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Dans la tradition biblique, juive et chrétienne, l’image de Dieu s’est construite autour d’un rapport original à la parole et à l’histoire. C’est en parlant que Dieu suscite le monde et conduit le destin de l’humanité. Simultanément à cela, plusieurs croyants se disent sensibles et attentifs aux silences de Dieu.

Le siècle qui vient de se terminer renvoie à un Dieu absent devant les tragédies de ce monde, les génocides et les horreurs des guerres répétées. Dieu se tait-il et s’efface-t-il devant la bêtise humaine ? « Le silence, disait Heidegger, est le mode authentique de la parole ». Appliqué à la connaissance de Dieu, le silence de Dieu ne serait-il pas, en fait, la meilleure façon choisie par Dieu pour parler à l’humanité ?

Cependant, la mesure de l’inadéquation de nos représentations et celle de nos discours par rapport au Dieu tout Autre pose problème. Il y a toujours un écart entre ce que l’homme peut dire et ce qu’il ne doit pas dire lorsqu’il parle de sa relation à Dieu et, à plus forte raison, de Dieu lui-même. L’assertion paradoxale de Thomas d’Aquin étonne toujours : « Tel est l’ultime de la connaissance humaine au sujet de Dieu, qu’elle sache ne pas savoir Dieu ».

Dieu, selon le génie hébreu, s’exprime en termes concrets et non en termes métaphysiques, comme chez les Grecs. Dans la Bible, parler (en hébreu : dâvar et âmar ; en grec logos et rhêma), veut dire agir. Le logos grec exprime verbalement une pensée préalablement conçue. Le dâvar hébreu signifie faire la vérité en même temps qu’on l’énonce. La Parole biblique est une force qui réalise ce qu’elle annonce. L’homme n’est pas seulement un animal parlant, comme le pensaient les Grecs, capable d’élaborer des concepts. Il est, de plus, selon la tradition biblique, un répondant de Dieu. Aux yeux des hommes, Dieu semble se taire et ne pas agir. Mais en fait, le dâvar divin ne monte pas du coeur du prophète ou de l’homme qui parle. Il atteste de sa présence en transformant et en agissant dans l’homme qui répond.

L’interprétation du silence de Dieu permet à l’A. de passer en revue six propositions où Dieu exprime à la fois sa Présence et son Absence. Dieu parle (agit), par la création, par ses témoins, dans l’histoire des hommes, par l’Écriture sainte, en Jésus-Christ, enfin dans et par son Église. Ce silence de Dieu ne pourrait-il pas alors s’interpréter comme un acte délibéré de retrait pour permettre à l’homme d’exercer pleinement sa liberté d’action et de parole ? L’action transformatrice opérée par l’homme n’indique-t-elle pas l’action de Dieu en l’homme qui répond à son interpellation de transformer le monde qu’il lui a donné ?

Les plus anciennes cosmogonies manifestent le désir pour l’homme de connaître son origine. Plusieurs d’entre elles révèlent des tendances polythéistes, parfois panthéistes, timidement monothéistes. Ces imageries nous introduisent dans le langage spécifique et précis de la Création. Le verbe hébreu bâra (créer) est réservé à la Parole ou à l’Agir de Dieu. L’acte créateur biblique ne dépend d’aucune matière préexistante et ne fait appel à aucune collaboration extérieure, comme dans les mythes primitifs. L’idée de création hébraïque ne se confond pas cependant, avec le concept métaphysique de création ex nihilo. Dans la Bible, la notion de création se distingue de celle de la nature, en ce sens que la première a partie liée avec le dessein du salut qui sous-tend toute l’histoire de l’Alliance. La création s’inscrit dans cette histoire, alors que la nature (sens grec du terme) désigne une donnée de fait, accessible à tout venant. La foi au Dieu créateur ne donna jamais lieu à une prétendue démonstration de l’existence de Dieu. Cette existence était démontrable avant l’arrivée de la pensée créationniste. Le Dieu de la Bible n’appartient pas à ce « monde ». S’il lui parle et en agit lui, il le fait d’une manière différente que celle qui constitue nos façons de faire dans le monde humain.

L’A. s’attarde longuement aux deux récits de la Création afin de montrer que l’Alliance entre le Créateur et sa créature se perpétue dans le temps. Il démontre l’agir et donc la Parole de Dieu agissant dans le monde. L’agir créateur de Dieu inspire toujours et sans cesse l’agir de l’homme. Ainsi donc, la confiance en Dieu y repose, non sur un raisonnement causal à partir du monde créé, mais sur une expérience intime confrontée à la tradition et au témoignage de la communauté croyante. Dieu parle à travers sa création. Il revient aux hommes de lui donner des mots, un langage, des bras et des mains. Dieu ne peut pas plus agir et parler que ce que les hommes décident de réaliser par leurs actions.

Dieu parle ou agit aussi par une nuée de témoins. La plupart silencieux. Quelques-uns plus flamboyants. L’Ancien Testament déborde de prophètes (du grec prophètès) : celui qui parle à la place de, au nom de quelqu’un. Celui qui proclame. À partir du ve siècle avant notre ère, les Juifs déportés appellent d’autres témoins qui portent le nom de sages, de docteurs, de prêtres. « Nous ne voyons plus de signes, il n’y a plus de prophètes. L’amour du Seigneur a-t-il disparu ? » L’Église primitive produit ses premiers martyrs, ses premiers saints : la parole agit parmi les croyants. 2 000 ans plus tard, malgré les faiblesses de l’Église, les témoins foisonnent. L’infinie multiplicité des dons de Dieu fait la richesse de la création présente et transmet la Parole toujours agissante d’une création encore en enfantement.

Dieu parle aussi, selon l’A., de quelque manière, à tous les hommes, à travers les événements de l’histoire. Celle-ci, par la Présence, même silencieuse, de Dieu, devient une histoire sainte. L’A. s’attarde à décrire l’exemple de Job qui s’interroge sur les malheurs qui s’abattent sur Israël. Dieu demeure muet et Job entre en révolte. Il tient à sa justice et il ne veut pas lâcher. Petit à petit, il s’aperçoit qu’il est vain de prétendre se justifier soi-même et vouloir justifier Dieu par rapport aux malheurs des hommes. À première vue, Dieu est absent du monde et des luttes qui s’y mènent entre les hommes et entre les hommes et Dieu. Il semble rester sourd alors que les scélérats triomphent. La souffrance du juste ne trouve pas d’explication satisfaisante dans le texte, mais elle est remplacée dans le contexte historique de la condition humaine. Dieu peut-il agir éventuellement d’une autre manière, d’une façon, qui, momentanément, peut échapper à l’humanité ?

L’A. s’arrête ensuite au long débat qui déchire la chrétienté : l’Écriture seule ou l’Écriture et la Tradition ? Il conclut que, sans l’Écriture, l’Évangile n’aurait pas pu se conserver dans sa pureté ; mais, sans une Tradition suivie, il nous manquerait le sens profond des Écritures.

Les deux derniers chapitres du livre nous présentent l’Envoyé de Dieu qui se fait chair. Qui dresse, silencieusement, sa tente parmi les hommes. Enfin, la présentation du rôle de l’Église, malgré les divergences dogmatiques qui divisent les Églises chrétiennes, est fort documentée et offre un excellent résumé de la question.

Le livre se termine sur une foule d’interrogations. Pourquoi Dieu, à certaines périodes, se manifeste-t-il, alors qu’à d’autres moments, il semble carrément absent ? Il faut interpréter cela comme un acte délibéré de retrait pour que l’homme puisse exercer sa liberté.