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Ce livre appartient à la série des « Entretiens » du cardinal Journet et a été publié en partenariat avec la Fondation Cardinal Journet. Il fait partie de la série qui porte sur l’espérance, la charité, le Saint-Esprit, sur Dieu le Père, l’Eucharistie, la Trinité, l’Église et sur Marie. Il recueille les propos tenus par l’illustre théologien lors de la retraite prêchée à Écogia (Versoix), Genève, du 27 au 30 août 1970.

D’entrée de jeu, l’A. affirme qu’il est bien opportun de traiter du sujet de l’Incarnation, puisque, dans certains milieux, où l’on se réclame encore de l’Évangile, il ne s’agit plus que d’un Évangile vidé de toute transcendance.

Le lecteur, s’il est familier un peu avec Jacques Maritain, ami intime de Journet, sentira l’influence du petit livre que le philosophe français composa sur le sujet et intitulé De la grâce et de l’humanité de Jésus. Pour l’A., l’Incarnation ne s’éclaire qu’en dépendance du mystère trinitaire. L’Être de Dieu est surabondance intérieure de Lumière et d’Amour. Il va s’extravaser à deux reprises : premièrement, en suscitant notre univers, par une initiative gratuite. La création, éternellement, pouvait ne pas être. Elle est le fruit d’un incompréhensible geste de libre et pur amour. Il y a un autre acte de libre et pur amour dans l’histoire de l’humanité : la présence historique du Verbe, la seconde Personne de la Trinité, qui vient s’unir à une nature humaine, en la faisant sienne, nous toucher nous-mêmes à travers elle, et par là, reprendre et renouveler ainsi la première création.

L’A. s’attarde à expliquer deux attitudes religieuses qui refusent l’Incarnation. Le premier groupe refuse le Dieu unique et personnel pour verser dans une puissance impersonnelle, plus ou moins confondue avec le monde. L’animisme et les religions cosmiques utilisent ce langage. Une autre doctrine de l’incarnation se trouve dans le brahmanisme. Le thème de l’incarnation se présente sous la forme des Avatars ou des Descentes ou manifestations incarnées de la divinité. Il peut y avoir plusieurs incarnations, surtout si la religion périclite et l’impiété triomphe. Le premier groupe risque d’immerger la divinité dans le cosmos (animisme) ; l’autre, risque de résorber le cosmos dans la divinité (religions de l’Inde). Pour des raisons opposées, dans l’islam, Dieu est trop haut, trop pur, trop saint, pour s’incarner. Tout au contraire, dans la pensée biblique, Dieu ne se donne qu’une seule fois. « Le Christ, explique l’Épître aux Hébreux, après s’être offert une seule fois (hapax) […], apparaîtra une seconde fois, pour leur salut, à ceux qui l’attendent » (He 9,28).

La deuxième instruction de Journet porte sur le « pourquoi » de l’Incarnation. L’Écriture est formelle : la descente de l’amour de Dieu est liée à la tragédie humaine. Quelle tragédie ? La Genèse donne la réponse. L’homme, dès son apparition, est constitué par Dieu dans un état privilégié de sainteté et de justice, comportant, comme corollaire, l’immortalité corporelle. Adam refuse, à la suggestion du Malin, de se soumettre à Dieu et pèche par une faute personnelle. Il perd de ce coup, pour lui et sa lignée, cette sainteté et cette justice toutes gratuites dans lesquelles il avait été établi, et par la suite, le privilège de l’immortalité corporelle. Il transmet à ses descendants une nature humaine privée de cette sainteté. Voilà, en l’homme, dans cette privation, un péché affectant sa nature, non commis par lui, mais transmis à chaque être humain. Non personnel, mais originel. Le premier homme transmet à ses descendants une nature humaine qui, privée du privilège de l’immortalité, retombe sous la loi de la mort, de soi normale, chez un être fait d’esprit et de poussière. Désormais, l’espérance surnaturelle de l’homme ne sera plus de chercher dans sa dépendance du premier Adam, mais dans la rédemption du second Adam ; l’humanité ne sera plus sauvée surnaturellement par l’initiative de la grâce adamique, à tout jamais perdue, mais par la seule grâce christique.

Rien ne heurte davantage la psychologie contemporaine que ce mystère du péché originel, mais, comme le dit Pascal, sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes. Le noeud de notre condition prend ses retours et ses plis dans cet abîme. De sorte que l’homme est plus inconcevable sans ce mystère, que ce mystère n’est inconcevable à l’homme. Le péché est entré par la désobéissance à Dieu. Il fallait, pour réparer la faute, un Dieu incarné pour réconcilier en lui toutes choses.

L’A. consacre ensuite deux instructions à ce qu’il appelle L’intérieur du mystère Jésus-Christ, vrai Dieu, vrai homme. Le Fils, seconde personne de la Trinité divine, qui est Dieu éternellement, s’est fait homme il y a deux mille ans. Il s’est adjoint étroitement une nature humaine pour pouvoir habiter au milieu de nous ; désormais il possède pour toujours, dans son unique Personne divine, deux natures, deux vies, l’une incréée et divine, l’autre créée et humaine. Le point central de ce mystère est donc le suivant : l’union en la seule Personne de Jésus de deux natures, celle de la divinité incréée et celle de l’humanité créée.

Dans des pages admirables, l’A. développe, avec une précision hors du commun, le mystère du Christ incarné, du grand mystère de l’Incarnation. Que se passe-t-il, alors au moment de l’Incarnation ? Le Saint-Esprit — mais avec lui c’est la Trinité tout entière qui agit — forme dans le sein de la Vierge Marie une nature humaine toute pareille à la nôtre, composée comme la nôtre d’un corps et d’une âme, le corps étant fait ici du pur sang de la Vierge, et l’âme étant créée de rien à l’instant même de son infusion dans le corps. Et à l’instant même où cette nature humaine est ainsi miraculeusement formée dans le sein de la Vierge, elle est nouée à la Personne divine du Verbe. Dès lors, dit le théologien, la seconde Personne de la Trinité, la Personne infinie du Fils de Dieu, possède — et possédera toujours — deux natures : depuis toujours, elle possède en commun avec le Père et l’Esprit Saint la nature divine ; à l’instant de l’Incarnation, elle s’approprie en outre, elle attire à soi, elle assume la plus parfaite des natures humaines qui ait jamais existé et qui existera jamais.

Les dernières instructions sont consacrées aux premières étapes de la vie du Sauveur, sa vie publique, son agonie et sa mort-résurrection, comme conséquence et signe de l’Incarnation. Si le Christ est le Verbe fait chair, il est impossible qu’il ne soit pas ressuscité, qu’il n’ait pas entraîné dans sa gloire cette nature humaine qu’il a faite sienne. Ainsi donc, Jésus, incarné, a accompli les Écritures dans leur totalité. La création nouvelle est apparue en Lui, rachetée et rénovée afin que tous puissent prendre part au banquet éternel.

Ce petit livre est une référence pour entrer dans le grand mystère de l’Incarnation du Fils de Dieu.