti d’action du peuple (PAP) depuis mai 1959, sans véritable opposition, Singapour est le plus souvent apparentée à une démocratie relativement graduelle ou limitée (Singh, 2011) se caractérisant par des éléments autoritaires qui, combinés aux éléments démocratiques, produisent une « démocratie à l’asiatique » (Neher, 1994 ; nous traduisons). Dans ce contexte, l’enseignement supérieur singapourien reste maintenu sous contrôle et subordonné à la primauté des objectifs du gouvernement, et de ses acteurs politiques animés par des intérêts communautaires.

L’article vise ainsi à démontrer que les institutions d’enseignement supérieur singapouriennes n’ont pas échappé aux impératifs de performance évoqués ci-dessus, mais se sont développées selon un modèle d’internationalisation alternatif, conçu d’après des principes issus à la fois du mondeoccidental (Ouest) et du mondeoriental (Est). Ainsi, dans une logique méritocratique qui priorise l’excellence, les programmes offerts dans les universités publiques singapouriennes sont devenus, en une cinquantaine d’années, des formations d’élite au sommet de la hiérarchie de l’enseignement supérieur. Bien que fortement internationalisées, elles s’adressent en priorité aux meilleurs étudiants singapouriens dont les flux s’accroissent depuis 2010 au détriment de ceux des étudiants internationaux. Le système privé lucratif des établissements délocalisés à Singapour, lui aussi segmenté, répond à de fortes exigences de qualité et permet de recruter un plus grand nombre d’étudiants en mobilité. Comme pour d’autres systèmes d’enseignement supérieur, les stratégies d’internationalisation à Singapour ont donc indéniablement eu des effets sur la configuration des formations (Partie I) et la production des élites étudiantes, fractionnées entre universités publiques et universités privées (Partie II). Pour analyser les effets des stratégies d’internationalisation de l’enseignement supérieur à Singapour, l’article s’appuie sur un travail de terrain mené de 2018 à 2020 qui mobilise plusieurs matériaux complémentaires (Encadré méthodologique).

1. Internationalisation de l’enseignement supérieur singapourien et reconfiguration du champ des formations

L’internationalisation de l’enseignement supérieur à Singapour repose sur des principes managériaux qui valorisent la privatisation, les dispositifs d’évaluation quantitative et les classements, selon des normes et des valeurs qui, au premier abord, paraissent universellement acceptées (Musselin et Bezes, 2015). Pour autant, l’universalité de l’internationalisation est remise en question par les spécificités nationales et le « polymorphisme institutionnel » des organisations universitaires (Paradeise et Thoenig, 2013). Selon des logiques de mimétisme et de distinction, la reconfiguration des formations supérieures à Singapour a suivi deux grandes tendances au cours des cinquante dernières années : la transformation des universités publiques nationales en universités de « classe mondiale » et la hiérarchisation de l’offre éducative privée.

1.1 Une volonté nationale de transformer les universités publiques en universités de « classe mondiale »

Les universités nationales au sommet de la structuration de l’enseignement supérieur singapourien

Le système national d’enseignement postsecondaire s’organise à Singapour autour des Junior College et des Instituts préuniversitaires, qui accueillent les meilleurs élèves et donnent accès à l’université, des écoles polytechniques complémentaires, capables de produire des ressources humaines de niveau intermédiaire (comparables aux IUT et BTS français), ainsi que des Institutes of Technical Education, qui s’adressent à des techniciens peu qualifiés. Les universités publiques, qui forment les futures élites nationales, comme dans la majorité des pays d’Asie du Sud-Est, sont considérées au sommet de la hiérarchie depuis 1949, date de la création de la première université autonome, l’University of Malaya. Singapour compte aujourd’hui six universités publiques, dont deux de renommée internationale. La plus ancienne est la National University of Singapore (NUS), issue de la fusion en 1980 de la Nanyang University, créée en 1951 pour transmettre l’éducation et les traditions chinoises, et de l’University of Singapore, créée en 1962 et encourageant l’éducation anglaise. Dès leur création au début des années 1950, les établissements techniques ont quant à eux été assimilés à des établissements de second rang, s’érigeant comme des collèges universitaires pour les masses (Anonyme, 1952). À partir de 1979, pour répondre à la pénurie de main-d’oeuvre qualifiée, la formation d’ingénieurs devient une priorité nationale, conduisant l’État à créer un nouvel Institut technologique de haut niveau, le Nanyang Technological Institute (NTI), qui devient en 1991 la Nanyang Technological University (NTU), seconde grande université d’État de Singapour, appelée à former les futures élites technologiques. Cette suprématie des universités publiques a été institutionnalisée en 1979 dans le rapport GohKeng Swee, qui mentionne pour la première fois le principe d’excellence et dénonce la démocratisation de l’enseignement supérieur dans de nombreux pays occidentaux, ainsi que l’exprime Lee Kuan Yew, premier ministre en 1984 :

[U]ne éthique antiélitiste prévaut dans de nombreux pays occidentaux, notamment parmi les groupes de la Nouvelle Gauche en Grande-Bretagne. Ils glorifient la médiocrité pour en faire un culte. Ils condamnent l’excellence comme étant de l’élitisme.

Discours de Lee Kuan Yew, premier ministre, « The Search for Talent », 1984 ; nous traduisons

Quatre autres universités publiques sont ensuite créées dans les années 2000, en collaboration avec des institutions américaines et chinoises, dans le cadre de partenariats divers (cf. infra), pour couvrir la formation de segments spécialisés : SMU (business, management), SUSS (sciences sociales), SUTD (architecture, design), SIT (transports, ingénierie). La complémentarité entre ces « niches d’excellence », dénommées ainsi par les acteurs politiques, est clairement affichée :

[...] Si vous comparez les SMU, SUTD, SIT et SUSS, l’objectif de ces universités est assez différent. Il s’agit de garantir que nous puissions répondre aux besoins des différents segments de la population, tout en évitant qu’ils soient pris dans une situation de concurrence directe les uns avec les autres.

Responsable des Relations internationales, Université publique de Singapour, 2020 ; nous traduisons

Cette configuration entre les formations s’est établie parallèlement aux normes occidentales, auxquelles Singapour n’a pu échapper pour s’imposer sur le marché mondial.

L’internationalisation des universités singapouriennes : un objectif essentiel pour conquérir le marché asiatique

Au moment de l’indépendance, en 1965, l’internationalisation, devenue un objectif fondamental des politiques publiques de l’État-nation, se traduit par l’anglicisation du système d’éducation local. Ensuite, dans les années 1980, la vision gouvernementale se distingue par sa volonté de positionner ses universités parmi les meilleures d’Asie, en s’inspirant des universités américaines les plus prestigieuses, situées autour de Boston (Harvard, Yale, Princeton, Columbia) :

La vision du gouvernement est que la NUS et la NTU deviennent des universités de classe mondiale au 21e siècle. Nous devons viser à ce qu’elles soient parmi les meilleures universités d’Asie et d’Australasie, acquérant progressivement pour Singapour une réputation de « Boston de l’Est ».

Discours de Goh Chok Tong, premier ministre, NUS, 1996 ; nous traduisons

L’émulation du modèle américain pour accéder à un statut de pôle régional d’enseignement supérieur est liée à la stratégie de transformer les universités singapouriennes en « world-class institutions », reconnues parmi les meilleures au monde dans leur domaine par leurs pairs (Jarvis et Mok, 2019). Les deux grandes universités publiques répondent à cette désignation par leur positionnement dans les classements (figure 1).

Figure 1

Évolution du positionnement des deux grandes universités publiques singapouriennes (NUS et NTU) dans les classements internationaux et régionaux

Évolution du positionnement des deux grandes universités publiques singapouriennes (NUS et NTU) dans les classements internationaux et régionaux

Note de lecture : en 2021, la NUS et la NTU sont classées respectivement en 1re et en 3e position dans le classement QS Asia Ranking, puis en 11e et en 13e position dans le monde selon le QS World Ranking.

Sources : Academic Ranking of World Universities (ARWU) Shanghai Ranking, World University Rankings THE (Times Higher Education), QS World, Asia, 2013, 2016, 2019, 2021 (graphique réalisé par les auteurs)

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La corporatisation des universités publiques depuis les années 2000, qui se caractérise par leur privatisation partielle, représente une nouvelle phase du développement de l’enseignement supérieur à Singapour :

Cette décision de transformer la NUS et la NTU en universités autonomes corporatisées […] marque le début de la prochaine phase passionnante du développement de nos universités, où elles seront en mesure d’exercer une plus grande flexibilité […], afin de rivaliser dans le paysage universitaire mondial.

Discours du ministre de l’Éducation, « NUS, NTU, SMU to Become Autonomous Universities », 2005 ; nous traduisons

Les universités singapouriennes se retrouvent donc, comme d’autres dans le monde, confrontées à un système très fortement régulé par l’État, qui définit l’organisation et le pilotage en assurant une partie du financement, et un système libéral pour lequel une part importante des financements est acquise dans un marché concurrentiel (Finance, 2015).

Cependant, en comparaison des prestigieuses universités comme Harvard, celles de Singapour sont envisagées par les gouvernants comme des « coureurs relativement nouveaux et moins connus dans la course », pour reprendre les termes d’un ministre de l’Éducation en 2000, à côté d’autres nouveaux acteurs, comme la Malaisie, le Japon, la Chine, Hong Kong et la Corée du Sud. Le discours du premier ministre en 1996 reflète cette ambition réaliste :

[…] Harvard et le MIT attirent des étudiants de tous les États-Unis, dont la population représente environ 90 fois la nôtre […]. Nos universités s’appuient sur une base de talents beaucoup plus restreinte […]. Mais la NUS et la NTU devraient toujours imiter Harvard et le MIT en offrant une excellente éducation et en attirant des étudiants brillants d’Asie.

Discours de Goh Chok Tong, premier ministre, 1996, NUS ; nous traduisons

La vision hégémonique du modèle américain s’accompagne donc d’une forte volonté gouvernementale de conserver les valeurs nationales, confucéennes et asiatiques dans les programmes nationaux des formations (Yang, 2016 : 7). En outre, Singapour a élargi sa zone d’échange universitaire à ses voisins membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), ainsi qu’à l’Inde et à la Chine, partenaire privilégié de la cité-État. L’emprunt au modèle d’excellence chinois s’est d’ailleurs intensifié dans la structuration des formations :

Grâce à vos partenariats avec l’Université du Zhejiang et le Massachusetts Institute of Technology, la SUTD a été au coeur du flux d’idées et de talents de l’Est/Orient (East) et de l’Ouest/Occident (West).

Discours du vice-premier ministre et ancien ministre de l’Éducation Heng Swee Keat à la SUTD, 2019 ; nous traduisons

Singapour représente donc un hub d’enseignement supérieur qui peut se définir comme une plaque tournante éducative, connectant plusieurs secteurs institutionnels les plus importants des sociétés modernes (Stevens, Armstrong et Arum, 2008), mais il s’agit d’un hub d’enseignement supérieur régional, un outsider dans le panorama de l’enseignement supérieur mondial comparativement aux hubs traditionnels ou établis (established) (Elias et Scotson, 1994), tels que les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Australie. La figuration établis-outsiders soulève la question de la continuité/discontinuité entre plusieurs espaces géopolitiques et culturels, laquelle permet de reconsidérer les oppositions « Sud » et « Nord », « pays développés », « sous-développés », « en voie de développement », fréquemment mobilisées en matière d’internationalisation de l’enseignement supérieur (Eyebiyi et Mazzella, 2014). Les discours des responsables politiques et institutionnels singapouriens mentionnent ainsi à plusieurs reprises des mondes qui se mélangent à Singapour et qui ne sont pas dépendants les uns des autres. L’enseignement supérieur singapourien apparaît ainsi à la croisée de l’« Ouest/Occident » technologiquement développé et de l’« Est/Orient » en croissance rapide, ce qui lui permet d’espérer une position dominante à l’échelle régionale. Cette internationalisation « orientée vers l’intérieur » s’accompagne d’une internationalisation « orientée vers l’extérieur » (Wu, 2021).

1.2 La hiérarchisation de l’offre éducative privée

Une typologie des modèles d’internationalisation in situ à Singapour

Les stratégies d’internationalisation se sont renforcées dès 1993 avec le souci d’externaliser l’offre éducative privée à Singapour en permettant l’implantation d’établissements prestigieux. En 2020, Singapour est le 3e pays dans le monde, derrière la Chine et les Émirats arabes unis, à accueillir le plus grand nombre d’établissements offshores ou délocalisés sur son territoire (Cross-Border Education Research Team, 2020). Les stratégies étatiques, résumées en 2003 dans le discours de George Yeo, alors ministre du Commerce et de l’Industrie, ont ciblé deux catégories d’établissements privés : d’un côté, ceux de « première classe », mondialement reconnus ; de l’autre, ceux « de seconde classe » à l’échelle mondiale, mais dont la reconnaissance de l’excellence dans leur champ national est établie. À partir de ces deux cibles, l’enquête de terrain a permis de dresser une typologie de six modèles d’internationalisation in situ présents à Singapour. Le premier, le modèle de réseaux ou network model, est le plus fréquent. Déjà repéré dans une recherche menée par Olds en 2007 sur les universités étrangères implantées dans le pays, il répond à une politique multisite où un établissement d’un pays donné crée un campus délocalisé (international branch-campus, campus offshore) dans un pays d’accueil ciblé[1]. Le modèle d’expertise internationale englobe quant à lui des campus délocalisés plus spécifiquement spécialisés dans un secteur de « niches d’excellence », comme l’EHL (École hôtelière de Lausanne) dans le domaine de l’hôtellerie. Le modèle de synergie est un partenariat basé sur l’élaboration commune entre une université singapourienne et une université étrangère d’un programme en particulier, souvent en double diplôme, tel que celui de HEC Paris-NUS Double Degree. Le modèle de ligue ou d’élite est un partenariat ciblé par des accords bilatéraux entre des institutions jugées de même rang, reconnues comme le « top de la ligue » des meilleures universités mondiales[2]. Le modèle de fusion ou internationaljoint-ventures, selon l’appellation utilisée par Wilkins (2018), repose sur l’association de deux universités, l’une locale, l’autre étrangère, telles que la NTU et l’Imperial College London, afin de créer un établissement commun qui n’existait pas auparavant dans le paysage universitaire mondial. Enfin, le modèle de transférabilité consiste à attirer les grands centres de recherche et laboratoires reconnus dans le monde afin d’implanter une partie de leurs activités de recherche à Singapour dans des domaines définis. Le plus représentatif est le Campus for Research Excellence and Technological Enterprise (CREATE) de la NUS, qui regroupe 8 universités et centres de recherche étrangers, dont le CNRS, le MIT, Cambridge, fleurons de la recherche mondiale qui attirent les meilleurs talents au monde.

Des implantations ajustées et régulées en fonction de la hiérarchie des établissements

Si la qualité des implantations d’établissements offshores dépend assurément de la qualité des partenariats établis et de l’anticipation de leur intégration dans l’enseignement supérieur singapourien, elle est fortement dépendante de la régulation étatique. En effet, des institutions gouvernementales composées de membres consultatifs internationaux et s’appuyant sur de nombreux réseaux ciblés d’acteurs étrangers puissants, comme l’Economic Development Board, jouent un rôle essentiel dans l’identification et la sélection de partenaires étrangers potentiels à Singapour (Sidhu, Ho et Yeoh, 2014). Depuis 2008, les formations délocalisées sont régulées par le Conseil de l’enseignement privé (Council for Private Education), qui a pour vocation de contrôler leurs pratiques et surtout de décider de leur prestige, ce qui n’est pas sans effet puisque les avantages accordés par le gouvernement singapourien sont ajustés à la hiérarchie des établissements. Les plus prestigieux, dits de « première classe », reçoivent les subventions les plus élevées. S’ajoutent également des privilèges administratifs, des exemptions, des incitations fiscales ou foncières différenciées qui facilitent plus ou moins l’intégration d’un établissement. En contrepartie, les institutions étrangères ont des obligations à remplir : assurer leur équilibre financier, mener des recherches en lien avec des problématiques intéressant la cité-État, répondre aux cahiers des charges de la réglementation Edutrust pour recevoir une certification indispensable au recrutement d’étudiants internationaux. Dans ce chassé-croisé entre obligations et droits hiérarchisés, les acteurs internationaux reconnaissent toutefois que leur situation reste le plus souvent appréciable, comme le souligne le directeur général d’une institution universitaire étrangère délocalisée :

On a eu quelques très petites subventions, très petites, rien à voir avec les 14 ou 15 millions de dollars que les Australiens ont eus […]. On a surtout le droit d’occuper ce terrain pendant 30 ans, et vu le prix foncier à Singapour, ce qu’on a dû payer pour le bail pour 30 ans, c’est complètement dérisoire […] ; on a une liste d’obligations certes assez longue, mais aussi une liste d’exemptions qui est tout à fait appréciable. (Nous traduisons)

Malgré ces ajustements et régulations étatiques, les stratégies d’implantation des établissements à Singapour n’ont cependant pas toutes été marquées par le succès, souvent en raison de frais de scolarité trop élevés, de la qualité de l’enseignement proposé, d’un mauvais ciblage des étudiants internationaux visés[3]. De plus, Singapour peine à maintenir la présence de certains établissements étrangers sur son territoire en raison de « difficultés liées à l’exercice (ou à la reconnaissance) de la liberté académique[4] » (Stef et Samuel, 2022).

Les stratégies d’internationalisation ont reconfiguré les formations d’enseignement supérieur publiques et privées, mais elles ont également complexifié les modes de production des élites et les circulations étudiantes.

2. Stratégies d’internationalisation et fabrication des élites nationales et internationales

Historiquement, la fabrication des élites passe par l’enseignement supérieur. Or, elle repose moins sur des compétences techniques ou scolaires indispensables à l’exercice de positions dominantes que sur des compétences sociales et des processus de sélection que les institutions et filières d’élite opèrent, finissant par exclure le plus grand nombre (Gérard et Wagner, 2015). Le terme d’« élite » désigne un petit groupe d’étudiants cumulant capitaux économiques, scolaires, symboliques et sociaux, opposé à une majorité d’étudiants qui ne « disposent pas des atouts et des qualités jugés nécessaires et légitimes » (Bataille, Louey et Violier, 2020) pour intégrer les formations supérieures d’excellence. Or, la production des élites est étroitement liée à l’internationalisation de leurs formations (Gérard et Wagner, 2015). Cette dernière prend sa source dans les circulations des étudiants, qui suivent des logiques différentes selon les politiques publiques des États. Les flux des étudiants à Singapour relèvent ainsi à la fois de stratégies étatiques de rétention des élites nationales et de stratégies d’attraction des élites internationales.

2.1 Des stratégies de rétention des élites singapouriennes : une internationalisation d’État méritocratique

La formation des élites singapouriennes dans les universités publiques

L’idéologie méritocratique est un principe fondateur des politiques éducatives à Singapour depuis la fin des années 1970. La sélection par le mérite se met en place bien avant l’entrée dans l’enseignement supérieur, dès la fin de l’école primaire, qui donne accès, selon le niveau, à des programmes scolaires différenciés et à des établissements plus ou moins réputés. Des mesures ont été prises dans les années 1980 pour renforcer également la hiérarchie entre les écoles préuniversitaires destinées à former les élèves les plus dotés scolairement, amenés à suivre leurs études supérieures dans les universités publiques, qui exigent un examen d’entrée et n’accueillent qu’un quart d’une classe d’âge (Campus France, 2018). Cette vision méritocratique légitime la hiérarchie sociale entre les établissements d’enseignement supérieur à Singapour décrite précédemment. Elle favorise de plus la reproduction sociale des élèves d’origines sociales et économiques favorisées, dont les familles recourent systématiquement aux cours particuliers et peuvent couvrir les frais de scolarité élevés des établissements les plus prestigieux. De ce point de vue, les minorités ethniques de Singapour sont les plus touchées par ces inégalités, en particulier les Malais et, dans une moindre mesure, les Indiens, qui s’en sortent moins bien que la majorité chinoise dans les examens nationaux (Tan, 2014). Il en découle un système élitaire hiérarchisé, « les classements scolaires donnant une légitimité aux classements sociaux » (Duru-Bellat et Tenret, 2009 : 229). Ainsi, les universités publiques de Singapour accueillent les meilleurs étudiants, qui sont les plus favorisés, tandis que les autres institutions, moins sélectives ou privées, catalysent une autre partie des étudiants nationaux, lesquels, bien qu’éduqués selon les critères de l’excellence, relèvent malgré tout d’une « figure de la médiocrité » et sont considérés comme des « non-élites instruites » (Cheng, 2018). Ces analyses restent cependant basées sur des observations partielles puisqu’il n’existe pas de statistiques officielles permettant de chiffrer la part des étudiants appartenant à ces catégories. Cette absence de données relève d’une forme de stratégie de dissimulation propre à un État qui préfère laisser croire que la seule méritocratie reste le principe fondateur de la fabrication des élites singapouriennes (Pourvoyeur, 2018). La formation des élites singapouriennes demeure donc fortement ancrée dans les institutions nationales dominantes, mais les séjours à l’étranger sont aussi un passage obligé.

L’accumulation de capitaux internationaux prestigieux

D’après les données de l’UNESCO, les étudiants singapouriens en mobilité sortante sont estimés au nombre de 23 752 en 2018, soit 16 % des étudiants nationaux (tableau 1). Leurs trois principales destinations sont l’Australie (34 %), dont la part a diminué depuis 2013[5], le Royaume-Uni (29 %) et les États-Unis (18 %). Les autres destinations restent marginales. Cependant, la Chine et Hong Kong, pourtant proches de la cité-État, ne sont pas comptabilisés dans les données statistiques disponibles sur les pays d’accueil des étudiants singapouriens en mobilité. Cette dissimulation est symptomatique des enjeux géopolitiques et du caractère sensible que revêt la formation des élites étudiantes à Singapour.

Tableau 1

Destinations des étudiants en mobilité originaires de Singapour

Destinations des étudiants en mobilité originaires de Singapour

* Estimation **2014 ***2017

Note de lecture : en 2018, 6976 étudiants singapouriens ont effectué une mobilité sortante au Royaume-Uni, soit 29 % du total des étudiants nationaux. De 2013 à 2018, leur part vers cette destination s’est accrue de +17 %.

Source : Institut statistique de l’UNESCO (ISU), septembre 2020

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Le Royaume-Uni est traditionnellement la destination principale des meilleurs étudiants singapouriens. Le « Russell Group », constitué des 24 universités de recherche britanniques les plus réputées, ne représente ainsi que 15 % de l’offre éducative anglo-saxonne, mais capte 73 % des mobilités étudiantes singapouriennes. La majorité des dirigeants singapouriens y a effectué ses études. À partir des années 1980, les étudiants de haut niveau se sont également dirigés vers les États-Unis.

La fabrication des élites singapouriennes passe par une internationalisation d’État comparable à celle de la Chine, qui a déployé des mesures incitatives au retour. En effet, l’État singapourien a mis en place, depuis plus de quarante ans, un système de bourses d’excellence qui permet aux meilleurs étudiants d’effectuer une mobilité à l’étranger dans les meilleures universités. Selon les sources statistiques publiées par l’État singapourien, en l’espace de douze ans, 571 hommes et 424 femmes en ont bénéficié. La President’s Scholarship est la plus prestigieuse, réservée à une petite poignée d’étudiants et à une minorité de femmes (18 % des boursiers en moyenne). Cette mobilité parrainée et institutionnalisée, qui fait preuve d’une stabilité remarquable dans le temps, a fait l’objet de recherches approfondies sur les trajectoires des boursiers de la fonction publique à Singapour entre 1979 et 2018, qui montrent que ces derniers sont destinés à revenir à Singapour et à y intégrer des emplois et des fonctions aux échelons supérieurs (Ye et Nylander, 2015 ; Ye, 2021). Ces bourses d’État ont en effet la particularité d’exiger un service obligatoire de dix années auprès d’institutions d’État ou de ministères à Singapour. Le retour des boursiers est donc prévu en même temps que leur départ (Behar, 2006).

Ces stratégies de rétention des élites singapouriennes s’accompagnent de stratégies d’attraction des élites étudiantes internationales qui mettent en avant une fois encore la segmentation entre les formations publiques et privées.

2.2 Des stratégies d’attraction des étudiants internationaux : la segmentation entre l’élite « publique » et l’élite « privée »

La baisse des étudiants internationaux dans les universités publiques d’État

Les stratégies d’internationalisation sont fréquemment évaluées grâce à l’analyse des données statistiques sur les flux de mobilité entrante. Dans le cas de Singapour, les statistiques de la mobilité étudiante entrante sont quasiment inexistantes et morcelées dans les sources officielles. En recoupant plusieurs d’entre elles, l’enquête permet cependant de repérer quelques tendances. Le graphique 2 fait apparaître une forte augmentation entre 2006 et 2008 du nombre de Pass étudiants (Student Pass) délivrés par l’Immigration Check Authority, qui contrôle les flux d’entrée des élèves étrangers du primaire à l’enseignement supérieur, un plateau jusqu’en 2012 et une baisse progressive depuis avec 68 000 Pass environ délivrés en 2018. L’ISU (UNESCO) fait apparaître une courbe croissante entre 2008 et 2012 des effectifs d’étudiants internationaux à Singapour, dont le nombre avoisine les 50 000 étudiants, chiffre qui ne varie pratiquement pas depuis 2016 (soit près de 27 % du total des étudiants en 2018), tandis que le nombre d’étudiants nationaux singapouriens a continué de croître régulièrement, passant de 66 531 en 2016 à 70 690 en 2018 (Ministry of Education, Singapore, 2021).

Graphique 2

Estimations de l’évolution des mobilités étudiantes entrantes à Singapour entre 2006 et 2018

Estimations de l’évolution des mobilités étudiantes entrantes à Singapour entre 2006 et 2018

* Les données non connues de plusieurs dates n’apparaissent pas dans le graphique.

Note de lecture : en 2018, près de 70 000 Student Pass (68 760) ont été délivrés à des élèves étrangers à Singapour (du primaire à l’enseignement supérieur). Les étudiants internationaux étaient au nombre de 51 756 en 2018 selon les données ISU-UNESCO. D’après nos estimations, en 2018, environ 16 962 étudiants internationaux fréquentaient des universités publiques, et 34 794 des universités privées.

Sources : ISU-UNESCO, archives, rapports, sites Internet, articles scientifiques (graphique réalisé par les auteurs)

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Les mobilités étudiantes vers les six universités autonomes publiques de Singapour connaissent une baisse progressive du total des étudiants internationaux depuis 2014, dont les effectifs n’ont plus dépassé les 20 000 (graphique 2). Cela est particulièrement marqué à la NUS (graphique 3). Le pourcentage d’étudiants internationaux dans les établissements d’enseignement supérieur privés s’est au contraire nettement accru, passant de 30 % en 2012 à 51 % en 2018. Le secteur privé soutient donc une part plus importante d’étudiants internationaux que le secteur public, lequel est réservé à l’élite étudiante locale et internationale.

L’élite internationale « publique » : une sélection scolaire et migratoire

Les étudiants internationaux les plus dotés scolairement sont en effet majoritairement captés par les universités nationales d’État. L’entrée à un niveau undergraduate suppose des notes minimales et un niveau d’anglais très élevé[6] ; au niveau postgraduate, le critère d’admission est concentré sur le degré de réputation de l’université d’origine où a été obtenu le diplôme de licence/bachelor. En outre, l’élite publique est recrutée selon des quotas imposés par les politiques nationales, qui visent à limiter l’accueil des étudiants internationaux dans les deux grandes universités autonomes (la NUS et la NTU), ce qui explique la diminution de leurs flux à tous les niveaux (Daquila, 2013) (graphiques 2 et 3).

Graphique 3

Répartition des flux des étudiants internationaux à la National University of Singapore (NUS)

Répartition des flux des étudiants internationaux à la National University of Singapore (NUS)

* E. I. = étudiants internationaux.

Note de lecture : en 2019, 20 % des étudiants inscrits à la NUS sont des étudiants internationaux. Parmi les étudiants internationaux, 13 % sont inscrits à un niveau undergraduate, et 45 % à un niveau postgraduate.

Source : graphique élaboré par les auteurs à partir des rapports annuels de la NUS et du Global Office de la NUS

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En moyenne, au maximum 20 % des places sont réservées aux étudiants internationaux à la NUS. Leur part a diminué depuis 2015 à tous les niveaux (graphique 3). Cette diminution est la conséquence de la volonté gouvernementale, qui a engagé depuis une dizaine d’années des stratégies de rétention de ses élites dans les universités publiques, en particulier en doctorat, afin de leur offrir les meilleures perspectives d’emploi et de les inciter à s’établir à Singapour :

Seuls environ 35 % des étudiants en Ph. D. (doctorat) dans nos universités sont des Singapouriens et des résidents permanents actuellement […]. Nos universités doivent chercher à augmenter le nombre de Ph. D. que nous produisons […] et le pourcentage de citoyens de Singapour et de résidents permanents qui les poursuivent. Cela ouvrira de meilleures perspectives d’emploi dans le secteur privé pour les titulaires de doctorat à Singapour.

Rapport High Skills People, Innovative Economy, Distinctive Global City, 2010 ; nous traduisons

La proximité culturelle et géographique est souvent évoquée comme facteur d’attractivité des populations asiatiques. Les étudiants chinois restent ainsi la cible privilégiée des universités publiques, représentant en moyenne près de 15 000 étudiants annuellement, selon les estimations réalisées par Zheng et Lye (2015). Cette attraction qualitative repose sur le choix d’une politique d’« immigration choisie » en direction d’étudiants ciblés selon leurs profils scolaires et leurs appartenances institutionnelles, attirés par les nombreux avantages qui leur sont proposés dans les universités publiques (bourses d’excellence, partenariats de prestige, possibilité d’obtenir le statut de résident permanent ouvrant à la nationalité singapourienne, etc.), malgré des frais d’inscription qui demeurent très élevés[7].

L’élite internationale « privée » : une sélection sociale et financière

Vis-à-vis des universités publiques qui accueillent les étudiants internationaux les plus sélectionnés sur le plan scolaire, le développement des formations privées est axé sur un impératif économique. Les frais d’inscription plus élevés encore que ceux appliqués aux étudiants internationaux dans les universités publiques ont pour conséquence d’attirer prioritairement des étudiants internationaux issus de classes supérieures appartenant à l’élite économique circulante provenant d’Asie, mais aussi d’Occident, et dont la plupart ne bénéficient pas de bourses ou de subventions comme dans les universités publiques. Ces « héritiers » appartenant aux classes sociales les plus favorisées suivent ainsi leurs études dans des institutions sélectives et payantes, spécialisées pour l’essentiel dans l’accueil des enfants de cadres internationaux. Ils contribuent ainsi à la constitution de groupes internationaux (Wagner, 1998), à l’établissement d’une internationalisation dans un contexte culturel particulier, ici asiatique. Ces étudiants peuvent être désignés, selon Anne-Catherine Wagner (2016), comme des « talents internationaux », clairement identifiés par leur apport économique puisque considérés comme des acteurs de développement et de rentabilité pour Singapour, générant des retombées financières. En plus de la reconnaissance internationale et du prestige des formations d’excellence, le choix d’une destination comme Singapour pour les étudiants en quête de mobilité est le plus souvent lié au multiculturalisme, à la qualité de vie ainsi qu’aux possibilités professionnelles qu’offre la cité-État. Sur plus de 200 étudiants internationaux interrogés à Singapour en 2020 dans une enquête par questionnaire (Stef, 2022 [à paraître]), 92 % ont répondu que Singapour représentait un atout supplémentaire sur leur CV. Si une moitié d’entre eux environ espère trouver un premier emploi en début de carrière à Singapour, l’autre moitié, plus souvent issue des milieux sociaux et économiques les plus favorisés, considère plutôt la mobilité comme un tremplin vers les grandes destinations traditionnelles du monde occidental et un moyen d’établir un réseau professionnel futur. L’enjeu majeur de ces formations privées reste donc la professionnalisation, bien plus que l’apprentissage scolaire.

Conclusion

L’enseignement supérieur singapourien est aujourd’hui structuré selon un système hiérarchisé, avec au sommet les universités publiques nationales, classées parmi les meilleures universités d’Asie, qui accueillent prioritairement les élites nationales. Si elles se sont ouvertes aux expatriés, il semble, comme l’a par ailleurs constaté Anne-Catherine Wagner (2020), que les capitaux sociaux et symboliques qu’elles donnent restent largement réservés aux nationaux. Les implantations de campus délocalisés à Singapour sont ajustées et régulées selon un système hiérarchique qui classe ses établissements privés en fonction de la réputation mondiale de leurs formations. En découle une dichotomie entre public et privé (Eyebiyi et Mazzella, 2014) : l’élite publique, majoritairement représentée par les étudiants singapouriens formés dans les universités nationales, est sélectionnée scolairement et selon des filtres migratoires, tandis que l’élite privée est incarnée dans les établissements privés par une majorité d’étudiants internationaux qui sont recrutés selon des critères sociaux et économiques. Par ailleurs, les circulations étudiantes s’effectuent non plus dans un sens unique, du Sud vers le Nord, mais plutôt selon des circuits migratoires et des ententes effectives ou potentielles entre pays ou régions du monde, en dehors des périmètres historiquement balisés (Erlich, 2012 ; Gérard et Wagner, 2015 ; Erlich, Gérard et Mazzella, 2021). L’Asie du Sud-Est constitue en effet, avec la Chine et l’Inde, l’un des principaux pays pourvoyeurs d’étudiants étrangers à Singapour.

Comme d’autres États asiatiques, le cas de Singapour est ainsi l’illustration d’une nation non occidentale qui, bien que son essor ait largement reposé sur ses relations économiques établies avec l’Occident (Guillot, 2007), n’a pas pour autant adopté de manière systématique les principes universels des modèles d’internationalisation de l’enseignement supérieur dans le monde. Certes, la cité-État n’a pas hésité à instrumentaliser et à marchandiser son système éducatif : anglicisation de ses programmes de formation, importation de modèles éducatifs étrangers d’excellence, implantation de campus délocalisés, positionnement dans les classements internationaux, etc. Mais c’est à travers une internationalisation d’État, qui passe par une « instrumentalisation du local par le mondial » (Guillot, 2007), soit une adaptation aux particularités géographiques et aux enjeux nationaux, que l’enseignement supérieur singapourien s’est reconfiguré pour devenir sur la carte mondiale un hub attractif par son offre éducative, en particulier à l’échelle régionale. L’hypothèse d’un modèle de marché éducatif moderne occidental et performatif tend donc ici à être nuancée par l’enquête, qui remet en question l’« occidentalisation du monde » et les limites de l’universalisme planétaire (Latouche, 1990). La fabrication des élites à Singapour résulte ainsi à la fois de décisions porteuses de valeurs et de croyances nationales et d’un capital international de compétences (Nogueira et Aguiar, 2008), qui transcendent « les frontières culturelles de toutes les sociétés » (Castells, 1998 : 469).